Lizzie Crowdagger's Blog, page 20

October 20, 2013

Une mine de déterrés, #2

Voici la seconde partie de Une mine de déterrés, une nouvelle un peu longue qui mélange fantasy et enquête policière et qui fait partie du recueil Sorcières & Zombies. La première partiest est disponible ici.


Je m'excuse d'avoir mis autant de temps à publier cette partie ; j'avais promis que le texte intégral serait publié en un mois, mais j'ai été prise par d'autres choses, notamment la réédition prochaine d'Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires). Pour compenser, cet extrait-ci est plus long que le précédent et, promis, la fin sera disponible plus rapidement.

« T'en penses quoi ? » demanda Ray lorsqu'ils sortirent de la taverne.


Il remit ses lunettes de soleil, malgré le fait qu'il faisait presque nuit.


« Pour l'instant ? demanda Anya. Pas grand-chose.


— Ouais. Écoute, commença le colosse avec un air gêné, je me disais, pour voir les gars du syndicat, demain...


— Oui ?


— Peut-être que ça serait plus pratique si tu venais... enfin, pas avec l'apparence que tu as maintenant, tu vois ce que je veux dire ?


— Quoi ? s'étouffa la jeune femme.


— Je dis juste, t'aurais peut-être des possibilités que t'as pas maintenant. Pour l'enquête, tu sais ?


— Tu sais très bien que je n'aime pas l'autre option. Je ne me sens pas moi-même quand je ne suis pas...


— Ouais, ouais, soupira Ray. Comme tu veux. »


Le colosse avait du mal à comprendre sa collègue. Elle disait détester cette partie d'elle-même, et pourtant elle ne faisait aucun effort pour s'enlever les poils qu'elle avait au visage et aux jambes, ce qui lui aurait permis de passer à peu près pour une fille normale. Il comprenait vaguement qu'elle refusait de se laisser imposer ce à quoi une femme devait ressembler, mais il trouvait qu'elle aurait parfois pu accepter de se simplifier la vie.


« Encore heureux, que ce soit comme je veux. Sinon, cette histoire de morts-vivants...


— C'est vrai que c'est... imprévu.


— On demandera des informations à l'auberge, proposa la jeune femme. D'ailleurs, on est arrivés. »


Ray examina le bâtiment quelques secondes. Ça ne payait pas de mine, mais ça avait l'avantage de ne pas être trop cher. Le détective haussa les épaules et entra à la suite de son amie.


« Bonsoir, Mademoiselle ! Bonsoir, Monsieur ! » les salua l'aubergiste lorsqu'ils entrèrent. Il s'agissait d'une jeune femme plutôt large qui était présentement occupée à passer le balai dans la salle à manger.


« Re-bonsoir, Sylvie, répondit Anya.


— « Sylvie » ? Vous avez déjà fait connaissance ?


— Tu me connais, toujours sociale et à l'écoute des autres.


— Ouais, soupira Ray en sortant une cigarette de son manteau. Vaut mieux que tu le sois pour deux, j'suppose.


— Dis-moi, fit Anya en se tournant vers l'aubergiste, tu es au courant de cette histoire de morts-vivants ? »


Sylvie posa son balai contre un mur, puis haussa les épaules, choisissant manifestement ses mots.


« Non... Je veux dire, je sais ce que tout le monde sait. Le bourgmestre a ordonné qu'on ferme les accès à la ville. Mais...


— Il y a eu des morts étranges ?


— Vous êtes de la garde ? demanda Sylvie en souriant.


— On en a la gueule ? » répliqua Ray.


La jeune femme fut un peu surprise par la remarque du colosse, qu'elle trouva agressive ; mais l'homme avait un petit sourire qui semblait indiquer qu'il s'agissait plutôt d'une tentative malheureuse d'humour.


« Nous sommes détectives, expliqua Anya sur un ton beaucoup plus doux. On enquête sur l'explosion de la mine. »


L'aubergiste grimaça. Elle n'avait manifestement pas envie de parler de ce sujet.


« C'est un sujet sensible ? demanda l'enquêtrice.


— Mon père... est resté là-dessous.


— Oh, ma pauvre. Je suis vraiment désolée.


— De toute façon, ils ont déjà décidé des coupables...


— Tu crois que c'est eux ? »


Sylvie haussa les épaules.


« Je ne sais pas. Écoutez, mademoiselle Volk, à part mon père et un ou deux de ses amis, je ne connaissais pas vraiment les mineurs. Mais...


— Mais ? l'encouragea Anya.


— Cette mine, c'était tout ce qui leur permettait de vivre. Pourquoi ils auraient voulu la faire sauter ? »



« Mademoiselle Volk ? »


Anya sortit de son demi-sommeil et ouvrit les yeux. Elle était dans une baignoire à moitié remplie, il était huit heures du matin, et elle se trouvait plutôt bien. Dommage, décida-t-elle, qu'il y ait cette enquête à résoudre et ces histoires de morts-vivants. Elle aurait préféré qu'il se soit vraiment agi de vacances.


« Oui, Sylvie ?


— Je peux entrer ? Je vous apporte plus d'eau chaude.


— Tu peux entrer. »


Sylvie ouvrit la porte et aperçut le dos nu de la détective. Lorsqu'elle se retourna, cette dernière vit que l'aubergiste était restée figée, le visage blême.


« Oups. J'avais oublié le tatouage. »



« Alors », commença Sylvie en s'asseyant en face d'Anya dans la salle à manger. « Vous êtes une sorcière ? »


La détective termina de mâcher le morceau de tartine qu'elle avait dans la bouche avant de répondre.


« Je ne sais pas. Vous appréciez les sorcières, dans le coin ?


— Pas vraiment, Mademoiselle. On dit qu'elles invoquent le diable et font... des choses.


— Des choses ?


— Ben... du genre, sexuelles. Dans les bois, vous savez ? »


Anya se tourna vers l'aubergiste avec un petit sourire.


« À titre personnel, je préfère faire ça dans un lit. »


Sylvie baissa les yeux d'un air timide, pendant que la sorcière continuait.


« Le tatouage que j'ai dans le dos est une sorte de protection. Je sais que le pentacle a une mauvaise image, mais c'est juste ça. Une protection.


— Alors vous n'invoquez pas de... démon ? »


Anya secoua la tête et regarda les escaliers qui menaient aux chambres.


« Je n'arrive déjà pas à invoquer Ray, fit-elle en écartant les mains en signe d'impuissance.


— Je suis désolée, s'excusa Sylvie en baissant la tête. Je croyais que les sorcières étaient maléfiques et... vous savez, ce genre de choses. Mais vous avez l'air d'être une fille bien. »


La détective regarda son interlocutrice en terminant sa tartine, puis elle haussa les épaules.


« Ça dépend ce que t'appelles « fille bien », je suppose. »



Après que Ray eut fini par se lever et avaler en vitesse un petit-déjeuner, Anya et lui allèrent retrouver André et une vingtaine de ses collègues dans ce qui était encore le local du syndicat des mineurs.


La jeune femme se demanda quelques secondes ce qu'allait devenir ce syndicat, maintenant qu'il n'y avait plus de mine. Cela dit, ça n'était pas son problème : elle était juste là pour découvrir ce qui s'était passé.


André présenta les deux détectives aux travailleurs. La présence de Ray fut plus chaudement accueilli que celle de sa coéquipière, comme celle-ci s'y était un peu attendu.


C'était un peu frustrant. Elle avait fait un effort sur sa tenue : elle avait enfilé une robe raisonnablement couvrante, avait longuement peigné ses cheveux noirs et passé un temps considérable à se maquiller.


Et pourtant, les anciens mineurs préféraient Ray, même si celui-ci ne s'était ni coiffé, ni rasé.


Ce fut, par conséquent, surtout le colosse qui anima la discussion. Il posait des questions auxquels les hommes répondaient, se complétant ou se contredisant parfois.


Anya trouva assez rapidement que la conversation tournait en rond et se concentra plutôt sur les archives qu'André avait apportées concernant la mine et le syndicat. Les informations lui semblaient plus intéressantes que tous les témoignages expliquant à quel point Grégoire et Maximilien étaient innocents.


« S'ils sont blancs comme neige, demanda-t-elle soudainement, pourquoi est-ce qu'ils ont été arrêtés ? »


C'était peut-être la façon de poser la question, mais les réactions qu'elle obtint furent plutôt agressives. Qui était-elle pour poser cette question ? Pourquoi ne voyait-elle pas qu'il s'agissait d'un complot ?


Tout cela ne l'avançait pas à grand-chose, aussi décida-t-elle qu'elle n'avait qu'à laisser Ray se débrouiller avec les anciens mineurs. De son côté, elle estimait que ce n'était pas eux qui pourraient lui apprendre ce qui s'était passé.



« Monsieur Maugeais ? » demanda la secrétaire en entrant dans le bureau de son chef.


Celui-ci était un homme d'une soixantaine d'années qui portait une moustache blanche élégante.


« Qu'y a-t-il, Isabelle ? J'avais demandé qu'on ne me dérange pas. »


La secrétaire grimaça, manifestement embarrassée.


« Il y a cette femme... enfin...


— Je crois qu'elle parle de moi, expliqua Anya en entrant dans la pièce. Ça vous gêne si je m'assoie ?


— Qui êtes vous ? demanda monsieur Maugeais d'un air furieux. Sortez d'ici immédiatement !


— Je m'appelle Volk », répondit la détective en tirant une chaise et en s'asseyant. « Anya Volk. Avec un K. Je mène une enquête sur l'effondrement de votre mine.


— Une enquête ? » demanda le propriétaire avec un air dédaigneux, pendant que la secrétaire sortait du bureau. « Voyez-vous ça...


— J'ai deux questions pour vous.


Moi, j'ai une question pour vous. Vous préférez partir seule ou vous faire mettre dehors par la sécurité ?


— S'il vous plaît ? » demanda Anya sur un ton doux, avec un regard enjôleur. « Les mineurs n'ont pas voulu répondre à celle-là. Pourquoi Maximilien et Grégoire auraient fait sauter la mine ? C'était leur gagne-pain. C'était leurs collègues. »


Le propriétaire soupira, puis s'assit en face de la jeune femme en secouant la tête.


« Je vais vous le dire. C'était les meneurs de la grève. Ils voulaient empêcher les « jaunes » de reprendre le travail. C'était une question de principe. Pour ne pas perdre la face.


— Oh, fit Anya. Je vois. Des anarchistes. »


Maugeais esquissa un sourire. L'arrivée de la jeune femme avait été quelque peu intrusive, mais l'enquêtrice ne partait peut-être pas sur de trop mauvaises bases, finalement.


« J'ai une autre question. Après, je vous laisse tranquille.


— Allez-y.


— Dans combien de temps la mine aurait fermé ?


— Pardon ? »


Anya sortit la feuille où elle avait pris quelques notes et la regarda quelques secondes.


« Les gisements les plus accessibles commençaient à s'épuiser, monsieur Maugeais. La mine n'était plus très rentable. Et avec les conventions de travail que le syndicat avait réussi à négocier... »


Elle regarda ses notes quelques instants et siffla, admirative.


« Les mineurs ont dû sacrément se mobiliser. J'aimerais bien avoir le même contrat. Surtout la partie sur le licenciement...


— Où voulez-vous en venir ? aboya le propriétaire.


— De vous à moi, Monsieur, cette explosion, elle vous arrangeait bien, non ?


— Sortez de mon bureau ! hurla Maugeais en se levant. Je n'ai pas à écouter les insinuations d'une dégénérée !


— Ce ne sont pas des insinuations. Vous avez pu mettre fin à tous les contrats grâce à la clause sur le cas d'accident majeur. »


La porte du bureau s'ouvrit sur un homme approximativement du même âge que Maugeais, peut-être un peu plus jeune. Il s'appuyait sur une canne, mais Anya se demanda si c'était par besoin ou pour l'esthétique. En tout cas, elle devina qu'il devait s'agir de monsieur Maurice, son associé.


« Isabelle m'a dit qu'il y avait un problème, Antoine ?


— Cette... personne... allait s'en aller.


— Mademoiselle », fit l'associé avec un sourire charmant en plongeant son regard dans celui d'Anya. « Nous sommes ravis de votre visite. La sortie est la deuxième porte à droite. »


La jeune femme se leva immédiatement, baissa légèrement la tête devant Maurice, puis obéit à son injonction implicite et quitta les lieux.



Ray et André entrèrent dans la taverne, accompagnés de quelques anciens mineurs qui avaient décidé de rester avec eux un peu plus longtemps que prévu.


Même si ça l'embarrassait, le détective devait admettre que le départ de sa collaboratrice avait facilité les choses : les langues s'étaient déliées et la défiance qu'avaient certains des hommes s'étaient envolée.


Les discussions avaient beaucoup porté sur la personnalité des deux hommes accusés de l'explosion et sur le conflit récurrent qui avait opposé les mineurs à leurs patrons.


Les travailleurs étaient parvenus, quelques années plus tôt, à obtenir un certain nombre d'avantages en échange de la pénibilité et du danger que représentait leur travail. Cependant, ils avaient estimé que ce compromis était remis en cause lorsque Maugeais, constatant la raréfaction des ressources, leur avait demandé de creuser plus profondément. Les mineurs craignaient pour leur sécurité et s'étaient mis en grève ; mais, contrairement à ce qui s'était passé des années plus tôt, Maugeais n'avait pas cédé. Certains liaient ce changement d'attitude à son association avec Maurice, réputé pour être implacable, mais toujours est-il qu'après plus d'un mois pendant lequel la mine avait été bloquée, le travail avait repris.


Enfin, seulement quelques heures. Ensuite, il y avait eu l'explosion.


« Y'a un truc que je pige pas, demanda Ray en fixant son verre de bière. On peut vraiment faire sauter toute une mine comme ça ? Je veux dire, d'après ce que vous m'avez dit, elle est pas franchement petite...


— Tous les puits ont été condamnées après l'explosion, expliqua André, mais on ne connaît pas vraiment l'état de la mine. Seule la garde y a eu accès, et elle refuse de nous donner des informations sur l'enquête. Elle dit que ça pourrait nuire à son bon déroulement.


— Hum.


— Moi j'dis », fit un type plutôt petit qui avait beaucoup pris la parole pendant les discussions collectives, « la vérité c'est que cette mine tourne toujours. »


Ray lui jeta un regard interrogateur.


« Tu veux dire quoi ?


— Les nains. Ils ont fait venir des nains. Ces types travaillent pour rien. Ça leur coûte moins cher.


— Des nains ? répéta Ray, manifestement sceptique.


— Ne l'écoutez pas, protesta André. Marc, tu sais très bien que ce n'est pas le cas. Comment ils feraient sortir le minerai ? Et les hommes ?


— Pas des hommes », répliqua Marc, toujours convaincu de sa théorie. « Des nains. Ils sortent pas, ces gars. »


Ray secoua la tête en signe de dénégation.


« T'as jamais vu de nains, mec. Si y'en avait dans votre mine, y'en aurait un paquet en train de vider des pintes au comptoir.


— Les nains vivent sous la montagne, protesta Marc qui n'en démordait pas. Et pour faire sortir le minerai, ils les mettent dans des bateaux. Il y a une rivière souterraine. »


André leva les yeux au ciel.


« C'est ridicule. »


Ray hocha très légèrement la tête. Il était plutôt d'accord avec l'avis du syndicaliste.



Après son entretien avec Maugeais, lorsqu'elle sortit dans la rue, la première réaction d'Anya fut de donner un coup de poing dans un mur en briques.


« Merde ! » lâcha-t-elle.


Elle soupira en réalisant que ses longs ongles vernis avaient pénétré dans la paume de sa main et qu'elle saignait, mais la douleur la calma un peu.


Il y avait, dans la vie, une grande quantité de choses qu'Anya détestait, mais Maurice avait peut-être mis le doigt sur la première de la liste.


Il avait essayé de se servir de magie sur elle.


Cela n'avait pas fonctionné, encore heureux, mais Anya avait dû faire semblant d'être sous l'effet du sort pour ne pas révéler qu'elle avait elle-même quelques capacités dans le domaine.


« Putain de trouduc', râla-t-elle en s'allumant une cigarette. Je lui ferai bouffer son sourire, à ce connard...


— Monsieur Volk ? » fit une voix sur sa droite.


Anya se tourna et aperçut le sergent Leslie, accompagnée d'un autre garde plus grand qu'elle.


« Mademoiselle Volk, rectifia-t-elle sur un ton glacial.


— Techniquement, je ne crois pas, non. Et la loi interdit à un homme de porter des vêtements de femme. Je vais vous demander de nous accompagner au poste, monsieur Volk. »


Anya regarda le sergent Leslie d'un air incrédule.


« Vous vous foutez de moi, hein ? »



« Alors, c'est ça, votre rivière souterraine ? » demanda Ray alors qu'André et lui arrivaient devant ce qui ressemblait à un cours d'eau ordinaire.


« C'est la Nela. Là, elle n'est plus sous terre, évidemment, mais elle prend sa source dans la montagne.


— Et elle passe vraiment dans la mine ? » demanda l'enquêteur en retirant ses lourdes bottes.


André le regarda mettre ses pieds dans l'eau, un peu incrédule devant la vision du géant patibulaire qui barbotait joyeusement.


« Sous la mine, plus exactement. C'est pour ça qu'on ne voulait pas creuser plus profondément. Une percée au mauvais endroit et ça aurait été une inondation catastrophique.


— Tout ça pour de la ferraille, grogna le géant.


— Cette... « ferraille », comme vous dites, monsieur Ray, fait vivre toute la ville. Les forges, les...


— D'accord, d'accord. Bon, je vois pas de bateaux pour la faire sortir, en tout cas.


— Marc a des théories farfelues. Vous ne croyez quand même pas à son histoire de nains ?


— Non, admit Ray en esquissant un sourire. Mais la rivière n'a pas rejeté de cadavres ou d'autres choses ?


— D'autres choses ? »


Le géant se tourna vers lui, le regard caché par les lunettes.


« Ouais. Dans le milieu, on appelle ça des indices.


— Pas que je sache.


— Y aurait moyen de la remonter ? Pour entrer dans la mine par là ?


— Vous rigolez ? demanda André. Il faudrait nager à contre-courant et en apnée pendant Dieu sait combien de temps.


— Pas une brillante idée, alors. D'autres moyens de rentrer dans la mine ?


— N'y pensez pas. Tout a été bouché après l'effondrement. »


Ray grimaça, manifestement mécontent.


« Comment je suis censé trouver ce qui a bien pu se passer dedans, alors ? »



Confinée seule dans une petite cellule, Anya s'ennuyait mortellement. Elle avait bien essayé de s'occuper en se limant les ongles, mais un garde lui avait immédiatement confisqué sa lime parce qu'elle risquait de s'en servir pour s'évader.


Elle avait donc opté pour la sieste, mais il y a un nombre d'heures maximales pendant lesquelles une personne en bonne santé peut dormir dans la même journée.


Finalement, après une éternité, le garde qui avait participé à son arrestation la fit entrer dans une pièce pour prendre sa déposition.


« Nom ?, commença-t-il.


— Volk. Avec un K.


— Prénom ?


— Anya. Avec un Y.


— Non, je veux dire, votre vrai prénom. »


La jeune femme laissa échapper un long soupir.


« C'est mon vrai prénom.


— Ne vous moquez pas de moi.


— Écoutez, vous n'avez qu'à écrire n'importe quoi. Vous avez l'air de mieux connaître mon prénom que moi.


— Si vous continuez sur ce ton, vous allez aussi recevoir une amende pour outrage, Monsieur »


La sorcière se tourna vers le garde et lui jeta un regard mauvais.


« Nom de Dieu, mais c'est quoi votre problème ? Je suis une putain de femme, andouille ! Merde, j'étais déjà tombée sur des policiers crétins et des péquenots débiles, mais vous, en tant que crétin de péquenot de policier débile, vous battez tout le monde !


— Monsieur, calmez-vous.


— Et voilà, vous recommencez. C'est parce que j'ai plus de poils aux jambes et au visage que la moyenne des femmes ? Ou alors vous êtes juste jaloux parce que je suis plus grande que vous ? »


Le garde soupira.


« Peut-être que vous voulez être une femme, concéda-t-il, mais si je retirais votre culotte, qu'est-ce que je verrais ? »


Anya prit une grande inspiration et parvint à se calmer.


« Rien, répondit-t-elle finalement.


— Pardon ?


— Parce qu'avant que votre main n'atteigne ma culotte, je vous aurais arraché les deux yeux et les aurais mangés. »


Le garde resta coi, estomaqué.


« Je plaisante, évidemment, tempéra Anya avec un grand sourire. Je ne mange pas les yeux, c'est trop gélatineux. Je me contenterais de vous les...


— Ça suffit ! » coupa Leslie en entrant dans le bureau. « Richard, je vais m'occuper de ça.


— Bien, sergent », lâcha le garde en se levant et en quittant la pièce, jetant au passage un regard mauvais à Anya.


Leslie soupira et se laissa tomber sur le siège en face de la jeune femme.


« Écoutez, ne rendez pas les choses difficiles, d'accord ? Je préférerais aussi passer mon temps à faire autre chose. »


La détective leva les yeux au ciel. Son interlocutrice n'avait pas passé l'après-midi en cellule, elle.


« J'imagine que c'est rassurant, lança-t-elle finalement. Si votre priorité est de m'emmerder, ça veut dire que vos morts-vivants ne sont pas une si grande menace, pas vrai ? »


Le sergent fit un petit sourire et reprit le formulaire qu'avait commencé à remplir l'autre garde.


« Écoutez, je vais être conciliante. Je note « Anya » comme prénom. Et je peux remplir aussi la profession moi-même, détective Volk. En vacances, bien sûr. Il ne reste plus qu'une question délicate : votre âge ? »


La jeune femme haussa les épaules et répondit à la question. En mentant légèrement : elle faisait plus jeune qu'elle ne l'était.


« Bien, fit Leslie en continuant à remplir le procès-verbal. On va y arriver.


— Et pour les morts-vivants ? » demanda Anya.


Leslie leva les yeux vers elle, étonnée.


« Pardon ?


— Si je les mentionnais dans la conversation, c'est que j'espérais que vous attraperiez la perche et me donneriez un peu d'informations, expliqua la détective en se passant la main dans les cheveux.


— Ce n'est pas à vous de poser les questions, Volk. »


Anya baissa la tête, un petit sourire aux lèvres.


« J'aurais dû m'attendre à celle-là. Écoutez, sergent, je veux juste savoir, en tant que simple citoyenne, si je dois m'inquiéter ou pas.


— Simple citoyenne ? Mon cul, Volk, vous êtes une putain de fouille-merde, ouais. Maintenant, pour votre gouverne, nous avons retrouvé un mort il y a deux jours, près de la rivière. Il avait des traces de morsures humaines. Plus rien depuis. Satisfaite ?


— C'est tout ?


— Nous avons un bourgmestre un peu... disons qu'il aime prendre ses précautions. Tenez, signez ça. »


Anya attrapa la feuille que lui tendait le sergent et la parcourut du regard. Elle grimaça.


« Je ne vais pas signer ça. C'est au masculin.


— Eh bien, si je dis que j'ai arrêtée une femme parce qu'elle portait une robe, c'est un peu ridicule, non ?


— Mon Dieu, soupira Anya. Est-ce que les morts-vivants ont déjà mangé le cerveau de tout le monde sans que personne ne s'en rende compte ? »



« Vous cherchez toujours des indices ? » demanda André, quelque peu essoufflé.


Ray avait mis un point d'honneur à parcourir les bois qui se situaient le long de la rivière, afin de chercher des éventuels cadavres.


« Vous savez, Marc n'a vraiment pas...


— Chut ! » coupa Ray, tout en le stoppant en plaçant une main énorme sur son torse.


André fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi ils s'arrêtaient. Il allait poser la question, mais s'arrêta en voyant le loup qui sortait de derrière un buisson.


« Oh, fit-il d'un air calme. On a souvent des loups, dans le coin. Ne vous en faites pas, ils n'attaquent pas les humains.


— Ouais ? demanda Ray en jetant un regard autour d'eux. Alors pourquoi ils nous encerclent, hein ? »


André déglutit. Il voyait effectivement des loups dépasser tout autour d'eux. Ce n'était pas un comportement normal.


« Mon Dieu », lâcha-t-il alors qu'ils commençaient à se rapprocher avec un grondement sourd.


Pendant ce temps, le colosse avait sorti un gros cigare de son manteau et était en train de l'allumer tranquillement.


« Vous faites quoi ?


— Avec les loups, ça se joue à l'intimidation.


— Je... » protesta André, mais c'était déjà trop tard. La meute chargeait.


Le syndicaliste ferma les yeux, s'attendant à mourir déchiqueté d'un instant à l'autre. À sa grande surprise, rien ne se passa. Lorsqu'il les rouvrit, Ray faisait face à un gros loup, qui devait être le chef de meute, et semblait l'affronter du regard.


Il avait retiré ses lunettes, mais avait toujours son cigare dans la bouche, un petit sourire aux lèvres.


La bataille silencieuse dura près d'une minute, puis le colosse fit un pas en direction de la bête et se baissa pour coller son visage face au sien. Alors, il lui souffla de la fumée au museau.


Le cœur d'André s'arrêta de battre ; il s'attendait à ce que le loup lui ouvre la gorge d'une seconde à l'autre. Pourtant, il se contenta de gronder, puis partit la queue basse, bientôt suivi par le reste de la meute.


« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda le syndicaliste en reprenant sa respiration.


— J'dirais qu'on s'en sort bien, fit Ray en remettant ses lunettes sombres. Par contre, vous avez raison. Les loups normaux font pas ça.


— Des loups-garous ? suggéra André.


— Non, je sais reconnaître un loup-garou quand j'en vois un. Peut-être bien qu'ils étaient possédés, ou quelque chose comme ça. Un truc magique. »


André lui jeta un regard surpris. Il avait du mal à comprendre tout ce qui se passait, mis à part qu'il venait de peu d'échapper à la mort.


« Attendez une seconde. Vous pensez que quelqu'un aurait ensorcelés ces loups pour nous tuer ?


— Juste une hypothèse que j'émets.


— Et vous les avez fait fuir avec un simple regard ? »


Le colosse haussa les épaules, puis arbora un petit sourire.


« Franchement, comparé à se coltiner ma pote quand elle est dans un de ses mauvais jours, un loup ensorcelé, c'est du gâteau. »



« Écoutez », soupira le sergent Leslie, qui commençait à être fatiguée de sa détenue récalcitrante. « Vous signez ça et vous êtes libre. Bien sûr, vous êtes censée payer une amende dans les trente jours, mais j'imagine que vous aurez quitté la ville d'ici-là, alors...


— C'est juste que je ne comprends pas. Selon la même loi quelque peu datée qui m'a valu d'être arrêtée, il faudrait aussi interpeller les femmes qui portent des pantalons. Vous voyez ce que je veux dire ? »


Leslie jeta un coup d'œil à sa tenue de garde qui n'était pas exactement un modèle de féminité et haussa les épaules.


« Je peux deviner.


— Je suppose que c'est un supérieur qui vous a demandé de le faire ?


— Comment ça ?


— Si j'étais un peu paranoïaque, je dirais que quelqu'un n'a pas envie que je continue à enquêter. »


Le sergent secoua la tête, manifestement peu convaincue.


« Je pense plutôt qu'un de mes supérieurs a une certaine vision de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. N'allez pas chercher midi à quatorze heures. Vous êtes dans une petite ville...


— Si vous le dites, soupira Anya en signant son procès-verbal. Je peux vous poser une dernière question ?


— Je sens que vous allez le faire de toute façon.


— Pourquoi Grégoire et Maximilien ont été arrêtés ?


— Je ne peux pas vous dévoiler d'informations sur une enquête en cours.


— Je vois, fit la détective en se levant. Merci quand même. »


Elle se dirigea vers la porte et s'apprêtait à sortir de la pièce lorsque Leslie l'arrêta :


« Volk !


— Hum ?


— Au diable la procédure, je vais vous répondre. Vos types. Ils avaient des explosifs chez eux et des traces de poudre sur les mains. Ils ont fait sauter la mine. Vous ne les innocenterez pas, parce qu'ils ne sont pas innocents. Tout ce que vous ferez, c'est perdre votre temps. »


Anya inclina la tête en signe de remerciement, puis fit un petit sourire à la garde.


« Plus personne n'est innocent, de nos jours, de toute façon. »



Lorsqu'Anya arriva à l'auberge, Ray était déjà attablé, en train de manger un plat plutôt copieux à base de poulet et de riz.


« Je me demandais ce que tu faisais.


— Ça n'avait pas l'air de te préoccuper beaucoup », répliqua la jeune femme.


Elle salua Sylvie, occupée à servir deux autres clients, et s'assit en face de son coéquipier.


« J'ai eu une journée de merde. »


Elle lui expliqua rapidement ce qu'il lui était arrivé, puis Ray fit de même.


« Hum, lâcha pensivement Anya quand il eut terminé. Tu crois vraiment que ces loups étaient ensorcelés ?


— Peux pas dire avec certitude. J'ai pas tes talents. J'sais juste que les loups normaux sont pas comme ça.


— Maurice a utilisé de la magie contre moi. Peut-être qu'il a voulu vous éliminer aussi.


— Ouais.


— En tout cas, j'aime bien cette histoire de nains. Ça me rappelle les contes.


— C'est ridicule.


— Oui, mais ça expliquerait des choses. Malgré la baisse de rentabilité, peut-être que Maugeais n'avait pas vraiment intérêt à détruire sa mine, après tout. Tu as regardé les plans ?


— Non.


— C'est assez énorme. Je ne sais pas comment leur montagne tient encore debout. Même avec moins de profit et s'il fallait creuser plus loin, Maugeais n'avait pas forcément intérêt à faire sauter la mine. À moins que ça ne soit un prétexte pour l'exploiter clandestinement.


— Ou alors, proposa Ray, c'est pas lui. Ça pourrait même être les deux inculpés.


— C'est vrai, admit la jeune femme. Tout semble être contre eux. Il y a des preuves et, malgré ce que disent les mineurs, ils avaient des raisons de le faire. Mais je ne peux pas sentir Maugeais. Et Maurice est encore pire.


— Le fait que t'aimes pas des gens ne veut pas dire qu'ils sont coupables.


— Pourquoi pas ? Au pire, on pourrait fabriquer des preuves. »


Ray lui jeta un regard mauvais mais ne dit rien, se contentant de finir son assiette.


« Ces types se sont battus pendant trois semaines pour essayer d'avoir des conditions de sécurité correctes, reprit Anya. C'est la garde qui a fait dégager le piquet de grève pour que le travail reprenne.


— Et donc, demanda le colosse, ça justifie de tuer une cinquantaine de personnes.


— Je n'ai pas dit ça ! protesta la jeune femme. Ce que je veux dire c'est que... »


Elle soupira, ayant du mal à trouver ses mots.


« Écoute, interrompit Ray. On est détectives. On cherche la vérité. Même si c'est pas celle que voudrait voir notre client.


— La vérité, c'est que Maugeais est coupable en général. Il vit dans ses bureaux, il a plein de fric qu'il gagne en exploitant les autres qui sont dans la misère. Alors à un moment, si quelqu'un pète les plombs, c'est de sa faute, aussi, non ?


— Ouais. D'acc' », lâcha le géant en levant les yeux au ciel. « Sauf que là, on cherche à savoir qui a fait sauter cette mine. Point. Pas qui est coupable « en général ». Sinon, on n'a pas fini. »

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Published on October 20, 2013 14:09

Une mine de déterrés, #2

Voici la seconde partie de Une mine de déterrés, une nouvelle un peu longue qui mélange fantasy et enquête policière et qui fait partie du recueil Sorcières & Zombies. La première partiest est disponible ici.


Je m'excuse d'avoir mis autant de temps à publier cette partie ; j'avais promis que le texte intégral serait publié en un mois, mais j'ai été prise par d'autres choses, notamment la réédition prochaine d'Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires). Pour compenser, cet extrait-ci est plus long que le précédent et, promis, la fin sera disponible plus rapidement.

« T'en penses quoi ? » demanda Ray lorsqu'ils sortirent de la taverne.


Il remit ses lunettes de soleil, malgré le fait qu'il faisait presque nuit.


« Pour l'instant ? demanda Anya. Pas grand-chose.


— Ouais. Écoute, commença le colosse avec un air gêné, je me disais, pour voir les gars du syndicat, demain...


— Oui ?


— Peut-être que ça serait plus pratique si tu venais... enfin, pas avec l'apparence que tu as maintenant, tu vois ce que je veux dire ?


— Quoi ? s'étouffa la jeune femme.


— Je dis juste, t'aurais peut-être des possibilités que t'as pas maintenant. Pour l'enquête, tu sais ?


— Tu sais très bien que je n'aime pas l'autre option. Je ne me sens pas moi-même quand je ne suis pas...


— Ouais, ouais, soupira Ray. Comme tu veux. »


Le colosse avait du mal à comprendre sa collègue. Elle disait détester cette partie d'elle-même, et pourtant elle ne faisait aucun effort pour s'enlever les poils qu'elle avait au visage et aux jambes, ce qui lui aurait permis de passer à peu près pour une fille normale. Il comprenait vaguement qu'elle refusait de se laisser imposer ce à quoi une femme devait ressembler, mais il trouvait qu'elle aurait parfois pu accepter de se simplifier la vie.


« Encore heureux, que ce soit comme je veux. Sinon, cette histoire de morts-vivants...


— C'est vrai que c'est... imprévu.


— On demandera des informations à l'auberge, proposa la jeune femme. D'ailleurs, on est arrivés. »


Ray examina le bâtiment quelques secondes. Ça ne payait pas de mine, mais ça avait l'avantage de ne pas être trop cher. Le détective haussa les épaules et entra à la suite de son amie.


« Bonsoir, Mademoiselle ! Bonsoir, Monsieur ! » les salua l'aubergiste lorsqu'ils entrèrent. Il s'agissait d'une jeune femme plutôt large qui était présentement occupée à passer le balai dans la salle à manger.


« Re-bonsoir, Sylvie, répondit Anya.


— « Sylvie » ? Vous avez déjà fait connaissance ?


— Tu me connais, toujours sociale et à l'écoute des autres.


— Ouais, soupira Ray en sortant une cigarette de son manteau. Vaut mieux que tu le sois pour deux, j'suppose.


— Dis-moi, fit Anya en se tournant vers l'aubergiste, tu es au courant de cette histoire de morts-vivants ? »


Sylvie posa son balai contre un mur, puis haussa les épaules, choisissant manifestement ses mots.


« Non... Je veux dire, je sais ce que tout le monde sait. Le bourgmestre a ordonné qu'on ferme les accès à la ville. Mais...


— Il y a eu des morts étranges ?


— Vous êtes de la garde ? demanda Sylvie en souriant.


— On en a la gueule ? » répliqua Ray.


La jeune femme fut un peu surprise par la remarque du colosse, qu'elle trouva agressive ; mais l'homme avait un petit sourire qui semblait indiquer qu'il s'agissait plutôt d'une tentative malheureuse d'humour.


« Nous sommes détectives, expliqua Anya sur un ton beaucoup plus doux. On enquête sur l'explosion de la mine. »


L'aubergiste grimaça. Elle n'avait manifestement pas envie de parler de ce sujet.


« C'est un sujet sensible ? demanda l'enquêtrice.


— Mon père... est resté là-dessous.


— Oh, ma pauvre. Je suis vraiment désolée.


— De toute façon, ils ont déjà décidé des coupables...


— Tu crois que c'est eux ? »


Sylvie haussa les épaules.


« Je ne sais pas. Écoutez, mademoiselle Volk, à part mon père et un ou deux de ses amis, je ne connaissais pas vraiment les mineurs. Mais...


— Mais ? l'encouragea Anya.


— Cette mine, c'était tout ce qui leur permettait de vivre. Pourquoi ils auraient voulu la faire sauter ? »



« Mademoiselle Volk ? »


Anya sortit de son demi-sommeil et ouvrit les yeux. Elle était dans une baignoire à moitié remplie, il était huit heures du matin, et elle se trouvait plutôt bien. Dommage, décida-t-elle, qu'il y ait cette enquête à résoudre et ces histoires de morts-vivants. Elle aurait préféré qu'il se soit vraiment agi de vacances.


« Oui, Sylvie ?


— Je peux entrer ? Je vous apporte plus d'eau chaude.


— Tu peux entrer. »


Sylvie ouvrit la porte et aperçut le dos nu de la détective. Lorsqu'elle se retourna, cette dernière vit que l'aubergiste était restée figée, le visage blême.


« Oups. J'avais oublié le tatouage. »



« Alors », commença Sylvie en s'asseyant en face d'Anya dans la salle à manger. « Vous êtes une sorcière ? »


La détective termina de mâcher le morceau de tartine qu'elle avait dans la bouche avant de répondre.


« Je ne sais pas. Vous appréciez les sorcières, dans le coin ?


— Pas vraiment, Mademoiselle. On dit qu'elles invoquent le diable et font... des choses.


— Des choses ?


— Ben... du genre, sexuelles. Dans les bois, vous savez ? »


Anya se tourna vers l'aubergiste avec un petit sourire.


« À titre personnel, je préfère faire ça dans un lit. »


Sylvie baissa les yeux d'un air timide, pendant que la sorcière continuait.


« Le tatouage que j'ai dans le dos est une sorte de protection. Je sais que le pentacle a une mauvaise image, mais c'est juste ça. Une protection.


— Alors vous n'invoquez pas de... démon ? »


Anya secoua la tête et regarda les escaliers qui menaient aux chambres.


« Je n'arrive déjà pas à invoquer Ray, fit-elle en écartant les mains en signe d'impuissance.


— Je suis désolée, s'excusa Sylvie en baissant la tête. Je croyais que les sorcières étaient maléfiques et... vous savez, ce genre de choses. Mais vous avez l'air d'être une fille bien. »


La détective regarda son interlocutrice en terminant sa tartine, puis elle haussa les épaules.


« Ça dépend ce que t'appelles « fille bien », je suppose. »



Après que Ray eut fini par se lever et avaler en vitesse un petit-déjeuner, Anya et lui allèrent retrouver André et une vingtaine de ses collègues dans ce qui était encore le local du syndicat des mineurs.


La jeune femme se demanda quelques secondes ce qu'allait devenir ce syndicat, maintenant qu'il n'y avait plus de mine. Cela dit, ça n'était pas son problème : elle était juste là pour découvrir ce qui s'était passé.


André présenta les deux détectives aux travailleurs. La présence de Ray fut plus chaudement accueilli que celle de sa coéquipière, comme celle-ci s'y était un peu attendu.


C'était un peu frustrant. Elle avait fait un effort sur sa tenue : elle avait enfilé une robe raisonnablement couvrante, avait longuement peigné ses cheveux noirs et passé un temps considérable à se maquiller.


Et pourtant, les anciens mineurs préféraient Ray, même si celui-ci ne s'était ni coiffé, ni rasé.


Ce fut, par conséquent, surtout le colosse qui anima la discussion. Il posait des questions auxquels les hommes répondaient, se complétant ou se contredisant parfois.


Anya trouva assez rapidement que la conversation tournait en rond et se concentra plutôt sur les archives qu'André avait apportées concernant la mine et le syndicat. Les informations lui semblaient plus intéressantes que tous les témoignages expliquant à quel point Grégoire et Maximilien étaient innocents.


« S'ils sont blancs comme neige, demanda-t-elle soudainement, pourquoi est-ce qu'ils ont été arrêtés ? »


C'était peut-être la façon de poser la question, mais les réactions qu'elle obtint furent plutôt agressives. Qui était-elle pour poser cette question ? Pourquoi ne voyait-elle pas qu'il s'agissait d'un complot ?


Tout cela ne l'avançait pas à grand-chose, aussi décida-t-elle qu'elle n'avait qu'à laisser Ray se débrouiller avec les anciens mineurs. De son côté, elle estimait que ce n'était pas eux qui pourraient lui apprendre ce qui s'était passé.



« Monsieur Maugeais ? » demanda la secrétaire en entrant dans le bureau de son chef.


Celui-ci était un homme d'une soixantaine d'années qui portait une moustache blanche élégante.


« Qu'y a-t-il, Isabelle ? J'avais demandé qu'on ne me dérange pas. »


La secrétaire grimaça, manifestement embarrassée.


« Il y a cette femme... enfin...


— Je crois qu'elle parle de moi, expliqua Anya en entrant dans la pièce. Ça vous gêne si je m'assoie ?


— Qui êtes vous ? demanda monsieur Maugeais d'un air furieux. Sortez d'ici immédiatement !


— Je m'appelle Volk », répondit la détective en tirant une chaise et en s'asseyant. « Anya Volk. Avec un K. Je mène une enquête sur l'effondrement de votre mine.


— Une enquête ? » demanda le propriétaire avec un air dédaigneux, pendant que la secrétaire sortait du bureau. « Voyez-vous ça...


— J'ai deux questions pour vous.


— Moi, j'ai une question pour vous. Vous préférez partir seule ou vous faire mettre dehors par la sécurité ?


— S'il vous plaît ? » demanda Anya sur un ton doux, avec un regard enjôleur. « Les mineurs n'ont pas voulu répondre à celle-là. Pourquoi Maximilien et Grégoire auraient fait sauter la mine ? C'était leur gagne-pain. C'était leurs collègues. »


Le propriétaire soupira, puis s'assit en face de la jeune femme en secouant la tête.


« Je vais vous le dire. C'était les meneurs de la grève. Ils voulaient empêcher les « jaunes » de reprendre le travail. C'était une question de principe. Pour ne pas perdre la face.


— Oh, fit Anya. Je vois. Des anarchistes. »


Maugeais esquissa un sourire. L'arrivée de la jeune femme avait été quelque peu intrusive, mais l'enquêtrice ne partait peut-être pas sur de trop mauvaises bases, finalement.


« J'ai une autre question. Après, je vous laisse tranquille.


— Allez-y.


— Dans combien de temps la mine aurait fermé ?


— Pardon ? »


Anya sortit la feuille où elle avait pris quelques notes et la regarda quelques secondes.


« Les gisements les plus accessibles commençaient à s'épuiser, monsieur Maugeais. La mine n'était plus très rentable. Et avec les conventions de travail que le syndicat avait réussi à négocier... »


Elle regarda ses notes quelques instants et siffla, admirative.


« Les mineurs ont dû sacrément se mobiliser. J'aimerais bien avoir le même contrat. Surtout la partie sur le licenciement...


— Où voulez-vous en venir ? aboya le propriétaire.


— De vous à moi, Monsieur, cette explosion, elle vous arrangeait bien, non ?


— Sortez de mon bureau ! hurla Maugeais en se levant. Je n'ai pas à écouter les insinuations d'une dégénérée !


— Ce ne sont pas des insinuations. Vous avez pu mettre fin à tous les contrats grâce à la clause sur le cas d'accident majeur. »


La porte du bureau s'ouvrit sur un homme approximativement du même âge que Maugeais, peut-être un peu plus jeune. Il s'appuyait sur une canne, mais Anya se demanda si c'était par besoin ou pour l'esthétique. En tout cas, elle devina qu'il devait s'agir de monsieur Maurice, son associé.


« Isabelle m'a dit qu'il y avait un problème, Antoine ?


— Cette... personne... allait s'en aller.


— Mademoiselle », fit l'associé avec un sourire charmant en plongeant son regard dans celui d'Anya. « Nous sommes ravis de votre visite. La sortie est la deuxième porte à droite. »


La jeune femme se leva immédiatement, baissa légèrement la tête devant Maurice, puis obéit à son injonction implicite et quitta les lieux.



Ray et André entrèrent dans la taverne, accompagnés de quelques anciens mineurs qui avaient décidé de rester avec eux un peu plus longtemps que prévu.


Même si ça l'embarrassait, le détective devait admettre que le départ de sa collaboratrice avait facilité les choses : les langues s'étaient déliées et la défiance qu'avaient certains des hommes s'étaient envolée.


Les discussions avaient beaucoup porté sur la personnalité des deux hommes accusés de l'explosion et sur le conflit récurrent qui avait opposé les mineurs à leurs patrons.


Les travailleurs étaient parvenus, quelques années plus tôt, à obtenir un certain nombre d'avantages en échange de la pénibilité et du danger que représentait leur travail. Cependant, ils avaient estimé que ce compromis était remis en cause lorsque Maugeais, constatant la raréfaction des ressources, leur avait demandé de creuser plus profondément. Les mineurs craignaient pour leur sécurité et s'étaient mis en grève ; mais, contrairement à ce qui s'était passé des années plus tôt, Maugeais n'avait pas cédé. Certains liaient ce changement d'attitude à son association avec Maurice, réputé pour être implacable, mais toujours est-il qu'après plus d'un mois pendant lequel la mine avait été bloquée, le travail avait repris.


Enfin, seulement quelques heures. Ensuite, il y avait eu l'explosion.


« Y'a un truc que je pige pas, demanda Ray en fixant son verre de bière. On peut vraiment faire sauter toute une mine comme ça ? Je veux dire, d'après ce que vous m'avez dit, elle est pas franchement petite...


— Tous les puits ont été condamnées après l'explosion, expliqua André, mais on ne connaît pas vraiment l'état de la mine. Seule la garde y a eu accès, et elle refuse de nous donner des informations sur l'enquête. Elle dit que ça pourrait nuire à son bon déroulement.


— Hum.


— Moi j'dis », fit un type plutôt petit qui avait beaucoup pris la parole pendant les discussions collectives, « la vérité c'est que cette mine tourne toujours. »


Ray lui jeta un regard interrogateur.


« Tu veux dire quoi ?


— Les nains. Ils ont fait venir des nains. Ces types travaillent pour rien. Ça leur coûte moins cher.


— Des nains ? répéta Ray, manifestement sceptique.


— Ne l'écoutez pas, protesta André. Marc, tu sais très bien que ce n'est pas le cas. Comment ils feraient sortir le minerai ? Et les hommes ?


— Pas des hommes », répliqua Marc, toujours convaincu de sa théorie. « Des nains. Ils sortent pas, ces gars. »


Ray secoua la tête en signe de dénégation.


« T'as jamais vu de nains, mec. Si y'en avait dans votre mine, y'en aurait un paquet en train de vider des pintes au comptoir.


— Les nains vivent sous la montagne, protesta Marc qui n'en démordait pas. Et pour faire sortir le minerai, ils les mettent dans des bateaux. Il y a une rivière souterraine. »


André leva les yeux au ciel.


« C'est ridicule. »


Ray hocha très légèrement la tête. Il était plutôt d'accord avec l'avis du syndicaliste.



Après son entretien avec Maugeais, lorsqu'elle sortit dans la rue, la première réaction d'Anya fut de donner un coup de poing dans un mur en briques.


« Merde ! » lâcha-t-elle.


Elle soupira en réalisant que ses longs ongles vernis avaient pénétré dans la paume de sa main et qu'elle saignait, mais la douleur la calma un peu.


Il y avait, dans la vie, une grande quantité de choses qu'Anya détestait, mais Maurice avait peut-être mis le doigt sur la première de la liste.


Il avait essayé de se servir de magie sur elle.


Cela n'avait pas fonctionné, encore heureux, mais Anya avait dû faire semblant d'être sous l'effet du sort pour ne pas révéler qu'elle avait elle-même quelques capacités dans le domaine.


« Putain de trouduc', râla-t-elle en s'allumant une cigarette. Je lui ferai bouffer son sourire, à ce connard...


— Monsieur Volk ? » fit une voix sur sa droite.


Anya se tourna et aperçut le sergent Leslie, accompagnée d'un autre garde plus grand qu'elle.


« Mademoiselle Volk, rectifia-t-elle sur un ton glacial.


— Techniquement, je ne crois pas, non. Et la loi interdit à un homme de porter des vêtements de femme. Je vais vous demander de nous accompagner au poste, monsieur Volk. »


Anya regarda le sergent Leslie d'un air incrédule.


« Vous vous foutez de moi, hein ? »



« Alors, c'est ça, votre rivière souterraine ? » demanda Ray alors qu'André et lui arrivaient devant ce qui ressemblait à un cours d'eau ordinaire.


« C'est la Nela. Là, elle n'est plus sous terre, évidemment, mais elle prend sa source dans la montagne.


— Et elle passe vraiment dans la mine ? » demanda l'enquêteur en retirant ses lourdes bottes.


André le regarda mettre ses pieds dans l'eau, un peu incrédule devant la vision du géant patibulaire qui barbotait joyeusement.


« Sous la mine, plus exactement. C'est pour ça qu'on ne voulait pas creuser plus profondément. Une percée au mauvais endroit et ça aurait été une inondation catastrophique.


— Tout ça pour de la ferraille, grogna le géant.


— Cette... « ferraille », comme vous dites, monsieur Ray, fait vivre toute la ville. Les forges, les...


— D'accord, d'accord. Bon, je vois pas de bateaux pour la faire sortir, en tout cas.


— Marc a des théories farfelues. Vous ne croyez quand même pas à son histoire de nains ?


— Non, admit Ray en esquissant un sourire. Mais la rivière n'a pas rejeté de cadavres ou d'autres choses ?


— D'autres choses ? »


Le géant se tourna vers lui, le regard caché par les lunettes.


« Ouais. Dans le milieu, on appelle ça des indices.


— Pas que je sache.


— Y aurait moyen de la remonter ? Pour entrer dans la mine par là ?


— Vous rigolez ? demanda André. Il faudrait nager à contre-courant et en apnée pendant Dieu sait combien de temps.


— Pas une brillante idée, alors. D'autres moyens de rentrer dans la mine ?


— N'y pensez pas. Tout a été bouché après l'effondrement. »


Ray grimaça, manifestement mécontent.


« Comment je suis censé trouver ce qui a bien pu se passer dedans, alors ? »



Confinée seule dans une petite cellule, Anya s'ennuyait mortellement. Elle avait bien essayé de s'occuper en se limant les ongles, mais un garde lui avait immédiatement confisqué sa lime parce qu'elle risquait de s'en servir pour s'évader.


Elle avait donc opté pour la sieste, mais il y a un nombre d'heures maximales pendant lesquelles une personne en bonne santé peut dormir dans la même journée.


Finalement, après une éternité, le garde qui avait participé à son arrestation la fit entrer dans une pièce pour prendre sa déposition.


« Nom ?, commença-t-il.


— Volk. Avec un K.


— Prénom ?


— Anya. Avec un Y.


— Non, je veux dire, votre vrai prénom. »


La jeune femme laissa échapper un long soupir.


« C'est mon vrai prénom.


— Ne vous moquez pas de moi.


— Écoutez, vous n'avez qu'à écrire n'importe quoi. Vous avez l'air de mieux connaître mon prénom que moi.


— Si vous continuez sur ce ton, vous allez aussi recevoir une amende pour outrage, Monsieur »


La sorcière se tourna vers le garde et lui jeta un regard mauvais.


« Nom de Dieu, mais c'est quoi votre problème ? Je suis une putain de femme, andouille ! Merde, j'étais déjà tombée sur des policiers crétins et des péquenots débiles, mais vous, en tant que crétin de péquenot de policier débile, vous battez tout le monde !


— Monsieur, calmez-vous.


— Et voilà, vous recommencez. C'est parce que j'ai plus de poils aux jambes et au visage que la moyenne des femmes ? Ou alors vous êtes juste jaloux parce que je suis plus grande que vous ? »


Le garde soupira.


« Peut-être que vous voulez être une femme, concéda-t-il, mais si je retirais votre culotte, qu'est-ce que je verrais ? »


Anya prit une grande inspiration et parvint à se calmer.


« Rien, répondit-t-elle finalement.


— Pardon ?


— Parce qu'avant que votre main n'atteigne ma culotte, je vous aurais arraché les deux yeux et les aurais mangés. »


Le garde resta coi, estomaqué.


« Je plaisante, évidemment, tempéra Anya avec un grand sourire. Je ne mange pas les yeux, c'est trop gélatineux. Je me contenterais de vous les...


— Ça suffit ! » coupa Leslie en entrant dans le bureau. « Richard, je vais m'occuper de ça.


— Bien, sergent », lâcha le garde en se levant et en quittant la pièce, jetant au passage un regard mauvais à Anya.


Leslie soupira et se laissa tomber sur le siège en face de la jeune femme.


« Écoutez, ne rendez pas les choses difficiles, d'accord ? Je préférerais aussi passer mon temps à faire autre chose. »


La détective leva les yeux au ciel. Son interlocutrice n'avait pas passé l'après-midi en cellule, elle.


« J'imagine que c'est rassurant, lança-t-elle finalement. Si votre priorité est de m'emmerder, ça veut dire que vos morts-vivants ne sont pas une si grande menace, pas vrai ? »


Le sergent fit un petit sourire et reprit le formulaire qu'avait commencé à remplir l'autre garde.


« Écoutez, je vais être conciliante. Je note « Anya » comme prénom. Et je peux remplir aussi la profession moi-même, détective Volk. En vacances, bien sûr. Il ne reste plus qu'une question délicate : votre âge ? »


La jeune femme haussa les épaules et répondit à la question. En mentant légèrement : elle faisait plus jeune qu'elle ne l'était.


« Bien, fit Leslie en continuant à remplir le procès-verbal. On va y arriver.


— Et pour les morts-vivants ? » demanda Anya.


Leslie leva les yeux vers elle, étonnée.


« Pardon ?


— Si je les mentionnais dans la conversation, c'est que j'espérais que vous attraperiez la perche et me donneriez un peu d'informations, expliqua la détective en se passant la main dans les cheveux.


— Ce n'est pas à vous de poser les questions, Volk. »


Anya baissa la tête, un petit sourire aux lèvres.


« J'aurais dû m'attendre à celle-là. Écoutez, sergent, je veux juste savoir, en tant que simple citoyenne, si je dois m'inquiéter ou pas.


— Simple citoyenne ? Mon cul, Volk, vous êtes une putain de fouille-merde, ouais. Maintenant, pour votre gouverne, nous avons retrouvé un mort il y a deux jours, près de la rivière. Il avait des traces de morsures humaines. Plus rien depuis. Satisfaite ?


— C'est tout ?


— Nous avons un bourgmestre un peu... disons qu'il aime prendre ses précautions. Tenez, signez ça. »


Anya attrapa la feuille que lui tendait le sergent et la parcourut du regard. Elle grimaça.


« Je ne vais pas signer ça. C'est au masculin.


— Eh bien, si je dis que j'ai arrêtée une femme parce qu'elle portait une robe, c'est un peu ridicule, non ?


— Mon Dieu, soupira Anya. Est-ce que les morts-vivants ont déjà mangé le cerveau de tout le monde sans que personne ne s'en rende compte ? »



« Vous cherchez toujours des indices ? » demanda André, quelque peu essoufflé.


Ray avait mis un point d'honneur à parcourir les bois qui se situaient le long de la rivière, afin de chercher des éventuels cadavres.


« Vous savez, Marc n'a vraiment pas...


— Chut ! » coupa Ray, tout en le stoppant en plaçant une main énorme sur son torse.


André fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi ils s'arrêtaient. Il allait poser la question, mais s'arrêta en voyant le loup qui sortait de derrière un buisson.


« Oh, fit-il d'un air calme. On a souvent des loups, dans le coin. Ne vous en faites pas, ils n'attaquent pas les humains.


— Ouais ? demanda Ray en jetant un regard autour d'eux. Alors pourquoi ils nous encerclent, hein ? »


André déglutit. Il voyait effectivement des loups dépasser tout autour d'eux. Ce n'était pas un comportement normal.


« Mon Dieu », lâcha-t-il alors qu'ils commençaient à se rapprocher avec un grondement sourd.


Pendant ce temps, le colosse avait sorti un gros cigare de son manteau et était en train de l'allumer tranquillement.


« Vous faites quoi ?


— Avec les loups, ça se joue à l'intimidation.


— Je... » protesta André, mais c'était déjà trop tard. La meute chargeait.


Le syndicaliste ferma les yeux, s'attendant à mourir déchiqueté d'un instant à l'autre. À sa grande surprise, rien ne se passa. Lorsqu'il les rouvrit, Ray faisait face à un gros loup, qui devait être le chef de meute, et semblait l'affronter du regard.


Il avait retiré ses lunettes, mais avait toujours son cigare dans la bouche, un petit sourire aux lèvres.


La bataille silencieuse dura près d'une minute, puis le colosse fit un pas en direction de la bête et se baissa pour coller son visage face au sien. Alors, il lui souffla de la fumée au museau.


Le cœur d'André s'arrêta de battre ; il s'attendait à ce que le loup lui ouvre la gorge d'une seconde à l'autre. Pourtant, il se contenta de gronder, puis partit la queue basse, bientôt suivi par le reste de la meute.


« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda le syndicaliste en reprenant sa respiration.


— J'dirais qu'on s'en sort bien, fit Ray en remettant ses lunettes sombres. Par contre, vous avez raison. Les loups normaux font pas ça.


— Des loups-garous ? suggéra André.


— Non, je sais reconnaître un loup-garou quand j'en vois un. Peut-être bien qu'ils étaient possédés, ou quelque chose comme ça. Un truc magique. »


André lui jeta un regard surpris. Il avait du mal à comprendre tout ce qui se passait, mis à part qu'il venait de peu d'échapper à la mort.


« Attendez une seconde. Vous pensez que quelqu'un aurait ensorcelés ces loups pour nous tuer ?


— Juste une hypothèse que j'émets.


— Et vous les avez fait fuir avec un simple regard ? »


Le colosse haussa les épaules, puis arbora un petit sourire.


« Franchement, comparé à se coltiner ma pote quand elle est dans un de ses mauvais jours, un loup ensorcelé, c'est du gâteau. »



« Écoutez », soupira le sergent Leslie, qui commençait à être fatiguée de sa détenue récalcitrante. « Vous signez ça et vous êtes libre. Bien sûr, vous êtes censée payer une amende dans les trente jours, mais j'imagine que vous aurez quitté la ville d'ici-là, alors...


— C'est juste que je ne comprends pas. Selon la même loi quelque peu datée qui m'a valu d'être arrêtée, il faudrait aussi interpeller les femmes qui portent des pantalons. Vous voyez ce que je veux dire ? »


Leslie jeta un coup d'œil à sa tenue de garde qui n'était pas exactement un modèle de féminité et haussa les épaules.


« Je peux deviner.


— Je suppose que c'est un supérieur qui vous a demandé de le faire ?


— Comment ça ?


— Si j'étais un peu paranoïaque, je dirais que quelqu'un n'a pas envie que je continue à enquêter. »


Le sergent secoua la tête, manifestement peu convaincue.


« Je pense plutôt qu'un de mes supérieurs a une certaine vision de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. N'allez pas chercher midi à quatorze heures. Vous êtes dans une petite ville...


— Si vous le dites, soupira Anya en signant son procès-verbal. Je peux vous poser une dernière question ?


— Je sens que vous allez le faire de toute façon.


— Pourquoi Grégoire et Maximilien ont été arrêtés ?


— Je ne peux pas vous dévoiler d'informations sur une enquête en cours.


— Je vois, fit la détective en se levant. Merci quand même. »


Elle se dirigea vers la porte et s'apprêtait à sortir de la pièce lorsque Leslie l'arrêta :


« Volk !


— Hum ?


— Au diable la procédure, je vais vous répondre. Vos types. Ils avaient des explosifs chez eux et des traces de poudre sur les mains. Ils ont fait sauter la mine. Vous ne les innocenterez pas, parce qu'ils ne sont pas innocents. Tout ce que vous ferez, c'est perdre votre temps. »


Anya inclina la tête en signe de remerciement, puis fit un petit sourire à la garde.


« Plus personne n'est innocent, de nos jours, de toute façon. »



Lorsqu'Anya arriva à l'auberge, Ray était déjà attablé, en train de manger un plat plutôt copieux à base de poulet et de riz.


« Je me demandais ce que tu faisais.


— Ça n'avait pas l'air de te préoccuper beaucoup », répliqua la jeune femme.


Elle salua Sylvie, occupée à servir deux autres clients, et s'assit en face de son coéquipier.


« J'ai eu une journée de merde. »


Elle lui expliqua rapidement ce qu'il lui était arrivé, puis Ray fit de même.


« Hum, lâcha pensivement Anya quand il eut terminé. Tu crois vraiment que ces loups étaient ensorcelés ?


— Peux pas dire avec certitude. J'ai pas tes talents. J'sais juste que les loups normaux sont pas comme ça.


— Maurice a utilisé de la magie contre moi. Peut-être qu'il a voulu vous éliminer aussi.


— Ouais.


— En tout cas, j'aime bien cette histoire de nains. Ça me rappelle les contes.


— C'est ridicule.


— Oui, mais ça expliquerait des choses. Malgré la baisse de rentabilité, peut-être que Maugeais n'avait pas vraiment intérêt à détruire sa mine, après tout. Tu as regardé les plans ?


— Non.


— C'est assez énorme. Je ne sais pas comment leur montagne tient encore debout. Même avec moins de profit et s'il fallait creuser plus loin, Maugeais n'avait pas forcément intérêt à faire sauter la mine. À moins que ça ne soit un prétexte pour l'exploiter clandestinement.


— Ou alors, proposa Ray, c'est pas lui. Ça pourrait même être les deux inculpés.


— C'est vrai, admit la jeune femme. Tout semble être contre eux. Il y a des preuves et, malgré ce que disent les mineurs, ils avaient des raisons de le faire. Mais je ne peux pas sentir Maugeais. Et Maurice est encore pire.


— Le fait que t'aimes pas des gens ne veut pas dire qu'ils sont coupables.


— Pourquoi pas ? Au pire, on pourrait fabriquer des preuves. »


Ray lui jeta un regard mauvais mais ne dit rien, se contentant de finir son assiette.


« Ces types se sont battus pendant trois semaines pour essayer d'avoir des conditions de sécurité correctes, reprit Anya. C'est la garde qui a fait dégager le piquet de grève pour que le travail reprenne.


— Et donc, demanda le colosse, ça justifie de tuer une cinquantaine de personnes.


— Je n'ai pas dit ça ! protesta la jeune femme. Ce que je veux dire c'est que... »


Elle soupira, ayant du mal à trouver ses mots.


« Écoute, interrompit Ray. On est détectives. On cherche la vérité. Même si c'est pas celle que voudrait voir notre client.


— La vérité, c'est que Maugeais est coupable en général. Il vit dans ses bureaux, il a plein de fric qu'il gagne en exploitant les autres qui sont dans la misère. Alors à un moment, si quelqu'un pète les plombs, c'est de sa faute, aussi, non ?


— Ouais. D'acc' », lâcha le géant en levant les yeux au ciel. « Sauf que là, on cherche à savoir qui a fait sauter cette mine. Point. Pas qui est coupable « en général ». Sinon, on n'a pas fini. »

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Published on October 20, 2013 14:09

September 23, 2013

Une autobiographie transsexuelle (avec des vampire) maintenant édité par Dans nos histoires

Je suis fort heureuse de pouvoir enfin vous l'annoncer : après avoir été auto-édité pendant un certain temps, Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires) a trouvé un vrai éditeur, Dans nos histoires, et paraîtra en novembre prochain. Il est d'ores et déjà possible de le précommander en participant à la souscription pour le prix de 9€.




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— J’ai conscience que, pour beaucoup de gens, je ne peux pas être une vraie lesbienne parce que je suis trans. Et j’avoue que j’ai du mal à imaginer qui pourrait tomber amoureuse d’une fille comme moi.



— Je vais te donner le même conseil qu’aux jeunes vampires qui viennent de subir leur transformation et qui ont une sale tendance à se lamenter sur le fait qu’ils sont des monstres et qu’on les regarde bizarrement : oui, c’est difficile au début, oui, les gens sont des connards, mais, non, je ne suis pas la bonne personne auprès de qui venir chercher du réconfort ou à qui déclamer des poèmes qui illustrent la douleur de ton âme tourmentée. Rassure-moi, tu n'écris pas de poèmes ?




Constituée de trois histoires où l'on suit le parcours de la narratrice, Cassandra, et d'un gang de lesbiennes surnaturelles, les Hell B☠tches, cette oeuvre mélange thématiques féministes, lesbiennes, trans avec vampirisme, motos et gros calibres.





Que puis-je dire d'autre pour vous donner envie de le précommander ? Voyons :




en dehors de la narratrice, il y a plein de personnages cools, notamment Morgue et Sigkill dont vous pouvez déjà lire deux nouvelles de « présentation Â» (et, promis, je mettrai un vrai extrait du livre à un moment) ;
vous pourrez frimer auprès de vos potes LGBT (lesbiennes, gays, bis, trans) en disant que vous avez lu le premier livre (à ma connaissance, il faudrait vérifier) qui traite de la question de l'inclusion des personnes trans dans les gangs de bikeuses vampiriques ;
si vous le précommandez maintenant, vous n'aurez pas à le demander en librairie, ce qui vous évitera de devoir perdre trente secondes juste pour prononcer le titre ;
c'est une maison d'édition qui est toute nouvelle, et je m'en voudrais si elle se cassait la gueule parce que mon bouquin ne se vend pas ;
j'ai dit qu'il y avait des motos, des vampires et des flingues, mais ai-je mentionné qu'il y avait aussi des loups-garous et des explosions ?
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Published on September 23, 2013 08:06

September 21, 2013

Une mine de deterrés, #1

Voici la première partie de Une mine de déterrés, une nouvelle un peu longue qui mélange fantasy et enquête policière et qui fait partie du recueil Sorcières & Zombies. Pour information, je prévois de publier l'ensemble du texte en à peu près quatre ou cinq morceaux et en à peu près un mois. Si vous faites partie des gens qui n'aiment pas lire les textes de cette façon (et honnêtement, je vous comprends), n'hésitez pas à acheter le recueil Sorcières & Zombies ^ ^ (Ou à revenir dans un mois, ça marche aussi...)



Le sergent Leslie, actuellement chargée de mener la garde à la porte Sud de la ville de Sénéla, raffermit la prise sur son arbalète lorsqu'elle aperçut les deux étrangers qui approchaient à pied.


La première était une femme qui, quoique grande et vêtue de manière légèrement trop provocante à son goût, ne semblait a priori pas vraiment être source de troubles potentiels.


Le second était un homme qui devait mesurer près de deux mètres, était large d'épaules et avait une allure patibulaire. Son visage balafré était en partie caché par des lunettes sombres et, pour ne rien arranger, il portait un long manteau noir qui pouvait dissimuler une quantité non négligeable d'armes. C'était une incarnation du suspect parfait.


Leslie grimaça. Le manteau et les lunettes étaient vraiment en trop. Avec ce genre d'accessoires, il devait venir de la capitale.


Elle s'avança de deux pas et porta la main à son casque pour saluer les deux individus.


« Bonsoir, Messieurs-dames.


— 'soir, lança le grand type. Un problème ?


— La ville est actuellement... en quarantaine. À votre place, je passerais mon chemin. »


Le gaillard jeta un coup d'œil rapide à la femme qui l'accompagnait, puis retira ses lunettes et plongea ses yeux dans ceux de Leslie. Ou plus exactement, plongea son œil unique dans ceux de Leslie, puisque celui qui se trouvait sur le chemin de la balafre était manifestement mort.


« En quarantaine ? demanda-t-il finalement. Pourquoi ?


— Morts-vivants. Je veux bien vous laisser rentrer, mais vous ne pourrez pas sortir avant que ce soit réglé. Alors, à votre place...


— Je sais. Vous passeriez votre chemin. Mais on a à faire ici.


— D'accord, soupira la garde. Je vais juste prendre vos noms, si vous le voulez bien.


— Raymond D'Arc, répondit l'homme.


— Anya Volk, fit la femme. Avec un K. »


Le sergent Leslie nota scrupuleusement les noms des deux étrangers.


« Et vous venez pour... ?


— On prend des vacances. »


La garde les laissa entrer, bien qu'elle n'en croyait pas un mot.


Elle fronça les sourcils lorsqu'Anya Volk passa devant elle, trouvant qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas.


Pour commencer, elle était beaucoup trop poilue. Et puis, il y avait sa voix. Leslie comprit alors : la femme n'en était pas réellement une. Leslie sourit. Les deux étrangers venaient bien de la capitale, pas de doute là-dessus.



Raymond d'Arc entra dans une taverne et chercha du regard pendant quelques instants la personne avec qui il avait rendez-vous.


Finalement, quelqu'un leva la main. Il s'agissait d'un homme aux cheveux grisonnants qui portait une petite barbiche bien taillée. Il était assis seul à une table et avait déjà entamé une bière.


Raymond se laissa tomber sur une chaise en face de lui et tendit une de ses énormes mains en guise de salut.


« Vous êtes André, je suppose ?


— Oui, fit l'homme aux cheveux gris. C'est moi qui vous ai écrit. Je vous suis très reconnaissant d'avoir accepté notre offre, monsieur D'Arc.


— Ray.


— Hein ?


— Tout le monde m'appelle Ray », expliqua le géant en allumant une cigarette.


Les deux hommes échangèrent des banalités pendant quelques minutes en attendant que la serveuse apporte deux nouvelles bières à la table.


Alors qu'elle retournait vers le comptoir, le détective vit toutes les têtes se tourner vers l'entrée de la taverne. Bien qu'il lui tournât le dos, il devina que sa coéquipière, après être passée à leur auberge pour déposer leurs affaires, venait d'entrer dans l'établissement.


Anya, à cause de son physique et de ses tenues, déclenchait toujours des réactions lorsqu'elle entrait dans ce genre d'endroits.


Un des voisins des deux hommes demanda d'une voix assez forte, destinée à se faire entendre de l'intéressée tout en ne lui étant pas directement destinée :


« Hey, les gars, c'est un homme ou une femme ? »


Ray se tourna vers l'individu, arbora un sourire désagréable et lui répondit avec un regard menaçant :


« Si tu continues comme ça, elle pourrait bien être ton pire cauchemar, mon pote. »


L'homme détourna le regard et le ramena vers sa bière. Face à Ray, le niveau d'audace de la plupart des gens diminuait drastiquement.


« Tu sais », lança joyeusement Anya en tirant une chaise et en s'asseyant à côté de son collègue, « je suis capable de répondre toute seule.


— Tu n'es jamais contente, de toute façon.


— Je suppose que tu as raison. Enchantée, au fait », ajouta-t-elle en prenant conscience de la présence d'André. « Anya Volk.


— André Léger. Enchanté aussi, quoique ce soit un peu... inattendu...


— Anya est ma collaboratrice, expliqua Ray. Mais vous en faites pas, ça change rien aux tarifs. »


André ne répondit rien, mais il était clair, vu son expression, que les tarifs n'étaient pas ce qui lui posait le plus problème.


« Si vous nous expliquiez la situation ? demanda la jeune femme.


— Il y a trois mois, la mine... elle s'est effondrée. Probablement à cause d'un attentat.


— Explosifs ? demanda Ray.


— Oui. Il faut savoir qu'il y avait eu une grève, un peu avant. Le travail venait de reprendre.


— Quelles étaient les raisons de la grève ? » demanda Anya.


André soupira. Il n'aimait pas être interrompu et encore moins par une femme qui essayait de tenir son pichet de bière d'un air raffiné mais n'arrivait qu'à paraître encore plus vulgaire.


« À cause des conditions de travail. On pensait que c'était dangereux. Quand il y a eu l'explosion, sur les trois cents mineurs, une cinquantaine est restée prise au piège. Ils ne sont jamais ressortis. »


André s'arrêta quelques secondes, ému et au bord des larmes. C'était des collègues avec qui il avait travaillé.


« Tenez, fit la jeune femme en lui tendant un mouchoir en dentelle.


— Merci.


— Vous voulez qu'on trouve les responsables, c'est ça ?


— Ils ont arrêté deux personnes, expliqua André. Grégoire et Maximilien, deux des meneurs pendant la grève. Seulement, avec les camarades... enfin, on n'est pas sûr que la garde soit impartiale, vous voyez ?


— Vous pensez pas que c'est les bons coupables ? demanda Ray.


— J'ai du mal à croire que ce soit eux. Ils n'auraient pas mis la vie de leurs collègues en danger. S'ils avaient posé une bombe, ça aurait été plutôt pour faire sauter Maugeais et Maurice.


— C'est qui, ces types ?


— Les propriétaires de la mine.


— Ça paraît logique, admit Anya. Pends ton patron, t'auras son pognon. »


Ray jeta un regard surpris à sa collaboratrice.


« Je suis pas sûr que j'ai bien fait de te recruter...


— Ne t'en fais pas, répliqua la jeune femme avec un sourire. On est partenaires, à niveau égal. C'est pas comme si t'étais vraiment mon patron. »

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Published on September 21, 2013 12:56

September 15, 2013

Sortie du recueil Sorcières & Zombies

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Sorcières & Zombies est un recueil de nouvelles mêlant fantastique et fantasy, humour et horreur, vampirisme et homosexualité, morts-vivants et enquête, transsexualité et sorcellerie.




Ce recueil contient quatre textes : "Route de nuit" et "Créatures de rêve" (fantastique) revisitent les clichés de l'horreur en jonglant entre cauchemar et réalité, tandis que "Sortir du cercueil" (fantasy) s'attaque aux vampires et que "Une mine de déterrés" mélange surnaturel et enquête policière.




Ce livre peut être commandé en version papier sur Lulu.com pour le prix de 10€, et est également disponible au format numérique sur Amazon pour un peu moins d'1€.




Les trois premiers textes, Route de nuit, Créatures de rêve et Sortir du cercueil ont déjà été publiés précédemment sur ce site, et peuvent toujours être téléchargés gratuitement.




La dernière nouvelle, Une mine de déterrés est un texte inédit de fantasy où deux détectives privés, Anya et Ray, enquêtent à la demande d'un syndicat de travailleurs sur une mystérieuse explosion survenue quelques temps plus tôt dans une mine.

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Published on September 15, 2013 15:37

May 21, 2013

Extrait : Rude girls don't cry #3

Étant donné que j'ai enfin réussi à avancer un peu dans l'écriture de mon roman en cours, Rude girls don't cry, je me suis dit que je pouvais en profiter pour poster un nouvel extrait, qui est la suite directe des deux précédents :




Premier extrait (début du roman)
Deuxième extrait


C'est aussi la fin du premier chapitre (oui, j'aime les chapitres assez courts).







Une dizaine de minutes plus tard, j'étais assise dans la cour, par terre, à tenir une cigarette dans une main et à maintenir une bouteille de bière bien fraîche contre un des hématomes que Mel m'avait faits au visage et qui n'était que le commencement des bleus que j'aurais le lendemain. Elle en aurait aussi, je suppose, même si, pour une raison que j'ignore, les coups ont tendance à ne pas lui laisser beaucoup de marques. J'imagine que son corps s'est habitué, ou une connerie dans le genre.




Évidemment, on s'était fait engueuler. C'est le problème des soirées LGBT, par rapport aux concerts punks : on n'aime pas beaucoup les combats de bar. Pour un milieu qui revendique la tolérance et l'acceptation des modes de vie différents, je suis désolée, mais je trouve ça faux cul.




J'étais en train de tirer sur ma cigarette, seule dans mon coin, quand une meuf s'est approchée. Elle avait les cheveux longs et bruns, portait des grosses lunettes de vue, et était plutôt ronde, ce qui, selon mes critères personnels, me la rendait à première vue plutôt sympathique, surtout qu'avec sa longue robe noire et son maquillage à la gothique, elle était plutôt mignonne.




« Salut, ai-je dit en voyant qu'elle me regardait.




— Tu as quelque chose contre les personnes trans ? » a-t-elle demandé.




Vu l'entrée en la matière, j'en ai conclu qu'elle ne venait pas me draguer. Ça m'arrangeait : ma vie était trop chaotique pour une relation.




« Pardon ? » ai-je demandé.




Il faut dire que, tandis qu'elle parlait, j'avais bloqué sur ses dents. Elle avait des jolis quenottes, notez bien, pas comme la dentition de fumeuse de meth de Mel ; le truc qui était un peu étrange, c'était les deux canines supérieures proéminentes. Je me suis retenue de lui demander « tu sais que tu as des dents de vampire ? », parce que je me doutais bien qu'elle le savait et que ça devait la faire chier quand on lui posait la question.




« Les personnes trans, a-t-elle répété, elles te posent un problème ? »




Avant d'aller plus loin, peut-être que je devrais expliquer un peu ce qu'est une personne trans. Ou peut-être que vous le savez déjà très bien, je n'en sais rien, je suis narratrice, pas télépathe. Bref, au cas où, voilà un petit cours.




D'abord, ce qu'il faut dire, c'est qu'il y a des façons d'expliquer ce qu'est la transsexualité qui sont chiantes et où on ne comprend rien. Il y a aussi des gens qui vont vous dire qu'il ne faut pas parler de transsexualité, mais de machins bizarres comme transidentité, identité de genre, mais vu que je n'y ai jamais rien compris, je ne vais pas vous la jouer comme ça.




Après, il y a les explications simples mais pas très intéressantes, du genre : une femme trans, c'est une femme à qui on a dit à la naissance « c'est un garçon », mais ça ne fait pas génial pour une histoire. Il y a aussi les métaphores éculées : « une âme de femme dans un corps d'homme », ou vice-versa, mais j'ai du mal avec la notion d'âme.




Heureusement, Mel m'a une fois fait un cours bien à elle, et c'est ce que j'ai de moins pourri sous la main, pour vous expliquer. Par contre, je vous préviens, il faut savoir que Mel est, en plus d'une skinhead, une geek finie qui passe trop de temps à faire de l'informatique.




Et vu qu'elle est geek, fatalement, sa métaphore se base sur les ordinateurs. Pour elle, le genre, c'est comme un système d'exploitation. Bon, par contre, je ne vais pas expliquer ce qu'est un système d'exploitation, donc si vous ne savez ni ce qu'est une personne trans, ni un système d'exploitation, je ne peux plus rien pour vous.




Donc, pour elle, quand vous achetez un ordinateur, vous avez un système d'exploitation qui est livré avec, et souvent, c'est Windows. Alors, je ne sais pas si vous connaissez bien Windows, mais c'est assez merdique : c'est cher, c'est Microsoft, c'est plein de bugs et d'écrans bleus de la mort. La plupart des gens font avec, parce que c'est ce qui est livré avec la machine que vous avez acheté. Après, il y a des gens qui adorent Windows, d'autres qui détestent mais qui l'utilisent quand même, et d'autres qui s'en foutent. Le point important, c'est qu'ils tournent avec le système d'exploitation — Windows — qu'on leur a vendu.




Ça, dans la métaphore de Mel, c'est les personnes pas trans — cis, qu'il faut dire maintenant — qui continuent à vivre dans le genre qu'on leur a donné à la naissance.




Maintenant, examinons le cas des personnes trans. Elles, elles ne sont pas contentes du système d'exploitation qu'on leur a refourgué. Elles n'aiment pas Windows. Alors, qu'est-ce qu'elles font ? Elles installent Linux. Après, dans la vie, c'est pas toujours simple d'installer Linux sur son ordi, parce que des fois il n'y a pas les bons pilotes ou parce que faire tourner les derniers jeux vidéos c'est un peu chiant, mais pour les linuxiens, c'est un besoin vital.




Un truc comme ça, en tout cas. Mel vous le raconterait mieux que moi.




« D'accord, ai-je admis la première fois où elle me l'expliquait, c'est sympa comme métaphore, mais c'est obligé que ce soit avec des ordis ? Tu pourrais pas plutôt en faire une avec des motos ? »




Moi, je ne suis pas spécialement une geek. Je préfère les Harleys à Linux, même si je dois admettre qu'on ne peut pas les télécharger gratuitement.




« Oi ! J'ai construit cette métaphore pour faire de l'empowerment pour les personnes trans. Avec des motos ou des voitures, ça serait comparer les trans à des fans de tuning. No fucking way.




— C'est pas faux. Et les drag-queens, dans tout ça ? »




Les drag-queens, dans la vision de Mel, c'est les gens qui s'amusent à mettre plein d'extensions pour changer leur bureau, avoir des thèmes personnalisés et ce genre de choses, mais qui restent quand même sous Windows, parce qu'ils ne voudraient pas galérer à devoir changer leurs petites habitudes.




Moi, je fais plutôt partie des gens qui détestent Windows, qui râlent tout le temps dessus, mais qui continuent à s'en servir parce qu'elles sont trop feignantes pour changer. Que ce soit en ce qui concerne l'informatique ou la féminité : je n'aime pas franchement les trucs pour filles, mais je n'aurais aucune envie de devenir un mec.




Après son explication, Mel m'a expliqué ce soir là qu'elle détestait les gens qui correspondaient à cette catégorie et qui disaient des trucs comme « je suis un peu trans aussi », alors qu'elles continuaient à utiliser le système d'exploitation qu'on leur avait installé.




À ce moment là, évidemment, j'ai dit à Mel que je pensais être un peu trans aussi, vu que j'étais masculine. Elle m'a ouvert l'arcade sourcilière avec un bon coup de poing, et on s'est mis sur la gueule pendant que je foutais du sang
partout. C'était une bonne soirée, c'est peut-être pour ça que sa métaphore informatique du genre m'a marquée.







J'ai inspiré une bouffée de tabac et ai déplacé la bouteille de bière qui me servait de glaçon vers un autre hématome, tandis que la nana à lunettes et aux dents de vampire attendait ma réponse.




« Quand je disais « pardon », ai-je expliqué, ce n'est pas parce que je n'avais pas entendu. C'est parce que je n'avais pas compris. Pourquoi est-ce que tu penses que j'ai un problème avec les personnes trans ? »




Ce n'était pas la première fois qu'on me reprochait ça. Surtout depuis que j'avais cette relation d'ennemie jurée avec Mel. Ce qui prouve encore que le milieu LGBT n'est pas aussi tolérant qu'il le prétend : tu as le droit de baiser avec tout le monde, le polyamour est cool, tu peux aussi être pote avec tout le monde, mais par contre, si tu préfères avoir des ennemies jurées, ça ne le fait pas.




« Tu l'as traitée de drag-queen, m'a expliqué la meuf à lunettes. C'est transphobe. Â»




Je me suis décidée à décapsuler ma bouteille de bière, et en ai avalé une gorgée.




« Tu veux dire, tu trouves que c'est transphobe de la traiter de drag-queen mais pas de lui balancer mon poing à la gueule ?




— Non. Tu lui as balancé ton poing à la gueule parce qu'elle t'as traitée de gros tas de graisse. Ce n'est pas transphobe, c'est normal. Â»




J'ai acquiescé de la tête. Voilà un raisonnement qui me semblait bizarrement sain, dans un endroit où on m'avait déjà fait des « plaisanteries Â» parce que j'osais reprendre du gâteau, et où la seule réaction légitime que j'étais censée avoir était de rire poliment. Ils avaient mal pris quand j'avais dit « chiotte, c'est vrai, il faut que je surveille ma ligne Â» et que je m'étais fait vomir au milieu de la pièce.




Ouais, je suis capable de me faire vomir assez facilement. Cool, non ? C'est presque un super-pouvoir. Même si les médecins, d'habitude, appellent plutôt ça « trouble du comportement alimentaire ».




Bref, je commençais à plutôt bien aimer la meuf à lunettes, aussi lui ai-je tendu ma bière, vu qu'elle n'avait rien à boire.




« Moi, c'est Lev. Tu t'appelles comment ? » ai-je demandé alors qu'elle buvait quelques gorgées.




Un peu trop de gorgées à mon goût, quand même. Jusque là je l'aimais bien, mais on n'était pas super potes non plus, je n'avais pas envie qu'elle me vide la bouteille.




« Sandra.




— Bien, Sandra. D'abord, je n'ai pas traitée Mel de drag-queen. J'ai dit qu'elle ressemblait à une drag-queen. Sous cocaïne, j'avais même fait une rime.




— Je n'avais pas remarqué.




— Ça vaut bien le coup que je m'emmerde à faire de la poésie. Â»




Sandra m'a finalement rendu la bouteille. Elle en avait bien vidé le tiers.




« Tout de même, a-t-elle dit, je trouve ça transphobe.




— Je ne vois pas pourquoi. La robe et la perruque sont immondes et font drag-queen. C'est un fait.




— Peut-être que c'est sa façon d'exprimer son identité et qu'elle, elle ne trouve pas que ça fait drag-queen ? »




J'ai failli m'étouffer en buvant ma bière.




« Tu connais Mel ? ai-je demandé.




— Non, a-t-elle admis.




— C'est ce qu'il me semblait. Parce que, tu vois, la façon de Mel d'exprimer son identité, c'est avec le crâne rasé, des rangers et une batte de base-ball. C'est juste qu'aujourd'hui elle n'osait pas s'habiller comme ça parce qu'elle pensait que ce ne serait pas terrible au milieu de la pride. Â»




Sandra a hoché la tête, l'air songeuse.




« C'est ironique, a-t-elle dit, vu le nombre de pédés qui se déguisent en skinheads à cette occasion. Â»




Je l'ai regardée avec un grand sourire.




« Putain, me suis-je exclamée, ça fait du bien d'enfin rencontrer quelqu'un qui partage certaines de mes analyses. Â»







Sandra avait finir par s'asseoir par terre, à côté de moi, et on a discuté un moment de choses et d'autres, surtout des derniers films d'action sortis, bizarrement. À un moment, Mel est venue nous rejoindre avec des nouvelles bières. Elle avait retiré sa perruque, laissant apparaître son crâne presque rasé à blanc, à l'exception de deux pattes sur les côtés.




Et puis Sandra nous a parlé d'une copine trans à elle, qui avait subi un truc vraiment pas cool. Elle cherchait un stage de fin de première année et avait demandé à une société de service en informatique. Ça ne s'était pas bien passé du tout : non seulement le type qui avait eu un entretien avec elle ne l'avait pas prise, mais il avait été odieux, posant des questions intrusives quand elle avait expliqué qu'elle avait des papiers au masculin.




« Il voulait carrément voir ce qu'elle avait entre les jambes, a expliqué Sandra. Pas juste savoir : voir. Il lui a dit qu'il n'envisagerait de l'embaucher que si elle envoyait une photo de... ben, vous voyez ? »




J'ai hoché la tête. Je voyais.




« Ã‡a craint, a dit Mel avant de terminer sa bière.




— Elle a pensé porter plainte, a repris Sandra, mais elle s'est dit que les flics seraient horribles aussi. Et puis, elle a trouvé un autre stage, elle préfère passer à autre chose. Â»




Il y a eu une lueur bizarre dans le regard de Mel.




« Tu penses à ce que je pense ? m'a-t-elle demandé.




— On a fini les bières ? ai-je suggéré.




— Non. Je me disais, on pourrait peut-être envisager de laisser tomber nos petites bastons nihilistes un moment et penser à plus grand. Â»




Et c'est à cause de ça que, trois jours plus tard, on se retrouvait dans une voiture, avec un cadavre dans le coffre, Mel avec une balle dans le bide, à espérer qu'un flic nous laisse repartir.

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Published on May 21, 2013 12:50