Une mine de déterrés, #2
Voici la seconde partie de Une mine de déterrés, une nouvelle un peu longue qui mélange fantasy et enquête policière et qui fait partie du recueil Sorcières & Zombies. La première partiest est disponible ici.
Je m'excuse d'avoir mis autant de temps à publier cette partie ; j'avais promis que le texte intégral serait publié en un mois, mais j'ai été prise par d'autres choses, notamment la réédition prochaine d'Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires). Pour compenser, cet extrait-ci est plus long que le précédent et, promis, la fin sera disponible plus rapidement.
« T'en penses quoi ? » demanda Ray lorsqu'ils sortirent de la taverne.
Il remit ses lunettes de soleil, malgré le fait qu'il faisait presque nuit.
« Pour l'instant ? demanda Anya. Pas grand-chose.
â Ouais. Ãcoute, commença le colosse avec un air gêné, je me disais, pour voir les gars du syndicat, demain...
â Oui ?
â Peut-être que ça serait plus pratique si tu venais... enfin, pas avec l'apparence que tu as maintenant, tu vois ce que je veux dire ?
â Quoi ? s'étouffa la jeune femme.
â Je dis juste, t'aurais peut-être des possibilités que t'as pas maintenant. Pour l'enquête, tu sais ?
â Tu sais très bien que je n'aime pas l'autre option. Je ne me sens pas moi-même quand je ne suis pas...
â Ouais, ouais, soupira Ray. Comme tu veux. »
Le colosse avait du mal à comprendre sa collègue. Elle disait détester cette partie d'elle-même, et pourtant elle ne faisait aucun effort pour s'enlever les poils qu'elle avait au visage et aux jambes, ce qui lui aurait permis de passer à peu près pour une fille normale. Il comprenait vaguement qu'elle refusait de se laisser imposer ce à quoi une femme devait ressembler, mais il trouvait qu'elle aurait parfois pu accepter de se simplifier la vie.
« Encore heureux, que ce soit comme je veux. Sinon, cette histoire de morts-vivants...
â C'est vrai que c'est... imprévu.
â On demandera des informations à l'auberge, proposa la jeune femme. D'ailleurs, on est arrivés. »
Ray examina le bâtiment quelques secondes. Ãa ne payait pas de mine, mais ça avait l'avantage de ne pas être trop cher. Le détective haussa les épaules et entra à la suite de son amie.
« Bonsoir, Mademoiselle ! Bonsoir, Monsieur ! » les salua l'aubergiste lorsqu'ils entrèrent. Il s'agissait d'une jeune femme plutôt large qui était présentement occupée à passer le balai dans la salle à manger.
« Re-bonsoir, Sylvie, répondit Anya.
â « Sylvie » ? Vous avez déjà fait connaissance ?
â Tu me connais, toujours sociale et à l'écoute des autres.
â Ouais, soupira Ray en sortant une cigarette de son manteau. Vaut mieux que tu le sois pour deux, j'suppose.
â Dis-moi, fit Anya en se tournant vers l'aubergiste, tu es au courant de cette histoire de morts-vivants ? »
Sylvie posa son balai contre un mur, puis haussa les épaules, choisissant manifestement ses mots.
« Non... Je veux dire, je sais ce que tout le monde sait. Le bourgmestre a ordonné qu'on ferme les accès à la ville. Mais...
â Il y a eu des morts étranges ?
â Vous êtes de la garde ? demanda Sylvie en souriant.
â On en a la gueule ? » répliqua Ray.
La jeune femme fut un peu surprise par la remarque du colosse, qu'elle trouva agressive ; mais l'homme avait un petit sourire qui semblait indiquer qu'il s'agissait plutôt d'une tentative malheureuse d'humour.
« Nous sommes détectives, expliqua Anya sur un ton beaucoup plus doux. On enquête sur l'explosion de la mine. »
L'aubergiste grimaça. Elle n'avait manifestement pas envie de parler de ce sujet.
« C'est un sujet sensible ? demanda l'enquêtrice.
â Mon père... est resté là -dessous.
â Oh, ma pauvre. Je suis vraiment désolée.
â De toute façon, ils ont déjà décidé des coupables...
â Tu crois que c'est eux ? »
Sylvie haussa les épaules.
« Je ne sais pas. Ãcoutez, mademoiselle Volk, à part mon père et un ou deux de ses amis, je ne connaissais pas vraiment les mineurs. Mais...
â Mais ? l'encouragea Anya.
â Cette mine, c'était tout ce qui leur permettait de vivre. Pourquoi ils auraient voulu la faire sauter ? »
« Mademoiselle Volk ? »
Anya sortit de son demi-sommeil et ouvrit les yeux. Elle était dans une baignoire à moitié remplie, il était huit heures du matin, et elle se trouvait plutôt bien. Dommage, décida-t-elle, qu'il y ait cette enquête à résoudre et ces histoires de morts-vivants. Elle aurait préféré qu'il se soit vraiment agi de vacances.
« Oui, Sylvie ?
â Je peux entrer ? Je vous apporte plus d'eau chaude.
â Tu peux entrer. »
Sylvie ouvrit la porte et aperçut le dos nu de la détective. Lorsqu'elle se retourna, cette dernière vit que l'aubergiste était restée figée, le visage blême.
« Oups. J'avais oublié le tatouage. »
« Alors », commença Sylvie en s'asseyant en face d'Anya dans la salle à manger. « Vous êtes une sorcière ? »
La détective termina de mâcher le morceau de tartine qu'elle avait dans la bouche avant de répondre.
« Je ne sais pas. Vous appréciez les sorcières, dans le coin ?
â Pas vraiment, Mademoiselle. On dit qu'elles invoquent le diable et font... des choses.
â Des choses ?
â Ben... du genre, sexuelles. Dans les bois, vous savez ? »
Anya se tourna vers l'aubergiste avec un petit sourire.
« à titre personnel, je préfère faire ça dans un lit. »
Sylvie baissa les yeux d'un air timide, pendant que la sorcière continuait.
« Le tatouage que j'ai dans le dos est une sorte de protection. Je sais que le pentacle a une mauvaise image, mais c'est juste ça. Une protection.
â Alors vous n'invoquez pas de... démon ? »
Anya secoua la tête et regarda les escaliers qui menaient aux chambres.
« Je n'arrive déjà pas à invoquer Ray, fit-elle en écartant les mains en signe d'impuissance.
â Je suis désolée, s'excusa Sylvie en baissant la tête. Je croyais que les sorcières étaient maléfiques et... vous savez, ce genre de choses. Mais vous avez l'air d'être une fille bien. »
La détective regarda son interlocutrice en terminant sa tartine, puis elle haussa les épaules.
« Ãa dépend ce que t'appelles « fille bien », je suppose. »
Après que Ray eut fini par se lever et avaler en vitesse un petit-déjeuner, Anya et lui allèrent retrouver André et une vingtaine de ses collègues dans ce qui était encore le local du syndicat des mineurs.
La jeune femme se demanda quelques secondes ce qu'allait devenir ce syndicat, maintenant qu'il n'y avait plus de mine. Cela dit, ça n'était pas son problème : elle était juste là pour découvrir ce qui s'était passé.
André présenta les deux détectives aux travailleurs. La présence de Ray fut plus chaudement accueilli que celle de sa coéquipière, comme celle-ci s'y était un peu attendu.
C'était un peu frustrant. Elle avait fait un effort sur sa tenue : elle avait enfilé une robe raisonnablement couvrante, avait longuement peigné ses cheveux noirs et passé un temps considérable à se maquiller.
Et pourtant, les anciens mineurs préféraient Ray, même si celui-ci ne s'était ni coiffé, ni rasé.
Ce fut, par conséquent, surtout le colosse qui anima la discussion. Il posait des questions auxquels les hommes répondaient, se complétant ou se contredisant parfois.
Anya trouva assez rapidement que la conversation tournait en rond et se concentra plutôt sur les archives qu'André avait apportées concernant la mine et le syndicat. Les informations lui semblaient plus intéressantes que tous les témoignages expliquant à quel point Grégoire et Maximilien étaient innocents.
« S'ils sont blancs comme neige, demanda-t-elle soudainement, pourquoi est-ce qu'ils ont été arrêtés ? »
C'était peut-être la façon de poser la question, mais les réactions qu'elle obtint furent plutôt agressives. Qui était-elle pour poser cette question ? Pourquoi ne voyait-elle pas qu'il s'agissait d'un complot ?
Tout cela ne l'avançait pas à grand-chose, aussi décida-t-elle qu'elle n'avait qu'à laisser Ray se débrouiller avec les anciens mineurs. De son côté, elle estimait que ce n'était pas eux qui pourraient lui apprendre ce qui s'était passé.
« Monsieur Maugeais ? » demanda la secrétaire en entrant dans le bureau de son chef.
Celui-ci était un homme d'une soixantaine d'années qui portait une moustache blanche élégante.
« Qu'y a-t-il, Isabelle ? J'avais demandé qu'on ne me dérange pas. »
La secrétaire grimaça, manifestement embarrassée.
« Il y a cette femme... enfin...
â Je crois qu'elle parle de moi, expliqua Anya en entrant dans la pièce. Ãa vous gêne si je m'assoie ?
â Qui êtes vous ? demanda monsieur Maugeais d'un air furieux. Sortez d'ici immédiatement !
â Je m'appelle Volk », répondit la détective en tirant une chaise et en s'asseyant. « Anya Volk. Avec un K. Je mène une enquête sur l'effondrement de votre mine.
â Une enquête ? » demanda le propriétaire avec un air dédaigneux, pendant que la secrétaire sortait du bureau. « Voyez-vous ça...
â J'ai deux questions pour vous.
â Moi, j'ai une question pour vous. Vous préférez partir seule ou vous faire mettre dehors par la sécurité ?
â S'il vous plaît ? » demanda Anya sur un ton doux, avec un regard enjôleur. « Les mineurs n'ont pas voulu répondre à celle-là . Pourquoi Maximilien et Grégoire auraient fait sauter la mine ? C'était leur gagne-pain. C'était leurs collègues. »
Le propriétaire soupira, puis s'assit en face de la jeune femme en secouant la tête.
« Je vais vous le dire. C'était les meneurs de la grève. Ils voulaient empêcher les « jaunes » de reprendre le travail. C'était une question de principe. Pour ne pas perdre la face.
â Oh, fit Anya. Je vois. Des anarchistes. »
Maugeais esquissa un sourire. L'arrivée de la jeune femme avait été quelque peu intrusive, mais l'enquêtrice ne partait peut-être pas sur de trop mauvaises bases, finalement.
« J'ai une autre question. Après, je vous laisse tranquille.
â Allez-y.
â Dans combien de temps la mine aurait fermé ?
â Pardon ? »
Anya sortit la feuille où elle avait pris quelques notes et la regarda quelques secondes.
« Les gisements les plus accessibles commençaient à s'épuiser, monsieur Maugeais. La mine n'était plus très rentable. Et avec les conventions de travail que le syndicat avait réussi à négocier... »
Elle regarda ses notes quelques instants et siffla, admirative.
« Les mineurs ont dû sacrément se mobiliser. J'aimerais bien avoir le même contrat. Surtout la partie sur le licenciement...
â Où voulez-vous en venir ? aboya le propriétaire.
â De vous à moi, Monsieur, cette explosion, elle vous arrangeait bien, non ?
â Sortez de mon bureau ! hurla Maugeais en se levant. Je n'ai pas à écouter les insinuations d'une dégénérée !
â Ce ne sont pas des insinuations. Vous avez pu mettre fin à tous les contrats grâce à la clause sur le cas d'accident majeur. »
La porte du bureau s'ouvrit sur un homme approximativement du même âge que Maugeais, peut-être un peu plus jeune. Il s'appuyait sur une canne, mais Anya se demanda si c'était par besoin ou pour l'esthétique. En tout cas, elle devina qu'il devait s'agir de monsieur Maurice, son associé.
« Isabelle m'a dit qu'il y avait un problème, Antoine ?
â Cette... personne... allait s'en aller.
â Mademoiselle », fit l'associé avec un sourire charmant en plongeant son regard dans celui d'Anya. « Nous sommes ravis de votre visite. La sortie est la deuxième porte à droite. »
La jeune femme se leva immédiatement, baissa légèrement la tête devant Maurice, puis obéit à son injonction implicite et quitta les lieux.
Ray et André entrèrent dans la taverne, accompagnés de quelques anciens mineurs qui avaient décidé de rester avec eux un peu plus longtemps que prévu.
Même si ça l'embarrassait, le détective devait admettre que le départ de sa collaboratrice avait facilité les choses : les langues s'étaient déliées et la défiance qu'avaient certains des hommes s'étaient envolée.
Les discussions avaient beaucoup porté sur la personnalité des deux hommes accusés de l'explosion et sur le conflit récurrent qui avait opposé les mineurs à leurs patrons.
Les travailleurs étaient parvenus, quelques années plus tôt, à obtenir un certain nombre d'avantages en échange de la pénibilité et du danger que représentait leur travail. Cependant, ils avaient estimé que ce compromis était remis en cause lorsque Maugeais, constatant la raréfaction des ressources, leur avait demandé de creuser plus profondément. Les mineurs craignaient pour leur sécurité et s'étaient mis en grève ; mais, contrairement à ce qui s'était passé des années plus tôt, Maugeais n'avait pas cédé. Certains liaient ce changement d'attitude à son association avec Maurice, réputé pour être implacable, mais toujours est-il qu'après plus d'un mois pendant lequel la mine avait été bloquée, le travail avait repris.
Enfin, seulement quelques heures. Ensuite, il y avait eu l'explosion.
« Y'a un truc que je pige pas, demanda Ray en fixant son verre de bière. On peut vraiment faire sauter toute une mine comme ça ? Je veux dire, d'après ce que vous m'avez dit, elle est pas franchement petite...
â Tous les puits ont été condamnées après l'explosion, expliqua André, mais on ne connaît pas vraiment l'état de la mine. Seule la garde y a eu accès, et elle refuse de nous donner des informations sur l'enquête. Elle dit que ça pourrait nuire à son bon déroulement.
â Hum.
â Moi j'dis », fit un type plutôt petit qui avait beaucoup pris la parole pendant les discussions collectives, « la vérité c'est que cette mine tourne toujours. »
Ray lui jeta un regard interrogateur.
« Tu veux dire quoi ?
â Les nains. Ils ont fait venir des nains. Ces types travaillent pour rien. Ãa leur coûte moins cher.
â Des nains ? répéta Ray, manifestement sceptique.
â Ne l'écoutez pas, protesta André. Marc, tu sais très bien que ce n'est pas le cas. Comment ils feraient sortir le minerai ? Et les hommes ?
â Pas des hommes », répliqua Marc, toujours convaincu de sa théorie. « Des nains. Ils sortent pas, ces gars. »
Ray secoua la tête en signe de dénégation.
« T'as jamais vu de nains, mec. Si y'en avait dans votre mine, y'en aurait un paquet en train de vider des pintes au comptoir.
â Les nains vivent sous la montagne, protesta Marc qui n'en démordait pas. Et pour faire sortir le minerai, ils les mettent dans des bateaux. Il y a une rivière souterraine. »
André leva les yeux au ciel.
« C'est ridicule. »
Ray hocha très légèrement la tête. Il était plutôt d'accord avec l'avis du syndicaliste.
Après son entretien avec Maugeais, lorsqu'elle sortit dans la rue, la première réaction d'Anya fut de donner un coup de poing dans un mur en briques.
« Merde ! » lâcha-t-elle.
Elle soupira en réalisant que ses longs ongles vernis avaient pénétré dans la paume de sa main et qu'elle saignait, mais la douleur la calma un peu.
Il y avait, dans la vie, une grande quantité de choses qu'Anya détestait, mais Maurice avait peut-être mis le doigt sur la première de la liste.
Il avait essayé de se servir de magie sur elle.
Cela n'avait pas fonctionné, encore heureux, mais Anya avait dû faire semblant d'être sous l'effet du sort pour ne pas révéler qu'elle avait elle-même quelques capacités dans le domaine.
« Putain de trouduc', râla-t-elle en s'allumant une cigarette. Je lui ferai bouffer son sourire, à ce connard...
â Monsieur Volk ? » fit une voix sur sa droite.
Anya se tourna et aperçut le sergent Leslie, accompagnée d'un autre garde plus grand qu'elle.
« Mademoiselle Volk, rectifia-t-elle sur un ton glacial.
â Techniquement, je ne crois pas, non. Et la loi interdit à un homme de porter des vêtements de femme. Je vais vous demander de nous accompagner au poste, monsieur Volk. »
Anya regarda le sergent Leslie d'un air incrédule.
« Vous vous foutez de moi, hein ? »
« Alors, c'est ça, votre rivière souterraine ? » demanda Ray alors qu'André et lui arrivaient devant ce qui ressemblait à un cours d'eau ordinaire.
« C'est la Nela. Là , elle n'est plus sous terre, évidemment, mais elle prend sa source dans la montagne.
â Et elle passe vraiment dans la mine ? » demanda l'enquêteur en retirant ses lourdes bottes.
André le regarda mettre ses pieds dans l'eau, un peu incrédule devant la vision du géant patibulaire qui barbotait joyeusement.
« Sous la mine, plus exactement. C'est pour ça qu'on ne voulait pas creuser plus profondément. Une percée au mauvais endroit et ça aurait été une inondation catastrophique.
â Tout ça pour de la ferraille, grogna le géant.
â Cette... « ferraille », comme vous dites, monsieur Ray, fait vivre toute la ville. Les forges, les...
â D'accord, d'accord. Bon, je vois pas de bateaux pour la faire sortir, en tout cas.
â Marc a des théories farfelues. Vous ne croyez quand même pas à son histoire de nains ?
â Non, admit Ray en esquissant un sourire. Mais la rivière n'a pas rejeté de cadavres ou d'autres choses ?
â D'autres choses ? »
Le géant se tourna vers lui, le regard caché par les lunettes.
« Ouais. Dans le milieu, on appelle ça des indices.
â Pas que je sache.
â Y aurait moyen de la remonter ? Pour entrer dans la mine par là ?
â Vous rigolez ? demanda André. Il faudrait nager à contre-courant et en apnée pendant Dieu sait combien de temps.
â Pas une brillante idée, alors. D'autres moyens de rentrer dans la mine ?
â N'y pensez pas. Tout a été bouché après l'effondrement. »
Ray grimaça, manifestement mécontent.
« Comment je suis censé trouver ce qui a bien pu se passer dedans, alors ? »
Confinée seule dans une petite cellule, Anya s'ennuyait mortellement. Elle avait bien essayé de s'occuper en se limant les ongles, mais un garde lui avait immédiatement confisqué sa lime parce qu'elle risquait de s'en servir pour s'évader.
Elle avait donc opté pour la sieste, mais il y a un nombre d'heures maximales pendant lesquelles une personne en bonne santé peut dormir dans la même journée.
Finalement, après une éternité, le garde qui avait participé à son arrestation la fit entrer dans une pièce pour prendre sa déposition.
« Nom ?, commença-t-il.
â Volk. Avec un K.
â Prénom ?
â Anya. Avec un Y.
â Non, je veux dire, votre vrai prénom. »
La jeune femme laissa échapper un long soupir.
« C'est mon vrai prénom.
â Ne vous moquez pas de moi.
â Ãcoutez, vous n'avez qu'à écrire n'importe quoi. Vous avez l'air de mieux connaître mon prénom que moi.
â Si vous continuez sur ce ton, vous allez aussi recevoir une amende pour outrage, Monsieur »
La sorcière se tourna vers le garde et lui jeta un regard mauvais.
« Nom de Dieu, mais c'est quoi votre problème ? Je suis une putain de femme, andouille ! Merde, j'étais déjà tombée sur des policiers crétins et des péquenots débiles, mais vous, en tant que crétin de péquenot de policier débile, vous battez tout le monde !
â Monsieur, calmez-vous.
â Et voilà , vous recommencez. C'est parce que j'ai plus de poils aux jambes et au visage que la moyenne des femmes ? Ou alors vous êtes juste jaloux parce que je suis plus grande que vous ? »
Le garde soupira.
« Peut-être que vous voulez être une femme, concéda-t-il, mais si je retirais votre culotte, qu'est-ce que je verrais ? »
Anya prit une grande inspiration et parvint à se calmer.
« Rien, répondit-t-elle finalement.
â Pardon ?
â Parce qu'avant que votre main n'atteigne ma culotte, je vous aurais arraché les deux yeux et les aurais mangés. »
Le garde resta coi, estomaqué.
« Je plaisante, évidemment, tempéra Anya avec un grand sourire. Je ne mange pas les yeux, c'est trop gélatineux. Je me contenterais de vous les...
â Ãa suffit ! » coupa Leslie en entrant dans le bureau. « Richard, je vais m'occuper de ça.
â Bien, sergent », lâcha le garde en se levant et en quittant la pièce, jetant au passage un regard mauvais à Anya.
Leslie soupira et se laissa tomber sur le siège en face de la jeune femme.
« Ãcoutez, ne rendez pas les choses difficiles, d'accord ? Je préférerais aussi passer mon temps à faire autre chose. »
La détective leva les yeux au ciel. Son interlocutrice n'avait pas passé l'après-midi en cellule, elle.
« J'imagine que c'est rassurant, lança-t-elle finalement. Si votre priorité est de m'emmerder, ça veut dire que vos morts-vivants ne sont pas une si grande menace, pas vrai ? »
Le sergent fit un petit sourire et reprit le formulaire qu'avait commencé à remplir l'autre garde.
« Ãcoutez, je vais être conciliante. Je note « Anya » comme prénom. Et je peux remplir aussi la profession moi-même, détective Volk. En vacances, bien sûr. Il ne reste plus qu'une question délicate : votre âge ? »
La jeune femme haussa les épaules et répondit à la question. En mentant légèrement : elle faisait plus jeune qu'elle ne l'était.
« Bien, fit Leslie en continuant à remplir le procès-verbal. On va y arriver.
â Et pour les morts-vivants ? » demanda Anya.
Leslie leva les yeux vers elle, étonnée.
« Pardon ?
â Si je les mentionnais dans la conversation, c'est que j'espérais que vous attraperiez la perche et me donneriez un peu d'informations, expliqua la détective en se passant la main dans les cheveux.
â Ce n'est pas à vous de poser les questions, Volk. »
Anya baissa la tête, un petit sourire aux lèvres.
« J'aurais dû m'attendre à celle-là . Ãcoutez, sergent, je veux juste savoir, en tant que simple citoyenne, si je dois m'inquiéter ou pas.
â Simple citoyenne ? Mon cul, Volk, vous êtes une putain de fouille-merde, ouais. Maintenant, pour votre gouverne, nous avons retrouvé un mort il y a deux jours, près de la rivière. Il avait des traces de morsures humaines. Plus rien depuis. Satisfaite ?
â C'est tout ?
â Nous avons un bourgmestre un peu... disons qu'il aime prendre ses précautions. Tenez, signez ça. »
Anya attrapa la feuille que lui tendait le sergent et la parcourut du regard. Elle grimaça.
« Je ne vais pas signer ça. C'est au masculin.
â Eh bien, si je dis que j'ai arrêtée une femme parce qu'elle portait une robe, c'est un peu ridicule, non ?
â Mon Dieu, soupira Anya. Est-ce que les morts-vivants ont déjà mangé le cerveau de tout le monde sans que personne ne s'en rende compte ? »
« Vous cherchez toujours des indices ? » demanda André, quelque peu essoufflé.
Ray avait mis un point d'honneur à parcourir les bois qui se situaient le long de la rivière, afin de chercher des éventuels cadavres.
« Vous savez, Marc n'a vraiment pas...
â Chut ! » coupa Ray, tout en le stoppant en plaçant une main énorme sur son torse.
André fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi ils s'arrêtaient. Il allait poser la question, mais s'arrêta en voyant le loup qui sortait de derrière un buisson.
« Oh, fit-il d'un air calme. On a souvent des loups, dans le coin. Ne vous en faites pas, ils n'attaquent pas les humains.
â Ouais ? demanda Ray en jetant un regard autour d'eux. Alors pourquoi ils nous encerclent, hein ? »
André déglutit. Il voyait effectivement des loups dépasser tout autour d'eux. Ce n'était pas un comportement normal.
« Mon Dieu », lâcha-t-il alors qu'ils commençaient à se rapprocher avec un grondement sourd.
Pendant ce temps, le colosse avait sorti un gros cigare de son manteau et était en train de l'allumer tranquillement.
« Vous faites quoi ?
â Avec les loups, ça se joue à l'intimidation.
â Je... » protesta André, mais c'était déjà trop tard. La meute chargeait.
Le syndicaliste ferma les yeux, s'attendant à mourir déchiqueté d'un instant à l'autre. à sa grande surprise, rien ne se passa. Lorsqu'il les rouvrit, Ray faisait face à un gros loup, qui devait être le chef de meute, et semblait l'affronter du regard.
Il avait retiré ses lunettes, mais avait toujours son cigare dans la bouche, un petit sourire aux lèvres.
La bataille silencieuse dura près d'une minute, puis le colosse fit un pas en direction de la bête et se baissa pour coller son visage face au sien. Alors, il lui souffla de la fumée au museau.
Le cÅur d'André s'arrêta de battre ; il s'attendait à ce que le loup lui ouvre la gorge d'une seconde à l'autre. Pourtant, il se contenta de gronder, puis partit la queue basse, bientôt suivi par le reste de la meute.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda le syndicaliste en reprenant sa respiration.
â J'dirais qu'on s'en sort bien, fit Ray en remettant ses lunettes sombres. Par contre, vous avez raison. Les loups normaux font pas ça.
â Des loups-garous ? suggéra André.
â Non, je sais reconnaître un loup-garou quand j'en vois un. Peut-être bien qu'ils étaient possédés, ou quelque chose comme ça. Un truc magique. »
André lui jeta un regard surpris. Il avait du mal à comprendre tout ce qui se passait, mis à part qu'il venait de peu d'échapper à la mort.
« Attendez une seconde. Vous pensez que quelqu'un aurait ensorcelés ces loups pour nous tuer ?
â Juste une hypothèse que j'émets.
â Et vous les avez fait fuir avec un simple regard ? »
Le colosse haussa les épaules, puis arbora un petit sourire.
« Franchement, comparé à se coltiner ma pote quand elle est dans un de ses mauvais jours, un loup ensorcelé, c'est du gâteau. »
« Ãcoutez », soupira le sergent Leslie, qui commençait à être fatiguée de sa détenue récalcitrante. « Vous signez ça et vous êtes libre. Bien sûr, vous êtes censée payer une amende dans les trente jours, mais j'imagine que vous aurez quitté la ville d'ici-là , alors...
â C'est juste que je ne comprends pas. Selon la même loi quelque peu datée qui m'a valu d'être arrêtée, il faudrait aussi interpeller les femmes qui portent des pantalons. Vous voyez ce que je veux dire ? »
Leslie jeta un coup d'Åil à sa tenue de garde qui n'était pas exactement un modèle de féminité et haussa les épaules.
« Je peux deviner.
â Je suppose que c'est un supérieur qui vous a demandé de le faire ?
â Comment ça ?
â Si j'étais un peu paranoïaque, je dirais que quelqu'un n'a pas envie que je continue à enquêter. »
Le sergent secoua la tête, manifestement peu convaincue.
« Je pense plutôt qu'un de mes supérieurs a une certaine vision de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. N'allez pas chercher midi à quatorze heures. Vous êtes dans une petite ville...
â Si vous le dites, soupira Anya en signant son procès-verbal. Je peux vous poser une dernière question ?
â Je sens que vous allez le faire de toute façon.
â Pourquoi Grégoire et Maximilien ont été arrêtés ?
â Je ne peux pas vous dévoiler d'informations sur une enquête en cours.
â Je vois, fit la détective en se levant. Merci quand même. »
Elle se dirigea vers la porte et s'apprêtait à sortir de la pièce lorsque Leslie l'arrêta :
« Volk !
â Hum ?
â Au diable la procédure, je vais vous répondre. Vos types. Ils avaient des explosifs chez eux et des traces de poudre sur les mains. Ils ont fait sauter la mine. Vous ne les innocenterez pas, parce qu'ils ne sont pas innocents. Tout ce que vous ferez, c'est perdre votre temps. »
Anya inclina la tête en signe de remerciement, puis fit un petit sourire à la garde.
« Plus personne n'est innocent, de nos jours, de toute façon. »
Lorsqu'Anya arriva à l'auberge, Ray était déjà attablé, en train de manger un plat plutôt copieux à base de poulet et de riz.
« Je me demandais ce que tu faisais.
â Ãa n'avait pas l'air de te préoccuper beaucoup », répliqua la jeune femme.
Elle salua Sylvie, occupée à servir deux autres clients, et s'assit en face de son coéquipier.
« J'ai eu une journée de merde. »
Elle lui expliqua rapidement ce qu'il lui était arrivé, puis Ray fit de même.
« Hum, lâcha pensivement Anya quand il eut terminé. Tu crois vraiment que ces loups étaient ensorcelés ?
â Peux pas dire avec certitude. J'ai pas tes talents. J'sais juste que les loups normaux sont pas comme ça.
â Maurice a utilisé de la magie contre moi. Peut-être qu'il a voulu vous éliminer aussi.
â Ouais.
â En tout cas, j'aime bien cette histoire de nains. Ãa me rappelle les contes.
â C'est ridicule.
â Oui, mais ça expliquerait des choses. Malgré la baisse de rentabilité, peut-être que Maugeais n'avait pas vraiment intérêt à détruire sa mine, après tout. Tu as regardé les plans ?
â Non.
â C'est assez énorme. Je ne sais pas comment leur montagne tient encore debout. Même avec moins de profit et s'il fallait creuser plus loin, Maugeais n'avait pas forcément intérêt à faire sauter la mine. à moins que ça ne soit un prétexte pour l'exploiter clandestinement.
â Ou alors, proposa Ray, c'est pas lui. Ãa pourrait même être les deux inculpés.
â C'est vrai, admit la jeune femme. Tout semble être contre eux. Il y a des preuves et, malgré ce que disent les mineurs, ils avaient des raisons de le faire. Mais je ne peux pas sentir Maugeais. Et Maurice est encore pire.
â Le fait que t'aimes pas des gens ne veut pas dire qu'ils sont coupables.
â Pourquoi pas ? Au pire, on pourrait fabriquer des preuves. »
Ray lui jeta un regard mauvais mais ne dit rien, se contentant de finir son assiette.
« Ces types se sont battus pendant trois semaines pour essayer d'avoir des conditions de sécurité correctes, reprit Anya. C'est la garde qui a fait dégager le piquet de grève pour que le travail reprenne.
â Et donc, demanda le colosse, ça justifie de tuer une cinquantaine de personnes.
â Je n'ai pas dit ça ! protesta la jeune femme. Ce que je veux dire c'est que... »
Elle soupira, ayant du mal à trouver ses mots.
« Ãcoute, interrompit Ray. On est détectives. On cherche la vérité. Même si c'est pas celle que voudrait voir notre client.
â La vérité, c'est que Maugeais est coupable en général. Il vit dans ses bureaux, il a plein de fric qu'il gagne en exploitant les autres qui sont dans la misère. Alors à un moment, si quelqu'un pète les plombs, c'est de sa faute, aussi, non ?
â Ouais. D'acc' », lâcha le géant en levant les yeux au ciel. « Sauf que là , on cherche à savoir qui a fait sauter cette mine. Point. Pas qui est coupable « en général ». Sinon, on n'a pas fini. »