Sylvain Johnson's Blog, page 34
March 6, 2013
Nouvelle – C’est le temps du festin
C’est le temps du festin
publié dans le numéro 2 de l’IMAGINARIUS – Août 2012
Il fait noir. L’enfant a peur, mais refuse de le montrer à sa mère. Il la suit sur le mince sentier, nerveux de tous les sons qui émanent de l’épaisse végétation de chaque côté. Les arbres et buissons semblent autant de silhouettes menaçantes, bercées par la brise qui secoue leurs cimes et fait bruisser les feuilles. Sa mère marche en premier, tenant sa petite sœur dans ses bras, un poupon rosâtre enveloppé dans une couverture. Ils progressent ainsi depuis une dizaine de minutes, chassant les moustiques du mieux qu’ils le peuvent, la fraîcheur nocturne les enveloppant.
L’enfant ignore où sa mère les conduit, tout ce qu’il sait, c’est qu’elle les a réveillés au cœur de la nuit. Qu’elle était étrange, son visage trempé de sueur, ses mains tremblaient alors qu’elle a soulevé le bébé de son berceau, calmé ses pleurs. Martin savait que quelque chose clochait, les murmures et gestes saccadés de la femme ne faisaient que le confirmer.
Ils ont quitté leur logis, une petite maison délabrée le long d’une route de campagne, pour s’enfoncer dans la forêt, sans lampe de poche, sans équipements. Curieux, Martin a posé de multiples questions à sa mère, mais elle lui répondit de manière incohérente. C’est pourquoi il a cessé de lui parler, se contentant de la suivre. Il ne pouvait faire demi-tour, n’aurait pas eu le courage de refaire le chemin inverse dans la noirceur, sans adulte pour lui tenir compagnie. Il n’a après tout que sept ans.
Il lui semble entendre des bruits dans les broussailles le long du sentier. Des craquements, des frottements, des déplacements lourds, mais il ne voit rien, sinon les ombres d’une végétation oppressante.
Sa mère s’immobilise enfin, après plusieurs minutes de marche. Sont-ils arrivés à leur destination ? Et si oui, quelle est cette dernière ? Mais devant eux, le sentier prend fin, un petit espace dégagé permet aux véhicules tout-terrain de faire demi-tour. Le sol est couvert de traces de roues ayant creusé la terre. C’est pourtant tout ce qu’il voit. Il reste très près de la femme, car il a peur. Peur de tout ce qu’il ne comprend pas.
La femme berce tendrement le nourrisson dans ses bras, son corps suivant les mouvements d’un métronome invisible et elle se met à fredonner une chanson aux paroles qui se sont perdues dans le temps, qui n’importe plus. Le bébé se calme. Elle se tourne alors vers son fils, qui la regarde avec une certaine détresse, qui cherche à lui prendre la main, mais elle lui refuse ce geste maternel. Elle se penche afin de lui parler. Ses yeux sont fous, ses traits déformés par la folie.
- C’est bientôt fini.
Il veut parler, protester, bouger, mais elle le repousse, s’éloigne de lui et s’approche des buissons qui délimitent la fin du sentier. Là, elle soulève son poupon à bout de bras, vers le firmament sombre et couvert, vers les étoiles absentes et la lune dissimulée. Sa voix forte et criarde déchire la nuit.
- Je suis ici. J’ai apporté mon offrande.
Martin frissonne. Pourquoi crie-t-elle ? Qu’est-ce qu’une offrande ? Il ne se passe tout d’abord rien, sinon une chouette dans le lointain qui manifeste sa présence, son cri se répercutant dans un écho mourant. Vêtu uniquement de son pyjama, de ses pantoufles, l’enfant a froid. Il regarde sa mère, les bras tendus, et tandis qu’elle se retourne, il peut voir les larmes qui coulent sur son visage, ses lèvres qui tremblent d’émotions. Elle pivote la tête vers lui et il peut soudain revoir l’ombre de cette tendre mère qu’elle fut. Mais ce n’est qu’une brève illusion, car elle murmure des mots lourds de conséquences à son intention.
- Je suis désolé ! Je n’en peux plus.
Quelque chose se produit alors. Il le sent bien avant que cela ne prenne place. C’est une série de craquements, de bruissements et de grognements sourds, qui montent dans un concert harmonisé par le plus démoniaque des chefs d’orchestre. Cela vient de tout autour d’eux, mais se concentre devant la femme, qui baisse les bras, tend le poupon vers les feuilles de l’arbuste devant elle. La nuit devient plus sombre, plus froide et la brise gagne en intensité. Elle les fait tanguer, frissonner et le petit commence à pleurer. La femme, quant à elle, se met à rire. Elle crie
- Venez, je suis ici !
Et les voilà qui arrivent, qui surgissent de la végétation avec brusquerie, écrasant les buissons, piétinant et repoussant les petits arbustes. Ils cassent tout sur leur chemin, grognant comme des bêtes, gémissants comme des animaux blessés. Ils sont nombreux et entourent la femme, qui tend toujours son rejeton à bout de bras. Les choses qui ont surgi ont une forme humaine, mais c’est tout. Rien d’autre ne les qualifie d’humains. Car ils sont laids, déformés, leurs vêtements sont des loques qui se détachent d’eux en lambeaux. Leur peau semble en pleine putréfaction, leurs visages parfois manquants ruissellent de pus. Des yeux sont absents, des bouches s’ouvrent trop grandes, des joues percées dévoilent des dentitions malades. Ils avancent comme des automates, certains de leurs membres ne répondent plus aux instructions qui leur sont données.
Les choses l’ignorent pour l’instant, entourant sa mère qui tombe à genoux, sanglotant. Les sons qui émanent de ces créatures emplissent la nuit d’un grondement incessant. Puis, l’un d’eux se décide à bouger et agrippe l’enfant des mains généreuses de la femme qui hurle de négation. La chose observe le petit être silencieux qu’il tient dans ses bras, ses yeux vides et sa bouche ouverte laissant couler un fluide imprécis qui se répand sur son buste. Les autres s’approchent. Le bébé se met alors à pleurer, privé de la sécurité maternelle qui lui est nécessaire, de la chaleur du corps qui lui a donné vie.
Trois de ces monstres font cercle autour du poupon qui hurle et dans un geste commun, empressé, vif et dément, ils se jettent sur le petit être inoffensif. Celui qui le tenait plonge sa mâchoire à demi édentée sur le crâne à peine velu, alors qu’un autre tire sur l’une des jambes de toutes ses forces, ses ongles déchirants la peau si douce. Le troisième cherche à ouvrir le ventre de ses griffes acérées. Leurs efforts portent fruit, le bébé offre un seul gémissement qui meurt presque aussitôt. Le sang gicle, alors que les monstres s’acharnent, démembrant la petite silhouette. La femme crie, Martin parvient à faire un pas vers l’arrière. Il ne reste bientôt plus rien du bambin, que les créatures ont dévoré, leurs visages couverts de sang, les bruits humides de ce festin résonnant toujours aux oreilles de l’enfant qui en fut témoin.
Les créatures se retournent alors vers la mère agenouillée au sol. Elle les regarde avec surprise, implorante.
- Vous aviez dit que l’offrande serait suffisante, que vous le sortiriez de là !
En disant cela, elle se frappe la tempe droite. La panique se lit sur son visage. Les choses referment le cercle autour d’elle, leurs grognements d’anticipation laissent prévoir le pire. Martin fait un autre pas en arrière.
Sa mère parvient à pivoter la tête dans sa direction et leurs regards se croisent. Elle a peur, des larmes coulent sur ses joues. Elle a compris qu’elle avait tort. La folie qui avait pris possession d’elle s’est évaporée. Ne reste plus que la froide et terrible réalité. Elle allait mourir. Un murmure traverse ses lèvres et l’enfant saisit le sens de ses mots. « À bientôt ».
Le cercle se referme à cet instant sur la femme, son cri se perdant dans le choc des bouches qui la mordent, des mains griffues qui déchirent son visage, crèvent ses yeux, arrachent ses cheveux. Le festin est un spectacle qui tire le gamin de sa paralysie. Il se détourne, conscient d’être le prochain et se met à courir dans le sentier, à toute vitesse, sans s’arrêter, sans se retourner. Il croit entendre les choses qui le suivent, leurs grognements, leurs cris, les pleurs de sa mère et de sa petite sœur. Mais c’est impossible.
Il ne s’arrête que lorsque la végétation cède sa place à une route en terre battue, un véhicule roulant rapidement dans sa direction, ses phares puissants l’aveuglant. Il resta planté au milieu de la route, faisant face aux deux feux l’illuminant, jusqu’à ce que la voiture s’immobilise, que ses passagers en sortent pour venir à lui.
Un homme et une femme. Ils s’empressent, car il n’est qu’un enfant. La femme parle en premier.
- Petit ? Ça va ?
L’homme l’arrête. Tous deux observent le gamin avec intérêt. Sans s’approcher. Le conducteur s’adresse à sa femme.
- Tu ferais bien d’appeler la police et l’ambulance. Il est couvert de sang.
Martin ne comprend tout d’abord pas les mots de l’individu. Couvert de sang ? C’est impossible, puisqu’à aucun moment il ne s’est trouvé suffisamment près des choses et de leur massacre. La femme contourne le véhicule et disparaît. Martin ose baisser les yeux sur son propre corps, épiant ses mains et son pyjama. Tout ce qu’il voit, c’est du sang. Une grande quantité qui le macule. Un peu comme s’il avait pris un bain dans la substance. Une substance déjà séchée.
Il est surpris, lève un regard suppliant vers l’homme, qui pourtant conserve ses distances.
- Ne bouge pas mon petit.
Il obéit, sans comprendre. Il veut parler, mais aucun son ne parvient à quitter sa gorge. Du moins, aucun son humain. Seul un grondement sourd, un râle qu’il ne reconnait pas. L’homme recule. Parle à sa femme qui est revenue.
- Quelque chose cloche avec le môme. Rentre dans la voiture.
- Mais il faut l’aider.
Martin avance, car il veut qu’on l’aide. Il veut retourner chez lui, retrouver ce calme de l’enfance et de l’insouciance. Mais il sait en ce moment que cela ne se produira plus jamais. Parce qu’il a suivi sa mère dans les bois. Parce qu’il a vu les créatures se nourrir de sa petite sœur et de sa mère.
Car la faim est trop forte, le désir de la chair trop insistant.
Son grondement est bientôt rejoint par plusieurs autres, alors que les silhouettes démembrées, enlaidies et ensanglantées quittent la forêt qui borde la route. La femme hurle et c’est comme un signal. Martin rejoint ses nouveaux compagnons. Rejoint sa mère devenue comme lui.
C’est le temps du festin.
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March 2, 2013
Lectures de février ou comment j’ai survécu à la grippe d’homme.
En raison d’une grippe particulièrement virulente et dévastatrice, je me suis retrouvé dans une position de vulnérabilité complète. Alité, j’ai déliré à l’article de la mort, mon robinet de nez coulant sans cesse à un très fort débit, produisant des litres et des litres de mucus particulièrement coloré. J’ai tellement toussé que ma gorge était en feux, mes côtes douloureuses. Il a fallu trois traitements d’antibiotique pour atténuer la souffrance de cette grippe d’homme.
J’en ai donc profité pour faire un peu de lecture. Avec chance, je me suis tapé trois bons romans, chacun à leur façon.
Ceci n’est pas une critique, seulement un commentaire bref sur les trois livres en questions. J’espère que vous les découvrirez aussi.
Clandestine d’Eve Patenaude.
Je suis un fan de la série des Clowns vengeurs paru aux Éditions Porte-bonheur. Le concept m’a tout de suite intéressé. De plus, les écrivains impliqués n’ont plus besoin de présentation. Mathieu Fortin, Guy Bergeron, Pierre H.Charron, Michel J.Lévesque, Jonathan Reynolds, Dominic Bellavance et maintenant Eve Patenaude.
C’est avec satisfaction que j’ai fait l’acquisition du tout nouveau de la série, le seul que je n’avais pas encore lu.
Clandestine d’Eve Patenaude. C’est avec honte que j’admets n’avoir jamais lu d’œuvres de l’auteure en question. C’est une lacune que je vais combler dans les mois à venir, car son écriture m’a plu, son talent est tout aussi indéniable. Je vous invite à en faire autant.
Clandestine m’a plu et l’auteure est un ajout de taille à la brochette de talent qui s’est associé au projet. Le livre respecte bien l’univers des Odi-Menvatt et l’auteure arrive à nous surprendre au fil du récit. C’est un très bon livre.
Je lui donne 4 étoiles.
Site de l’auteure : Page Facebook d’Eve Patenaude
Pour se procurer le livre : Rue des libraires
Psycho Boys.
Le tout nouveau projet de monsieur Michel. J Lévesque, qui est aussi le génie derrière le concept des Clowns vengeurs. Ce roman m’a semblé bénéficié d’une couverture médiatique importante, plusieurs fois ai-je vu des critiques ou des articles sur ce dernier. Cela m’a intrigué et il me fallait le lire et c’est ce que j’ai fait.
Je l’ai donc acheté en format EPUB.
Je voulais me procurer le premier de la série, puisque d’autres vont éventuellement suivre. C’est une aventure endiablée, de la première à la dernière page. Le sujet est intéressant, les personnages attachants et le contexte très bien détaillé. Je me suis bien amusé et vous conseille d’en faire de même.
À quand les prochains?
Je lui donne 4 étoiles bien méritées.
Site de l’auteur : Michel J.Lévesque
Pour se procurer le roman : Rue des libraires
L’énigme du canal
Laurent Chabin est un de ces auteurs prolifiques qui s’aventure dans presque tous les registres. Son roman m’a intéressé, parce que j’ai vécu plusieurs années à Verdun, tout près du canal Lachine et que je voulais découvrir son univers littéraire jeunesse.
C’est un livre jeunesse, qui peut s’adresser à un public adolescent, mais qu’en tant qu’adulte j’ai bien aimé. Un peu de légèreté fait souvent du bien.
On y retrouve un meurtre énigmatique, un groupe d’adolescent ingénieux et une intrigue à résoudre. J’ai passé un bon moment avec ce récit que je conseille aussi aux adultes.
3 étoiles lui sont attribuées.
Site de l’auteur : Laurent Chabin
Pour se procurer le livre : Rue des libraires
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March 1, 2013
La lettre de Sylvain Johnson pour le projet "Cher moi"
Reblogged from A Partir du Néant:


Un autre Fossoyeur nous fait l’honneur de se prêter au jeu de la lettre. Il est le troisième à rejoindre le projet « Cher moi », je parle bien sûr d’un confrère québécois : Sylvain Johnson.
Biographie :
Sylvain Johnson est né à Montréal, au Québec où il a étudié la littérature au collège de Shawinigan. Il a ensuite travaillé dans le milieu des grandes entreprises avant de plutôt se spécialiser dans le domaine de la santé mentale.
L'extraordinaire projet "Cher moi" auquel j'ai participé !
February 27, 2013
Nouvelle littéraire – Le Sanctuaire – publiée dans l’IMAGINARIUS numéro 3 – Octobre 2012
Le Sanctuaire
Sylvain Johnson
Je marchais dans le sentier depuis plus d’une heure. La chaleur était suffocante. La végétation abondante, mais les pierres formant l’enceinte du cimetière étaient évidentes. La nature avait amorcé la conquête du lieu, rendant l’ambiance irréelle, surchargée, féérique. Je fis une courte pause, étanchant ma soif avec l’eau tiède de ma gourde. J’en profitai afin de repérer l’entrée de la petite enceinte rocailleuse, découvrant du regard les stèles éparpillées. C’était un lieu de repos familial qui n’avait pas reçu de nouveaux occupants depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Les derniers habitants de la région avaient fui, recherchant le confort de la civilisation et un climat moins rude, la proximité avec le monde extérieur. Ces défricheurs avaient laissé leurs morts, leurs souvenirs et les ruines de leurs modes de vie derrière eux. J’étais convaincu qu’une recherche assidue aurait mis à jour les fondations de plusieurs maisons, les vestiges d’une vie rude, simple et difficile.
Je repris la marche, cette fois encouragé par la vision de ma destination. Les informations que j’avais reçues étaient précises et j’avais trouvé l’endroit sans trop de difficultés.
L’entrée se présenta d’elle-même, sans nécessiter de recherche, comme une invitation à ne pas refuser. Il s’agissait de deux colonnes en bétons écaillées, soutenant des barres de fer qui avaient rouillé, mais résisté au passage du temps. Au-dessus trônait une enseigne qui avait glissé de côté, menaçant de se détacher. Se lisait le nom de la famille qui avait autrefois monopolisé l’endroit. « Cimetière Bernier ».
Après une brève hésitation, je passai sous la planche boisée, pénétrant dans le lieu. J’en profitais afin de dégager mon sac à dos et le tenir contre moi, pouvant sentir le poids de mon équipement.
C’était pour mon travail que je me trouvais ici. Mon métier était toutefois peu orthodoxe. Ma spécialité était constamment source de controverses. Je ne passais aucune annonce dans les journaux, à la télévision. Ma clientèle était particulière, puisque j’étais un chasseur de fantôme.
Ma progression vers le centre du cimetière me permit de me faire une meilleure idée de l’époque en question et de la population qui fut ensevelie dans l’endroit. Les premières pierres tombales remontaient au début du dix-neuvième siècle, les dernières à l’époque où le troisième Reich marquait l’une des plus sombres périodes de l’histoire. Il fallut moins d’une minute pour que mon regard trouve les cinq petits monuments de marbre qui avaient été placés les uns contre les autres. Contre le mur de pierres empilées maladroitement, servant de limite entre la forêt et le cimetière. Selon les épitaphes, beaucoup d’enfants et de femmes d’un jeune âge reposaient ici. Témoignages d’une époque difficile, bien avant le confort moderne et les miracles de la médecine. Je m’arrêtais devant les cinq monuments, d’à peine soixante centimètres de haut. Le temps avait ravagé les façades, la mousse couvrant en partie la pierre. Le sol était irrégulier et les mots de l’homme qui m’avait engagé me revinrent.
« Vous les trouverez facilement, tout au fond du cimetière. Il s’agit de cinq enfants. C’est à cet endroit qu’ils se manifestent. Parfois très violemment. »
C’était le milieu de la journée et je déposai mon sac au sol, en défit les liens et m’accroupissais afin de déchiffrer les inscriptions sur les stèles en grès. La chaleur suffocante me faisait suer. Je réalisai que les cinq enfants enterrés ici avaient tous péri le même jour. Le 21 juillet 1812. Outre l’une des stèles qui avait de gravé le visage rondelet d’un chérubin, aucune n’arborait d’inscriptions pouvant m’aider. Rien n’était divulgué sur la cause des décès. Mon employeur m’avait appris que malgré des recherches intensives, il n’avait trouvé aucun document venant de l’époque, aucun témoignage sur ce qui s’était passé. Rien pour nous aider.
Je n’avais aucun doute que l’esprit qui se manifestait à cet endroit avait un lien étroit avec ces enfants. Trouver ce lien et je parviendrais peut-être à le repousser de l’autre côté.
Je m’installai sur la chaise pliante de camping que contenait mon sac. Je savais que mon attente pouvait être longue. Un bon roman et une gourde bien remplie seraient mes alliés dans les heures à venir.
La première manifestation se produisit vers une heure trente du matin. J’étais alors à demi assoupi, baigné par le faisceau lumineux de ma lampe halogène. Je fus tiré hors de mon assoupissement par un son sourd, ressemblant à un martèlement sur une surface boisée. Je me levai immédiatement, extirpant l’arme à feu que je gardais dans mon sac. Je pivotai vers la source du son, le cœur battant à tout rompre. Le son se reproduisit et me vint des sous-bois, sur ma droite. Je vis une ombre y bouger, un mouvement furtif et trop rapide pour être humain. Cela me rassura et je rengainais l’arme à feu. Elle ne me serait d’aucune utilité ce soir.
Je pris donc cette direction, pouvant sentir la fraîcheur nocturne qui s’était installée. Je détectai aussi une impression de violence refoulée. C’était presque palpable, troublant. Rarement avais-je eu à confronter des esprits capables de blesser les humains. Déplacer des objets, faire du bruit, entrer dans les rêves et les transformer en cauchemars, tout cela était fréquent. Mais cette fois, c’était différent.
J’enjambai la petite muraille de pierre afin de suivre la silhouette aperçue, quittant le cimetière.
Des pleurs, des gémissements enfantins montèrent derrière moi. Je n’avais pas été informé de la possibilité qu’il y puisse y avoir de multiples esprits. Contrarié, je pris la direction qui me semblait la plus juste. La visibilité était réduite par l’épaisse végétation, je n’avais pas emporté de lampe de poche, sachant que la lumière pouvait les effrayer. Je marchai lentement, de manière à ne pas me perdre et à éviter une chute. L’apparition se manifesta de nouveau, très près de moi, me faisant sursauter. Je réprimai un cri.
Il s’agissait d’un homme, très grand. Maigre. Il était adossé contre un arbre, paraissant me regarder. Son regard était triste, son visage imprégné de colère et de rage. Après quelques secondes, il se détourna et se mit à marcher d’un pas décidé. Ses gestes étaient saccadés et parfois imprécis. Mais il marchait et je lui emboitais le pas.
J’avais découvert, dans ma carrière, que ma présence suffisait souvent à calmer les esprits. À faciliter le passage entre le monde où ils étaient retenus prisonniers et celui où ils devaient se rendre. Quelque chose d’inexplicable, mais que j’avais observé.
Étudiant les vêtements de l’homme, je pouvais conclure qu’il venait de cette même époque où les enfants avaient péri. Un cultivateur pauvre, habitué aux durs labeurs, à la souffrance et solitude d’une contrée désolée. Sans se retourner et en silence, il poursuivit la marche. Durant une vingtaine de minutes. Au détour d’un large buisson, il s’arrêta subitement, pivotant afin de me faire face. Il posa un doigt sur sa bouche, m’invitant au silence. Cela me glaça d’effroi. Rares étaient les esprits désireux d’établir la moindre interaction avec les vivants. Souvent parce qu’ils en étaient incapables.
Il se retourna ensuite, se déplaçant de côté. Comme s’il voulait me montrer quelque chose.
Tout d’abord, je ne vis rien, sinon la noirceur, les arbres et quelques buissons. Puis, j’entendis un sifflement d’homme, des pas raclant le sol. Quelqu’un approchait lentement. Je le vis alors.
Il s’agissait d’un homme tout juste sorti de l’adolescence. Il marchait en rond autour d’un groupe d’arbres. Il paraissait terrifié, sifflait afin de se donner un air naturel
Mon guide épiait la scène. Je concentrai mon attention sur les arbres autour desquels il tournait. Il s’agissait d’un amas végétal trop compact pour être naturel. Cela ressemblait à un mauvais décor improvisé de cinéma.
L’homme était bruyant et le manège dura peut-être une heure, peut-être moins. Il marchait, sifflait, jetant des regards autour de lui. Ses vêtements dataient de la même époque que ceux de l’esprit qui m’avait guidé ici. J’en conclus qu’il était lui aussi un être surnaturel. J’avais l’impression d’assister à une reconstitution historique.
À un moment donné, l’atmosphère changea. Je le perçus par la nervosité du marcheur, par un léger mouvement de tête de mon voisin. Le ciel jusqu’à alors complètement sombre paru s’emplir du flash d’un éclair bref. Illuminant les nuages. Levant les yeux, je vis les cimes des arbres qui furent dévoilées et je constatais avec surprise qu’elles semblaient avoir été endommagées, coupées. Ma première idée m’imposa l’image de dégâts causés par un avion à basse altitude, happant le sommet des arbres. Mais étant donné l’époque, c’était impossible ou du moins improbable.
Le marcheur s’immobilisa finalement. Son visage fut brièvement exposé par un autre éclair. Je pouvais entendre ses sanglots, deviner son angoisse. Car le moment était venu pour que quelque chose se produise. Mais quoi?
Un son sur la droite me révéla qu’on approchait. Des branches fracassées, des feuilles froissées, des pas sur le sol de terre battue. Je pivotai et le vis. J’utilise le masculin, parce qu’il m’est impossible de donner un genre à cette chose.
De forme vaguement humanoïde, c’était grand et mince, avec une peau grisâtre luisante. Cela n’avait aucun vêtement, aucun visage, aucun organe sexuel. Rien. C’était incomplet, mais je pouvais deviner que cela avait tenté de prendre une apparence humaine.
Cela avait de longs bras aux mains dotées de trop de doigts, des jambes musclées et raides. La chose s’avançait vers le marcheur, silencieux, une odeur indescriptible dans l’air. Son odeur corporelle n’avait aucun équivalent dans le registre olfactif humain. Il laissait des empreintes humides, venant de cette chose luisante qui recouvrait sa peau. L’adolescent était au sol, à genoux, se couvrant le visage.
L’apparition s’arrêta à moins de deux mètres de l’homme soumis. Il semblait seul, je ne pouvais distinguer aucune lumière ou son venant de la direction d’où il avait émergé. Le flash de lumière avait possiblement été causé par son arrivée.
Je croyais aux esprits, parce que je les avais vus, parce que je les avais libérés au cours des années exerçant ma profession. Mais j’aurais probablement ri si on m’avait parlé d’extra-terrestres. Me considérant comme un homme logique, je ne croyais même pas en Dieu.
Qu’allait-il maintenant se passer? Je surveillai la scène, attentif.
La chose respirait, je pouvais entendre un sifflement faible. Une ondulation dans l’air.
L’attente fut de courte durée, car la chose tendit la main, légèrement, sans brusquerie et produisit un son. Ce n’était pas un mot humain, un son reconnaissable. Plutôt une syllabe chantée. Dans l’obscurité de la forêt, au cœur du dix-neuvième siècle, cela dut être la chose la plus étrange et terrifiante qui sois. Le son effraya effectivement l’individu, qui se mit à hurler ce qui sonna comme un ordre.
« Maintenant »
Les évènements se précipitèrent alors. L’homme au sol se jeta de côté, dans la poussière, alors que l’amoncellement de végétation autour duquel il avait gravité s’ouvrit. Des branches furent jetées de tous côtés et des hommes surgirent des buissons. Hurlant avec rage, mais aussi afin de se donner le courage nécessaire pour ce qu’ils entreprenaient. La chose fut prise au dépourvu, n’ayant pas prévu ce qui suivit.
Une demi-douzaine d’hommes firent ainsi leur apparition, armés de fourches, de pelles, de simples barres de fer et une fois délestés de leurs camouflages, se ruèrent sur la créature paralysée, aux traits indéchiffrables, puisqu’inexistants.
C’était horrible et à la fois incroyable. Ces fermiers, marchands ou simples habitants de cette terre hostile, tendant un piège à un être venu d’un autre monde. J’étais totalement obnubilé par le spectacle.
La chose émit un long et plaintif cri. Elle ne put remuer, alors qu’ils fondaient sur elle, l’atteignant de leurs armes. Les fourches pénétraient la chair, les bâtons percutant le corps. Sous l’assaut, elle s’abattit au sol, du sang giclant des endroits où elle avait été touchée. Du sang qui avait toute l’apparence de celui des hommes.
La colère des individus était inexpliquée, puisqu’ils ne se contentèrent pas d’immobiliser le visiteur, mais se mirent ensuite à le frapper à répétition, de coups de pieds et de poings.
Du coin de l’œil, je vis une silhouette faire son apparition près d’un immense érable majestueux. Une silhouette sombre vêtue d’une robe d’ecclésiastique. Un prêtre au sourire narquois, tenant une bible trompeuse. Il épiait la scène en silence, satisfait. Il ne faisait aucun doute qu’il avait orchestré ce piège.
L’attaque parut ne jamais se terminer, les hommes se défoulant avec rage. Ils se retirèrent quand la chose cessa de remuer. Ils étaient couverts de sueur, reprenaient leurs souffles. La nuit allait bientôt tirer à sa fin et les hommes s’éloignèrent, s’adossant à des arbres ou s’asseyant à même le sol. Le prêtre s’avança alors vers la chose affaissée, la regardant avec un dédain évident. Il se mit à réciter quelque chose qui ressemblait à des prières, dans un français peu évident, différent du mien. Je compris l’essence de ce discours et c’était une condamnation de ce que le visiteur était, de ce qu’il représentait.
À aucun moment la chose ne m’avait paru représenter une menace.
Quand le prêtre eut terminé, les hommes se levèrent et agrippèrent la créature par les jambes, l’entraînant au sol en laissant des marques ensanglantées. Elle ne bougeait plus.
Les hommes avaient conservé leurs armes et ne cessaient de guetter la forêt qui les entourait.
Je vis que mon guide leur emboîtait le pas et j’en fis de même.
La marche fut néanmoins de courte durée. Nous atteignîmes le lit asséché d’une rivière, qui se trouvait au creux d’une pente. J’observai le vide en contrebas, rempli d’une végétation abondante. Le ciel semblait vouloir s’éclaircir et les hommes parurent le noter, s’activant avec plus de rapidité.
Était-ce uniquement parce que leur mission nocturne était illégitime? Secrète?
Le prêtre indiqua un endroit aux hommes, qui s’y dirigèrent et le corps fut laissé au sol, couvert de feuilles, sale et maculé de sang. La chose était méconnaissable. Elle n’avait à aucun moment démontré le moindre désir de violence et de résistance. Les individus discutèrent ensuite entre eux. Le prêtre ordonna enfin quelque chose aux croyants, dont trois d’entre eux agrippèrent les jambes molles et sans vies du visiteur. Puis, le poussèrent dans le vide, le corps roulant le long de la pente afin de disparaître dans les buissons et l’obscurité du gouffre. J’entendis le son d’un éclaboussement, léger et signifiant qu’un filet d’eau coulait toujours à cet endroit.
Les hommes se détournèrent ensuite, en silence, certains fumant, d’autres épongeant la sueur qui coulait sur leurs fronts. Et le groupe se retira, disparaissant dans la forêt, leurs pas résonnant dans le lointain durant ce qui parut être une éternité.
Je me retournai vers mon guide. Le visage impassible et sans me porter la moindre attention, il entreprit la descente dans le gouffre qui devait être d’une trentaine de mètres.
Sans hésiter, je le suivis.
Mon employeur m’avait contacté via un ami commun, stipulant qu’un esprit violent se manifestait dans ce cimetière pratiquement abandonné. On l’entendait hurler la nuit, des stèles étaient parfois bougées, la terre retournée. Cela avait attiré les curieux, les touristes à la recherche de lieux hantés. Une émission de télévision avait même demandé la permission de filmer un épisode sur les lieux, afin de communiquer avec l’esprit. L’unique descendant connu des gens enterrés ici avait refusé, passait son temps à placer des panneaux avertissant les passants que c’était une propriété privée. Il avait tout fait et ce fut par un coup de fil qu’il m’avait imploré de régler son problème.
En dévalant maintenant la pente, j’étais nerveux. L’esprit que je suivais était puissant, ses pas résolus et je pouvais croire qu’il avait entamé ce périple à de multiples reprises. Cela faisait possiblement partie de son rituel de manifestation. Les esprits souvent prisonniers de routines obsessives.
Nous descendîmes sur près d’une centaine de mètres, une odeur intense m’atteignit et me fit hésiter. J’avais peur. Comme s’il lisait mes pensées, mon guide inhumain pivota la tête dans ma direction, sans parler, sans la moindre expression. Mais je compris, il voulait que je continue, il voulait me montrer quelque chose.
Nous atteignîmes rapidement le fond de ce ravin, le lit de la rivière. C’était plat, quoiqu’encombré. Les arbres morts, rochers, branches ou autres détritus végétaux accumulés depuis des années et des années rendaient l’endroit difficile d’accès. L’odeur était toujours aussi poignante et elle me rappelait celle de la décomposition humaine. Quoique plus âcre, plus prononcée.
Il me guida vers un endroit sur la droite et je pus y découvrir le corps du visiteur qu’on venait de jeter dans le gouffre. Il était mal en point. Laissé pour mort. Il avait roulé et percuté un arbre qui s’était affaissé de travers, s’empalant sur une de ses branches élevées. C’était un spectacle horrible.
Mais ce que je voyais tout autour était pire. Car il n’avait pas été le seul. Une demi-douzaine d’individus de la même race reposaient dans des poses diverses, à différents degrés de décomposition. C’était un cimetière improvisé, où on jetait les corps de ces êtres assassinés, violentés et dont on voulait se défaire.
Je m’étais arrêté et la peur me fit prendre l’arme à feu en main. Geste bien inutile.
Je perçus un mouvement sur ma droite, qui me tira de ma léthargie. Je tremblais et dus resserrer mon étreinte sur l’arme à feu qui paraissait sur le point de me glisser entre les mains. L’homme s’avança et se pencha, touchant de sa main fantasmagorique le bras de la chose décédée. Cela me fit réaliser qu’elle était toujours en vie. Son visage lisse s’était ouvert pour dévoiler un regard fou glissant dans la nuit, cherchant en vain une vision de réconfort. De grands yeux noirs qui occupaient le vide d’auparavant. Prisonnier de la branche qui l’avait transpercé, la chose était incapable de bouger. La mort qui l’attendait me paraissait lente et horrible, son regard pitoyable et inquisiteur. Cela voulait comprendre pourquoi on l’avait traité ainsi, pourquoi l’avoir attaqué et battu. La chose ne comprenait pas.
L’esprit conserva son bras tendu, pointant cette fois le sol devant nous. Je suivis son geste et vit quelque chose de sombre, reposant contre une pierre, ayant visiblement chuté de la main ouverte du visiteur. Il avait tenu cet objet jusqu’à la mort. M’agenouillant, je l’inspectai.
C’était un contenant en verre, portant une inscription dans un langage qui m’était inconnu. Je le pris, le soulevai et découvris qu’il contenait ce qui ressemblait à des comprimés. Des comprimés qui n’auraient pas dû se trouver dans ce monde, à cette date trop hâtive.
Je n’eus que peu de temps afin de réfléchir à ma découverte que l’esprit reprit le chemin de la pente et s’y engagea, me lançant un regard invitant, semblant me convier à le suivre. J’empochai les comprimés, jetai un dernier coup d’œil à ces visiteurs d’un autre monde, puis, me lançai dans l’escalade pénible de cette pente.
La nuit persistait, mais la fraîcheur se dissipait. Il ne restait que peu de temps avant le lever du jour et j’avais la crainte de ne pas arriver à découvrir ce qui hantait l’esprit. La terre molle rendait ma progression difficile, je perdis pied à plusieurs reprises. Malgré tout cela, je n’abandonnais pas. J’avais une mission, un rôle à jouer.
J’étais à mi-chemin du sommet quand j’entendis des cris. Des hurlements. Lointains, mais tragiques. L’effort déployé était au-delà de mes capacités, mais j’ignorais mes restreintes physique et fonçais, gravissant les derniers mètres avec les poumons en feu.
C’était des femmes que j’entendais. Leurs pleurs, leurs cris. Des hommes qui hurlaient. Je suivis l’apparition sur un sentier qui conduisit de manière plus ou moins directe vers une clairière circulaire, contenant un bâtiment, modeste, en bois et cherchant à repousser la nature qui clamait son hégémonie sur le lieu. La bâtisse n’était pas une résidence. Puis, je vis l’immense croix qui reposait à son sommet, la double porte boisée sur la façade et les fenêtres plus discrètes sur les côtés. C’était une église, bien différente de celles que j’avais connues, en béton et majestueuses.
Devant le lieu de culte s’était attroupée une douzaine d’individus, hommes et femmes. L’un d’eux était le prêtre, qui s’adressait à ce troupeau restreint devant lui. Je ne saisissais que partiellement ce qu’il disait, parlant de sacrifice, de besoin de poursuivre l’œuvre de Dieu, de lutter contre l’impureté perpétrée par les démons venus du ciel.
Suivant toujours l’esprit, je me rapprochai et fus en mesure de traverser la foule, sans les toucher. C’était une expérience effrayante, unique. Nous nous dirigions vers les quelques marches menant au perron de l’église. La voix du prêtre était dominante, intimidante et aussi inquiétante. Les hommes et femmes rassemblés autour de lui étaient partagés entre la colère et la peur, un désir de vengeance aveugle et l’ignorance.
Je ne vis aucune maison aux alentours. Le bâtiment religieux avait été érigé dans un endroit solitaire. Pourquoi un tel retrait ? Ce fut en gravissant quelques marches vers la grande porte de l’église que je compris. Au-dessus de l’entrée avait été installée une pièce de bois sculpté. J’y reconnus le travail médiocre d’un artiste amateur qui avait voulu représenter le visage étranger de la chose qu’ils avaient tué. Une chose qui n’était pas seule. Cet endroit n’était pas l’Église qu’ils fréquentaient pour les messes du dimanche, mais plutôt dans un but plus sombre.
Les mots me vinrent, sans que mon ouïe les capte. Ils émergeaient de ma conscience. Ils me permirent de donner un nom à la bâtisse et de mieux comprendre son but.
« Le sanctuaire des démons »
Voilà comment ils appelaient cet endroit.
Le prêtre hurlait toujours, prêchant une loi divine qui n’expliquait pas ce que j’avais vu. Mon guide ouvrit la porte boisée devant nous et dévoila l’intérieur, qui sentait le pin. Légèrement éclairé par des lampes réparties dans la pièce. C’était exactement ce qu’on aurait pu exiger d’une église de campagne. Un autel modeste, des bancs austères et des images bibliques maladroites, peintes ou sculptées sur les murs.
L’esprit se rendit vers l’autel et j’y vis cinq petits cercueils alignés, fermés. Je savais quel jour nous étions. J’avais lu la date sur les pierres tombales. Je m’immobilisai, observant le fantôme qui se rendit auprès d’un des cercueils. Le dernier à la gauche. Je pouvais toujours entendre le prêtre au dehors, les pleurs des femmes et protestations des hommes. Ces enfants avaient trouvé la mort en ce jour qui avait fait place à la nuit et les habitants étaient en deuils. Ils blâmaient ces choses venues du ciel, ces visiteurs qui ne pouvaient qu’être des démons.
Je savais que mon enquête n’était pas terminée, que mon hôte avait autre chose à me montrer. Je demeurai patient, attentif et le vis qui fondit en larmes, ses sanglots animant son corps devenu menu et fragile, courbé dans une attitude universelle de détresse. Son enfant était mort et se trouvait dans le cercueil rudimentaire.
Après quelques minutes, l’esprit se redressa, se retournant vers moi avec un visage à faire peur. Ses traits figés dans un rictus de démence, de folie, de colère. Il fit deux pas afin de se rapprocher de moi. Il émanait de lui une force incroyable, qui dépassait celle des esprits frappeurs et autres fantômes ordinaires. Il soutint mon regard et tendit ensuite la main vers ma poche, touchant le contenant que j’y avais déposé. Son contact fut complètement humain et réel.
Il avait les traits d’un père esseulé et brisé. Un père comme des milliers d’autres. Je sortis le récipient en verre de la chose, qui paraissait contenir des médicaments. Et je compris. La vérité me fut dévoilée en un flash. Le visiteur venu du ciel n’était pas apparu sous les traits d’un démon, dans l’intention de détruire la colonie et ravager les champs, de rendre les terres stériles et de tuer le bétail. Il n’était pas venu corrompre les vierges et faire proliférer les maladies, les infections et virus. L’entité extra-terrestre avait offert à ces colons esseulés et luttant pour leur survie, des médicaments issus d’une technologie très possiblement inégalée, même dans le siècle présent ou à venir.
Son visage s’éclaira, sa colère et sa détresse se muèrent en quelque chose de plus complexe. C’était une résignation complète. Il recula, m’offrit un sourire timide et jeta un dernier regard vers les cercueils alignés.
Ce fantôme avait passé presque deux cents ans à errer, à vouloir communiquer son message, dévoiler l’atrocité et l’injustice de ce qui s’était déroulé.
Que se serait-il passé si les humains ne les avaient pas attaqués, s’ils les avaient accueillis avec des fourches et des bâtons ? Une relation viable aurait pu changer le monde et préparer un futur plus prometteur. Mais ce fut par le meurtre et la violence qu’ils furent accueillis. Leurs bonnes intentions incomprises.
L’esprit me contourna et quitta l’église. Je lui emboîtai le pas, curieux de sa destination, sachant que son repos viendrait par la suite, sa délivrance assurée par mes services.
Je quittais l’église à mon tour, observant la foule qui écoutait toujours le prêtre animé, hurlant des avertissements et mises en garde. La pauvreté des paysans me frappa, leur résignation à la misère et privation. Mais plus que tout, c’était leur complète obéissance à un homme de foi, une foi qui aura injustement dicté le meurtre et le refus de comprendre. De tolérer.
L’esprit que j’avais suivi s’était rendu auprès d’un arbre, pour s’emparer de quelque chose de métallique. Dont je vis le reflet sous les torches de la foule. Il s’agissait d’une hache au manche boisé, à la lame affutée. Sans un mot, il s’avança en coupant la foule de son corps insistant, se plantant devant le prêtre qui l’observait et s’interrompit.
Les deux hommes se toisèrent et toujours impassible, le père endeuillé souleva la hache et l’abattit de toutes ses forces sur le prêtre. Le choc fut tel, que personne n’eut le temps de réagir avant que le sang ne les éclabousse. Alors, la panique se leva et les cris redoublèrent, les hommes se ruant sur leur compagnon qui avait commis un acte irréversible et punissable.
Le prêtre s’était effondré, sans vie.
L’attaquant se vit emporté par la foule vindicative. Une femme hurla, probablement son épouse. L’hystérie de la foule créa un effet domino chez les témoins. Ceux qui étaient restés silencieux et en retraits se lançaient dans l’attroupement et la folie humaine contagieuse se propagea. La collectivité oubliait son humanité et ses valeurs, sa foi et ses lois.
Ils étaient emportés par la vague criarde et vengeresse, un homme innocent et perdu, qui avait compris que les médicaments auraient sauvé les enfants d’un mal curable. Peut-être la grippe espagnole, la tuberculose ou autres virus flottant dans les colonies. Il fut emporté avec sa femme, coupable d’avoir partagé son lot, sa souffrance.
La foule avait disparu et le tumulte s’était éteint.
Je restais seul avec le corps sans vie du prêtre, silencieux. Les nuages se retirèrent et la nuit aussi.
J’entendis les oiseaux matinaux, les insectes qui s’éveillaient.
Je pivotai finalement et quittai la clairière, sans me retourner.
Je savais que le fantôme ne se manifesterait plus jamais, qu’il avait été libéré.
Témoin d’un drame horrible, j’avais accompli mon travail.
J’avais visité le sanctuaire, vu les démons
Filed under: Nouvelle littéraire


February 23, 2013
Le mythe de l’écrivain torturé se poursuit – Sklaerenn Baron et la nécessité d’écrire
Je poursuis ma découverte des écrivains torturés avec Sklaerenn Baron.
Auteure prolifique – même dans ses réponses !
Biographie :
Sklaerenn Baron est l’auteur d’un premier roman vampirique « La Stratégie des Ténèbres » (tome 1 de la série « Ryan Blake », qui sortira en mai 2012 aux éditions Nergäl) dont le héros est un vampire chasseur de primes. Passionnée depuis toujours par le fantastique et fascinée par le mythe du vampire, elle a un jour décidé de créer son propre univers et c’est ainsi que Ryan est né.
Elle travaille actuellement sur « Les Origines du Mal » et « Les Ailes du Péché », respectivement les tomes 2 et 3 des aventures de Ryan Blake.
Elle est également l’auteure de la trilogie romantique « Là où il y a de l’eau qui coule » (avec les romans « Les fantômes du passé », « Une saison au paradis » et « L’envol de la fée ») et de deux recueils de nouvelles « Histoires d’A. » (Nouvelles romantiques; un second tome est en préparation) et « Nouvelles d’outre-tombe » (nouvelles thriller/fantastique; un second tome est également en préparation).
À côté de ses romans et nouvelles, elle écrit aussi des poèmes et des chansons…
Elle est cofondatrice des collectifs d’auteurs Team Isis et Les Fossoyeurs de Rêves et administratrice au sein d’Ex-Tenebris, le Cercle des Écrivains francophones. Membre de la Ligue de Défense Transatlantique du Fantastique.
Les Questions et les réponses :
Vous considérez-vous comme un écrivain torturé?
Pas vraiment. À une époque, oui, un peu, lorsque je vivais des coups durs, que j’étais vraiment très mal dans ma peau et que je prenais tout trop à cœur. J’étais à fleur de peau. Néanmoins, même si j’étais torturée (d’une certaine façon) et que j’avais besoin d’évacuer cela dans des écrits (qui sont restés dans mes tiroirs, et tant mieux!), je n’ai jamais versé dans le mythe de l’écrivain maudit, qui consomme des substances illicites et vit en marge de la société! De même, je ne me suis jamais sentie exclue ou incomprise (bon, sauf à l’adolescence, mais quel adolescent ne s’est pas senti incompris?) et à vrai dire, du moment que les gens importants pour moi m’acceptent comme je suis et m’aiment pour ce que je suis, peu m’importe le regard des autres sur moi. Et je n’ai aucune pulsion autodestructrice, j’aime trop la vie!
D’ailleurs, globalement, je suis plutôt quelqu’un de positif et je n’aime pas trop me morfondre. Évoquer sans cesse le négatif me détruit et je me suis rendu compte qu’en fait, cela m’empêche d’écrire correctement. Je préfère rêver, m’évader. L’écriture est un moyen pour y parvenir. C’est un moyen de refaire le monde, de changer ce qui m’énerve. Cela ne veut pas dire que mes livres sont tout roses, loin de là. Mais j’aime chercher la lumière dans les ténèbres, et je pense que mes écrits reflètent cela.
Ceci dit, si par écrivain torturé, tu entends un écrivain obsédé par l’écriture, qui y pense tout le temps, qui a en permanence une partie de son être dans la vie réelle et l’autre dans l’imaginaire, alors j’en fais partie, sans conteste. Écrire est un besoin. Je dois écrire tous les jours, peu importe quoi. Mais écrire. C’est aussi important que de respirer et j’y pense tout le temps (une part de moi y pense tout le temps). Une journée sans écrire est une journée perdue, une journée où je me sens mal, parce que je n’ai pas eu ma dose d’oxygène. C’est pourquoi je te rejoins parfaitement, Sylvain, quand tu dis qu’écrire est un des grands plaisirs de la vie et que même si tu n’étais jamais publié, tu continuerais à écrire. C’est la même chose pour moi. C’est même plus qu’un plaisir, c’est une nécessité.
Décrivez vos états d’âme versus la production littéraire du moment – est-ce qu’il y a une relation entre ces deux éléments?
Pas nécessairement, en ce sens que je peux parler de choses très noires, violentes, alors que dans ma vie, tout va bien. Quelque part, c’est même plus facile lorsque tout va bien, parce que lorsque tout va mal, ça aurait plus tendance à me bloquer pour écrire… mais pas obligatoirement non plus! Même au fond du trou, je peux parvenir à rédiger de petits textes. En revanche, dans ces cas-là, il ne faut pas me demander d’écrire quelque chose de gai, de rose, de sautillant! Cela m’est carrément impossible.
Donc oui, il y a une relation, surtout quand ça va mal, mais pas toujours.
Que faites-vous quand vous êtes incapable d’écrire?
Je n’insiste pas. Je sors me balader en pleine nature ou je me plonge dans une de mes séries télé préférées et je regarde des DVD en buvant du thé bien chaud. Avant, j’insistais, je m’installais pour écrire et je désespérais de ne rien voir sortir. Disons, rien de constructif, parce qu’il y avait toujours quelque chose qui sortait, mais cela ne me satisfaisait pas, et au final, je me suis aperçue que cela générait une telle frustration que ça me détruisait. Maintenant, je sais qu’il ne faut pas aller contre le courant. Il y a des jours pour écrire et d’autres non, et je ne décide pas vraiment. Si je sens que je ne vais pas pouvoir avancer dans l’histoire sur laquelle je travaille, j’en prends une autre, ou alors j’écris autre chose, un haïku, une chanson, trois lignes de réflexion, n’importe quoi. Puis quand plus rien ne vient, je vais me détendre, comme je le disais. Normalement, ensuite, ça va mieux.
Par contre, si on aborde la question sous un autre angle, non pas celui où je suis moi-même incapable d’écrire parce que je manque d’inspiration, mais celui où un événement extérieur, une obligation, un travail ou autre m’empêche d’écrire, là, c’est différent. Je le vis mal, parce que j’ai vraiment besoin d’écrire pour vivre.
Qu’est-ce qui vous frustre le plus quand vous êtes incapable d’écrire?
Quand je manque d’inspiration? Le fait que j’arrive encore à être atteinte par la négativité extérieure (j’ai envie de dire le négativisme, par référence au nihilisme), le mal que font les gens autour de moi. C’est comme un cancer, ça me ronge, même si ce n’est pas nécessairement dirigé contre moi, d’ailleurs. Et c’est généralement ça qui me bloque et bloque ma créativité. C’est tuant. Je voudrais ne plus être touchée par tout ça, mais je n’y arrive pas.
Mais, une fois encore, si on aborde la question d’un autre point de vue et que je suis empêchée d’écrire pour une question « pratique » ou « matérielle » (manque de temps, ordinateur en panne, obligation de faire autre chose), je suis furieuse. Et en général, je ne peux pas m’empêcher d’écrire et de prendre des notes quand même, sur de petits bouts de papier, pour ne pas perdre les idées qui me viennent. J’ai plein de notes partout, en permanence. Parfois, je me demande comment je fais pour m’y retrouver, mais je m’y retrouve!
Comment vous en sortez-vous?
Je vais m’en tenir à la question de l’inspiration. Comment je m’en sors? En me changeant les idées, comme je disais, et en me recentrant sur les choses positives, ma famille surtout. Je reprends des forces auprès de ceux que j’aime.
Pourquoi écrivez-vous?
Parce que ça m’est indispensable. Passer une journée sans écrire, c’est comme oublier de respirer. Je ne suis pas bien. À la réflexion, cela veut peut-être dire que je suis dingue, en fait. Quel être humain normalement constitué a BESOIN d’écrire tous les jours? Ou alors, ça veut dire que j’étais faite pour ça. Allez savoir…
Que pensez-vous de l’image classique de l’écrivain alcoolique, à moitié fou, excentrique?
Oui, c’est l’image de l’écrivain romantique du XIXe siècle, une époque où l’on pensait qu’on ne pouvait pas parvenir à trouver l’inspiration autrement qu’en utilisant certaines méthodes, alcool, drogue… Le mythe de l’écrivain maudit. Regardons Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Maupassant… et d’autres! Cela leur correspond, effectivement. Si on s’y fie, d’un point de vue extérieur, on est obligé de se dire que les écrivains sont tous de grands malades! Fort heureusement, je pense que la réalité est autre. Tous les écrivains n’en arrivent pas là!
Avez-vous des commentaires pertinents sur le sujet de l’écrivain troublé?
J’imagine que certaines personnes ont besoin de s’épancher dans l’écriture pour évacuer des tensions intérieures, des malaises… L’écriture agit alors comme une thérapie et leur permet d’avoir une vie à peu près normale, au lieu de devenir, je ne sais pas, des tueurs en série par exemple, des délinquants, ou au lieu de se suicider. C’est d’ailleurs une méthode qui est parfois utilisée avec certaines personnes en psychothérapie. Mais beaucoup d’autres gens écrivent juste parce qu’ils en ont envie ou qu’ils en ressentent le besoin, sans pour autant être complètement désaxés. Heureusement!
Une écrivaine au goût de vivre contagieux. Elle a un point de vue très constructif et positif et comme elle le dit si bien, elle aime chercher la lumière dans les ténèbres. Elle est un exemple parfait d’évolution et d’adaptation à son statut d’écrivain. Ses propos respirent la santé mentale et un équilibre bien en place. Écrire est une nécessité, il faut y penser à tout moment, on doit y penser à tout moment. C’est inévitable. Jusqu’ici tous les écrivains questionnés ont répondu dans le même sens.
La torture à laquelle ces écrivains font aujourd’hui face est mineure, que ce soit un mal de tête, les enfants qui se sont réveillés trop tôt et hurlent à tue-tête, un besoin de prendre de l’air frais. On est loin des poètes maudits qui n’écrivent qu’en état d’ivresse, au gouffre d’une morte imminente. C’est donc une torture contrôlée et moderne.
Ce qui ressort de ses réponses est vraiment cette force qui la pousse à écrire, qui l’incite à créer des mondes extraordinaires et des personnages merveilleux.
Le reste, elle le dit si bien dans ses propres mots…
Liens:
Liens pour le site officiel de Sklaerenn Baron : Sklaerenn Baron
Page facebook de l’auteure : Sklaerenn Baron sur Facebook
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Article paru dans le journal la Montagne / Brezons (23/02/2013)

Un écrivain et sa terre de légendes : le Cantal
L'auteur Romain Billot est né le 17 juin 1982. Après des études de Lettres, il est revenu dans le Cantal pour renouer avec ses racines maternelles, source d'inspiration. D'ailleurs, il écrit des textes inspirés des contes et légendes cantaliens. Il a déjà publié plusieurs nouvelles fantastiques en France et au Québec dans des revues et des anthologies.
Article paru dans la Montagne / Brezons (23/02/2013)

Un écrivain et sa terre de légendes : le Cantal
L'auteur Romain Billot est né le 17 juin 1982. Après des études de Lettres, il est revenu dans le Cantal pour renouer avec ses racines maternelles, source d'inspiration. D'ailleurs, il écrit des textes inspirés des contes et légendes cantaliens. Il a déjà publié plusieurs nouvelles fantastiques en France et au Québec dans des revues et des anthologies.
February 21, 2013
"Nous sommes le crépuscule" (nouvelle publiée dans le N°2 de l'Imaginarius)



L’hiver touchait à sa fin. Martin, sachant qu’il passerait le reste de l’année cloîtré dans sa petite maison isolée, avait fait des réserves en conséquence. L’inspection de la plupart des habitations alentours n’avait rien donné.
Aucun survivant…
Martin s’était barricadé en attendant d’hypothétiques secours. La radio et la télévision n’émettaient plus rien depuis l’année dernière. Le jeune homme se doutait bien que la situation ne s’améliorerait pas de sitôt…
February 19, 2013
La ville de Québec est la nouvelle cible des Clowns vengeurs !!!
C’est officiel – il n’existe plus aucun endroit où vous cacher. Ils vous trouveront, peu importe qui vous êtes et ce que vous avez fait. Après tout, une requête a été déposée contre vous. Je vous plains, parce qu’ils sont d’une efficacité impitoyable, parce qu’ils sont imbattables.
Au lieu de fuir, il faut plutôt admettre votre défaite et vous rendre à ce rendez-vous particulier.
Les ClOWNS VENGEURS, c’est l’évènement littéraire de l’année 2012 et sera aussi celui de l’année 2013.
Alors le 23 février 2013 – il n’y aucune excuse pour ne pas se rendre à la Boutique de l’imaginaire de la place Laurier à Québec.
Je répète :
La boutique l’imaginaire de la place Laurier à Québec
Le 23 Février 2013 – 13h30 à 15h
Pourquoi?
Parce que nos amis clowns vengeurs vous y attendent. Parce qu’ils se feront un plaisir de signer vos livres, de discuter avec vous. Vous avez déjà un ou plusieurs des romans dans votre bibliothèque? C’est l’occasion idéale pour les emporter avec vous et les faire signer, pour découvrir les tomes qui vous manquent et pour vous les procurer.
Vous ne connaissez pas les Clowns vengeurs? Quelle occasion en or de les découvrir!!!
Voici ce qui vous y attend.
Pierre H.Charron – l’homme derrière l’impitoyable Flesh Carter. Un écrivain de talent sympathique et accessible.
Site web de l’écrivain – Pierre H.Charron
Jonathan Reynolds – l’écrivain qui parle plus vite que son ombre et qui en a fait frémir plus d’un.
Site de Jonathan Reynolds – Aveugle – le blogue de Jonathan Reynolds
Guy Bergeron – Un homme généreux et de compagnie agréable, dont l’univers littéraire vous passionnera.
Site officiel de Guy Bergeron – Écrivain Guy Bergeron
Dominic Bellavance – De blogueur ingénieux à écrivain intelligent, son tout nouveau clown vengeur vient tout juste de sortir et vous surprendra.
Le blogue officiel – Dominic Bellavance
Sont aussi disponibles :
Clandestine - Eve Patenaude
La Volonté d’Odi – Mathieu Fortin
Concetos pour Odi-Menvatt – Michel J. Lévesque
C’est un rendez-vous à ne pas manquer!
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February 18, 2013
Nouvelle littéraire – Combustion Spontanée
“COMBUSTION SPONTANEE”
SYLVAIN JOHNSON
Le jeune homme était nu, longeant les murs de la ruelle d’un pas rapide. Il était seul au cœur de cette nuit sombre et froide. Il grelottait, ses pieds blessés par le sol dont la surface alternait entre béton rugueux et asphalte sombre. Son visage était tordu en une grimace d’horreur et de détresse.
Il ne cherchait pourtant pas à se dissimuler, à cacher sa nudité. Sa course le faisait passer d’un halo jaunâtre de lumière à un autre. Il n’avait aucune idée précise sur l’endroit où il se trouvait et encore moins où aller. Il ne comprenait qu’une chose et c’était qu’il devait bouger, ne pas rester sur place. Il pouvait encore sentir l’odeur âcre de la fumée qui s’était imprégnée à sa chevelure, sa peau étant en certains endroits maculés par les cendres grisâtres.
Il se retournait constamment afin de jeter des regards furtifs autour de lui. Chaque ombre, son ou mouvement le faisait sursauter.
Des larmes s’étaient frayé un chemin sur ses joues sales et avaient ensuite séché, révélant un tracé sinueux et compliqué qui ressemblait à un maquillage de créatures nocturnes. Il bredouillait des phrases incompréhensibles, était en état de choc.
La ruelle débouchait sur un large boulevard à quatre voies, séparées en deux par un terre-plein central planté d’arbres. Il dut s’arrêter, se retenant contre un mur de brique tout en reprenant sa respiration. Il observa la rue, les quelques voitures stationnées et celles encore plus rares qui filaient à toute vitesse. Il ne vit aucun passant. Devant lui, parallèle au boulevard, se dressait une longue façade en briques dans laquelle se nichaient des boutiques et commerces de toutes sortes. Fermées à cette heure tardive.
Il voulait trouver un abri avant que le jour ne vienne et avec lui le flot d’individus susceptible de le confronter en raison de sa nudité. Il se retourna et épia la ruelle dans son dos, qui lui semblait plus accueillante que le boulevard éclairé et vaste. Mais il n’y avait là aucun endroit où se dissimuler, où trouver refuge. Il avait soif, froid et la fatigue tourmentait ses muscles en lui donnant des crampes.
Un son s’éleva alors, dans la rue, un grondement mécanique qui le fit sursauter. Pivotant dans cette direction, il put voir une voiture qui s’approchait rapidement, un puissant phare balayant les trottoirs et s’attardant dans les recoins les plus sombres. Il était trop tard, la voiture arrivait déjà à sa hauteur et il fut incapable de se soustraire au faisceau lumineux qui l’atteignit de plein fouet, l’aveuglant.
Il leva la main afin de se protéger les yeux, reculant aussi en se glissant le long du mur, son dos raclant les briques du bâtiment et lui écorchant la peau. Il imaginait le spectacle qu’il pouvait offrir aux officiers. Un jeune homme dans le début de la vingtaine, très pâle et presque squelettique, aux cheveux d’un noir d’encre et des yeux scintillants d’un bleu tropical. Complètement nu et apeuré.
Ils l’avaient trouvé. Il entendit des voix et fit demi-tour, pour se ruer dans l’étroit passage puant, au sol humide et parsemé de rebuts. Son regard temporairement aveuglé par le faisceau le força à se guider en tâtonnant le mur, alors qu’il prenait de la vitesse. Ses pieds aux plantes fissurées laissaient des marques sanguinolentes sur le sol, invisibles aux regards dans la nuit. Le faisceau projetait maintenant une ombre à ses pieds, paraissant ainsi le guider en le devançant. La panique le gagna au moment où un cri puissant et autoritaire résonna derrière lui. Il força l’allure, essoufflé, le froid le flagellant pour faire frissonner son corps couvert de sueur.
La fuite était préférable à toute capture, car ils ne comprendraient pas. Il y avait des règles le concernant, des règles qui ne furent jamais consignées par écrit, qui ne faisaient partie d’aucuns manuel d’instructions. Mais elles étaient bien réelles. Nées de la nécessitée, nées des flammes. C’était d’ailleurs ces flammes qu’évoquait le faisceau de lumière dansant sur les parois autour de lui, vacillant au rythme du véhicule de police qui pénétrait dans la ruelle.
Ces flammes qu’il avait fuies. Avec horreur et en état de choc.
Les évènements s’étaient déroulés quelques heures plus tôt dans la soirée. Alors qu’il dormait dans sa chambre. Il avait été brusquement arraché à un profond sommeil ponctué de rêves agréables. Seul dans la pièce, il était couché sur le lit spécialement conçu et adapté à sa condition particulière. Il avait ouvert les yeux et s’était contenté de patienter, cherchant à résoudre l’énigme de son éveil précipité. Sans savoir quoi exactement, il avait eu l’impression que quelque chose avait changé dans la résidence.
Un silence complet régnait dans la maison et il patienta, imaginant que ce puisse être ses grands-parents. Bien qu’ils se couchaient d’ordinaire très tôt, il n’était pas inhabituel de les entendre se lever et vaguer à des occupations anodines. Regarder la télévision ou encore prendre un café dans la salle à manger, discutant en murmures réconfortants.
Mais il ne reconnut aucun des sons émanant des activités nocturnes du couple.
Il s’était levé, curieux, avait senti le sol froid sous ses pieds, la chaleur dans la pièce compensant toute absence de couvertures et de vêtements. Il s’était approché de la porte de sa chambre, posant son oreille sur la surface boisée. Il pouvait maintenant entendre un son, mais fut incapable d’en identifier l’origine. Après une brève hésitation, il décida d’ouvrir la porte. Le couloir était sombre, chaud. Il entendit au loin le faible et régulier ronflement de son grand-père. Le téléviseur dans la chambre du couple qui diffusait un murmure lointain. Il put aussi déceler une vibration, venant du salon, de l’autre côté de la maison. Sans hésiter, il s’avança dans cette direction, passant devant la chambre d’ami et la salle de bain aux portes closes. Il arriva à la cuisine, observa les chiffres d’un vert extra-terrestre que produisait le four à micro-ondes, révélant qu’il était tout juste vingt-trois heures. La pièce était typique de toute cuisine d’un couple âgé, sinon pour un détail. Il ne s’y trouvait aucune serviette, aucune moquette, couverts de tables en tissu ou la moindre étoffe. Aucun rideau aux fenêtres. Ce fut d’ailleurs vers la longue porte coulissante donnant sur le balcon boisé, à sa gauche, qu’il reporta son attention.
Cette dernière était entrouverte, laissait s’introduire une brise en un sifflement discret. C’était la source de la vibration qu’il avait perçue. Absorbé dans la contemplation de la porte, il ne vit et n’entendit l’individu que lorsque ce dernier fondit sur lui. Son cri déchira le silence nocturne qui régnait dans la maison, lui revenant en un écho amplifié.
Nu dans la ruelle, il courrait toujours, pourchassé par le puissant rugissement d’un moteur qu’on lançait à toute vitesse. Le sol humide était glissant et faillit lui faire perdre l’équilibre à deux reprises, mais il se retint contre une benne à ordure métallique pour s’élancer à nouveau en un sprint désarticulé. Le faisceau lumineux devenait de plus en plus puissant. Les cris lui vinrent de nouveau, cette fois amplifiés par des haut-parleurs. Ils lui ordonnaient de s’arrêter, mais il ne pouvait faire une telle chose. Ils ne comprendraient pas. Tout ce qu’ils voyaient, dans leur esprit limité et programmé par cette société structurée, était l’absence de vêtement. Sa nudité qu’ils considéraient inappropriée.
La ruelle croisait une autre rue, plus petite. Résidentielle et qu’il avait emprunté plus tôt dans la soirée, se dissimulant derrière les voitures stationnées le long des trottoirs. Il n’avait d’autres choix que de retourner dans celle-ci et se souvint des multiples autres ruelles qu’elle croisait. C’était un véritable labyrinthe. Il y avait peut-être là une chance de semer ses poursuivants.
Il était à moins d’une dizaine de mètres de la sortie de cet étroit passage tapissé de briques, quand un crissement de pneu précéda une autre voiture blanche et bleu qui mit fin à sa course effrénée. La nouvelle voiture venait d’apparaitre devant lui, lui bloquant l’accès à la rue.
Il dut s’arrêter et le fit trop rapidement, ses pieds glissants sur la surface pavée et il s’abattit de tout son poids contre le sol. Sa tête heurta une pile de boîtes en carton alignées tout près. La puanteur que dégageaient ces dernières impliquait la présence de déchets alimentaires. Il fut incapable de bouger durant quelques instants, ébranlé. La douleur se répandit de sa nuque à son dos, revenant à son cou comme un boomerang. Il s’était mordu la langue et le goût du sang se répandit dans sa bouche. Ce fut toutefois la surface malpropre sous son corps qui le fit bouger. Le froid s’infiltrait en lui en vagues successives.
Il put enfin voir le ciel sombre et sans étoiles de la ville. Brièvement, en raison de l’intensité des deux faisceaux maintenant braqués sur lui. Il se souleva et entendit des portières qui claquaient, des pas empressés sur le pavé et des voix fortes. Ils approchaient et avec eux, toutes chances de survie s’envolaient.
Plus tôt dans la soirée, Sébastien avait quitté sa chambre au cœur de la résidence sombre de ses grands-parents. Là où il avait vécu depuis un très jeune âge, aussi loin qu’il pouvait se souvenir. Immobile dans le couloir, devant la porte coulissante entrouverte de la salle à manger, il avait crié. Fermant les yeux en voulant éviter de contempler l’horreur qui s’abattait sur lui.
Des mains gantées violèrent le sanctuaire de son corps qui aurait dû rester intouché. L’une se posa sur sa bouche, l’autre lui agrippant le cou. Il n’avait jamais auparavant senti le contact de vêtements ou de tissu sur sa peau. Il n’avait jamais connu la sensation des fibres ou la douceur de la laine, du coton. Sébastien y goûta brièvement, trop brièvement, s’enivrant du plaisir de l’interdit, de l’inconnu. Son corps se couvrit de frissons et la sensation devint ce qu’elle était vraiment; une emprise violente et cruelle. Hors de contrôle.
Le choc le paralysa. Le gant couvrant sa bouche et pressant contre son nez l’empêcha de respirer, broyant ses lèvres contre ses dents et le forçant à des gémissements pathétiques. Il sentit l’autre main écrasant sa pomme d’Adam avec force. Le souffle de l’homme dans son dos se fit pressant, saccadé, puant l’alcool. Le corps de l’intrus se moula au sien, car il tenta alors de l’entrainer hors du couloir, vers le salon. Sébastien sentit la boucle métallique d’une ceinture qui le piqua dans son dos. L’homme eut le temps de le faire reculer de deux pas, avant que l’inévitable ne se produise. Ils s’immobilisèrent tous deux en même temps, Sébastien ouvrant les yeux. Il vit tout d’abord un flash orangé illuminant la pièce, suivit par l’odeur agréable du soufre. S’éleva ensuite le sifflement accéléré d’une combustion rapide et un cri horrible fusa dans son dos, alors que l’homme le relâchait subitement. Sébastien se retourna, curieux et fasciné par la vision du spectacle particulier.
L’homme le regardait avec une expression de stupeur complète, à moins d’un mètre de lui, les bras levés dans cette pose qui avait été interrompue. Ses mains, ses bras, son buste et sa jambe droite étaient en flammes. Un véritable brasier qui s’étendait avec la soudaineté d’une surface imprégnée d’accélérant liquide. Chaque centimètre de vêtement qui l’avait touché s’était enflammé avec spontanéité. L’homme ressemblait à ces torches humaines de cinéma, ces cascadeurs s’extirpant en courant de véhicules en feu. Mais contrairement au cinéma, il n’y avait aucune équipe munie d’extincteurs prêts à éteindre les flammes. Il était seul dans son combat contre le démon de l’incendie.
Sébastien se recula, l’individu hurlant avec un mélange de surprise et de douleur. Il reculait aussi, heurta le mur et trébucha en pénétrant dans le salon, s’affaissant sur le canapé. Ayant retraité vers la cuisine, le jeune homme put voir que le feu se propageait déjà. Le tumulte avait réveillé ses grands-parents qui accouraient. L’intrus se débattait, en vain, l’odeur de chair brûlée se répandit, jointe par la fumée de tout ce qu’il avait enflammé dans son parcours. Sa lutte ne servait qu’à propager le feu, créer de nouveaux points d’impact.
Sébastien se retourna vers le couloir, croisa le regard de son grand-père, agité et la bouche entrouverte. Il était lui aussi complètement nu. Ce dernier observa ensuite la scène, tout cela ne durant que quelques brèves secondes, mais parut s’éterniser. Le temps avait tendance à accélérer les moments de joies et d’euphories, pour ralentir les drames et les instants de souffrances. L’intrus était aveuglé par les flammes, incapable de trouver son chemin hors du salon, rebondissant contre les murs, les meubles et jetant autour de lui une semence enflammée, alimentée par sa panique.
La scène était telle que les spectateurs demeuraient paralysés. Les cris de l’homme torche se perdirent dans le son du feu qui rongeait et léchait les surfaces. L’incendie était devenu incontrôlable, rugissant et grondant.
Dans la cuisine, Sébastien eut la surprise de sentir un afflux supplémentaire d’air frais et vit alors que la porte coulissante s’ouvrait. Livrant le passage à un homme masqué, un complice qui avait dû patienter dans une voiture ou alors montant la garde à proximité. Il était vêtu de noir et fit un pas à l’intérieur de la pièce. Son regard scintilla en voyant la scène, puis il pivota la tête vers le grand-père estomaqué. Tout cela se déroulait toujours avec une lenteur exaspérante. Sébastien, en retrait, vit que le nouvel arrivant tenait quelque chose dans une main et réalisa qu’il s’agissait d’une arme à feu, son reflet argenté plein de promesses de mort.
Une détonation se fit alors entendre, un jet d’étincelles accompagna le vacarme, l’odeur de la poudre et il vit, du coin de l’œil, son grand-père qui s’affaissait sans un cri, désarticulé.
Le jeune homme n’eut pas le temps de réfléchir qu’il se ruait sur le nouvel arrivant, lui agrippant le bras avec force, celui qui tenait l’arme. Le cambrioleur se retourna dans sa direction et son regard embrassa sa nudité avec curiosité et cela arriva à nouveau, sans prévenir, sans hésiter. Le bras de l’individu s’enflamma aussitôt. Son cri déchira la nuit, tout comme celui de sa grand-mère qui arrivait dans la cuisine.
Maintenant au sol de la ruelle, s’adossant contre un mur en briques, Sébastien était pris au piège. Cinq policiers s’étaient approchés, des deux côtés de lui, bloquant toutes issues. Armes et lampes braquées dans sa direction. Leurs regards étaient méchants, inquisiteurs et sans pardons. Ils s’avancèrent jusqu’à se trouver très près de sa personne, trop près. On lui criait des ordres que ses oreilles refusaient d’entendre. Il ferma délibérément les yeux, ne supportant plus l’aveuglement des jets lumineux. Il leva la main et se couvrit le visage.
Il n’avait rien fait de mal, n’avait pas souhaité l’intrusion nocturne, le drame et la mort. Mais il n’avait pu l’éviter. Toutes ces années de solitude, de protection et de mesures extrêmes auraient dû le protéger. Ils avaient presque réussi.
Bien que ses grands-parents n’aient jamais abordé le sujet, il était certain d’avoir tué ses parents. Les images venaient parfois la nuit, dans ses rêves troublés. Il pouvait y voir le visage rayonnant de sa mère, le sourire barbu de son père. Leurs étreintes, réelles et emplies d’odeurs agréables. Il n’était alors qu’un nourrisson. Puis, le feu avait émergé de lui, s’était répandu, parmi les cris, l’odeur de chair se consumant et puis c’était tout, les images et souvenirs disparaissaient.
Le reste de sa vie avait été un emprisonnement constant, protégé par une bulle invisible conçue par une famille qui l’aimait, qui s’était donné pour mission de l’élever. De le protéger ou protéger le monde extérieur de ce qu’il était. Ses grands-parents n’avaient pas cette faculté maudite, ce don néfaste, mais vivaient selon les règles qu’ils lui avaient imposées. C’était une existence de nudité complète, une résidence qu’on avait délestée de tout ce qui s’enflammait à son contact.
Les policiers hurlaient, car il ne leur répondait pas. Il se recroquevilla sur lui-même, en position fœtale. Laissa son corps épouser le sol glacé et rude qui l’accueillit.
Il aurait pu essayer d’expliquer à ces hommes la raison de sa nudité, de l’incendie chez ses grands-parents et de son innocence.
Toutefois, son grand-père l’avait souvent mis en garde contre le monde moderne, contre les autorités et leurs soi-disant spécialistes. Ils leur étaient impossible de croire ses dires, parce qu’il était unique. Parce que son état était un mythe et non une réalité scientifique contemporaine. Introduit dans la société, il serait condamné et rejeté, ridiculisé ou exploité.
Le policier le plus près de lui agrippa son bras, sa peau chaude contrastant avec la sienne glacée. Il ne portait pas de gants. Il souleva Sébastien avec brusquerie et ce dernier se décida enfin à remuer. Il se redressa, le policier postillonnant des ordres tout en le poussant face contre le mur. Il suivit les directions, l’air vaguement absent. Il patientait pour le moment de la combustion. Toutes ces armes braquées vers lui auraient pu mettre fin à son existence anormale, auraient pu taire ses doutes, ses craintes, ses regrets. Mais il ne fit rien qui aurait pu pousser les agents à le blesser. On l’observait avec méfiance. Expliquant sa nudité dans une telle nuit froide par une consommation abusive de drogue. Probablement du LSD.
On lui fit écarter les jambes et on lui passa les menottes, sans qu’il fût touché par autre chose que de la peau nue, un coude pressant contre sa colonne vertébrale pour le maintenir immobile. Ils avaient été chanceux.
D’autres policiers étaient arrivés, des voitures s’immobilisaient. Il devenait un spectacle, une anecdote nocturne. Il entendit quelqu’un lui demander son nom, des commentaires murmurés en retrait sur ses pupilles dilatées. La poigne incessante de l’agent le poussa vers la voiture la plus proche et les faisceaux lumineux furent détournés de sa personne. Il put retrouver le plein usage de la vue.
La voiture se tenait de travers, à la sortie de la ruelle et il y fut escorté par une demi-douzaine de policiers, toujours attentifs et le croyant imprévisible, dangereux.
Il atteignit la voiture, un coup d’œil par-dessus cette dernière dévoilant un attroupement de curieux, s’amusant de sa nudité, spéculant sur son état. Cela l’attrista. Sans un mot, on le poussa sur la banquette arrière de la voiture, une main nue sur son crâne pour éviter qu’il ne bute contre la structure métallique, une autre sur son épaule. Le cuir l’accueillit, matériel qui ne déclencha aucune combustion. On allait refermer la portière, les gyrophares illuminant la nuit. Mais un agent féminin s’approcha, quelque chose en main et retint son collègue qui allait refermer la porte. Elle se pencha vers Sébastien. Il l’écouta, parce qu’elle était jolie.
« Voilà, au moins tu pourras garder ta dignité »
Elle déposa ensuite une couverture sur lui, dépliée et en laine. L’agent tout près referma la porte alors que le jeune homme souriait. Non pas en raison de la gentillesse de la policière ou encore du plaisir d’être ainsi couvert.
Il souriait, parce qu’il savait ce qui allait se passer et n’aurait pu imaginer une mort plus horrible. Confiné dans l’habitacle de la voiture, aux portes verrouillées de l’extérieur. Il avait toujours su qu’il allait mourir brûlé, c’était inévitable, comme le marin qui périt en mer, l’aviateur qui s’écrase ou le plongeur qui se noie.
La portière claqua violemment et les policiers s’éloignèrent, discutant. Certains riaient, d’autres se serraient la main ou se donnaient des tapes dans le dos. La chasse à l’homme avait pris fin.
Ce fut la policière qui réalisa en premier que l’habitacle avait pris feu, que la couverture était en flammes et que ces dernières se propageaient dans la voiture avec rapidité.
Sébastien ne livra aucun cri de douleur, de panique ou de terreur. En fait, il ne sentit rien, ce fut comme s’assoupir, fermer les yeux et laisser la nuit vous envahir. Il revit toutefois cet homme armé dont il avait agrippé le bras, celui qui avait pénétré par la porte coulissante dans la cuisine. Il avait vu l’homme s’enflammer et y avait trouvé une certaine joie, une paix intérieure et coupable. Il n’avait pas lâché l’individu, bien au contraire, l’avait pris contre lui et serré dans un désir de vengeance. Quand il s’était détaché de l’homme, réalisant que le feu avait non seulement pris possession de la maison, mais que les flammes avaient emprisonné sa grand-mère, il avait hurlé. La seule issue pour la femme avait été celle qu’il venait juste de bloquer, dans sa furie.
Elle le regarda avec un sourire compatissant, se penchant calmement sur son mari, alors que les murs autour d’elle étaient animés d’une vie colorée. Un épais nuage noir flottait dans l’air. Il avait voulu la rejoindre, chercher à la libérer, mais le passage était bloqué, des pans du plafond se mirent à tomber, des débris volants en éclats. Il recula, criant le nom de cette femme tant aimée, mais elle l’ignora, se couchant auprès de son compagnon agonisant. Ils s’embrassèrent et Sébastien fut chassé de la maison par l’étage supérieur qui s’effondrait.
Sur la pelouse arrière de la résidence, regardant autour de lui, il vit que le feu s’était élancé vers le toit, se répandant de manière surnaturelle. Il vit les maisons environnantes dont les fenêtres s’illuminaient, les voisins alertés par le bruit, la subite clarté qui chassait la nuit. Il hésita, ne savait quoi faire et réalisa soudain que seule la fuite était possible.
Parce qu’il était nu. Nu et coupable, meurtrier et abandonné. C’était ainsi que sa course effrénée dans les rues s’était amorcée.
Plus tard dans la soirée, quand les pompiers eurent éteint l’incendie dans la voiture de police, là où le jeune homme avait été placé en état d’arrestation, une fouille révéla quelque chose d’inusité.
On ne retrouva qu’un seul indice d’une présence humaine. L’un des pompiers extirpa un pied calciné de l’habitacle carbonisé. Un pied droit. Un des témoins parla de combustion spontanée, mais cela ne fit que provoquer des rires.
Et pourtant…
Paru en Juin 2012 dans l’IMAGINARIUS – Site officiel de l’IMAGINARIUS
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