Une mine de déterrés, #3

Voici la troisième et dernière partie de Une mine de déterrés, une nouvelle un peu longue qui mélange fantasy et enquête policière et qui fait partie du recueil Sorcières & Zombies. La première partiest est disponible ici et la seconde est là.



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Lorsque Sylvie se leva à six heures du matin et descendit dans la salle à manger de l'auberge, elle eut la surprise d'y trouver Anya, plongée dans les archives et notes qu'André avait fournies.


« Bonjour, lança l'aubergiste.


— Salut.


— Vous voulez déjeuner ?


— Du café. Je veux bien du café. »


Anya continua à plancher sur les documents concernant la mine pendant que Sylvie s'activait derrière le comptoir. Elle haussa les épaules et retourna à son problème.


Elle voulait un moyen de pénétrer dans la mine, mais André avait certifié à Ray que tous les puits avaient été fermés. D'après les rapports qu'elle voyait, la mine avait effectivement été entièrement condamnée après l'explosion.


« Voilà, fit Sylvie en lui apportant sa tasse de café.


— Merci. »


Anya avala une gorgée en regardant la liste des différents puits. Elle réalisa alors que le puits numéro 2 avait été fermé cinq ans plus tôt. Il avait, comme les autres, été condamné, mais seul son accès avait été muré pour éviter que des promeneurs ne s'enfoncent dans la mine.


La jeune femme eut un petit sourire. Avec une bonne pioche, elle ne doutait pas que Ray serait capable de lui ouvrir le passage.


Elle termina son café en regardant Sylvie, qui s'était assise seule à une table et semblait lugubre.


Anya se leva, tira sa chaise et se laissa tomber en face de l'aubergiste.


« Ça n'a pas l'air d'aller. »


La jeune femme haussa les épaules.


« Tu veux en parler ?


— C'est juste... cette enquête. Ça remue des choses, vous savez ?


— Je suis désolée.


— Oh, non, mademoiselle Volk. J'espère que vous trouverez la vérité. »


Anya hocha la tête.


« On va essayer.


— Et je me demandais... vu que vous êtes une sorcière, vous n'avez pas une potion magique contre le chagrin ?


— J'aimerais bien. J'ai peur de ne pas avoir aussi souvent recours aux potions magiques et aux boules de feu que ce que les gens imaginent. »


Sylvie eut un petit sourire,


« Pas non plus de potion pour être plus courageuse ?


— Comment ça ?


— J'aimerais oser quitter cette ville, expliqua l'aubergiste. Seulement, c'est tout ce que je connais. J'aimerais être aussi courageuse que vous ?


— Que moi ? s'étonna Anya.


— Vous voyagez, vous faites un métier dangereux, vous n'avez pas peur de ce que les gens disent sur vous. J'aimerais avoir votre courage.


— C'est parce que tu ne m'as jamais vu face à une araignée, plaisanta la sorcière. Non, je n'ai pas de potion, mais... »


Anya se maudit intérieurement pour le côté gnan-gnan de ce qu'elle s'apprêtait à dire, mais la fin justifiait les moyens.


« ... je suis sûre que tu trouveras tout le courage dont tu as besoin dans ton cœur. »



Pour le repas de midi, André vint rejoindre les deux enquêteurs dans l'auberge. Ils étaient les uniques clients à rester pour le déjeuner. Anya se sentait un peu désolée pour Sylvie qu'il n'y ait pas plus de monde.


« Donc, fit André en se découpant un morceau de viande, vous voulez vraiment aller dans cette mine ?


— On pourrait passer par le puits 2, expliqua la jeune femme. Il n'a été que muré.


— Le puits 2, répéta André. C'est un conduit vertical avec un ascenseur. S'il ne marche plus, vous comptez descendre avec des cordes ? Ça fait plus de cent mètres.


— Ça nous fera de l'exercice, répliqua Ray.


— Vous êtes inconscients. C'est dangereux. Ça pourrait s'effondrer à tout moment...


— Anya pense qu'il n'y a pas que des risques d'effondrements.


— Vous pensez à quoi ? »


La jeune femme parut soudainement passionnée par ses ongles. Elle n'avait manifestement aucune envie de répondre.


« Bon sang, soupira André, soyez clairs !


— Des morts-vivants, lâcha Ray.


— Quoi ? C'est ridicule !


— Il y a deux jours, expliqua Anya, un cadavre a été retrouvé avec des traces de morsures près de la rivière. Cette rivière passe sous la mine, qui est actuellement remplie de cadavres.


— Je suis pas convaincu, tempéra son équipier. Enfin, on va prendre nos précautions. On aurait besoin d'un coup de main. La mine, c'est votre truc. »


André se passa la main dans la barbiche d'un air songeur, puis haussa les épaules.


« D'accord. S'il faut ça pour découvrir la vérité...


— Je viens aussi. »


Les regards se tournèrent vers Sylvie, debout à côté de la table, une corbeille de pain à la main.


« C'est pas une bonne idée, protesta Ray.


— Mon père est là-bas. Si c'est un mort-vivant...


— Tu feras quoi ? Il te reconnaîtra pas.


— Je veux au moins connaître la vérité. »


Le colosse interrogea sa coéquipière du regard. Celle-ci eut un petit sourire.


« Tu sais couper la viande, nota-t-elle à destination de l'aubergiste. Tu devrais pouvoir te débrouiller face à un zombie. »



« Putain, râla Anya tandis qu'ils parcouraient le chemin qui montaient à la mine. Ça grimpe.


— Toi, au moins, répliqua Ray, t'as pas à trimballer de pioche. Et puis, t'étais pas obligée de mettre des talons.


— Va te faire foutre.


— C'est vrai que c'est loin, admit le colosse. Les mineurs se tapaient ça tous les jours ?


— Non, expliqua André. Il y a des entrées plus bas, la plupart pour des conduits horizontaux. La mine est en dessous de nous.


— On marche sur du gruyère, ajouta Anya en grimaçant. Pas rassurant.


— Vous verrez vite que vous préférez avoir la terre sous vous plutôt qu'au-dessus. L'entrée du puits 2 est là. »


André montra du doigt un trou sombre dans la façade de la montagne et s'avança vers l'entrée. Sylvie et Ray le suivirent tandis qu'Anya restait un moment dehors.


Elle resta deux minutes seule avant que son ami ne finisse par ressortir, une lampe de mineur à la main.


« Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il.


— J'ai... mal aux pieds ?


— Juste ça ? Qu'est-ce qu'il y a ? T'as peur de descendre ? »


Anya se tourna vers lui et acquiesça, un peu honteuse.


« Je ne m'étais pas rendue compte que ça serait... comme ça. En voyant l'entrée... l'obscurité, l'enfermement...


— Tu peux rester là.


— Non. Donne-moi juste un peu de temps, d'accord ? »



« Elle arrive », annonça Ray à André et Sylvie, qui s'étaient tous les deux équipés de casques et de lampes.


Ils s'étaient arrêtés devant une grille métallique qui barrait le chemin.


« Ça devait pas être un mur ? demanda le colosse.


— Il s'agissait au départ d'un puits d'aération, expliqua André. Plus tard, un ascenseur a été ajouté pour permettre de transporter des hommes, mais l'entrée a été fermée après un accident.


— Je me fous du cours d'histoire. Pourquoi il y a une grille ?


— Pour condamner l'entrée tout en assurant une ventilation.


— Ça va pas me faciliter le boulot, ça. »


Il regarda quelques instants la grille et constata que le maillage et les barreaux étaient assez fins et plutôt rouillés. Il ne serait finalement pas si difficile d'en venir à bout.


Il attrapa la pioche et commença à donner de violents coups. Il fallut peu de temps pour que, alliés à la rouille, ils entraînent la casse de quelques barreaux.


Après quelques minutes d'efforts, Ray parvint à tordre la grille pour élargir l'ouverture et permettre à quelqu'un de passer en se contorsionnant un peu.


Il fut le premier à se lancer, et râla tandis que les barreaux déchiraient sa chemise et l'égratignaient. C'était l'inconvénient d'avoir un gabarit imposant.


« Bon, allons voir si cet ascenseur fonctionne. »


Il s'avança un peu dans le couloir et découvrit une salle de petite taille. Au fond de celle-ci, il remarqua une petite cage.


« Je vais vérifier les cordes, expliqua André en le rejoignant. Il ne faudrait pas qu'elles lâchent au milieu de la descente.


— D'accord.


— Votre amie ne vient pas, au fait ?


— J'ai dit qu'elle arrivait », râla Ray.


Sylvie regarda, curieuse, le colosse hausser les épaules et faire quelques pas dans la salle, visiblement nerveux.


« Elle a peur de descendre ? demanda-t-elle.


— Elle va venir, répéta le géant.


— Écoutez, fit André, elle devrait peut-être rester là. Je ne sais pas si elle est vraiment faite pour...


— Vous voulez dire quoi ? » demanda Ray un peu agressivement, ce qui fit légèrement reculer l'ancien mineur.


Celui-ci lâcha un soupir. Apparemment, le détective n'aimait pas qu'on critique sa collègue.


« Je veux dire, persista néanmoins André, qu'on ne vient pas dans une mine avec des chaussures à talon, une petite jupe et du maquillage. Surtout quand on a peur du noir.


— Qui c'est, qu'a peur du noir ? » demanda Anya.


Les regards se tournèrent vers elle tandis qu'elle passait à travers l'ouverture de la grille et rejoignait ses trois compagnons, dorénavant silencieux.


« Bon, fit-elle joyeusement, on y va, ou vous attendez quelqu'un ? »



Serrés dans la petite cage de bois, Ray faisait tourner la manivelle qui contrôlait la descente. André montrait l'évolution des roches tandis qu'ils s'enfonçaient, pendant qu'Anya se cramponnait à une des rambardes de l'ascenseur.


« Ça va ? chuchota Sylvie.


— Ça ira mieux quand on sera à nouveau dehors. »


L'aubergiste posa timidement une main sur l'épaule de la sorcière, pour la rassurer.


« L'exemple de courage fait un peu pitié à voir, hein ? » railla cette dernière.



« D'accord, fit André alors qu'ils arrivaient en bas. Je propose qu'on reste groupés, maintenant. Si vous vous perdez dans les tunnels...


— Chier, coupa Ray. C'est bas de plafond, ici.


— Marchez au milieu des couloirs, reprit l'ancien mineur. Et évitez de toucher aux étais. Si vous respectez ça, je pense que tout ira bien. »


Le petit groupe suivit André à travers les tunnels. Sylvie semblait parfaitement à l'aise dans la mine tandis que Ray, qui était obligé de marcher voûté, râlait en permanence. Derrière eux, Anya, plutôt nerveuse, se retournait régulièrement, comme pour vérifier que rien ne les suivait.


Au bout d'une dizaine de minutes, le géant réalisa que son amie était restée un peu en arrière.


« Bon sang, râla André. Surveillez votre copine. Si elle panique ici, elle peut tous nous faire tuer.


— Elle n'est pas du genre à... »


Derrière eux, un cri aigu résonna dans les tunnels et interrompit Ray, qui soupira.


« ... paniquer. Bon, on y va. »


Ils firent demi-tour et se dirigèrent aussi vite que possible vers l'origine du cri. Au bout d'une vingtaine de mètres, ils aperçurent la jeune femme, à genoux au milieu du couloir. Elle leur tournait le dos.


« Anya ? fit doucement Ray. Ça va ? »


La détective se releva doucement et se tourna vers son ami. Ce dernier réalisa alors à la lumière blafarde de la lampe qu'elle avait l'épaule gauche ensanglantée et qu'elle tenait une pierre d'un bon gabarit dans la droite.


Anya pointa du pouce un cadavre dont le crâne venait manifestement d'être démoli avec la roche en question.


« On dirait que j'avais raison, sur les morts-vivants. »



Le petit groupe se dirigea d'un pas rapide vers l'ascenseur. En voyant le cadavre, ils avaient unanimement décidé de remonter à la surface.


« J'aurais peut-être dû prendre le corps ? suggéra Ray. Comme preuve ?


— C'est juste un cadavre, maintenant, répliqua Anya. J'irai voir Leslie. J'espère qu'elle me croira. Mais j'aimerais qu'on sorte d'ici rapidement.


— Un instant », protesta André tandis qu'ils arrivaient vers la cage de bois.


Il jeta un coup d'œil à l'ascenseur et grimaça.


« Quoi ? demanda Anya. On ne va pas rester coincés là, quand même ?


— Je ne pense pas. Mais ce serait plus prudent d'éviter de mettre trop de poids d'un coup. La corde est en bon état, mais on ne peut pas en dire autant du bois.


— On fait quoi ? demanda Ray.


— Je propose deux voyages. Je monte avec mademoiselle Volk, et vous suivez tous les deux. Les charges seront à peu près équilibrées.


— D'accord, fit le colosse. Mais grouillez-vous. J'ai pas envie de moisir ici. »


L'ascenseur commença à remonter, actionné par Anya, manifestement pressée de ressortir.


Aussitôt, Sylvie s'élança dans un tunnel, à la surprise de Ray. Ce dernier se mit à lui courir après, mais vu la hauteur de plafond, il était désavantagé par sa taille.


« Bon sang ! hurla-t-il. Qu'est-ce que tu fous ?


— Mon père est là-dedans ! répliqua la jeune femme.


— Il est mort ! protesta-t-il. C'est un putain de zombie ! »


Devant lui, Sylvie s'immobilisa face à un mort-vivant, réalisa qu'il ne s'agissait pas de son père, fit quelques pas en arrière et s'engagea dans un embranchement.


« Chier », râla Ray en sortant un couteau de son manteau.


Il regarda le mort-vivant un instant. Celui-ci s'élança vers lui d'un pas lent et mal assuré.


Le colosse planta sa lame dans la tête du zombie, qui s'écroula immédiatement ; puis il retira l'arme et repartit à la poursuite de l'aubergiste.



Lorsque l'ascenseur fut arrivé, Anya se précipita vers l'extérieur. Le soleil l'aveugla quelques secondes lorsqu'elle aperçut l'entrée de la grotte, mais elle réalisa qu'elle aimait ça. Après son passage sous terre, c'était une véritable délivrance.


Ensuite, elle vit que le sergent Leslie se trouvait devant l'ouverture, lui tournant le dos. La détective fronça les sourcils. C'était étrange.


« Leslie ! lança-t-elle. Je suis heureuse de vous voir. »


Le plaisir n'était manifestement pas réciproque, puisque le sergent pointa une arbalète en direction de la détective, qui s'immobilisa en levant les mains.


Elle eut alors la surprise de voir trois autres gardes s'avancer dans l'entrée de la mine, accompagnés de monsieur Maurice, qui tenait toujours sa canne à la main.


« Qu'est-ce qui se passe, bon sang ?


— Il se passe, répondit Leslie, que vous êtes en état d'arrestation, mademoiselle Volk.


— Qu'est-ce qu'il fait là ? » demanda Anya en pointant Maurice du doigt.


Ce dernier arbora un sourire et joignit ses deux mains au dessus du pommeau de sa canne.


« Un de mes travailleurs, expliqua-t-il, m'a rapporté que des intrus semblaient se diriger vers la mine dont je suis co-propriétaire. Le périmètre étant interdit, j'ai prévenu la garde. Je lui ai aussi fait part de votre intrusion dans notre bureau et de ma crainte que vous ayiez été engagée par le syndicat pour effacer les preuves.


— Quoi ? Vous ne croyez pas ce type, quand même ?


— Il est plus crédible que vous, répliqua Leslie.


— Il vous manipule ! La vérité, c'est que cette mine est pleine de morts-vivants !


— De morts-vivants ? D'accord. Vous me raconterez ça au poste. Vous aurez tout le temps de réfléchir à la façon de présenter ça, hein ? »



« Papa ! » hurla Sylvie en se précipitant vers un mineur aux vêtements déchirés et à la peau pleine de terre. Il était occupé à effectuer le même travail qu'il avait fait durant toute sa vie.


« Papa ? répéta la jeune femme en s'approchant de lui. C'est moi. »


Le mort-vivant se retourna vers elle, le regard vide.


« Tra... vaa... iill... eerr... »


Sylvie soupira. Une larme coula le long de sa joue.


« Papa... »


Ce fut à ce moment là que le zombie tendit la main vers elle et l'agrippa.


« Faaiimm... »



À l'extérieur, Anya et André étaient sous la menace des arbalètes des membres de la garde.


« Bon sang, vous pouvez descendre ! protestait l'enquêtrice. Vous le verrez, qu'il y a des morts-vivants !


— Madame, ajouta André. Ce qu'elle dit est vrai.


— C'est ridicule, pouffa Maurice. Pourquoi pas des nains ?


— Réfléchissez, reprit Anya. Il y a eu un mort avec des traces de morsures près de la rivière. La rivière passe sous la mine...


— Volk... soupira Leslie. D'accord, supposons. Pourquoi ces cadavres de mineurs se seraient-ils relevés ?


— À cause de lui ! » répliqua la jeune femme en pointant le co-propriétaire de la mine du doigt. « Il sait se servir de magie. C'est un putain de nécromant !


— Cela devient ridicule, protesta l'accusé.


— Il a raison, ajouta le sergent. Vous l'avez vu faire une boule de feu ?


— J'ai senti la magie.


— Et comment l'auriez-vous sentie » ?


Anya soupira, et se décida à tenter le tout pour le tout.


Elle enleva sa chemise.



Alors que le mort-vivant s'apprêtait à mordre Sylvie, Ray l'attrapa par le col et l'envoya rouler par terre.


« Dégage, saleté !


— Arrêtez ! C'est mon père !


— C'est plus ton père ! » protesta le géant en se tournant vers elle, furieux.


« Ne le tuez pas, je vous en supplie.


— Plus facile à dire qu'à faire », répliqua le colosse.


Puis il entendit un bruit derrière lui et se retourna.


« Oh, merde. »


À l'autre extrémité du tunnel, lentement mais sûrement, un groupe entier de cadavres se dirigeait vers eux.



Anya montrait son dos nu face aux gardes et Maurice. Tout le monde pouvait voir le pentacle qui s'étalait sur une bonne partie de la surface de sa peau.


« Et en quoi cela joue en votre faveur ? » demanda Leslie tandis que la détective se retournait, les bras croisés sur la poitrine pour la masquer aux regards. « En plus de tout, vous êtes une sorcière ?


— Ça prouve que j'ai pu sentir sa magie, répondit Anya aussi calmement qu'elle le pouvait.


— Ou que vous avez été embauchée pour maquiller les preuves. Rhabillez-vous, je vous emmène au poste. On discutera de ça là-bas.


— Attendez ! protesta l'enquêtrice. Et ça, vous pensez que je me le suis fait moi-même ? »


Elle montra la blessure qu'elle avait à l'épaule. Leslie s'approcha un peu, intriguée, et examina la plaie. Elle pouvait voir distinctement les traces de dents, qui semblaient humaines.


Leslie grimaça. Elle trouvait qu'elle avait du mal à réfléchir et ne savait pas quoi faire.


« Ces traces... constata-t-elle. Ça pourrait être n'importe qui...


— Mais quel humain m'aurait mordue ? Ce n'est pas courant, quand même !


— D'accord, mais pourquoi monsieur Maurice aurait-il intérêt à faire de ses travailleurs des morts-vivants ?


— C'est évident, répliqua André. Il ne faut pas les payer. Ils travaillent tout le temps et se ne plaignent pas.


— Ridicule !


— Bon », soupira le sergent, avant de se tourner vers ses hommes, pensive. « On arrête les trois. On réglera tout ça au poste, après être descendus faire un tour dans cette mine. Journée de merde.


— Un instant, protesta Maurice. Vous comptez m'arrêter ?


— Oui, je compte. Je réalise que je n'ai pas franchement les idées claires, et peut-être bien que c'est à cause de vous. À moins que ça ne soit elle. Alors pour l'instant, tout le monde la ferme, d'accord ? »


Le propriétaire de la mine soupira et grommela quelques mots.


« Qu'est-ce que vous... » commença Leslie, mais elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Elle s'écroula, endormie.


Les trois autres gardes l'imitèrent dans la seconde, ainsi qu'André.


Seule Anya se tenait encore debout, quoique chancelant légèrement.


Maurice eut un sourire malsain et se saisit de sa canne, avant d'en sortir une épée.


« Tu ne crains pas la magie, constata-t-il, mais on verra si tu résistes aussi bien à cette lame. »



Ray essayait de repousser les morts-vivants qui approchaient, mais il y parvenait de moins en moins bien. Son couteau était resté coincé dans le crâne d'un de ceux qu'il avait achevés et il devait maintenant se contenter de se servir de ses mains nues. Même s'il avait une force considérable, ce n'était pas suffisant pour les tuer et ils revenaient toujours à la charge.


Derrière lui, Sylvie regardait son père s'approcher d'elle. Elle ne parvenait pas à bouger.


Le mort-vivant ouvrit la bouche pour mordre.


Et puis son comportement changea. Il se figea, avant de se mettre à hurler de douleur, en harmonie avec les autres zombies.


« Papa ! » fit Sylvie.


À sa surprise, les yeux de son père se tournèrent vers elle. Ils ne semblaient plus aussi vides que quelques minutes plus tôt.


« Sylvie », souffla le mort-vivant.


La jeune femme se mit à pleurer et le serra dans ses bras.


Pendant ce temps, Ray regardait, un peu surpris, les cadavres hurler puis s'écrouler devant lui un par un. Il se retourna et vit Sylvie échanger quelques mots avec son père. Puis ce dernier s'immobilisa à son tour, apparemment mort pour de bon.


Le détective s'approcha lentement de la jeune femme et posa une main sur son épaule.


« C'est fini. On devrait remonter, maintenant. »



Lorsque Ray et Sylvie sortirent à la lumière du jour, il eurent la surprise de découvrir une demi-douzaine de corps allongés à côté d'un loup noir qui était occupé à dévorer ce qui restait de monsieur Maurice. À coté de la bête, les vêtements d'Anya traînaient, éparpillés.


« Oh, merde, fit Ray.


— Mon Dieu », lâcha Sylvie, effrayée.


Le colosse soupira et décida de s'allumer un cigare.


« Oh non, railla-t-il en imitant la voix d'Anya. Je déteste cette partie de moi. Sauf quand il y a un repas gratuit à la clé, évidemment, hein ? »


La louve s'arrêta de manger pour tourner la tête vers lui et retroussa ses babines, menaçante.


« Je ne comprends pas, fit Sylvie.


— Moi non plus, répliqua Ray. Pas moyen qu'elle se transforme lorsqu'il s'agit d'enquêter, Mademoiselle ne va quand même pas s'abaisser à utiliser son odorat de loup pour trouver le coupable. Par contre, lorsqu'il s'agit d'utiliser ses mâchoires de loup pour le déguster, là, plus de problème.


— Vous voulez dire, demanda l'aubergiste, que ce loup, c'est mademoiselle Volk ?


— Ouais, répondit Ray. Je pense qu'on ferait mieux de se retourner.


— Donc, demanda Sylvie en tournant le dos à Anya, c'est une louve-garou ?


— On peut dire ça, je suppose. »


Ray inspira une bouffée de tabac, attendant que son amie ait fini de se transformer.


« C'est bon ? demanda-t-il. On peut se retourner ?


— Oui et non, répondit Anya. Merde, je n'aurais pas dû remettre ma chemise. Hum, Sylvie ? Je pourrais vous emprunter votre veste ? »


L'aubergiste la retira et la lui tendit, en prenant toujours soin de ne pas se retourner.


« Oh, et pour ta gouverne, Ray, non pas que ça te regarde, parce que je fais ce que je veux, mais ce connard avait une canne-épée. J'ai été obligée de me transformer. C'était une question de vie ou de mort.


— Une canne-épée ? cracha le colosse. C'est tellement ringard. Ces ploucs ne savent pas que maintenant on fait des arbalètes miniatures qui peuvent se cacher dans une manche ? »



Anya était assise sur une table, les pieds battant dans le vide. Elle était seule, et elle s'ennuyait.


Pourtant, elle était censée être à une fête. Elle était même supposée faire partie des personnes en l'honneur de qui elle était organisée.


Une semaine avait passé depuis la mort de Maurice. Le sergent Leslie avait mené une nouvelle enquête et lui avait posé un nombre incalculable de questions. Elle avait fait venir un mage d'une ville environnante, comme expert. Des gardes s'étaient relayés sans cesse dans ce qui restait de la mine.


Il en était ressorti que les deux inculpés, Grégoire et Maximilien, étaient innocents. Les explosifs trouvés chez eux ne correspondaient pas aux dégâts causés dans la mine. Il n'était pas bien clair si ces explosifs avaient été placés dans leurs appartements pour les faire arrêter ou s'ils comptaient s'en servir pour autre chose ; mais dans le doute, les deux hommes avaient fini par être relâchés.


La culpabilité de Maugeais n'était pas très claire non plus. Il prétendait ne pas être au courant des agissements de son associé et avançait que ce dernier avait agi seul, suite à des désaccords sur la gestion de la mine. En ce qui concernait Anya, les détails ne l'intéressaient pas vraiment. Elle savait que Maugeais était coupable en général.


Quant à Maurice, sa mort avait finalement été attribuée aux loups que Ray et André avaient croisés, prés de la rivière.


Le syndicat des mineurs avait décidé d'organiser une fête, pour célébrer la libération des deux inculpés, mais aussi pour remercier les deux détectives privés, qui devaient partir le lendemain.


Et si son coéquipier était effectivement en train de plaisanter avec une poignée de mineurs, un verre de vin à la main, Anya regardait tout cela de loin, seule.


Elle se leva et se dirigea vers André, profitant d'un moment où il n'était pas en train de parler avec des « camarades ».


« Je vais y aller, expliqua-t-elle.


— Déjà ? s'étonna le syndicaliste.


— Je suis un peu fatiguée.


— D'accord, très bien. Merci pour ce que vous avez fait. »


Anya haussa les épaules.


« Ça changera quoi ? demanda-t-elle. D'accord, ils sont libérés, mais...


— Je pense que ce n'est pas rien. Ils auraient été exécutés.


— Je sais, mais pour vous... la mine va rester fermée.


— Au moins, nous avons obtenu la vérité. Sans compter une indemnisation non négligeable. Nous vous devons beaucoup, nous en avons conscience. »


Anya ne répondit pas qu'elle trouvait qu'elle avait plutôt l'impression que les gens avaient conscience de devoir beaucoup à Ray, et pas à elle. C'était une fête, après tout, elle n'allait pas casser l'ambiance.



Le lendemain, Ray et Anya se dirigeaient vers la porte Sud de Sénéla, leurs bagages à la main. Ils devaient prendre la diligence qui passait à six heures du matin.


« Tu boudes ? demanda le colosse en bâillant.


— Pourquoi ?


— T'as pas beaucoup parlé, ce matin.


— Je suis fatiguée.


— Non, c'est pas ça. T'es plus matinale que moi, d'habitude. Et t'as bu moins que moi, hier.


— C'est peut-être ça, le problème, répliqua la jeune femme.


— Quoi ?


— Personne ne m'offre à boire. Personne ne vient discuter. J'ai passé une journée dans un poste de garde, je suis allée au fond d'une mine, je me suis fait mordre par un mort-vivant, j'ai tué un nécromant, et tout ça pour quoi ? À part André, les types pour qui j'ai fait ça ne m'ont même pas remerciée. Je ne sais pas pourquoi je continue à faire ce boulot, tu sais ?


— Parce que tu te débrouilles toujours pour bouffer le sale type ? plaisanta Ray.


— N'empêche, plus de contrats au rabais chez des bouseux qui n'ont jamais vu de louve-garou, c'est trop...


— Mademoiselle Volk ! »


La jeune femme se retourna, surprise, et aperçut Sylvie qui courait vers elle.


« J'ai cru que j'allais vous manquer, annonça-t-elle à bout de souffle lorsqu'elle les eut rejoints. Vous êtes partis tôt.


— La diligence est à six heures, expliqua Ray.


— Je sais, fit l'aubergiste. Mademoiselle Volk, je voulais vous remercier.


— Tu sais, je crois que tu pourrais m'appeler Anya, maintenant. »


Sylvie eut un petit sourire embarrassé, puis elle baissa la tête et chercha dans une de ses poches. Elle en sortit quelque chose d'argenté qu'elle plaça dans la main de la détective.


« C'est un collier, expliqua-t-elle. C'est un cadeau, pour vous remercier. Je me suis décidée à vendre l'auberge et à quitter cette ville. Bien sûr, je sais que ça ne vaut sans doute pas toutes les protections magiques que vous avez, mais...


— Oh, si, ça les vaut largement, fit Anya en serrant l'aubergiste dans ses bras. Merci, Sylvie. »


Les deux femmes échangèrent encore quelques mots, puis la détective rattrapa son ami, tandis que la serveuse lui faisait au revoir de la main.


« Personne ne m'aime ! railla Ray en imitant la voix de son amie. Personne ne vient me parler !


— Oh, ça va.


— Personne ne me dit merci ! continua son compagnon en mettant ses lunettes de soleil. Tu parles. C'est juste que t'es jamais contente.


— Ce n'est pas vrai », répliqua Anya, un sourire aux lèvres, alors qu'elle attachait le collier autour de son cou. « Là, je le suis. »

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Published on October 31, 2013 14:13
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