Lizzie Crowdagger's Blog, page 3

December 30, 2022

Bilan 2022

Voilà, c’est l’heure du bilan 2022. Cette année, je m’empresse de le faire le plus tôt possible, parce que, soyons honnête, 2022 a été une année particulièrement merdique pour moi et autant en finir le plus vite possible.

Pourquoi est-ce que je fais ce bilan tous les ans et, surtout, pourquoi publiquement ? Pour deux raisons essentielles :

Déjà, on ne sait jamais, ça peut potentiellement intéresser des gens, soit qui s’intéressent à ce que je fais soit qui s’intéressent à l’auto-édition ;Comme une partie non-négligeable de mes revenus liés à l’auto-édition viennent de financement par abonnements, je pense que c’est pas mal d’être un peu transparente envers mes financeurs, c’est-à-dire vous 🙏.Activité

Bon, commençons par les choses qui fâchent, avec mon (manque criant d’) activité productive en 2022, puisque celle-ci se limite à :

La sortie du troisième épisode de la saison 2 de La chair & le sang pour les abonné·e·s. On notera qu’on est maintenant à un épisode par un ce qui est quand même une sacrée blague pour le concept de « saison ».La sortie publique de Déviances vikings, auparavant seulement disponible pour les abonné·e·s.

Et, euh, c’est tout. Bon, on peut éventuellement remplir un peu la liste avec des trucs annexes parce que ça fait vraiment vide :

Soumise par une insoumise, une toute petite nouvelle vaguement érotique.Corneill.es, une instance Mastodon pour les personnes LGBT (à la base intéressées par l’art et la culture sous ses formes la plus large, mais même pas forcément) et qui était à la base une « expérience disruptive de littérature transmédia ».

Bref, voilà, c’est minable j’en ai bien conscience, si j’étais une yakuza ça mériterait que je me coupe un petit doigt mais d’un autre côté ça m’aiderait pas vraiment à écrire plus.

Nombre de ventes

Regardons maintenant comme chaque année le nombre de ventes, qui sans surprise sont à la baisse, quelle surprise vu que je n’ai rien sortie de nouveau.

Remarque

Ces chiffres ne concernent que les ventes de livres en auto-édition, et donc ne prennent pas en compte Une autobiographie transsexuelle (avec des vampires), Enfants de Mars et de Vénus, ni Créatures de Rêve, qui sont édités par Dans nos histoires dans le circuit plus «traditionnel». Aussi, ils ne sont pas forcément fiables à 100%, mais ça donne une idée.

Numérique/Ebooks : 83 (↘ 119 l’an passé)Amazon : 36 (43%) (↘ 52 l’an passé)Kobo : 22 (27%) (↘ 26 l’an passé)Crowdagger.fr : 18 (22%) (↘ 29 l’an passé)Autres : 5 (6%) (↘ 12 l’an passé)Papier : 40 (↘ 62 l’an passé)Total : 123 (↘ 181 l’an passé)

Donc, voilà, pour ce qui est de l’auto-édition, non seulement je vends peu, mais c’est en baisse 🙀.

Comme je le notais l’an passé, il y a quand même un élément qui vient mitiger un peu ça, c’est que tous mes livres en auto-édition peuvent être téléchargés à prix libre, y compris gratuitement. C’est parfois compté comme une vente lorsqu’il y a un paiement ponctuel associé à un livre précis, mais il y a aussi des personnes qui soutiennent par les abonnements et qui ne vont pas forcément me redonner l’argent à chaque fois. De même, il peut aussi y avoir des gens qui vont télécharger trois livres mais ne vont faire un paiement qu’en une seule fois pour les trois (ce qui rend les statistiques plus compliquées mais a l’avantage de réduire les frais Paypal). Et aussi des gens qui peuvent lire les livres sans avoir la capacité de donner, c’est en partie le but de les mettre en accès libre !

Mes ventes sur Amazon ont encore diminué, le bon côté c’est que je dépends donc beaucoup moins de cette grande plate-forme, mais ça veut dire aussi beaucoup moins de ventes.

En ce qui concerne les livres papier, depuis 2020 Punk is undead et La sorcellerie est un sport de combat peuvent être commandés en librairie (via BoD). Ça permet de passer par autre chose qu’Amazon et de soutenir les librairies indépendantes. Malheureusement, ça reste de l’auto-édition donc la diffusion est limitée et il y a peu de présence dans les rayons (les librairies doivent payer à l’avance il me semble), mais ça permet au moins de les commander comme ça.

Les ventes papier sont un peu plus compliquées à comptabiliser, pour tout un tas de raison : les compte-rendus peuvent arriver plus tard, mais il peut aussi y avoir des ventes directes que je comptabilise mal, quelques placements au tiers dans des petites librairies que j’oublie en général de comptabiliser (et souvent de facturer, ce qui est plus embêtant 😅, mais bon au moins ça soutient les petites librairies).

Mais bon ça permet d’avoir une grandeur d’ordre et de constater que je suis loin de vendre des milliers de livres en auto-édition.

Chiffre d’affaire

Allez maintenant on fait entrepreneuse et on parle de chiffre d’affaires sérieux. Bon, déjà j’ai la chance inouïe de continuer à être soutenue par un certain nombre d’abonné·e·s malgré ma production quasi-inexistante 💜💜💜 donc ça limite la baisse par rapport au reste.

Cette année, j’ai décidé de montrer tous mes revenus liés à l’écriture (et donc pas uniquement le volet auto-édition), parce que je ne vois pas de raison de ne pas le faire et que là encore ça permet de se faire une idée à la fois de mon train de vie débridé et de ce que peut gagner une petite écrivaine.

Auto-édition : 1802€ (↘ 2859 l’an passé)Abonnements (Patreon/uTip) : 1202€ (↘ 1938 l’an passé)Royalties (Amazon/Kobo/Smashwords/BOD) : 288€ (↘ 370 l’an passé)Ventes et dons directs via le site : 298€ (↗ 256 l’an passé)Droits d’auteurs : 380 €Droits sur livres publiés : 237€Interventions : 143€

C’est une somme qui est loin d’être négligeable, même s’il faut enlever une partie de la partie auto-édition qui correspond à du chiffres d’affaires et pas à des revenus (donc il y a des dépenses, des cotisations à l’URSAFF, etc.) ; et qui est d’autant plus importante que mi-2022 j’ai perdu mon autre source de revenus en temps que vacataire à l’université.

Conclusion

J’aimerais bien conclure par un message positif pour dire que voilà, on met 2022 derrière nous et on va essayer de faire des vraies choses en 2023. Malheureusement, j’ai quelques inquiétudes, notamment du fait que malgré tout le soutien que vous m’apportez malgré mes maigres productions (💜) je dépends actuellement principalement du RSA. Or, j’habite dans une région qui a décidé de tester la réforme antisociale pour forcer les gens au RSA à « travailler » (sous-entendu pour de vraies choses, pas à raconter des histoires à la rentabilité douteuse) de 15h à 20h par semaine. J’avoue que ça m’inquiète pas mal sur ma capacité à, au final, rester dans la petite marge dans laquelle je me trouve actuellement.

Marge qui vient avec sa précarité qui, je l’avoue, est de plus en plus difficile à vivre au fur et à mesure que je vieillis et me pousse de plus en plus à réfléchir à trouver une façon de vive plus intégrée et plus « normale ».

Et, d’un autre côté, à chaque fois que j’essaie, la normalité me montre bien que ce n’est pas si simple de l’intégrer.

Bref. je ne sais pas de quoi exactement le futur sera fait. Si je finis par avoir un métier stable à temps plein, il est évident que je retirerai mes pages uTip et Patreon. Ça ne veut pas dire, espérons-le, que je cesserai complètement d’écrire, mais peut-être de revenir sur un modèle de loisir.

Ou peut-être qu’au contraire, avec la perte de mon emploi alimentaire, ça me poussera à investir encore plus cette petite marge et à aller voir jusqu’où profond va le terrier du lapin .

En attendant, je vous souhaite une bonne année 2023, prenez soin de vous, prenons soin les un·e·s des autres, et 💜💜💜 !

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Published on December 30, 2022 05:57

December 29, 2022

Autocritique

Je regarde cet entretien sur Mediapart « L’arrêt du tabac est la seule alternative anticapitaliste » et ça me fait penser que je voudrais revenir sur un point sur lequel je me sens pas mal merdique et pour lequel je voudrais présenter des excuses.

Quand j’écris des romans, j’essaie de ne pas reprendre bêtement les clichés mortifères qu’on peut voir partout. Il y a des cas où je pense avoir réussi à faire un peu mieux que ce qu’on pouvait voir ailleurs, notamment sur la transidentité.

Mais sur le tabac, purée, qu’est-ce que j’ai fait de la merde.

J’ai complètement repris les codes instillés par l’industrie du tabac avec Hollywood et qui rendent cette drogue (parce que oui, c’est une drogue) sexy et désirable.

C’est des codes, des images, qui me venaient spontanément. Un personnage badass qui s’allume une clope ou un cigare, si possible avec un gros zippo, c’est encore plus badass, non ? (Non).

Par fainéantise, aussi, avoir des personnages qui fument c’était vachement plus facile pour rythmer un peu les dialogues avec des petites action comme « s’allumer une cigarette», « tirer sur sa cigarette », etc.

J’ai pas questionné d’où ça venait. J’ai pas questionné l’impact que ça pouvait avoir. J’ai échoué à appliquer les principes éthiques que je pense on devrait au maximum avoir en tête quand on écrit de la fiction.

Je ne sais pas quel impact précis ça a pu avoir sur les personnes qui ont pu me lire, en particulier sur des jeunes. Évidemment, vu la diffusion, c’est sans doute plus restreint que d’autres, mais je pense que ce serait me voiler la face que de penser qu’il n’y en a eu aucun.

Tout ce que je peux faire, c’est présenter mes excuses à toutes celles et tous ceux à qui j’ai donné cette image du tabac comme quelque chose de sexy ou de cool par le biais insidieux de la fiction.

Je savais, évidemment, les conséquences du tabagisme. Mais jusqu’à ce début d’année 2022, ça restait un truc abstrait, que j’avais du mal à me figurer. Et puis j’ai vu ma mère mourir d’un cancer du poumon. Ça joue sans doute sur la culpabilité que je peux ressentir et le côté un peu dramatisant que vous trouverez peut-être à tout ce message.

Après, je sais que m’auto-flageller servira à rien. Je peux juste essayer de faire mieux, et de pas attendre d’être placée à l’horreur pour réfléchir aux messages que mes œuvres peuvent faire passer, même si c’est juste parce que ça reprend des codes sans réfléchir.

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Published on December 29, 2022 10:28

December 15, 2022

Lizzie découvre la publicité cachée de ses youtubeurs préférés

Il y a une dizaine de jours, j’ai souscrit à Arrêt sur images, et j’ai fait de véritables séances de binge watching de l’émission Proxy, animé par Loris Guémart, et qui est également diffusé gratuitement sur Twitch toutes les semaines.

Il se trouve que Loris Guémart, il a une petite marotte qui revient toutes les semaines, c’est tout ce qui rélève des publicités dites « natives » ou du « brand content » et qu’il appelle plus largement (et je suis assez d’accord avec lui) « publicité cachée ».

vaAlors, forcément, quand on a un peu passé son temps ces dernières semaines à binge-watcher ça, ça met dans un état d’esprit et on a une certaine vigilance quand on regarde d’autres contenus. Et il se trouve que je regarde d’autres contenus sur Youtube, que je pourrais ranger grossièrement en trois catégories : Formule 1, jeux vidéos, et vulgarisateurs plutôt de gauche.

Alors, sur les deux premières catégories je n’avais pas spécialement eu besoin d’un abonnement à Arrêt sur images pour réaliser qu’il y avait quelque chose de pourri, avec évidemment beaucoup de publicité et une délimitation floue entre ce qui relève de la publicité et qui n’en est pas, et surtout des partenariats que je considère peu scrupuleux, faisant notamment la promotion de jeux d’argent, donc je ne vais pas m’attarder dessus (ça mériterait peut-être en revanche que le législateur s’y penche un peu plus).

Bref, c’est dans ce contexte que j’ai regardé la vidéo de bilan de fin d’année de la chaîne Linguisticae, qui est une chaine Youtube que j’apprécie et que, d’habitude, je trouve plutôt carrée avec la publicité.

La publicité classique

Il faut voir qu’il y a plusieurs types de publicité que vous pourrez trouver sur Youtube. La première, c’est celle qui est placée directement par Youtube, qui est clairement faite par une agence de pub, et à laquelle vous pouvez échapper avec une extension comme uBlock Origin.

Deux choses qui font que ça ne rapporte pas beaucoup, parce que ce n’est pas très efficace, parce que la plupart des gens n’aiment pas spécialement la publicité, et n’ont pas envie de s’infliger ça avant de regarder la vidéo qu’ils ont envie de voir.

Heureusement, les créatifs marketeux ont trouvé plus efficace.

Le placement de produits

C’est pour ça que lorsqu’un vidéaste a un peu de succès, il est un peu plus intéressant de trouver des partenaires pour faire du placement de produits. L’idée, c’est qu’une entreprise (appelons-la NordVPN) paie des vidéastes en échange du fait qu’ils parlent en bien d’elle à un moment dans leur vidéo.

Là, on commence à avoir des limites très floues entre ce qui relève de la publicité et ce qui est le « contenu éditorial » du vidéaste : s’il présente comme le reste de sa vidéo des arguments pour vendre le produit, on ne sait pas trop s’il est sincère. On peut se douter qu’il ne l’est probablement pas et qu’il dit juste ça pour toucher de l’argent, parce que c’est indiqué que c’est « en partenariat avec » ou « sponsorisé par ». Mais ce n’est pas dit clairement que c’est de la pub et ça a quand même une certaine probabilité de tromper un peu plus l’audience qu’une publicité classique, même si tous les vendeurs de pubs vous assureront du contraire (enfin, sauf peut-être si vous voulez leur acheter de la pub).

Là-dessus, la chaine Linguisticae fait plutôt, de mon point de vue, partie des bons élèves puisque le placement de produits est clairement placé à part du reste de la vidéo, sous forme de sketch qui va souvent exagérer le côté publicitaire : on a donc une limite claire entre ce qui relève du contenu réel de la vidéo et de ce qui est de la publicité. Malheureusement, beaucoup n’ont pas ces scrupules, et vont juste parler très sérieusement des bienfaits prétendus d’une offre.

Sujet sur commande

Et puis il y a un troisième modèle de publicité, qui est à mon avis le plus pernicieux, qui est celui où une entreprise va cette fois-ci payer un vidéaste non pas pour qu’il parle de son produit quelques minutes dans une vidéo, mais pour qu’il fasse une vidéo sur un sujet donné. C’est particulièrement courant dans le domaine du jeu vidéo, où on va parler « d’opé spé ».

La plupart des vidéastes expliquent que cela ne joue pas, ou vraiment pas beaucoup, sur ce qu’ils peuvent dire dans leur vidéo, que tout va bien, etc. Ce qui pose bien sûr plusieurs questions comme :

si un·e vidéaste était sérieusement limité·e contractuellement sur ce qu’iel peut dire dans sa vidéo, est-ce qu’iel aurait vraiment toute latitude pour le dire ailleurs que dans cette vidéo ?même s’iel avait caviardé des choses en échange de l’argent, est-ce qu’iel aurait intérêt à le crier sur les toits ?et, surtout, est-ce que ça n’induit pas forcément un biais, conscient ou pas, qui fait qu’on pourrait éviter de dire des choses qui pourraient pousser une entreprise à ne plus te donner de l’argent dans le futur ?

Face à ça, le minimum légal est aussi un peu, malheureusement, le maximum qu’on peut espérer, c’est-à-dire qu’il soit « clair » qu’il s’agit d’un « partenariat » ou que la vidéo est « sponsorisée » ou « faite avec le soutien de » (on ne va quand même demander de parler explicitement de publicité).

Des partenariats pas très clairs avec la Chine

Bref, je regardais la vidéo de bilan de la chaine Linguisticae, qui parle notamment du bilan financier. Là-dessus, je ne peux qu’applaudir la transparence de Monté, qui met aussi en avant la façon dont il emploie des gens, sous quel statut, ce qui n’est pas le cas sur beaucoup de chaines.

Dans son bilan, Monté évoque notamment le fait que ses vidéos sur les langues chinoises étaient avec un partenariat, et là je réalise que si j’avais vu ces vidéos (qui sont intéressantes par ailleurs), je n’avais pas remarqué qu’elles étaient faites dans le cadre d’un partenariat (ce qui n’es pas étonnant, je n’étais pas encore abonnée à Arrêt sur images, après tout). Mais ça me rappelle que j’avais vu quelque chose passer sur les partenariats de la chaine Nota Bene avec la Chine. Donc je fais une recherche, et je trouve notamment cette vidéo de Stupid Economics qui parle justement de ça.

La vidéo de Stupid Economics

Cette vidéo enquête un peu sur la société « Tianci Media », ou « TNC Media », qui est l’entreprise qui a financé, donc, un certain nombre de vidéos sur la Chine, à la fois chez Nota Bene et Linguisticae. Cette toute petite entreprise française a visiblement des liens avec la télévision d’État chinoise et l’essentiel de l’activité semble être de subventionner des vidéos sur la Chine.

Stupid Economics a interrogé les vidéastes de Linguisticae et de Nota Bene, et ceux-ci ont expliqué qu’ils ont blindé leur contrat pour pouvoir raconter ce qui’ils voulaient. Donc, tout va bien, même si un autre vidéaste (qui témoigne anonymement a, lui, vu sa proposition de sujet recalée, ce qui semble quand même indiquer une certaine sélection.

La vidéo de Stupid Economics explique alors les vertus de transparence de ces deux chaines, qui ont permis de voir le souci, et rappelle le cadre juridique en citant l’article 20 de la Loi pour la Confiance en l’Égalité Numérique :


Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.

Article 20 LCEN

« C’est parce que Linguisticae et Nota Bene ont respecté ces règles de transparence que l’on peut savoir que leur vidéo était sponsorisée », explique ainsi Stupid Economics. Avant d’ajouter que c’est aussi ces règles qui permettent de voir qu’il reste une part d’ombre sur le fonctionnement, le financement, etc. de Tianci Médias, et de présenter les démarches faites pour éclaircir cela, qui se sont relevées infructueuses.

Une législation insuffisante

Cela dit, l’esprit un peu taquin trop mâtiné par Arrêt sur images que je suis aurait tendance à se demander : si, au final, on ne sait toujours pas avec certitude (même si on peut clairement soupçonner le PCC) qui a financé ces vidéos, est-ce que ce n’est pas le signe que cette loi est un peu insuffisante ? Peut-on se satisfaire d’une vague société écran au capital de 100€ présentée comme partenaire porte-nez ?

Et on pourrait aussi trouver que la clarté de ce partenariat dans les vidéos de Linguisticae et Nota Bene est assez discutable : après tout, j’étais moi-même passée à côté dans le cas des vidéos de Linguisticae. Et pour cause : c’est seulement en fin de vidéo qu’il est indiqué que celle-ci a été réalisé dans le cadre d’un partenariat.

Certes, c’est la pratique courante, et on voit fréquemment des productions autrement plus directement « sur commande » avec pas plus d’indications que cela (voire moins) sur tout un tas de médias respectables (sans même parler des Brut ou Konbini). Mais on pourrait peut-être demander mieux, et à minima de ne pas accepter de partenariats avec des entreprises dont le seul intérêt est clairement de camoufler les véritables financeurs.

Une régulation inexistante

Évidemment, en termes de législation, ce n’est pas dans la logique du moment d’imposer plus de clarté et de ne pas se contenter de « en partenariat ». Un bon exemple de ça, c’est l’ARPP, ou « Autorité de régulation professionnelle de la publicité ». Si le nom pompeux pourrait laisser croire à quelque chose qui dépend de l’État, il s’agit non seulement d’un organisme privé, mais qui plus est rien de plus qu’un syndicat patronal qui regroupe les différents acteurs qui dépendent de cette publicité et qui sert surtout à vanter l’« auto-régulation » des publicitaires, quand bien même il est assez évident que celle-ci ne marche pas.

Conclusion nulle parce qu’il en faut bien une

Les deux chaînes dont je parle dans ce billet ne font pas partie des pires acteurs, et font même très certainement partie du haut du panier, et j’en parle non pas par envie de lancer une shitstorm mais comme exemple parce qu’il s’agit de ce que je regarde, et que, n’étant pas journaliste, il était hors de question de m’infliger gratuitement des placements de produits bien pires.

Dans tous les cas, que ce soit pour les médias ou les créat·eur·ice·s, la seule alternative réelle à la publicité est de financer les indépendant·e·s qui continuent à proposer d’autres modèles où, comme dirait Edwy Plenel, seul·e·s les abonn·e·s peuvent les acheter. L’occasion au passage de vous rappeler que vous pouvez me soutenir sur uTip ou Patreon, ou simplement en achetant mes livres 🐱.

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Published on December 15, 2022 13:53

December 13, 2022

Démarrer sur Mastodon : choisir son instance

J’avais, sur Mastodon, plusieurs fois blagué sur le fait que j’allais faire un énième tutoriel Mastodon. Eh bien, nous y voilà. Est-ce qu’il y a des garanties que vous y trouverez des choses que vous n’auriez pas pu trouver ailleurs ? Probablement pas, mais c’est pas grave, je vais quand même faire des articles beaucoup trop longs.

Il se trouve que j’ai récemment lancé une instance, corneill.es, et que j’aimerais bien raconter aussi mon expérience à ce sujet, au cas où cela intéresserait des gens.

En attendant, commençons par les bases.

Mastodon et le Fédivers, c’est quoi ?

Alors, je ne vais pas m’éterniser là-dessus, parce qu’il y a d’autres sites qui expliqueront ça mieux que moi. En gros, à la base, il y a ActivityPub, qui est un protocole qui permet à des serveurs de communiquer entre eux pour échanger des messages, des articles, etc. Et, donc, il y a différents logiciels qui utilisent ça. Mastodon en est un, tout comme Peertube (alternative à Youtube) en est un autre, Friendica un autre, et il y a même des plugins pour WordPress pour lui faire utiliser ActivityPub.

L’avantage de tout ça, c’est que si vous avez un compte sur une instance Mastodon, vous pourrez aussi vous abonner à une chaine sur Peertube ou même à ce site. C’est ce qu’on appelle le Fédivers.

Mastodon, lui, est un logiciel de « micro-blogging », c’est-à-dire que ça reprend plus ou moins le format de Twitter, qui peut ensuite être installé sur différents sites, qui sont appelées « instances », mais bon fondamentalement c’est un site web. Vous pouvez vous créer un compte sur un de ces sites web, et vous aurez donc un identifiant @identifiant@site.web.

Avec ce compte, vous pouvez interagir avec à peu près tout le fédivers. (Mais, en vrai, si vous faites comme tout le monde, vu que c’est pour faire du micro-blogging, vous allez plutôt surtout interagir avec des gens qui font aussi du micro-blogging et pas trop des chaînes vidéos, des blogs, etc., donc surtout avec des gens qui sont aussi sur Mastodon (ou éventuellement Pleroma ou Misskey, sur lesquels je reviendrais peut-être dans un autre article)).

Comment choisir mon instance ?

Du coup, ça emmène à quelque chose qui fait visiblement peur à certaines personnes qui découvrent Mastodon : il y a plusieurs (et même beaucoup d’) instances Mastodon, et pas un seul site comme Twitter. Donc, laquelle choisir ? Comment faire ce choix crucial ? 

La réponse facile, si vous débarquez, c’est qu’en vrai c’est pas un choix dramatique, que vous pourrez toujours en changer plus tard, et que vous pouvez juste aller sur JoinMastodon et en prendre une un peu au pif dont les inscriptions sont ouvertes. Ou, si vous parlez français, Piaille.fr est un choix par défaut qui me parait tout à fait valable.

Maintenant, ici, on ne va pas forcément se limite à la réponse facile, et on va s’intéresser au cas où vous ne débarquez pas mais que vous avez déjà un compte et que vous envisagez de changer d’instance pour trouver celle où laquelle vous voulez vraiment vous installer. Et, là-dessus, on va d’abord regarder quels impacts concrets ça peut avoir de choisir une instance plutôt qu’une autre.

La modération

L’aspect sans doute le plus important, c’est la politique de modération, que vous pouvez en général consulter dans la page « à propos » d’une instance Mastodon. En général, vous aurez envie de trois choses :

D’abord, ne pas vous faire mettre dehors au bout de deux jours. Et donc, globalement, que l’instance en question accepte ce que vous allez pouvoir raconter. Il y a des choses évidentes qui peuvent poser problème, comme être un nazi qui veut poster des choses d’extrême-droite (il y a des instances sur ces bases-là, mais je ne vais pas leur faire de pub), mais des instances peuvent aussi vouloir limiter les posts dans une langue donnée ou avoir des règles spécifiques qu’il est bien de lire.Ensuite, être un minimum protégé·e par la politique de modération de votre instance : par exemple, vous n’avez peut-être pas envie que des nazis puissent voir ce que vous raconter et vous insulter en commentaires.Et enfin, vous avez à priori envie de pouvoir communiquer avec vos ami·e·s, c’est tout l’intérêt du Fédivers. C’est plus compliqué si votre instance est bloquée par l’instance de vos ami·e·s, par exemple parce qu’elle accepte que des nazis se créent des comptes dessus pour aller insulter des gens en commentaires.

Bref, ça peut être bien d’avoir un minimum confiance dans les personnes qui gèrent le site sur lequel vous vous créez un compte, surtout si c’est quelque chose qui a une certaine importance pour vous. Et ça rejoint aussi le point suivant :

L’administration

Je mets un point différent de la modération pour tout ce qui va concerner le fait, en gros, que le site sur lequel vous avez créé un compte existe et fonctionne. Vous n’avez pas envie que votre compte disparaisse du jour au lendemain parce que la personne qui gérait l’instance a décidé de débrancher la prise.

Parmi les facteurs qui peuvent aider à se faire une idée : est-ce que c’est géré par une personne ? Par une association ? Une entreprise ? Depuis quand est-ce que l’instance existe ?

Par exemple, j’ai créé une instance corneill.es pour les créatrices LGBT. Si je prends ces critères : instance gérée par une seule personne, qui existe depuis moins d’un mois, même si je compte être un minimum sérieuse avec ce serait plutôt un à priori négatif pour vous créer votre compte principal dessus sans prendre de précautions.

La timeline locale

Un autre aspect, moins vital mais assez important, dans le choix d’une instance, c’est la timeline locale. Celle-ci vous permet de voir tous les posts publiques postés par d’autres personnes de cette instance. Et, de façon similaire, vos posts publiques seront visibles par tous les autres membres de votre instance.

Ça peut donc être un bon moyen pour découvrir de nouvelles personnes à suivre, ou pour que d’autres personnes vous suivent. À condition, évidemment, de partager les mêmes centres d’intérêt, que vous ne soyez pas la seule personne de cette instance à parler une langue, etc.

C’est d’ailleurs, à mon avis, un gros point fort du fédivers par rapport à Twitter, qui est largement perdu si vous rejoignez une très grosse instance avec des centaines de milliers de personnes, où du coup tout sera noyé dans un brouhaha.

Le logiciel

Bon, jusqu’ici, on n’a parlé que de Mastodon. Mais, même pour Mastodon, il y a différentes versions, à la fois dans les numéros : certaines instances n’ont pas forcément la dernière version de Mastodon. Et puis, il y a aussi des versions un peu modifiées de Mastodon, comme Mastodon Glitch Edition ou Hometown.

Pour la plupart des usages, ça n’aura pas forcément de grandes différences, mais cela peut ajouter quelques fonctionnalités. Par exemple, Mastodon Glitch apporte la possibilité de formatter un peu (italiques, gras, listes à puces) vos posts avec du Markdown ou de l’HTML, tandis que Hometown a un meilleur support des listes.

Ces différentes variantes restent cependant proches de Mastodon « classique » et il est possible de migrer un compte sans problèmes entre des instances qui utilisent différentes version de Mastodon.

Il existe aussi des logiciels totalement différents, mais qui vous permettront aussi de faire du microblogging, comme Pleroma et Misskey, et qui peuvent offrir des fonctionnalités différentes (comme le « quote » pour Misskey) ; en revanche, vous ne pourrez pas transférer votre compte depuis ou vers une instance Mastodon aussi facilement (même si Pleroma permet depuis peu la migration vers/depuis Mastodon).

Les émojis

Un point qui est rarement mis en avant dans les critères pour le choix d’instance mais qui a son importance au quotidien : les émojis. Sur Mastodon, chaque instance peut ajouter un certain nombre d’émojis personnalisés. Ces émojis seront visibles par les gens d’autres instances lorsque vous posterez mais, à l’heure actuelle, vous ne pouvez pas utiliser d’émojis d’une autre instance dans vos propres messages.

Est-ce que c’est le critère principal pour choisir une instance ? Sans doute pas. Mais pouvoir faire confiance aux personnes qui gèrent l’instance en est un, et donc on pourrait glisser leur écoute face à la suggestion de nouveaux émojis là-dedans.

Le nom de domaine

Pour terminer, on pourrait aussi parler du nom de domaine, qui fait partie de votre identifiant complet sur le fédivers. En vrai, pour la plupart des gens, cela n’a pas forcément une grande importance. Mais si vous êtes un·e petit·e artiste ou artisan·e et que les réseaux sociaux sont un moyen important pour vous faire connaitre, ça peut éventuellement être intéressant de prendre ça en compte. Et si vous êtes une grosse association, une entreprise, etc., ça peut aussi être intéressant d’avoir une instance à vous pour vous assurer d’être bien identifié.

Oh, non ! Je voulais faire un tutoriel rapide sans m’étendre sur quoi que ce soit, et j’ai déjà passé tant de temps juste sur le choix d’instance ? Bon ben, c’est parti pour un début de série d’articles /o\

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Published on December 13, 2022 15:22

December 2, 2022

Ce n’était pas un échec, c’est juste que ça n’a pas marché

Cela faisait un moment que je n’avais pas fait de post à destination des abonné·e·s et, comme d’habitude, celui-ci va essentiellement consister à vous présenter mes plus plates excuses en essayant de vous faire croire que vous devriez continuer de me soutenir alors que je suis clairement incapable de tenir le moindre de mes engagements.

L’année dernière, j’avais essayé de mettre en place un système pour que les gens qui me soutiennent financièrement puissent créer un compte sur ce site. On ne va pas se mentir, c’est un peu la catastrophe : le système est beaucoup trop compliqué, à la fois pour vous (puisque beaucoup de gens ont eu du mal à se créer un compte ou ne l’ont pas fait), et pour moi.

Donc on va revenir à des trucs plus basiques mais qui seront peut-être plus faciles à mettre en œuvre :

pour ce qui est des livres numériques : quand vous ferez un don via uTip ou Patron, vous aurez un lien vers une page qui vous permettra de télécharger les livres ;pour les envois postaux — que je n’ai pas fait depuis une éternité ce qui est une autre raison de m’excuser platement — j’enverrai juste un framaform aux abonné·e·s pour que vous puissiez me donner votre adresse là (ou par mail si vous y tenez) quand j’aurais des choses à envoyer. En l’occurrence incessamment sous peu pour Déviances vikings que j’aurais dû faire il y a cinquante ans.

Merci encore à toutes les personnes qui me soutiennent malgré le manque criant de récompenses 💜.

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Published on December 02, 2022 00:13

November 4, 2022

Déviances vikings, chapitre 4

Déviances vikings est une novella de fantasy avec de l’action, des sentiments et des cornes de brume. Vous pouvez dès maintenant lire le texte intégral en version numérique à prix libre ou commander le livre papier pour 7€ ici. Les huit chapitres composant ce récit sont également publiés progressivement (et pas très régulièrement hum!) en accès libre. Voici le quatrième.

Déviances vikings, chapitre 4Déviances vikings, chapitre 3Déviances vikings, chapitre 2Déviances vikings, chapitre 1Festival des IntergalactiquesVoter Le Pen, c’est être racisteLa mise en page dans les dialogues et ses implicationsRéflexions sur les enjeux dans un romanBilan auto-édition 2021Fédération FediverseNouveau site et, surtout, nouveau modèle de NFTsTravaux en cours…Bonjour tout le monde !12345613»Chapitre 4

Lorsque Gunnbjörn entra dans la demeure du jarl, celui-ci était déjà présent, ainsi que Gunnvald. Les deux hommes étaient assis autour d’une table et d’un pichet d’hydromel.

— Ah, fit Harald lorsqu’il les rejoignit. Alors comme ça, il fallait qu’on parle, hein ?

— Ouais, répondit Gunnbjörn.

Il s’installa sur une chaise et prit le temps de se servir un peu d’hydromel avant de poursuivre.

— Laisse-moi deviner, avança Harald. Tu viens me dire que cette expédition n’est pas une bonne idée.

— Ce n’est pas une bonne idée, approuva Gunnbjörn.

— Ah ! fit Gunnvald. Même mon fils peut y voir clair par moment.

— Je suis désolé pour la mort de Lotar, dit Harald. Mais ça ne change rien au fond. Comme je le disais à ton père, on a déjà vu des marcheurs par cette saison.

— Ce n’est pas un bon signe, soupira Gunnvald.

Gunnbjörn approuva du chef. Il ne s’était pas attendu à partager l’avis de son père sur ce sujet, mais ça l’arrangeait de l’avoir en appui. Même s’il ne se faisait pas beaucoup d’illusion sur les chances de convaincre le jarl.

— Freydis pense qu’ils étaient plus… vifs que d’habitude. Elle est partie faire des recherches supplémentaires, mais si c’est le cas…

— Des « recherches » ? railla Harald. Des marcheurs sont des marcheurs. Ils ont déjà été plus menaçants. Tu n’étais peut-être qu’un enfant, mais ton père s’en souvient.

Le jarl jetait un œil entendu à Gunnvald, mais le vieil homme secoua la tête.

— Je m’en souviens. J’étais là. Parce que je n’étais pas parti faire un raid à l’autre bout du monde. Sans ça, je ne sais pas ce que ça aurait donné pour le village.

Harald poussa un soupir d’exaspération.

— Je comprends votre point de vue. Vraiment. Mais il y a une assemblée du thing demain, et je ne pense pas que les autres réagiraient très bien. Le roi Lodbrock lui-même a insisté sur l’importance de ces expéditions.

— Pourquoi pas repousser, au moins ? demanda Gunnbjörn. Le temps d’en savoir plus.

Il expliqua la théorie — ou, du moins, l’une des théories — d’Ingemar sur la vitalité des marcheurs.

— Si des villages ont été décimés, balaya Harald, on l’apprendra ce soir ou demain. Si on repousse, ce ne sera plus la saison. Et c’est la même chose. Les autres seigneurs n’accepteront pas. Ils partiront avec ou sans nous.

— Qu’ils partent sans nous, alors, grommela Gunnvald.

— Tu n’as pas peur de te faire traiter de lâche, hein ?

— Non, répliqua le vieil homme avec une moue bougonne.

— Voilà ! dit Harald en pointant son doigt vers lui. Tu es un vieil homme, tu n’as rien à prouver. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Les jeunes partiront. Vous le savez, tous les deux. Vous avez été comme eux.

Gunnbjörn ne pouvait pas le nier, et son père ne répondit rien non plus.

— Il y aura une expédition, dit Harald. Que j’en aie envie ou non. Et, avec ou sans nous, on ne pourra pas empêcher nos guerriers d’y participer.

— On pourrait, maugréa Gunnvald.

Harald secoua la tête.

— Ne soyons pas naïfs. Je crains moins les marcheurs que la colère de Ragnar si on s’oppose aussi frontalement à lui.

Ragnar Lodbrock était le roi et, en ce qui concernait Gunnbjörn, il l’avait toujours été. On disait qu’il était immortel et choisi des dieux. Il était craint, respecté et vénéré. En théorie, le thing se réunissait demain pour prendre des décisions en fonction de ce que l’ensemble des jarls décidaient. En pratique, les jarls s’empresseraient tous de décider ce que Ragnar voulait décider. Et il était assez clair qu’il voulait une expédition.

Harald se tourna vers Gunnbjörn.

— Si quelques hommes restent pour sécuriser le village, je n’y vois pas de problème. Fais leur comprendre qu’il n’y a rien de lâche à cela. Mais j’aurai besoin de toi là-bas.

Gunnbjörn se resservit un peu d’hydromel, et s’empressa de l’avaler.

— Chiotte.

Harald hocha la tête.

— Ouais, admit-il.

***

Lorsqu’il sortit de la demeure du jarl, Gunnbjörn eut la surprise de se retrouver nez à nez avec Aaskell. Le scalde était venu quelques jours plus tôt à l’approche du thing, dont l’assemblée était toujours aussi le moment de banquets et de fêtes.

— Sire, est-ce que vous auriez un moment ?

L’homme avait une trentaine d’années, était grand et svelte, et avait des cheveux bruns et longs délicatement attachés, ainsi qu’une petite barbiche bien taillée.

— Oui ? demanda Gunnbjörn, qui ne voyait pas bien ce que l’homme lui voulait.

Aaskell baissa humblement les yeux.

— J’ai entendu parler de la mort de Lotar. Je pensais qu’il serait peut-être bienvenu de chanter sa mémoire lors des festivités ?

Oh, génial. Le type venait lui demander de l’aide pour composer une chanson ?

— Pourquoi pas ?

— Si vous pouviez me donner quelques détails sur sa mort héroïque, peut-être ?

Gunnbjörn poussa un soupir. Sa mort héroïque ? Lotar avait suivi les guerriers devant lui qui, ivres à l’idée d’obtenir de la gloire et des honneurs, s’étaient bêtement trop approchés des marcheurs. Il en avait payé le prix cher. C’était une mort stupide et qui n’apportait rien à personne.

— Vous pensez vraiment que la mort est toujours héroïque ? railla Gunnbjörn.

Peut-être qu’il était un peu sec. Après tout, la mort de Lotar n’était pas la faute du scalde. Ce n’était pas lui qui avait pris la décision de charger la meute plutôt que de la distraire, le temps que les guerriers à pied puissent les rejoindre.

À son étonnement, Aaskell lui fit un petit sourire, mis en relief par la profondeur de ses yeux verts.

— Oh, je ne suis pas si naïf, Monseigneur. Je sais bien que la réalité est parfois loin des belles chansons. Mais je pensais que sa famille et ses amis pourraient trouver un peu de réconfort dans la poésie.

Parfois, on préférait un beau mensonge à la laideur de la réalité.

— D’accord, soupira Gunnbjörn. J’ai été poussé de mon destrier par des marcheurs enragés. N’écoutant que son courage, Lotar est venu à mon secours, et les a repoussés. Mais ils étaient trop nombreux. Son épée a tranché des corps et des têtes, mais la vague semblait ne jamais s’arrêter. Ne pensant qu’à la protection du village, Lotar, blessé de toutes parts, a continué à se battre jusqu’au bout. Son sacrifice nous a tous sauvés.

Le sourire d’Aaskell s’accentua.

— Vous pourriez vous-même composer de la poésie, Messire. Je penserai également à ajouter quelques-uns de vos propres exploits, évidemment.

— Mes exploits ? Ce n’était qu’une boucherie.

Le scalde posa une main sur son cœur, leva l’autre, et, l’air grandiloquent, se mit à réciter :


Pas même satisfait d’avoir occis l’ennemi,


Le ténébreux Gunnbjörn restait toujours aigri.


Pas la peine de nous faire une belle poésie,


Tout cela n’était rien qu’une sinistre boucherie !


Le texte et l’air pompeux parvinrent à faire rire Gunnbjörn.

— D’accord, fit-il. Ça, tu peux le garder.

***

En chemin vers chez lui, Gunnbjörn décida de passer voir comment allait Akim. Comme il le supposait, il était assis sur un banc devant la forge. Sa jambe était maintenant entourée de deux plaques d’acier qui tenaient avec des cordages. Il expliqua que c’était son père qui lui avait bricolé cette attelle.

— Malheureusement, se lamenta Akim, avec ça, je ne pourrai sans doute pas participer à l’expédition.

Gunnbjörn ne sut pas trop quoi dire, surtout après la discussion qu’il venait d’avoir avec Harald.

— Ce n’est peut-être pas un mal, lâcha-t-il finalement.

— Oui, hein ? soupira Akim. Quel chevaucheur je fais. Piégé par son destrier, incapable de me dégager, je n’ai rien pu faire pour aider Lotar.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Tu n’aurais rien pu faire. Mais Freydis est inquiète de la menace des marcheurs. Ce n’est pas plus mal que quelques guerriers restent au village.

Akim n’avait pas l’air convaincu. Il semblait croire que Gunnbjörn disait cela pour flatter son égo. Le guerrier s’assit à côté de lui.

— Je suis sérieux. Si je pouvais, je préfèrerais autant ne pas abandonner le village.

Akim lui jeta un regard étonné, puis lui fit un petit sourire.

— Ne t’en fais pas, alors. Il sera entre de bonnes mains, et ça me donnera l’occasion de prouver malgré tout quel chevaucheur valeureux je suis.

Gunnbjörn resta encore un certain temps à discuter avec le jeune homme. Contrairement à la négociation avec Harald, sa façon de prendre la menace des marcheurs avec une certaine légèreté arrivait à le rassurer.

Ils burent ensuite un verre en l’honneur de Lotar, et Gunnbjörn apprit à Akim qu’Aaskell avait prévu de réciter quelque chose en son hommage, ce que le garçon prit avec beaucoup plus d’enthousiasme et moins d’aigreur que lui.

— C’est bien, fit-il. Il le mérite. J’espère qu’Aaskell fera quelque chose de beau.

Gunnbjörn repensa aux quelques vers que le scalde avait improvisé pour lui.

— Oh, oui. Il a du talent.

***

Gunnbjörn abandonna ensuite Akim et rentra à la ferme, où il retrouva Fenrir le chien. Il emmena l’animal avec lui, et le fit courir en lui envoyant un bâton que le chien lui ramenait. C’était plus fatigant que ça n’en avait l’air, parce que Fenrir avait bien compris le principe d’aller chercher le bâton et de le rapporter, mais pas celui de le rendre à son propriétaire, et il fallait se « bagarrer » avec lui à chaque fois pour le reprendre.

C’était en partie pour ça que ce chien n’était définitivement pas un bon chien de chasse, même si Gunnbjörn l’avait emmené avec eux ce matin pour qu’il puisse se dégourdir les pattes. En partie seulement, parce que ce qui le disqualifiait le plus était sa tendance à aller aboyer sur les animaux pour leur faire la fête.

Officiellement, cette mauvaise éducation était la faute des neveux et nièces de Gunnbjörn, qui avaient beaucoup trop cajolé et gâté l’animal. C’était, en tout cas, ce que Gunnbjörn clamait haut et fort à chaque fois que quelqu’un pointait du doigt que si son chien était impressionnant et menaçant, il n’avait pas exactement le comportement qu’on attendait d’un molosse appelé Fenrir. Ensuite, en privé, lorsqu’il était seul avec lui, il le caressait longuement derrière les oreilles et lui donnait des friandises même lorsqu’il faisait des bêtises.

Après avoir marché un peu et s’être chamaillé avec Fenrir le chien autour de la possession du bâton, Gunnbjörn décida qu’avec sa journée, il avait bien mérité de faire une sieste. Comme à chaque fois qu’il avait chevauché un destrier, il se sentait épuisé, et le thing qui venait allait probablement également lui prendre de l’énergie.

Depuis quelques années, Gunnbjörn accordait beaucoup d’importance au sommeil. Un homme reposé était un guerrier plus efficace sur le champ de bataille. Par ailleurs, et c’était ce qu’il appréciait le plus, un homme reposé était un homme reposé.

Comme le temps était encore assez clément, il s’allongea en dessous d’un arbre, la tête posé sur le ventre de Fenrir, une main sur ses oreilles.

— Tu ne participeras pas non plus à l’expédition, expliqua-t-il au chien. Tu protègeras le village aussi. Et tu prendras soin de Siv, hein ?

Fenrir ne répondit pas. Gunnbjörn décida que c’était parce qu’il approuvait.

***

Gunnbjörn dormit un bon moment, d’un sommeil tranquille. C’était l’avantage de faire la sieste avec un chien de garde : il n’avait pas à craindre de se faire réveiller par un importun. Si près du village, ça aurait été peu probable, mais avec les marcheurs, on ne savait jamais. Heureusement, il pouvait compter sur Fenrir pour le réveiller en se levant brutalement si quelqu’un arrivait de trop près. Certes, après il irait ensuite aboyer gentiment pour dire bonjour à l’intrus plutôt que de défendre son maitre, mais la bête était au moins efficace pour ce qui était de le réveiller. D’autant plus que, si n’importe qui ayant eu l’occasion de côtoyer l’animal savait qu’il était beaucoup plus affectueux que violent, Fenrir restait suffisamment impressionnant pour que quelqu’un ne le connaissant pas y réfléchisse à deux fois avant d’approcher.

Rasséréné par ce moment de repos passé en compagnie de son gros bébé, Gunnbjörn retourna vers le village. Sans même s’en rendre compte, son comportement vis à vis de Fenrir changea légèrement lorsqu’il fut à nouveau en présence d’autres personnes : pour commencer, il ne l’appelait plus son « gros bébé », et lui donnait des ordres avec une voix plus grave et virile. Malgré le ton martial, l’animal n’obéissait pas plus pour autant.

Gunnbjörn constata que, durant sa sieste, des guerriers d’autres régions étaient arrivés. Il fut ainsi heureux de retrouver Ketil, un géant roux au crâne ras mais à la barbe touffue. Les deux hommes s’étreignirent et discutèrent un moment : ils ne s’étaient pas rencontrés depuis plusieurs mois. Ketil venait du village de Dalbek, situé à quelques bonnes heures en destrier à l’ouest de Kirkjubær, et Gunnbjörn le considérait comme un guerrier valeureux ainsi qu’un homme honnête et sympathique, ce qu’il démontra en s’extasiant devant la beauté de Fenrir et en le complimentant d’avoir autant grandi depuis la dernière fois.

Gunnbjörn invita Ketil à poursuivre leur discussion à la ferme : s’il avait retiré son armure après être revenu de bataille, il ne s’était pas changé, et portait toujours un pantalon taché de sang. Il souhaitait donc en changer avant de rencontrer des jarls d’autres régions, ainsi que remettre la veste aux couleurs de son clan. Il expliqua à Ketil qu’il avait également prévu de faire une tarte aux pommes, ce qui fit rire le géant roux.

— Je ne te savais pas cuisinier.

— Un homme peut avoir plusieurs talents.

Lorsqu’il arriva dans la ferme, il présenta Ketil à son père mais s’étonna de ne pas voir trace de Siv.

— Elle n’est pas rentrée ? demanda-t-il à Gunnvald.

— Pas que je sache, répondit celui-ci.

Gunnbjörn fronça les sourcils. Freydis et Siv devaient juste retourner examiner un peu les corps des marcheurs et ramener le destrier ; elles avaient largement eu le temps de le faire depuis un moment. Il commençait à s’inquiéter un peu.

— Tu sais, le rassura Ketil, il y a des gens qui aiment tirer au flanc.

Gunnbjörn ne pouvait pas le contredire sur ce point. Tout en coupant des pommes, il expliqua cependant à Ketil son inquiétude par rapport aux marcheurs. Il lui demanda quelle était la situation dans la région de Dalbek.

— Honnêtement ? demanda Ketil. Rien à signaler. Ça fait un bail qu’on n’a pas eu une menace sérieuse de ce point de vue. Je pense que tu ne devrais pas t’en faire. Si vous êtes tombés sur un gros groupe, tant mieux. Vous serez tranquilles pendant un moment.

— Va dire ça à Lotar.

— Je suis désolé, s’excusa le rouquin. Ce n’est pas ce que je voulais dire.

— Je sais, soupira Gunnbjörn. Disons que ça n’a pas été une très bonne journée.

D’un commun accord, ils décidèrent de changer de sujet et de parler de choses plus légères. Cela ne dura cependant pas éternellement, et, tandis que Gunnbjörn mettait sa tarte au four, la discussion revint à ce qui le préoccupait :

— Tu as une idée de ce que va nous proposer Ragnar, cette fois-ci ? demanda Ketil.

Le guerrier secoua la tête.

— Une expédition au Levant ?

— Je voulais dire, un peu plus précisément.

— Non.

— J’ai cru entendre dire qu’il s’était mis en tête de chercher une relique.

Gunnbjörn ne put retenir un éclat de rire, qui lui valut un sourire amusé de Ketil.

— Tu n’as pas l’air convaincu par le bien-fondé des plans de notre roi.

— Je ferais mieux d’apprendre à ne pas trop donner mon avis dans les prochains jours, admit Gunnbjörn. Mais, non, je ne suis plus très enthousiaste à l’idée de laisser nos villages sans défense et de perdre des hommes pour des expéditions stupides qui ne nous rapporteront au final rien d’autre que des breloques.

Le sourire de Ketil s’agrandit. C’était aussi pour cela que Gunnbjörn l’appréciait : il faisait partie des quelques personnes avec qui il pouvait se permettre d’être sincère pendant les assemblées du thing.

— Certains diraient que tu te fais trop vieux et que tu as perdu le gout pour l’aventure.

— Quelle aventure ? répliqua Gunnbjörn. Je suis allé au Levant, comme je suis allé au sud. C’est devenu une routine plus qu’une aventure. Ce n’est pas comme si Ragnar nous proposait de chercher Asgard ou d’aller explorer les océans.

Pour être honnête, il n’aurait pas accueilli avec beaucoup plus d’enthousiasme une telle expédition : après tout, c’était suicidaire et cela reviendrait aussi à laisser le village à la merci des marcheurs. Mais, au moins, cela éveillait encore en lui quelques envies, contrairement à la perspective de piller encore et toujours quelques villages, de se battre avec quelques samouraïs, puis de rentrer raconter leurs exploits comme s’il y avait la moindre gloriole là-dedans.

Ce fut au tour de Ketil d’éclater de rire.

— Tu sais quoi ? renchérit Gunnbjörn. Peut-être qu’il va nous expliquer que sa relique nous permettra enfin de naviguer sans craindre le courroux des dieux.

— Non, répliqua Ketil en secouant la main. Ça fait des années qu’il n’a pas fait ce coup. Il n’en a plus besoin. Thormod suit ses ordres comme un chien, et les autres jarls le craignent trop pour le contredire.

Gunnbjörn se demanda un moment combien de guerriers au juste partageaient leur point de vue, mais préféraient le garder pour eux parce qu’il leur semblait évident que les autres craignaient trop Ragnar pour oser le contredire. Ce n’était sans doute pas tant que ça, cela dit. Beaucoup continuaient à voir en Ragnar une sorte d’incarnation divine.

— Je vais me changer, indiqua-t-il plutôt. Ça m’évitera de médire.

Il ne lui fallut pas longtemps pour changer de pantalon et enfiler sa veste mais, lorsqu’il eut terminé, il trouva Ketil en grande discussion avec son père. Celui-ci les avait entendus, de loin, évoquer des excursions lointaines et n’avait pas pu s’empêcher de venir raconter ses vieilles histoires. Gunnbjörn ne put s’empêcher de sourire. Quelques heures plus tôt, il avait lui-même partagé cette anecdote à Siv. Il évita cependant de l’avouer : après tout, si les deux cohabitaient maintenant à peu près bien, il avait dû batailler pour que son père accepte la jeune femme sous son toit.

Après avoir réécouté quelques anecdotes que le temps passé avait légèrement embellies, Gunnbjörn sortit sa tarte aux pommes du four. Il était peut-être temps d’aller voir un peu d’autres nouveaux arrivants que Ketil.

Lorsqu’ils quittèrent la ferme et prirent la direction du hall, Gunnbjörn se rappela qu’il n’y avait pas que des gens qu’il était heureux de revoir.

Parmi ceux qu’il appréciait moins — un euphémisme généreux — il y avait Thormod, le jarl de Horten, un homme émacié aux cheveux gris et aux traits durs, ainsi que son fils Jorund, un colosse aux longs cheveux blonds.

Ils étaient en train de discuter au milieu d’autres hommes, que Gunnbjörn ne reconnut pas. Plus par convenance que par sympathie, il les salua tout de même à distance.

Alors qu’il passait à côté d’eux, il ne put s’empêcher de noter que certains hommes en question le dévisageaient. Il mit d’abord ça sur le compte de sa couleur de peau, qui restait inhabituelle dans le Nord, mais réalisa qu’il y avait autre chose lorsqu’un jeune blanc-bec persiffla :

— Mademoiselle est partie à la cueillette et ramène une belle tarte.

Quelques hommes rirent tandis que Gunnbjörn réalisait qu’il portait toujours, à la boutonnière de sa veste, la fleur mauve que Siv y avait accrochée. Il songea un instant qu’il aurait peut-être dû penser à la retirer, mais se ravisa : l’avis de quelques idiots n’avait aucune importance.

Il se contenta de leur jeter un regard noir, qui fit en un instant taire les rieurs. Seul le jeune blanc-bec en question gardait un air bravache.

— Allez, Gunn, fit Ketil. Ça n’en vaut pas la peine.

Gunnbjörn ne le contredit pas et continua sa route, plus interloqué qu’outragé :

— C’était qui ? demanda-t-il.

— Tu ne connais pas Bard ? répliqua Ketil. Un autre fils de Thormod. Pour être honnête, tu ne perds pas grand-chose.

— Par les dieux, il a l’air encore plus idiot que l’autre.

— Il l’est, confirma Ketil. Et pourtant, ce n’était pas évident.

Gunnbjörn en eut rapidement la confirmation. Après avoir fait un aller-retour rapide au hall et constaté que l’activité y était encore assez réduite, les deux hommes se séparèrent, Ketil partant installer une tente. Gunnbjörn, de son côté, retourna sur la place du village, et vit avec soulagement arriver le destrier de Freydis et sa remorque sur laquelle était, pour l’heure, installée Siv.

Qu’est-ce qui avait pu leur prendre autant de temps ? se demanda-t-il en allant à leur rencontre. Au moins, elles avaient l’air d’aller bien.

Le destrier ralentit et s’arrêta devant les écuries. En face de celle-ci, les deux fils crétins de Thormod et quelques-uns de leurs hommes avaient commencé un concours de jet de hachettes sur le grand arbre qui se trouvait au milieu de la place et en avait vu d’autres.

Voir deux femmes sur un destrier devait être suffisamment inhabituel pour eux car, une fois encore, Bard se trouva fortement inspiré et ne put s’empêcher de lancer, lorsqu’elles mirent pied à terre pour détacher la remorque :

— Quel village plein de bizarreries ! Est-ce que cette chose est un homme ou une femme ?

Gunnbjörn serra le poing. La remarque visait, clairement, Siv. À cause de ses particularités, ce n’était malheureusement pas la première fois qu’elle était confrontée à ce genre de situations, et elle baissa les yeux sans oser répondre.

À cause du rapport compliqué entre Siv et Freydis, Gunnbjörn s’attendait à moitié à ce que cette dernière rajoute une petite plaisanterie de son cru, voire révèle des détails intimes sur la servante.

À la place, elle attrapa sa grande hache qui était toujours attachée à son destrier et s’approcha du blond avec un air menaçant.

— Elle s’appelle Blodsugare, dit-elle. Tu veux faire connaissance avec elle ? Elle a déjà eu sa dose de sang aujourd’hui, mais elle n’est jamais rassasiée.

Voilà qui prenait Gunnbjörn au dépourvu. Il ne s’était pas attendu à ce que les choses escaladent aussi vite. Visiblement, Freydis avait pris la remarque pour elle. En face d’elle, l’air terrifié du blondinet semblait indiquer que lui non plus ne s’était pas attendu à pareille réaction.

Son grand frère décida d’intervenir. Contrairement au plus jeune fils de Thormod, il avait déjà eu l’occasion de côtoyer Freydis.

— Du calme. Ce n’était pas de toi qu’il parlait. Hein, Bard ?

Bard approuva d’un petit couinement, mais ce n’était clairement pas le bon jour pour faire face à Freydis. Non pas qu’il existait de bons jours pour cela.

— Ce n’était pas à toi que je parlais non plus, Jorund. Mais si tu veux aussi faire connaissance avec Blodsugare, ça peut s’arranger.

Gunnbjörn ne savait pas quoi faire. D’un côté, il avait envie de soutenir Freydis, d’autant plus qu’à la base, c’était Siv qui avait été insultée ; de l’autre, il lui semblait qu’engager un combat à mort avec des fils d’un jarl avec lequel les relations étaient déjà moyennes n’était pas la meilleure manière d’entamer cette assemblée du thing.

— Hé ? Est-ce que quelqu’un pourrait m’aider ?

Tous les regards se tournèrent vers Siv. Elle avait détaché la remorque, et entreprenait de la tirer dans les écuries. Lorsqu’elle était vide, c’était une lourde tâche pour quelqu’un de solidement bâti. Comme, pour l’heure, la remorque supportait également le poids d’un destrier recouvert d’une bâche blanche, et que Siv ne faisait pas partie des personnes les plus musclées du village, il était évident qu’elle ne pourrait accomplir cette tâche seule.

Gunnbjörn sauta sur l’occasion pour éviter un bain de sang.

— Allez, viens, fit-il à Freydis. On a du boulot.

La guerrière jeta un dernier regard à Bard, puis abaissa sa hache et alla aider à pousser la remorque.

— Je pense qu’il vaudrait mieux fermer les portes, commenta Siv à voix basse tandis qu’ils entraient dans l’écurie.

Le bâtiment était muni de deux lourdes portes battantes en bois qui, d’ordinaire, restaient toujours ouvertes. Étant donné les circonstances, Gunnbjörn jugea qu’il était effectivement préférable d’avoir un peu d’intimité, et alla les repousser avant de placer l’épaisse barre de bois qui permettait de les maintenir verrouillées.

— C’est qui, ce gars ? demanda Freydis.

— Bard, fils de Thormod.

— Oh. C’est pour ça que Jorund est venu se mêler de l’affaire.

Elle ne semblait pas spécialement affectée par l’altercation.

— Merci, fit Siv.

Freydis se tourna vers elle avec un regard interrogateur.

— De m’avoir défendue.

— Je croyais qu’il parlait de moi, répliqua Freydis, confirmant la suspicion de Gunnbjörn.

Il y eut un moment de silence, aussi le guerrier se dit qu’il pouvait demander tout de suite :

— Ça s’est bien passé ?

— Oh, oui. Mis à part que ton abominable…

Elle se tourna vers Siv, cherchant un mot désobligeant pour la désigner.

— … poulpe, finit-elle par choisir, m’a cassé les oreilles avec ses élucubrations perverses, mais, tu me connais, je suis un océan de tolérance.

Il y eut un nouveau moment de silence tandis que Siv levait les yeux au ciel et que Gunnbjörn terminait d’analyser ce qu’il avait entendu.

— « Poulpe » ? demanda-t-il, un peu incrédule.

— Une sorte de serpent monstrueux venu des profondeurs, expliqua Freydis.

— Si j’étais véritablement perverse, nota Siv, je demanderai bien en quoi un poulpe est une sorte de serpent.

— Il a des appendices serpentins, répliqua Freydis. Et je voulais faire court. Pas ma meilleure métaphore, je dois l’admettre.

— Et, pour compléter, ajouta Siv, je tiens à préciser que mes « élucubrations perverses » ne consistaient qu’à suggérer des méthodes pratiques de transporter cet engin.

Elle tira le drap qui recouvrait le défunt destrier de Lotar. Gunnbjörn ne comprenait pas trop l’objectif de le ramener : d’ordinaire, à la mort de leur maitre, on laissait les machines retourner à la terre.

De son côté, Freydis poussa un soupir.

— Par les dieux, j’ai trop entendu cette langue de vipère argumenter avec moi. Bref. Après, on a examiné un peu les corps des marcheurs, et on a cherché à voir d’où ils pouvaient bien venir. On a suivi leur traces un moment. Ils ne venaient pas du sud.

Elle s’arrêta un instant, pour faire planer le suspens.

— Ils venaient du nord, asséna-t-elle. Des montagnes du Niflheim.

Si Freydis espérait une réaction de Gunnbjörn, elle en fut pour ses frais. Celui-ci enregistra l’information en silence. Ça n’avait pas de sens. Il n’y avait pour ainsi dire rien dans ces montagnes gelées. Et les marcheurs étaient originaires du sud. Ils auraient dû faire un détour considérable pour passer par ces montagnes, et auraient, par conséquent, dû avoir des corps beaucoup plus décomposés.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda-t-il.

— On a remonté leur piste assez loin. C’était la direction.

— Et ils avaient des traces d’engelures, ajouta Siv. Ils avaient été dans des endroits glaciaux.

Freydis poussa un soupir dédaigneux.

— Apparemment, ta vipère asgardienne n’est pas juste experte des destriers, mais a aussi des connaissances médicales.

— Il me semblait pourtant que vous étiez d’accord sur le constat ? protesta Siv.

— Oui, admit Freydis, ils venaient du froid. T’aurais juste pu me laisser le dire.

Gunnbjörn leva la main, espérant interrompre cette chamaillerie qui ne lui semblait pas exactement le plus important.

— Je ne sais pas quoi conclure de tout ça.

— Peut-être que si on doit vraiment faire une expédition, on ferait mieux de la faire là-bas ? suggéra Freydis.

Gunnbjörn secoua la tête, et raconta brièvement le résultat de sa discussion avec Harald.

— Donc, à moins qu’il n’y ait au Niflheim une « relique » qui intéresse Ragnar, je pense que l’expédition se fera vers le Levant.

— Pour être honnête, admit Freydis, je m’y attendais un peu. Tant pis. Je crois que j’ai besoin de boire et éventuellement d’une bonne rixe avec des trous du cul.

Elle avait un large sourire en sortant sa dernière phrase, et commençait à se diriger vers la porte. Gunnbjörn jugea bon de calmer un peu ses ardeurs belliqueuses.

— Ne cède pas aux provocations du clan Thormod. Je suis sûr qu’ils n’attendent que ça, histoire d’avoir une bonne raison de relancer une guerre intestine.

Freydis se gratta le visage, l’air songeuse.

— Peut-être qu’on devrait leur donner exactement ce qu’ils veulent.

Gunnbjörn poussa un soupir.

— Quand je pense que, tout à l’heure, je me faisais la réflexion que tu avais muri et que tu savais maintenant faire preuve de sagesse.

Freydis éclata de rire.

— Je ne sais pas pourquoi tu t’es imaginé un truc pareil.

Elle partit, laissant Gunnbjörn et Siv en tête à tête.

— De mon côté, annonça cette dernière, je crois que je préfèrerais autant me tenir à l’écart de la fête, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Non, répondit Gunnbjörn. Fais comme tu veux.

Pour être honnête, il pensait que c’était mieux comme cela, même s’il se retint de le dire, parce que la jeune femme n’aurait pas avoir à rester à l’écart juste à cause de ce qu’elle était.

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Published on November 04, 2022 09:35

July 23, 2022

Déviances vikings, chapitre 3

Déviances vikings est une novella de fantasy avec de l’action, des sentiments et des cornes de brume. Vous pouvez dès maintenant lire le texte intégral en version numérique à prix libre ou commander le livre papier pour 7€ ici. Les huit chapitres composant ce récit seront également publiés progressivement en accès libre. Voici le troisième.

Déviances vikings, chapitre 4Déviances vikings, chapitre 3Déviances vikings, chapitre 2Déviances vikings, chapitre 1Festival des IntergalactiquesVoter Le Pen, c’est être racisteLa mise en page dans les dialogues et ses implicationsRéflexions sur les enjeux dans un romanBilan auto-édition 2021Fédération FediverseNouveau site et, surtout, nouveau modèle de NFTsTravaux en cours…Bonjour tout le monde !12345613»Chapitre 3

Lorsqu’elle entendit Gunnbjörn actionner sa corne de brume, Freydis sut tout de suite que quelque chose n’allait pas, et s’empressa de bifurquer pour mener le petit groupe de chevaucheurs un peu plus loin de la meute. Là, elle fit demi-tour pour examiner la situation et sentit son cœur se serrer. Deux hommes avaient chuté, et Gunnbjörn essayait désespérément de les protéger.

Si ce dernier avait pris la décision de s’écarter pour aviser avant de décider quoi faire, Freydis se serait également accordé quelques instants pour réfléchir à la situation. À la place, elle lança un cri de guerre et accéléra vers la meute, aussi fort que son destrier le pouvait.

Tandis qu’elle chargeait, elle sut, en son for intérieur, que c’était une mauvaise décision. Gunnbjörn lui avait appris à réfléchir avant d’agir, et à ne pas risquer la vie de tout un groupe sous le coup de l’émotion. Sauf que, là, tout de suite, Gunnbjörn était en danger et allait mourir si elle ne faisait rien.

Alors qu’elle approchait de la meute de marcheurs, sans être entièrement sure que ses hommes la suivaient vraiment, elle vit Gunnbjörn tomber, renversé par le bond d’un marcheur.

Freydis leva sa hache et, même si elle n’y accordait pas beaucoup de crédit, elle pria tout de même les dieux de leur accorder leur protection.

***

Gunnbjörn roula à terre et mit quelques instants à reprendre ses esprits. Il n’était pas exactement sûr de ce qu’il s’était passé, mais il était clair qu’il était maintenant au sol et avait perdu son marteau dans sa chute. Pour ne rien arranger, il était évidemment encerclé de marcheurs. Heureusement, il lui restait ses deux petites haches qu’il utilisait d’ordinaire comme armes de jet, mais dont il décida, vu le nombre de ses adversaires, de les garder en main.

Il eut à peine le temps de se remettre à genoux avant d’encaisser l’assaut de ses premiers assaillants. Il parvint à planter une hache dans la tête d’un marcheur aux yeux rouges et à la peau décharnée qui lui faisait face, mais des bras l’enserraient déjà et entravaient ses mouvements. Il sentit une tête approcher de son cou et, craignant une morsure, donna un violent coup de coude, parvenant à se dégager temporairement. Il en profita pour donner un nouveau coup de hache sans trop prendre le temps de viser : vu la densité de ses opposants, il n’avait pas besoin de le faire. Malheureusement, d’autres corps dans son dos lui bloquèrent rapidement les bras. Dans un geste quelque peu désespéré, il se jeta violemment en arrière pour les écraser de son poids, et parvint ensuite à rouler sur la droite, à nouveau plus ou moins libre du mouvement de ses mains.

Cependant, il était allongé sur le dos et encerclé de marcheurs décharnés. Il réalisa qu’il avait également perdu une de ses haches à un moment, mais se servit immédiatement de la seconde pour écarter, si possible définitivement, un des monstres qui se tenait à sa gauche et se faisait particulièrement menaçant. Cela n’était malheureusement pas suffisant pour lui ouvrir un espace, et il se retrouva rapidement écrasé sous le poids des marcheurs qui se jetaient sur lui.

Gunnbjörn poussa un cri de douleur étouffé en sentant une morsure à la jambe, même si elle était atténuée par son pantalon épais. Saloperies. Devant lui, il ne voyait que le crâne aux yeux rouges qui s’approchait du sien. Il n’avait plus de cheveux, s’il en avait eu un jour, et des morceaux de sa peau manquaient par endroits, laissant apercevoir une ossature d’un gris métallisé.

La chose attrapa son visage avec ses mains. Gunnbjörn sentit alors toute son énergie disparaitre. Impuissant, incapable de bouger, il ne pouvait quitter des yeux ceux de la créature. Sa vision devint flou, et bientôt il ne voyait plus que ce rouge incandescent, comme une lumière qui le guidait vers l’autre monde.

Et puis, cela cessa. Gunnbjörn ne vit plus ce rouge omniprésent et, l’espace d’un instant, ne comprit pas ce qu’il se passait. Puis il vit le crâne fendu en deux, et la lourde hache de Freydis remonter et frapper à nouveau, encore et encore.

Il fallut quelques instants au guerrier pour reprendre ses esprits et, lorsqu’il parvint enfin à se redresser un peu, il constata que plus aucun marcheur ne bougeait autour de lui. Il n’y avait plus que des cadavres inanimés, parfois mutilés jusqu’à dévoiler des corps qui n’avaient rien d’humain, et assez peu de sang étant donné le carnage. Les marcheurs ne saignaient pas beaucoup.

Freydis et les autres chevaucheurs étaient déjà repartis, pourchassant le reste de la meute. Gunnbjörn se releva douloureusement, vérifia qu’aucun marcheur ne bougeait encore autour de lui, et boita vers Akim. Il faudrait qu’il examine la blessure à sa jambe, mais ce n’était pas sa priorité.

— Akim ? demanda-t-il. Tu es vivant ?

Le jeune homme, dont la jambe était toujours coincée par le destrier, poussa un grognement.

— Je ne sais pas. Je pense ? 

Gunnbjörn poussa un soupir de soulagement.

— Et Lotar ? demanda Akim.

C’était donc bien lui qui était tombé juste devant lui.

— Je ne sais pas.

Il n’était pas très optimiste. Il avait déjà du mal à comprendre comment Akim et lui avaient pu en réchapper.

— Laisse-moi t’aider.

Il commença par redresser le destrier qui était couché sur la jambe du jeune homme. L’engin était lourd, mais, malgré la débâcle, Gunnbjörn avait suffisamment de force pour pouvoir le faire sans trop de difficulté.

— Quel grand guerrier je fais, hein ? railla Akim.

Avant que Gunnbjörn ne puisse l’en empêcher, il essaya ensuite de se remettre debout, mais poussa un cri de douleur et s’affaissa de nouveau par terre.

— Chiotte. Je crois qu’elle est cassée.

Gunnbjörn fit la grimace. Cela dit, c’était déjà un miracle que le jeune homme soit toujours vivant.

— Je peux te laisser un moment ? demanda-t-il. Je vais voir l’état de Lotar.

Il s’écarta, laissant Akim assis à côté de son destrier. Il chercha un moment où avait chuté le guerrier: il eut du mal à retrouver la monture qui était tombée, parce qu’il y avait plus de distance qu’il ne l’avait cru. Il eut encore plus de difficultés à trouver Lotar. Il y avait trop de corps inanimés, sur lesquels des corbeaux avaient déjà commencé à se poser.

— Lotar ? cria Gunnbjörn. Lotar !

— Il est mort. On a retrouvé son corps plus loin. Ou ce qu’il en restait.

Gunnbjörn se tourna vers Freydis. Il ne l’avait pas entendu venir. Elle était maintenant à pied, et avait également retiré son casque. Son visage affichait une profonde lassitude, et ses vêtements étaient tachés de sang.

— Merde, fit Gunnbjörn. On a eu d’autres pertes ?

— Pas d’autres morts, non. Je ne sais pas comment, cela dit.

Gunnbjörn poussa un soupir, et retira son casque à son tour. En dehors de Freydis, il n’y avait personne de proche d’eux : les autres hommes continuaient à marcher ou à rouler au milieu des non-vivants, pour vérifier qu’aucun n’allait se relever.

Gunnbjörn n’était pas exactement le genre d’homme qui montrait beaucoup ses sentiments, et il se permettait encore moins de le faire sur le champ de bataille. Mais, seul face à Freydis, il ne se força au moins pas à cacher sa mine lugubre.

— C’est ma faute, soupira-t-il. Je n’aurais pas dû lancer l’attaque.

La guerrière lui fit un haussement d’épaules.

— Ils étaient plus forts que d’habitude.

Gunnbjörn s’attendait à ce qu’elle lui dise que ce n’était pas le moment de s’auto-apitoyer ; pas à cette réponse.

Freydis ramassa une pierre et la jeta vers un des corbeaux aux yeux rouges qui les regardaient au milieu du carnage.

— Vous êtes contents ? cria-t-elle aux Dieux. Vous pouvez profiter du festin ?

— Tu veux dire quoi, par « plus forts que d’habitude » ?

Freydis, qui scrutait les alentours à la recherche d’un autre corvidé sur lequel passer sa colère, se retourna avec un air surpris et mit quelques secondes à se rappeler de ce qu’elle avait dit avant cet accès de violence gratuite.

— Ce n’était qu’une vague impression que j’avais, expliqua-t-elle. Mais regarde.

Elle retourna le cadavre du marcheur le plus proche. Celui-ci avait la même allure que tous les autres que Gunnbjörn avait pu voir : vêtu de haillons, pieds nus, une calvitie marquée, et des bouts de peau manquants, dévoilant une ossature métallique, d’autant plus saillante là où son crâne avait été fendu.

— D’accord, ce n’est pas le plus frais, admit la guerrière. Mais quand même, aussi loin dans le nord, à cette période ?

Gunnbjörn devait l’admettre, il avait vu des marcheurs plus mal en point. Certains en étaient même réduits à l’état de squelettes gris, animés par une énergie démoniaque.

L’état d’un seul marcheur ne voulait pas dire grand-chose ; mais Freydis avait l’air d’en avoir examiné un certain nombre.

— Il faut annuler l’expédition, annonça la guerrière.

Gunnbjörn secoua la tête.

— Tu sais que ça n’arrivera pas.

— Fais en sorte que ça arrive. Harald t’écoute.

Elle le regardait avec un air sérieux. Quelque chose qui était récent, chez elle. Elle avait changé, depuis l’expédition de l’an dernier. La femme fougueuse, prompte à prouver son courage et sa valeur, avait muri.

Lui-même était passé par le même chemin, mais il lui avait fallu plus d’années. Et, s’il doutait de la pertinence de lancer une expédition vers le Levant, d’autant plus dans ces circonstances, il était encore moins sûr de pouvoir convaincre ses pairs d’y renoncer.

— Je vais faire ce que je peux, finit-il tout de même par dire. Mais je ne garantis rien.

***

Après avoir recousu un pantalon et une robe à la ferme, Siv décida de retourner aux écuries. Après tout, personne ne lui avait confié de tâche particulière à faire et il était assez probable qu’Oddfred ait quitté les lieux après le départ des chevaucheurs. Elle pourrait ainsi trouver de quoi occuper son esprit en attendant le retour des guerriers.

Le rapport du village aux destriers était quelque chose d’assez étonnant. D’un côté, ces machines étaient cruciales pour la défense ou la guerre, de l’autre, elles étaient considérées comme un cadeau des dieux auquel il ne fallait pas trop toucher. Les machines vivaient leur propre vie, animées par une force mystérieuse au sujet de laquelle il valait mieux ne pas poser trop de questions. Les machines existaient. Elles — ou les dieux, ou une autre force mystérieuse — choisissaient leur maitre et seul celui-ci pouvait les contrôler.

On pouvait éventuellement en changer un morceau lorsque celui-ci était trop abimé et si on en trouvait un équivalent dans la nature mais c’était, jusqu’à l’arrivée de Siv, tout ce à quoi on se permettait de toucher.

Siv avait l’impression de comprendre ces machines. Elle ne savait pas pourquoi, ne se souvenait pas comment elle avait appris les choses qu’elle savait, et pouvait juste supposer que cela datait de la vie d’avant son exil d’Asgard, dont les souvenirs restaient on ne peut plus flous, voire douloureux. Non pas à cause de leur tristesse — même si elle avait son quota de souvenirs pénibles — mais parce qu’elle ressentait un début de migraine lorsqu’elle essayait trop fortement de se rappeler de choses trop spécifiques.

C’était à la fois grâce à ces connaissances qu’elle avait été relativement acceptée par une partie du village, malgré ses autres spécificités, parce qu’elle pouvait clairement se rendre utile, en tout cas plus qu’Oddfred. Mais cela participait à sa mise à l’écart : avoir ce genre de connaissances était suspect, et vouloir trop toucher à ces machines divines s’approchait du blasphème. Freydis avait été la plus explicite pour lui faire comprendre à quel point ses travaux, même mineurs, relevaient d’une abomination.

Par conséquent, elle préférait faire profil bas autant qu’elle le pouvait, même si c’était difficile. Elle n’avait pas pu s’empêcher de proposer son idée de monter des cornes de brume sur les destriers de Gunnbjörn et Freydis, pour améliorer leur coordination, mais ce n’était qu’une modification mineure et sans conséquence.

Elle préférait cependant garder secret ce sur quoi elle travaillait. Il n’y avait, en soi, rien de bien sorcier : elle se contentait de couper des bouts de bois et de les attacher comme elle pouvait sur la vieille roue métallique d’un destrier. L’idée était triviale : les destriers avaient des roues, qui pouvaient tourner avec une force mystérieuse. Les moulins avaient des roues aussi. En modifiant la roue d’un destrier pour retirer le pneu et y ajouter à la place de quoi la faire approcher d’une roue à aube, il lui semblait que cela ouvrait des possibilités d’utiliser l’énergie asgardienne à d’autres fins que le déplacement.

C’était juste de l’artisanat. Elle ne s’était pas aventurée à fouiller dans les vraies entrailles d’un destrier, étant à peu près certaine des réactions que cela pourrait provoquer. Elle était moins sure de celles que pourraient causer son petit bricolage, mais, dans le doute, elle préférait le garder caché du plus grand nombre pour l’instant.

Heureusement, le bon côté de l’ignorance forcenée de la plupart des gens sur ces machines, c’est que personne ne savait vraiment ce qu’elle fabriquait. Même Gunnbjörn, depuis qu’il était convaincu de sa compétence dans le domaine, ne s’intéressait que de très loin à ce qu’elle pouvait bricoler sur sa machine, et pas du tout à ce qu’elle faisait de vieilles pièces inutilisées.

Le plus gros risque aurait dû être Oddfred, qui s’était, jusqu’ici, occupé des destriers et trainait le plus dans les écuries ; mais même lui ne s’aventurait que très rarement dans son coin à elle, à part pour lui rappeler occasionnellement qu’elle n’était qu’un monstre qui n’avait pas sa place dans le village. Il évitait en général de trop regarder ce que la jeune femme faisait avec la mécanique, parce que cela lui montrait beaucoup trop pourquoi, justement, elle avait ce semblant de place dans le village.

C’est pourquoi, même si c’était en théorie un lieu plus public, Siv préférait effectuer ses petites expérimentations privées dans les écuries. De fait, tant que c’était ici, elle était libre de faire pratiquement ce qu’elle voulait, personne ne s’aventurait à y regarder de trop près.

Sauf Freydis. Si, au premier abord, la femme avait l’air d’être un peu bourrue et portée sur la bagarre, et que c’était d’ailleurs toujours vrai au second abord, elle pouvait également se montrer d’une perspicacité redoutable lorsqu’elle le souhaitait. Siv ne savait pas trop si c’était parce qu’elle s’intéressait particulièrement à elle ou si la guerrière était toujours aussi vigilante, mais il était clair que ses petites manigances n’étaient pas passées totalement inaperçues.

***

Malgré la mort de Lotar, dont il avait placé le corps derrière lui pour le ramener, comme pour lui offrir une dernière chevauchée, Gunnbjörn trouvait l’humeur de ses hommes étonnamment joyeuse. Ils avaient mené une bataille, et ils en étaient sortis victorieux. Le fait que cette victoire ne leur ait techniquement rien rapporté, mis à part le décès d’un homme et des blessures à d’autres, cela semblait leur passer au-dessus de la tête.

À une époque, il avait été comme ça. Connaitre une mort glorieuse sur le champ de bataille, l’arme à la main, était après tout la meilleure chose qui pouvait arriver à un homme, et la montée d’adrénaline que procurait la montée au combat valait bien les douleurs que celui-ci apportait.

Akim avait insisté pour chevaucher son destrier malgré sa jambe cassée. Il était hors de question pour lui de laisser sa monture seule. Là encore, Gunnbjörn avait été pareil, et son père avant lui. Ce dernier avait même continué à chevaucher après avoir perdu sa jambe.

Lorsqu’ils arrivèrent sur la place du village, un certain nombre d’habitants s’étaient réunis en les entendant arriver. Gunnbjörn ne fut pas surpris de voir que Siv était déjà là. Il y avait aussi Harald et Gunnvald, ainsi que quelques guerriers qui devaient sans doute se demander si on allait avoir besoin de leur aide ou pas.

Au moins, Gunnbjörn ne voyait personne de la famille de Lotar. Ça permettrait peut-être de remettre cette épreuve à plus tard. Et, en tout cas, de présenter le corps un peu plus dignement.

Il dut d’ailleurs prendre des précautions en descendant de sa monture, bientôt aidé par Freydis qui avait mis pied à terre avant lui. Ensemble, ils allongèrent le corps de Lotar au sol. Autour d’eux, les gens gardèrent un silence respectueux pendant un moment.

— Alors, on en est où ? demanda finalement Harald.

Il y avait un temps pour le recueillement, mais le jarl avait évidemment besoin de savoir si la menace avait été éliminée, ou si un danger planait toujours sur le village. Gunnbjörn lui exposa la situation sommairement, tandis que, de son côté, Siv aidait Akim à descendre de son destrier et à s’assoir sur un banc.

— D’accord, fit Harald. Je suis désolé pour Lotar, mais vous avez fait du bon boulot.

Gunnbjörn avait envie de crier qu’il n’avait pas fait « du bon boulot ». Lotar était mort, Akim ne pouvait plus marcher. Mais, à la place, il se contenta de hocher la tête.

— Je vais retourner chercher son destrier, annonça Freydis.

Gunnbjörn se tourna vers elle, surpris. Il ne voyait pas pourquoi. Maintenant que Lotar était mort, la machine ne servirait plus à rien, et l’usage était d’habitude de laisser la monture d’un défunt là où elle était tombée pour qu’elle retourne à la terre.

— J’aimerais aussi examiner un peu plus ces marcheurs, ajouta la guerrière.

Gunnbjörn haussa les épaules. Il n’était pas persuadé que cela soit utile, mais la zone semblait maintenant hors de danger, et Freydis était capable d’assurer ses arrières.

— Fais comme tu veux.

— J’aurais besoin de ta vipère, ajouta Freydis.

Gunnbjörn resta coi quelques instants, d’abord parce qu’il lui fallut un petit moment pour comprendre qu’elle parlait de Siv, ensuite parce qu’elle ne voyait pas pourquoi elle aurait besoin d’elle, et enfin parce qu’il était assez réticent à laisser les deux femmes seules au vu de leurs dernières interactions.

Siv, de son côté, avait levé un œil, intriguée.

— On pourrait échanger un mot en privé ? demanda Gunnbjörn.

Freydis le suivit un peu à l’écart, tandis que le vieux Ingemar avait été appelé pour s’occuper de la jambe d’Akim.

— Pourquoi tu as besoin d’elle ? demanda Gunnbjörn.

La femme le gratifia de son sourire taquin habituel.

— Quoi de mieux qu’une abomination pour examiner des abominations ? demanda-t-elle.

Gnunbjörn poussa un soupir.

— Aussi, ajouta Freydis, c’est la seule qui y comprend vaguement quelque chose à ces machines. Pas idiot de l’avoir sur place si, pour une raison ou une autre, on ne peut en ramener qu’un morceau, hein ?

Il devait admettre que cet argument lui semblait plus pertinent que le premier. Cependant, il n’était pas entièrement rassuré. Il décida de poser la question directement :

— Est-ce qu’il va y avoir un problème, avec vous deux ?

Freydis lui refit son sourire narquois.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— J’ai cru remarquer quelques tensions entre vous.

— Des tensions ? demanda Freydis avec un air innocent qui ne la faisait pas le moins du monde paraitre innocente. Tu parles de quoi ?

Gunnbjörn poussa un soupir. Il appréciait Freydis et la trouvait, surtout ces derniers temps, étonnamment raisonnable et de bon conseil. Mais, parfois, elle savait lui rappeler qu’elle pouvait aussi être une fichue tête de mule.

— Le fait que tu la traites de vipère ou d’abomination, au hasard ?

— On a des rapports cordiaux.

— Cordiaux ? Vraiment ?

— J’ai ma propre vision de la cordialité. Écoute, Gunn, ça va aller, d’accord ? Va parler avec Harald, je m’occupe de ça. Et fais examiner ta blessure.

Gunnbjörn leva les yeux au ciel.

— J’aimerais juste qu’elle revienne en un seul morceau.

— Je ne compte pas décharger ce destrier toute seule.

Il estima qu’il ne tirerait rien de plus d’elle, et décida que la seule chose qu’il pouvait faire était de demander à Siv si elle était d’accord pour ce petit aller-retour. Lorsqu’il s’approcha d’elle et lui demanda, elle ne parut pas s’inquiéter de la façon dont Freydis allait la traiter :

— J’ai toujours eu envie d’examiner ces marcheurs de près, fut la seule chose qu’elle lui dit.

Gunnbjörn estima qu’il n’avait qu’à laisser les deux femmes régler leurs problèmes entre elles, en espérant qu’il ne le regretterait pas. Il les regarda quelques instants arrimer une charrette au destrier de Freydis pour pouvoir transporter la monture de Lotar, puis il se dirigea vers Gunnvald et Harald.

— Il faut qu’on parle de tout ça, leur annonça-t-il.

— Il faut que tu fasses examiner cette blessure d’abord, lui dit son père.

Le guerrier ne put réprimer un soupir d’exaspération. À son âge, il était encore condamné à subir ce genre de réflexions paternelles.

— Tu ne voudrais pas perdre ta jambe, ajouta Gunnvald avec un sourire espiègle.

— Et je dois annoncer la mort de Lotar à sa famille, ajouta Harald. Soigne ta jambe, et on parle après.

Gunnbjörn devait admettre que la discussion n’était pas non plus d’une urgence absolue, et qu’il était temps de désinfecter sa morsure. Certes, grâce à son pantalon, la blessure n’était que relativement superficielle, mais cela n’empêchait pas qu’il valait mieux empêcher que ça empire.

Il alla donc voir Ingemar, qui en avait terminé avec Akim et lui fit signe de l’accompagner dans sa maison. Lorsque Gunnbjörn retira son pantalon et que le vieil homme commença a l’enduire d’un onguent puant, celui-ci commenta :

— Tu as eu de la chance de ne pas mourir, avec une morsure pareille.

— Oh, arrête, railla le guerrier. Tu sais bien que l’effet de leurs morsures n’est qu’un mythe.

— Oui, admit Ingemar. Mais à cet endroit, je me permets de supposer que le marcheur n’était pas seul et que tu n’étais pas en très bonne position.

— Non, admit Gunnbjörn. Sans l’intervention de Freydis, je serais mort.

— Cette petite a bien grandi.

Gunnbjörn se demanda un instant si cette phrase voulait dire qu’elle avait beaucoup grandi, ou qu’elle avait grandi pour devenir quelqu’un de bien, mais décida que ce n’était pas ce qui le préoccupait le plus.

— Elle trouvait que ces marcheurs-ci étaient plus agressifs que d’habitude. Moins… décomposés…

— Ah, fit Ingemar.

— Tu y crois ? demanda-t-il.

Le vieil homme termina son pansement en secouant la tête.

— J’ai déjà bien du mal à comprendre comment fonctionnent les vivants, alors ces créatures ? Ne m’en demande pas trop.

— Hum.

Comme il en avait fini, le vieil homme lui fit un petit sourire.

— Ce que je comprends, cela dit, c’est que sortis des terres interdites, les marcheurs ont besoin de se nourrir de nous, de notre énergie, pour subsister. Sans ça, ils dépérissent lentement.

Il traça un petit cercle à la main sur le sol en terre.

— Ils viennent des terres interdites. Fossarjavik se situe là, au nord.

Il dessina une petite croix au sol.

— Entre les deux, il y a plusieurs chemins possibles. Des montagnes, des forêts, des plaines, des rivières.

Il dessina une sorte d’ondulation pour illustrer ses propos.

— Les marcheurs qui arrivent jusqu’à nous, évidemment, c’est ceux qui n’ont pas été éliminés par d’autres. Au mur d’Einar, ils en massacrent un grand nombre.

Gunnbjörn hocha la tête. Le Mur bloquait la principale voie d’accès venant des terres interdites, et empêchait la plupart des marcheurs de venir dans le nord.

— En général, reprit Ingemar, ceux qu’on voit n’ont croisé personne, à part peut-être une âme en peine qui avait le malheur de voyager seule, et ont erré jusqu’ici. Cependant, si, en chemin, ils ont pu s’en prendre à un village mal défendu…

Gunnbjörn fixa le dessin d’Ingemar avec un air grave, quand bien même le dessin en question n’apportait en réalité pas grand-chose aux explications.

— Donc, résuma-t-il, ils étaient plus forts parce qu’ils avaient réussi à tuer des gens.

— C’est une hypothèse, tempéra Ingemar. Une alternative, c’est que l’être humain aime chercher une raison à un revers de fortune. Peut-être juste que vous n’avez pas eu de chance, et que Freydis a du mal à accepter que ça arrive.

Gunnbjörn devait admettre que cela restait une possibilité. Peut-être que la mort de Lotar l’avait plus secouée qu’il ne l’avait perçu. Cela dit, dans le doute, il préférait prendre cela au sérieux.

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Published on July 23, 2022 02:16

June 27, 2022

Déviances vikings, chapitre 2

Déviances vikings est une novella de fantasy avec de l’action, des sentiments et des cornes de brume. Vous pouvez dès maintenant lire le texte intégral en version numérique à prix libre ou commander le livre papier pour 7€ ici. Les huit chapitres composant ce récit seront également publiés progressivement en accès libre. Voici le second.

Déviances vikings, chapitre 4Déviances vikings, chapitre 3Déviances vikings, chapitre 2Déviances vikings, chapitre 1Festival des IntergalactiquesVoter Le Pen, c’est être racisteLa mise en page dans les dialogues et ses implicationsRéflexions sur les enjeux dans un romanBilan auto-édition 2021Fédération FediverseNouveau site et, surtout, nouveau modèle de NFTsTravaux en cours…Bonjour tout le monde !12345613»

Chapitre 2

Ils trottinèrent jusqu’à Kirkjubær. Heureusement, au retour, il s’agissait essentiellement de descente, et Siv n’avait pas de mal à suivre Gunnbjörn, d’autant plus que celui-ci portait le sanglier sur ses épaules. Il avait hésité à abandonner l’animal aux rapaces, mais ce n’était pas quelques non-vivants qui allaient l’empêcher d’avoir de la viande à se mettre sous la dent.

Lorsqu’ils approchèrent du village, ils s’arrêtèrent quelques instants devant la ferme de Gunnbjörn, qui se trouvait sur leur chemin, à la périphérie de Kirkjubær.

Le guerrier lâcha son sanglier, et jeta un regard à Siv.

— Tu sais ce que tu dois faire ?

— Sire ! s’exclama simplement celle-ci, dans une parodie de salut militaire.

— Bien. On se retrouve aux écuries. Fenrir, reste ici.

Tandis que Siv tenait le chien pour qu’il ne le suive pas, Gunnbjörn se remit en route vers le centre du village, alpaguant les quelques personnes qu’il croisait.

— Alerte ! se bornait-il à répéter.

Il fut bientôt aidé par le son d’une corne de brume qui relaya sa parole de manière plus efficace. Lorsqu’il arriva devant la demeure du jarl, il y avait déjà une petite foule qui était réunie. Parfait. Cela permettrait de gagner du temps.

Gunnbjörn baissa la tête et s’adressa à Harald, le jarl, qui se trouvait au centre de l’assemblée. L’homme avait soixante-dix ans, mais restait robuste. Il avait des cheveux courts et blancs et un visage dur et couturé de cicatrices que venait nuancer un regard malicieux.

— Siv a vu des marcheurs du haut de la montagne, expliqua le guerrier.

Il jugea bon de mettre en avant le rôle de sa servante. Celle-ci restait mal acceptée dans le village, aussi souligner son importance dans sa défense ne pouvait pas faire de mal.

— Ils viennent vers nous ? demanda Harald.

— Dur à dire. Je crains surtout pour le village d’Apal.

Harald approuva d’un petit hochement de tête.

— Prends quelques chevaucheurs, et allez les intercepter. S’ils sont trop nombreux, tâchez de les attirer par ici. Le reste des hommes s’occupera d’eux.

C’était la solution qui semblait évidente à Gunnbjörn. Il était soulagé que ce soit aussi celle retenue par le jarl, et de ne pas avoir à argumenter face à celui-ci. Il se contenta de baisser la tête, puis leva un poing et hurla :

— Chevaucheurs, avec moi !

Il se dirigea ensuite vers les écuries, suivi par une poignée d’hommes. Akim, qui était parmi eux, s’en détacha et vint trottiner pour se placer à côté de lui.

— J’en déduis que la partie de chasse ne s’est pas déroulée comme prévu ? demanda le jeune homme.

— Siv a réussi à tuer un sanglier.

— Tu espères toujours en faire une guerrière, hein ?

Gunnbjörn ne répondit pas. Il n’était pas d’humeur à discuter des projets qu’il avait pour son apprentie.

— Vois les choses en face, reprit Akim. Ce n’est pas là qu’elle brille.

— Ça ne lui fera pas de mal de savoir se défendre, répliqua sèchement le guerrier.

Akim ne répondit pas.

— Je vais chercher mes armes, dit-il plutôt. Je te retrouve aux écuries.

Gunnbjörn lui fit un petit signe de tête tandis qu’il s’éloignait. À vrai dire, il aurait préféré qu’Akim reste en retrait, mais le jeune homme avait maintenant son destrier et brulait de l’étrenner au combat. Lui-même avait été jeune et pouvait le comprendre ; et peut-être qu’il aurait bien besoin d’un combattant en plus. Mais il craignait que le jeune homme ne soit blessé, ou pire. Il faudrait peut-être qu’il admette qu’il ne pouvait pas protéger tout le monde.

Il entra dans les écuries, suivi de trois autres guerriers. Ils n’étaient pas très nombreux, mais d’autres allaient peut-être encore les rejoindre, et dans tous les cas il faudrait bien que cela suffise. Au pire, ils se contenteraient de détourner la horde de marcheurs du village d’Apal.

Siv était déjà près de son destrier, et avait apporté ses armes et armures. Gunnbjörn retira sa veste et enfila à la place sa cuirasse noire. Celle-ci était faite en tissu d’Asgard, à la fois plus légère et plus résistante qu’une cotte de mailles ou une armure en métal. Comme Harald restait au village, du groupe, il serait le seul à bénéficier d’une telle protection.

Il enfila ensuite son casque, noir lui aussi, orné de deux petites cornes tournées vers l’avant, et munie d’une visière transparente qu’il ne rabaissa pas tout de suite. Pendant ce temps, Siv fixait son long marteau d’armes à son destrier.

Gunnbjörn prit quelques instants pour inspecter sa monture. Celle-ci était imposante : entièrement noire, ses deux roues étaient énormes ; sa selle était plutôt basse, mais les deux branches du guidon étaient suffisamment longues pour que cela ne soit pas inconfortable, bien au contraire. Il remarqua que Siv avait changé la poignée gauche, qui avait pris un coup de lame lors de la dernière bataille.

Pendant ce temps, il entendit dans son dos Freydis entrer. Plus exactement, il l’entendit lorsque la guerrière s’exclama d’une voix forte :

— Qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ? Encore des non-vivants à décapiter ?

Gunnbjörn se retourna et fit un petit signe de tête à la grande femme blonde. Il était soulagé de la voir : si elle était un peu plus jeune que lui, elle était plus expérimentée que les autres chevaucheurs et aurait eu le grade de lieutenant s’ils avaient été du genre à s’encombrer de grades.

— Hé, la vipère ! lança-t-elle à Siv. Pousse-toi de là, et ne t’avise pas de poser tes sales pattes sur mon destrier.

— Puis-je faire remarquer à votre seigneurie que les vipères n’ont pas de pattes ? demanda la servante avec un regard étonnamment défiant.

Loin de s’écarter, Siv s’était au contraire placée au milieu de sa route, et Freydis dut la bousculer pour accéder à sa machine. Gunnbjörn regarda la scène, interloqué. Si un certain nombre d’habitants du village s’étaient, depuis le début, montrés peu sympathiques envers Siv, depuis quelque temps, l’hostilité de Freydis devenait un problème. Plus étonnant, sa servante, qui faisait d’habitude le dos rond, avait commencé à lui répondre. Était-ce parce que Freydis était une femme, et qu’elle pensait qu’elle serait moins dangereuse ? Dans tous les cas, il faudrait peut-être qu’il calme la situation avant qu’elle ne s’envenime trop.

— Un de ces quatre, reprit Freydis, tu sais ce que je vais faire avec ta langue fourchue ?

— C’est vraiment le moment ? intervint Gunnbjörn.

Freydis fit tourner sa hache de combat à deux têtes avec un sourire carnassier.

— C’est une mise en jambes avant de passer aux choses sérieuses.

Elle s’attela ensuite à fixer son arme sur son destrier, et Gunnbjörn décida qu’il valait mieux laisser les choses là pour l’instant. Il se tourna vers Siv, qui était aussi retournée vérifier sa machine à lui. Il ne comprenait pas pourquoi la jeune femme cherchait à examiner ces mécanismes avec autant de précision, mais ça l’arrangeait bien de ne pas avoir à comprendre ni à tripatouiller tout ça lui-même, alors il la laissait faire.

— Quelque chose que je dois savoir ? lui demanda-t-il.

— Non, sire. Mais faites attention, je vous en conjure.

— Je fais toujours attention, répliqua-t-il avec un petit sourire satisfait.

Siv leva les yeux au ciel.

— Non, sire. Suite à votre dernière sortie, j’ai dû supplier le maitre forgeron de me fabriquer le matériel nécessaire à vos réparations.

Gunnbjörn entendit un éclat de rire derrière lui, et se retourna vers Akim, qui les rejoignait enfin, accompagné de quelques retardataires. Au moins, comme ceux-ci, il avait déjà enfilé son armure.

— Je parlerai à mon père. Il n’a sans doute pas idée de l’importance de ton travail.

Siv s’inclina respectueusement.

— Sire Akim.

Celui-ci répondit en s’inclinant de la même façon, un petit sourire aux lèvres.

— Miresse des destriers.

Siv rougit et fit un pas en arrière. Gunnbjörn ne put retenir un sourire, mais il était temps de passer aux choses sérieuses.

— Bien, tout le monde est prêt ?

Des cris enthousiastes lui répondirent. Il prit cela pour un oui, et monta sur son destrier. Il plaça sa main sur la poignée droite, et l’engin s’anima, émettant un vrombissement sourd.

Gunnbjörn jeta un coup d’œil aux alentours. Ils étaient maintenant une petite dizaine de chevaucheurs. Si les marcheurs n’étaient pas trop nombreux, cela devrait suffire.

— En avant ! s’écria-t-il avant de démarrer.

***

Siv regarda les fiers chevaucheurs partir, puis rangea un peu le matériel qui trainait. Dans les écuries, en dehors d’elle, il ne restait qu’Oddfred. Comme elle, il avait parfois la tâche de s’occuper des destriers. Et, comme souvent, il la regardait d’un air mauvais, peut-être parce qu’elle lui faisait concurrence.

— Pourquoi est-ce qu’il t’aime autant, hein ? demanda le jeune homme.

— Je ne sais pas, répondit Siv avec un haussement d’épaules.

— Est-ce que ça l’amuse, de trainer avec un monstre ? Est-ce que ça ne lui fait pas mal de te voir souiller son destrier ?

Siv s’imagina un instant en train d’attraper une de ces grosses clés qui lui servaient à démonter les roues des puissants engins asgardiens, mais elle prit sur elle pour garder un visage impassible.

— Je ne peux pas répondre au nom de mon seigneur. Vous devriez peut-être lui demander.

Bien sur, elle connaissait en partie la réponse. Si elle ne savait pas exactement — malgré quelques soupçons — pourquoi Gunnbjörn avait fait d’elle sa petite protégée, elle savait très bien pourquoi il la laissait s’occuper de son destrier. C’était, essentiellement, parce qu’elle le faisait bien, contrairement à cet idiot d’Oddfred incapable de comprendre à quoi servait la moitié des outils asgardiens.

Mais Siv ne pouvait pas répondre cela, aussi se contenta-t-elle de prendre congé en disant qu’elle devait retourner à la ferme s’occuper du sanglier.

Elle fit le chemin en portant la veste en cuir de son maitre et, lorsqu’elle entra dans la bâtisse de la famille de Gunnbjörn, elle eut la surprise de voir que le père de celui-ci avait déjà commencé à dépecer l’animal, assis par terre.

Gunnvald ressemblait assez à son fils, en plus âgé évidemment. Il avait de longs cheveux blancs et portait toujours la veste du clan même s’il n’avait plus combattu depuis des années. S’il ne lui avait pas manqué la jambe droite, Siv ne doutait pas que Gunnvald serait parti affronter les marcheurs avec son fils.

— Vous ne voulez pas que je m’en occupe, sire ? demanda la jeune femme.

Le vieil homme secoua la tête et tapota à côté de lui pour l’inviter à s’assoir.

— Ça me fait une occupation. Viens plutôt me raconter ce que c’était que tout ce tintouin.

Siv obéit, et lui parla des marcheurs qu’ils avaient vus dans la montagne.

— Hum, fit Gunnvald, l’air songeur.

— Je suis certaine que votre fils… commença Siv, mais elle fut interrompue.

— Oh, je ne m’en fais pas pour lui. Mais en cette saison, ils sont censés se tenir tranquilles, non ?

Siv ne répondit pas. Elle n’était pas au courant qu’il y avait une saisonnalité dans l’apparition des marcheurs.

— Il y a une assemblée du thing qui commence demain, reprit Gunnvald. Je ne doute pas qu’on décidera d’une nouvelle expédition qui mobilisera nos meilleurs hommes.

Siv hocha la tête. Avec la plupart des guerriers partis, cette incursion de marcheurs aurait pu prendre une tournure bien plus sinistre.

— Je n’avais pas pensé à ça, sire, admit-elle.

— Ce n’est pas ton rôle.

— Désolée, sire.

Lorsque Gunnbjörn l’avait recueillie, son père n’avait pas bien pris la chose. Siv n’avait pas eu tous les détails de la conversation, mais certains mots qu’elle avait pu entendre ainsi que le volume avec lequel ils avaient été prononcés indiquaient qu’elle avait été houleuse.

Depuis, les choses s’étaient aplanis, et Gunnvald se contentait en général d’ignorer la jeune femme. Ce n’était cependant pas le cas aujourd’hui, et elle ne savait pas sur quel pied danser avec lui.

— Arrête de t’excuser. Je voulais juste dire que j’espère que nos seigneurs, eux, penseront à ce genre de détails avant de vider les villages de tous ceux qui peuvent se battre.

Siv ne savait pas quoi répondre, ni quoi faire de ses mains, tandis que celles de Gunnvald s’agitaient pour découper des morceaux de chair du sanglier.

À côté d’elle, Gunnvald prit son inspiration, comme s’il allait dire quelque chose d’important. Siv se raidit, pleine d’appréhension, et le temps sembla se figer. Puis le vieil homme secoua la tête.

— Ah, fit-il. Termine donc de dépecer ce sanglier. Je ferais mieux d’aller parler à Harald.

Si le vieil homme avait pris son courage à deux mains pour dire ce qu’il avait sur le cœur, peut-être que les évènements se seraient ensuite déroulés différemment. Au lieu de cela, Siv le regarda se relever sans l’aider — elle savait qu’il était trop fier pour cela — et partir sur ses béquilles.

***

Lorsqu’il vit le groupe de marcheurs, Gunnbjörn arrêta son destrier et leva le poing pour indiquer à ses chevaucheurs de l’imiter.

Les non-vivants étaient moins nombreux qu’il l’avait craint, mais plus qu’il l’avait espéré. Ils semblaient effectivement avoir pris la direction d’Apal, mais il faudrait encore un peu de temps avant que celui-ci ne soit menacé.

Il fit signe à Freydis de se placer à côté de lui.

— Qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-il.

Freydis releva la visière de son casque rouge pour mieux examiner la situation, dévoilant son visage orné d’une vilaine cicatrice au niveau du nez.

— Je ne sais pas. Ils seraient plus nombreux, je serais d’avis qu’on se contente d’attirer l’attention pour les détourner du village. Ils seraient moins nombreux, je pense qu’on devrait charger et s’occuper d’eux. Là ? Je suppose qu’on a le choix.

— Ouais, admit Gunnbjörn.

Il tenta de peser le pour et le contre. Charger, c’était s’exposer à ce que des hommes soient blessés, ou pire. C’était aussi la démarche la plus glorieuse et la plus héroïque. D’ordinaire, il avait passé l’âge de prendre en compte ce genre d’arguments, mais, à la veille d’un thing, il n’était pas à écarter. Si ses guerriers rentraient frustrés et moqués par les autres clans, ce ne serait pas de bon augure.

— Je pense qu’il faut qu’on tente une charge, hein ? soupira-t-il.

À son côté, Freydis ne répondit pas, et se contenta de rabaisser sa visière.

— Les gars ! cria Gunnbjörn. On va charger !

Des cris d’excitation lui répondirent.

— Restez groupés et faites attention ! ajouta-t-il.

Il n’y eut pas le même enthousiasme. Il poussa un soupir, et lança son destrier.

L’assaut contre un groupe de marcheurs n’avait pas grand-chose à voir avec les engagements militaires habituels. Pour commencer, la plupart du temps, ils n’étaient pas armés. Comme leur nom l’indiquait, ils se contentaient essentiellement de marcher. Oh, et ils mangeaient les gens, aussi. Peut-être que « dévoreur » aurait été un terme plus approprié.

Si, de loin, leur apparence pouvait sembler humaine, leur comportement s’en différenciait largement. Ils ne connaissaient pas la peur, le froid, la fatigue, la pitié ou le remords. Et ils ne s’arrêtaient pas avant d’être éliminés.

La meilleure façon de le faire était de s’en prendre à la tête. Il avait vu des marcheurs continuer à ramper vers leur proie après avoir perdu leurs deux jambes.

Ils se déplaçaient habituellement en grands groupes, qui pouvaient regrouper des centaines voire des milliers de membres. Individuellement, ils n’étaient pas très menaçants, du moins pour des combattants un peu aguerris ; mais la masse pouvait vite constituer un problème.

La stratégie habituelle dans ce genre de circonstances était non pas de lancer leurs destriers vers le groupe en espérant les mettre en fuite, mais de tourner sur les côtés en causant un maximum de dégâts tout en évitant de se retrouver débordés.

Lorsqu’ils approchèrent de la meute, Gunnbjörn fit signe à Freydis de prendre la tête du petit groupe et laissa le reste de ses hommes passer devant lui. La plupart du temps, les meneurs préféraient, comme leur nom l’indiquait, être devant leurs hommes et pas en queue de cortège, mais il trouvait plus facile d’avoir une vision d’ensemble dans cette position. Il faisait toute confiance à Freydis pour diriger le groupe de façon adéquate et l’éviter de se retrouver encerclé, et il préférait s’assurer qu’aucun de ses hommes ne se retrouve désarçonné. Par ailleurs, il disposait d’une corne de brume fixée sur son destrier qui lui permettait de signaler qu’il fallait accélérer, ralentir, ou tout simplement de sonner la retraite. À l’avant, avoir une vision d’ensemble de la situation était à peu près impossible.

Comme il l’escomptait, Freydis engagea le groupe à proximité de la meute, sans forcément chercher à porter des coups elle-même. Ce n’était pas son rôle, et une bonne ouvreuse devait rester prudente et assurer la sécurité du reste des troupes plus que chercher les exploits. Derrière elle, les chevaucheurs commencèrent à décimer la horde de marcheurs. Certains destriers étaient montés par deux hommes, le chevaucheur et un guerrier qui avait ainsi plus de liberté de mouvement pour frapper à sa guise. En général, il s’agissait de jeunes hommes qui espéraient être choisis par les dieux pour devenir chevaucheurs à leur tour.

Gunnbjörn empoigna son marteau d’armes de sa main gauche mais ne cherchait pas spécialement à donner de grands coups. Avec la vitesse de son destrier, l’arme ferait suffisamment de dégâts sans qu’il n’ait besoin de trop se fatiguer, et il préférait garder sa concentration sur ce qu’il se passait devant lui. Pour l’instant, tout allait bien, les hommes gardaient la bonne distance avec la meute pour pouvoir l’attaquer sans trop risquer d’être désarçonnés. Devant, Freydis s’assurait que le chemin que le groupe suivait était praticable et évitait des passages trop boueux ou en montée.

Gunnbjörn se sentit un peu rassuré. S’ils arrivaient à garder la même discipline, ils pourraient réduire à néant la meute de marcheurs sans subir de pertes. Malheureusement, la discipline n’était pas forcément la plus grande qualité des hommes du Nord, et il craignait toujours un élan d’héroïsme inconsidéré.

À bien y réfléchir, il n’y avait pourtant rien de bien héroïque ni de glorieux à leur sinistre tâche. Il s’agissait essentiellement d’éliminer des créatures déjà à moitié décomposées et vêtues de haillons. Si leur apparence était plus ou moins humaine, en dehors de leurs yeux rouges, leur comportement était très différent. Des vivants auraient fui ou se seraient rendus, mais la meute continuait à essayer de se battre, si l’on considérait que « se battre » était le mot approprié.

Freydis fit tonner sa corne de brume pour indiquer au groupe qu’il fallait contourner une portion plus boueuse et rocailleuse que le reste. Sans doute que leurs destriers auraient pu traverser cet obstacle sans encombre, mais elle préférait minimiser le risque de chute. C’était pour cela que Gunnbjörn appréciait autant lui confier la tête de l’escouade.

Pendant quelques instants, leur détour les mit à l’écart de la meute de marcheurs, et il en profita pour faire quelques mouvements afin de se dégourdir la main droite, puis, très vite, ils revinrent au contact des créatures. Tandis que son marteau fracassait le crâne d’un marcheur, puis d’un autre, il réalisa que les non-vivants étaient plus proches de lui. Freydis avait gardé la même distance qu’avant, mais, derrière elle, les hommes, peut-être avides de sang ou d’en finir, avaient avancé leurs destriers au contact.

Cela permettait de gagner du temps, il n’y avait pas à dire : les marcheurs tombaient beaucoup plus vite. La contrepartie, c’était évidemment que les risques étaient multipliés, et Gunnbjörn dut donner un coup de botte à une des créatures qui s’était agrippée à son destrier.

Ce n’était pas ce qui était prévu, aussi le guerrier s’empressa d’actionner sa corne de brume. Il était hors de question de laisser ses hommes se mettre en danger pour une mission de routine.

Malheureusement, il était déjà trop tard : devant lui, un marcheur s’était jeté sous les roues des destriers, et un chevaucheur avait chuté en tentant de l’éviter. Akim, lui, avait percuté la créature de plein fouet. Cela avait été radical pour l’éliminer, mais il s’en retrouvait déséquilibré. Il tenta un moment de reprendre le contrôle de son destrier, qui vira à gauche, puis à droite, avant de glisser sur le côté.

— Merde, jura Gunnbjörn.

C’était le pire qui pouvait arriver : des chutes en queue de groupe. Si cela avait eu lieu à l’avant, les autres auraient pu se regrouper autour et protéger les accidentés, mais il n’y avait que Gunnbjörn qui avait vu la chose.

Tout en freinant, il actionna une nouvelle fois sa corne de brume. Il n’avait pas réagi assez vite pour s’arrêter avant d’avoir dépassé le premier à avoir chuté — était-ce Lotar ? — mais tenta de s’intercaler entre Akim et les marcheurs qui fondaient sur lui. Rester immobile, dans ces circonstances, c’était la mort assuré. Or, le jeune chevaucheur gisait sous sa monture, coincé par celle-ci et incapable de la relever. Gunnbjörn fit virevolter son marteau en passant lentement à droite de l’accidenté, repoussant les assaillants autant qu’il le pouvait. Malheureusement, ils étaient trop nombreux, et, comme attirés par la perspective d’un festin, ils semblaient avoir un regain d’énergie.

Il était hors de question de rester immobile. Gunnbjörn posa le pied gauche à terre, fit tourner la poignée de l’accélérateur, et lança son destrier dans un cercle fou autour du blessé, espérant que cela suffirait à repousser les marcheurs.

Il ne se faisait pas d’illusion. Ses ennemis étaient beaucoup trop nombreux, et il ne pourrait pas tenir bien longtemps.

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Published on June 27, 2022 06:48

May 29, 2022

Déviances vikings, chapitre 1

Déviances vikings est une novella de fantasy avec de l’action, des sentiments et des cornes de brume. Vous pouvez dès maintenant lire le texte intégral en version numérique à prix libre ou commander le livre papier pour 7€ ici. Les huit chapitres composant ce récit seront également publiés progressivement en accès libre. Voici le premier.

Chapitre 1 

Avec l’altitude, le vent frais était d’autant plus cinglant, et Gunnbjörn regretta un instant de ne pas avoir pris de manteau.

Il avait une quarantaine d’années, la peau sombre, une taille respectable, quoique assez banale pour un guerrier viking, et une coiffure qui combinait de longs cheveux crépus tressés en arrière avec des tempes rasées sur le côté du crâne.

Il était habillé des vêtements traditionnels des guerriers vikings : il avait une chemise de corps ouverte jusqu’à mi-poitrine, que la vanité le poussait à ne pas refermer malgré le froid, au-dessus de laquelle il portait une veste en cuir sans manche. Au dos de celle-ci était brodée l’appartenance de son clan en lettres runiques. Ses jambes et ses pieds étaient, de leur côté, mieux protégés de la fraicheur, par un épais pantalon de cuir et des bottes à sangles. N’ayant pas prévu de guerroyer aujourd’hui, il ne portait que deux petites haches à la ceinture.

Pour se réchauffer, il marchait à grandes enjambées. Derrière lui, Siv peinait à le suivre. Gunnbjörn entendait la respiration de sa servante qui se faisait plus rapide : elle avait du mal à garder le rythme dans la montée.

Devant eux, Fenrir le chien gambadait. Il s’agissait d’un molosse noir à la taille imposante et aux poils longs. Son aspect quelque peu effrayant lui avait valu d’être baptisé Fenrir, comme le dieu loup, mais pour éviter la confusion avec ce dernier on l’appelait en général « Fenrir le chien », ce qui amenuisait quelque peu l’impact du nom.

Derrière eux, et déjà beaucoup plus bas, se trouvait la baie de Fossarjavík, avec le village côtier de Kirkjubær d’où ils étaient partis un peu plus tôt. Gunnbjörn se retourna quelques instants pour contempler le paysage, et en profita pour vérifier que Siv arrivait encore à le suivre.

Il lui avait demandé de l’accompagner chasser parce qu’il pensait qu’un peu d’entrainement physique ne ferait pas de mal à la jeune femme, et lui permettrait également d’échapper à ses corvées quotidiennes. Il n’était pas certain qu’elle lui en soit reconnaissante. Elle peinait dans la montée, rajustait tous les trois pas l’arbalète qu’il lui avait prêtée et qu’elle portait en bandoulière dans le dos, et trébuchait régulièrement à cause de ses bottes qui étaient trop grandes pour elles.

Qu’est-ce que tu t’imaginais ? se demanda Gunnbjörn en son for intérieur. Ce n’est pas une guerrière.

Siv était plutôt menue, avait la peau pâle et de longs cheveux châtains qu’elle gardait détachés. Contrairement à lui, elle avait pensé à se couvrir les épaules d’une cape en laine ; en revanche, ses jambes étaient exposées, puisqu’elle ne portait qu’une robe qui lui descendait jusqu’à mi-mollets.

— Est-ce que ça va ? lui demanda-t-il.

— Oui, sire.

Gunnbjörn poussa un soupir bruyant.

— Tu n’es pas obligée de m’appeler sire.

Siv attendit de l’avoir rejoint et d’avoir repris son souffle avant de répondre :

— Je sais, sire.

Il leva les yeux au ciel.

— Si tu regrettes d’avoir accepté de m’accompagner, tu peux me laisser l’arbalète et faire marche arrière.

— Non, sire. Vous me faites grand honneur en m’autorisant à venir avec vous.

Gunnbjörn n’était pas assez idiot pour ignorer le sarcasme. Siv se montrait toujours d’une politesse exemplaire, voire obséquieuse, mais y ajoutait parfois une ironie peu dissimulée.

— Tu n’es vraiment pas obligée, si tu n’en as pas envie. C’est juste que je pensais…

Il ne termina pas sa phrase. Il n’était pas certain de ce qu’il avait pensé. Normalement, c’était son fils, ou des amis, qui auraient dû l’accompagner à sa partie de chasse. Mais Gunnbjörn n’avait pas plus d’enfant que de femme, et s’il avait quelques compagnons qu’il considérait comme des amis, il était le genre d’homme à préférer d’habitude ce type d’excursions en solitaire.

— C’est un honneur, sire, termina Siv.

Il essaya un instant de déterminer si elle était sincère, puis abandonna.

— Un jour, soupira-t-il, j’arriverai à savoir quand tu parles avec le cœur et quand tu te moques de moi.

— Les deux ne sont pas toujours incompatibles.

Gunnbjörn fut surpris de voir un sourire aux coins des lèvres de sa servante. Cela n’arrivait que depuis peu de temps. Lui était plus démonstratif et partit dans un grand rire sonore. Siv le regarda avec incompréhension, n’estimant visiblement pas que sa remarque justifiait pareille réaction.

— On se remet en route, alors ? demanda-t-il ensuite.

— Puis-je juste suggérer à mon honorable maitre que son humble servante ne dispose ni de la longueur de ses jambes, ni de la force de ses muscles, et qu’un rythme plus tranquille lui serait plus confortable ?

— D’accord, concéda le guerrier. C’est juste que je pensais…

— … me rendre service en forgeant mon faible corps pour faire de moi une valeureuse guerrière, sire ?

La façon que Siv avait de le percer à jour faisait sans doute partie des choses qui avaient conduit Gunnbjörn à l’apprécier autant. Parfois, aussi, cela l’agaçait un peu.

— C’est aussi que, lorsque je marche plus lentement, je ne peux pas m’empêcher de parler. Je vais encore raconter certaines de mes prouesses, et avoir droit à tes remarques perfides.

— Moi, perfide ? Je n’oserais jamais, mon seigneur. Et de toute façon, je serai trop occupée à garder mon souffle.

Avec ce nouvel accord, ils se remirent en route, à une allure plus réduite qui laissait à Fenrir le chien le loisir d’aller renifler un peu partout, à Gunnbjörn le champ libre de deviser et qui permettait à Siv de rester à sa hauteur.

Après quelques anecdotes, il commença à raconter le dernier raid auquel il avait pris part dans les iles du Levant, et qui l’avait emmené à affronter un samouraï en combat loyal.

— Et, là, s’emporta-t-il, tu sais ce que m’a répondu ce chien à quatre pattes ?

Il ne s’attendait pas à une réponse de Siv, qui avait jusqu’à présent honoré sa part du marché en gardant le silence. Mais, malgré son souffle court, la servante se sentit tout de même obligée de demander :

— Je ne comprends pas, sire, n’est-il pas d’usage pour un chien d’avoir quatre pattes ?

La question prit Gunnbjörn au dépourvu et il s’arrêta, interloqué. Comme pour appuyer Siv, Fenrir le chien se retourna, démontrant qu’il avait bien quatre pattes.

— Tu ne sais pas d’où vient l’expression ? demanda-t-il.

— Oh, si, monseigneur. Mais, d’ordinaire, je ne m’autoriserais pas à pointer l’absurdité de la redondance.

Devant le regard faussement courroucé de son interlocuteur, elle ajouta prestement :

— Pardonnez-moi, messire. Je vais reprendre mon silence essoufflé pour vous laisser conter vos exploits ineffables.

Elle tint parole tout le reste de l’ascension. Peu à peu, tandis que Gunnbjörn racontait des exploits à peine exagérés, la pente se fit moins raide et l’herbe qu’ils foulaient laissa la place à plus de terre et de racines. Ils arrivaient dans la forêt perchée.

Tandis qu’ils s’aventuraient dans les bois, Gunnbjörn mit son égo de côté et se mit à raconter un des exploits de son père plutôt qu’un des siens. Dans sa jeunesse, l’homme avait participé à une expédition pour explorer les océans au-delà de Midgard.

Siv sortit de son silence mais, à la surprise du guerrier, elle faisait montre d’un intérêt réel qu’elle n’essaya bientôt même plus de masquer derrière des piques incisives. Elle en oublia même de l’appeler « sire ». Cela n’était peut-être pas si étonnant : après tout, la jeune femme venait d’Asgard.

Gunnbjörn, s’il transmettait l’histoire fidèlement, n’était pourtant pas certain de sa vérité : il n’y avait pas beaucoup de survivants qui pouvaient se targuer d’avoir participé à une telle expédition. La plupart de ceux qui s’en vantaient étaient surtout de fieffés menteurs.

Son père, Gunnvald, disait avoir vu des flammes tomber du ciel réduire leur bateau en cendres. Il n’avait dû son salut qu’à une planche de bois sur laquelle il s’était accroché, et qui avait fini par le ramener sur une ile du Nord.

— Des flammes tombées du ciel ? demanda Siv. Ce n’était pas des éclairs ?

D’ordinaire, c’était la colère de Thor qui expliquait qu’aucun navire ne revenait passé une certaine limite. Du moins, c’était le cas chez les gens du Nord ; au Levant, on parlait des vents des dieux. La vérité était que personne, nulle part, n’en savait grand-chose.

— Pas d’après mon ancien. Honnêtement, je ne sais pas quel crédit accorder à son histoire. Je ne pensais pas que ça t’intéresserait autant. Après tout, tu devrais en savoir plus que moi, là-dessus.

— Pas vraiment, admit Siv. Je me rappelle juste m’être réveillée sur une plage, en compagnie d’autres exilés. Je n’ai pas de souvenirs du voyage.

Cela ne surprenait pas Gunnbjörn. Tous les exilés d’Asgard lui avaient dit la même chose. Pour cette raison, il ne lui demanda pas à quoi ressemblait la vie là-bas. Tous ceux qui lui en avaient parlé la décrivait comme sensiblement similaire à Midgard. À se demander pourquoi on les bannissait ici.

— Qu’est-ce que tu faisais, avant ?

— Comme métier ? demanda Siv. Rien de très recommandable, j’en ai peur, sire. Jamais je n’aurais osé espérer avoir la chance de servir un seigneur honnête et magnanime.

Il y avait peut-être une pointe d’ironie dans la phrase, mais Gunnbjörn soupçonna que, sur le fond, Siv était sincère. Lorsqu’il l’avait rencontrée, quelques mois plus tôt, elle n’était pas exactement dans une situation idéale. Pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher de ne pas se sentir mal lorsqu’elle se montrait aussi redevable.

— On dit que dans les veines des exilés coulent le sang des dieux. Tu n’es pas une servante ordinaire.

Siv poussa un soupir. Clairement, elle ne voyait pas les choses de la même manière.

— Je ne suis pas ordinaire, admit Siv, mais je crains qu’il y n’y ait rien de divin là-dessous. Être une servante bien traitée est sans doute le mieux à espérer.

Gunnbjörn ne savait pas quoi dire. Peut-être n’avait-il pas utilisé les bons mots. Les bonnes phrases. Il aurait aimé lui dire à quel point, sang des dieux ou pas, elle était importante pour lui. Mais s’il pouvait faire preuve d’éloquence lorsqu’il s’agissait de raconter ses exploits, il était moins à l’aise lorsqu’il devait parler de ses sentiments.

— Et puis, ajouta Siv, je doute que servir le grand Gunnbjörn soit être une servante ordinaire. Je suis sure que si quelqu’un est capable de défier le feu des dieux, ou le vent, ou quoi que ce soit, c’est vous, sire.

Le regard de Gunnbjörn se posa sur un corbeau qui les observait, perché sur un arbre. Un messager d’Odin, comme l’indiquaient ses yeux rouges luisant.

— Ne dis pas ça. Tu vas offenser les dieux.

Siv suivit son regard, et s’inclina avec déférence.

— Mes excuses, seigneur d’Asgard. N’y voyez pas d’offense. Je disais cela uniquement pour flatter mon seigneur en espérant qu’il me traite bien.

Le volatile s’envola. Est-ce que c’était parce qu’il était vexé par l’outrage ? Parce qu’il avait accepté les excuses ? Ou juste pour aller se poser sur une branche plus confortable ? C’était dur à dire.

Ils firent quelques pas de plus en silence, puis Gunnbjörn sentit Siv lui toucher le bras. Sans un bruit, elle lui indiqua quelque chose. Il fallut au guerrier plusieurs secondes pour comprendre ce dont il s’agissait : à quelques dizaines de mètres d’eux, en partie masqué par un buisson, se tenait un sanglier de bonne taille.

Siv attrapa son arbalète et commença à l’armer. L’engin était doté d’une poulie qui permettait de lui donner une bonne puissance sans requérir trop de force, mais qui présentait l’inconvénient de ne pas offrir la même cadence qu’un arc plus sommaire. Gunnbjörn maudissait intérieurement cette perte de temps, et espérait que la bête n’aurait pas l’idée d’en profiter pour filer.

Après cela, ils allèrent à pas de loups chercher l’emplacement idéal pour le tir. Le guerrier fit signe a son chien de venir à ses pieds, puis l’attrapa par les poils du cou pour éviter qu’il n’aille éveiller l’attention de l’animal. Ensuite, il suivit son apprentie vers une petite butte qui avait l’avantage de lui donner de la hauteur. Il approuva ce choix d’un hochement de tête, avant de lui murmurer :

— Tu te rappelles ce que je t’ai dit ?

Un carreau ne serait probablement pas suffisant pour abattre immédiatement une bête d’une taille importante. Par conséquent, il fallait se préparer à la poursuivre, à la pister, voire, dans les cas extrêmes, à esquiver une charge désespérée.

Tandis que Siv lui répondait à son tour d’un hochement de tête silencieux, il lui fit signe qu’elle pouvait y aller. Elle épaula l’arbalète et resta un certain temps ainsi, à se préparer à tirer, attendant le moment propice.

Finalement, Gunnbjörn entendit l’arbalète claquer, puis le grognement de l’animal touché. Il arbora une moue de satisfaction : c’était du bon travail.

Blessé au dos, l’animal se tourna vers eux, furieux, et se mit à charger. À côté de lui, Siv maniait la poulie à toute vitesse afin de recharger. Ce n’était probablement pas le bon choix : elle n’aurait pas le temps de tirer avant que l’animal ne soit sur eux. Dans ce genre de circonstances, d’après l’expérience de Gunnbjörn, le mieux était de reculer dans un endroit plus sûr, ou de compter sur une arme suffisamment tranchante pour achever le travail.

Il sortit une des haches qu’il avait à sa ceinture, et la tint à disposition de Siv. Celle-ci l’ignora, continuant à se focaliser sur son arbalète tandis que le bruit du galop furieux de la bête noire qui fondait vers eux se faisait plus menaçant. Gunnbjörn était un peu déçu, mais il ne pouvait pas lui en vouloir : après tout, elle le lui avait bien rappelé, elle n’était pas une guerrière.

Ses yeux se reportèrent sur l’animal qui approchait. Celui-ci s’apprêtait à bondir, et Gunnbjörn hésita un instant. Il avait dit qu’il n’interviendrait que si Siv lui demandait, et elle n’avait rien fait de tel. Cependant, il avait prévu d’agir tout de même si la situation était désespérée, parce qu’il craignait bien que son humble servante n’ose lui demander de l’aide de peur de le décevoir.

Tandis qu’il réfléchissait, l’animal sauta vers Siv, qui se laissa tomber en arrière. La situation semblait maintenant suffisamment désespérée pour qu’il intervienne.

Alors qu’il s’apprêtait à frapper, tandis que l’animal était toujours en l’air, il entendit un nouveau claquement. Interdit, il vit un carreau d’arbalète transpercer la tête de l’animal, qui continua sa course au-dessus de son apprentie qui s’était jetée en arrière avant d’aller s’écraser un peu plus loin.

Tandis que Siv restait allongée au sol, Gunnbjörn fit quelques pas vers l’animal pour s’assurer qu’il était bien mort. Après quoi, le charme fut rompu, la vie reprit ses droits, et Fenrir le chien se mit à remuer la queue et à pousser des jappements enthousiastes.

— Tu chasses toujours le sanglier ainsi ? demanda Gunnbjörn.

— Bien sûr, Monseigneur. J’ai, évidemment, une grande pratique en la matière.

Gunnbjörn examina la dépouille qui était à ses pieds. Si le premier carreau ne l’avait que légèrement blessé, le second avait fracassé sa boite crânienne par le dessous.

— Je suppose que ça marche, en tout cas.

Toujours à terre jusque-là, Siv se releva enfin, sous la pression de Fenrir qui venait essayer de lui lécher le visage.

— Mon seigneur me permettrait-il de reprendre mon souffle avant de dépecer la bête ?

Gunnbjörn lui fit un petit signe d’acquiescement, et la regarda inspecter son corps. Il pensait que c’était pour vérifier qu’elle n’était pas blessée, mais elle le détrompa :

— Par les dieux, s’exclama-t-elle, je suis pleine de sang de porc.

Le guerrier partit dans un rire tonitruant tandis que son apprentie lui jetait un regard courroucé.

— C’était du bon travail, lui dit-il. Pas très orthodoxe, mais efficace, je suppose.

Elle ne paraissait pas convaincue, et se mit à gravir la butte. De là où elle était, la vue était plus dégagée et on pouvait voir la vallée voisine.

— Sire, venez voir !

Gunnbjörn se précipita pour la rejoindre. Vu le ton enjoué, il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui pointe du doigt une armée ennemie prête à déferler sur leur vallée, mais plutôt une autre proie possible, peut-être un cerf ou au moins un lapin. Ce à quoi il ne s’attendait pas, c’était à ce qu’elle lui montre quelques fleurs mauves.

— Ce sont des cynoglosses ! s’exclama-t-elle. Ne sont-elles pas magnifiques ?

Le guerrier ne put retenir un soupir.

— Ce n’est pas franchement mon domaine de prédilection.

Pendant ce temps, Siv s’était baissée pour en cueillir quelques-unes. Elle se releva avec un grand sourire et s’approcha de Gunnbjörn pour en placer une dans la fermeture de sa veste en cuir.

— Sire, elle vous irait à merveille.

Il lui jeta un regard mauvais, mais elle continua :

— Je suis sure qu’ainsi, mon seigneur aura un succès indéniable.

— Je doute que ce soit dans nos mœurs, répliqua-t-il sèchement.

— Peut-être pas chez les guerriers, admit Siv. Mais pour capter l’œil d’un poète, peut-être ?

— Qu’est-ce tu insinues ?

Siv lui fit un petit sourire ironique.

— Je dis juste qu’un certain scalde est venu au village en prévision de la réunion du thing et qu’il regardait mon seigneur d’un air intéressé.

— Assez !

— Désolée, ô sire. Loin de moi l’idée de vous offenser.

Siv se tourna, comme pour retourner à la contemplation du paysage, mais Gunnbjörn soupçonnait que c’était pour lui cacher son sourire. Il poussa un soupir et regarda la fleur qu’il avait encore en boutonnière. Il hésita un instant à la jeter à terre et à l’écraser sous ses bottes, mais il se ravisa. Même s’il lui semblait que sa servante se moquait de lui, il se demandait si, à ses yeux, il ne s’agissait pas d’un véritable présent, et il ne voulait pas non plus la vexer.

— Bon, tu as repris ta respiration. Maintenant que tu l’as tué, il te reste à dépecer ta prise.

— Un instant, sire.

Siv continuait à scruter l’horizon.

— Vous voyez la même chose que moi ? demanda-t-elle.

— Si c’est encore une fleur…

— Non. Là-bas.

Le ton de Siv était grave. Gunnbjörn essaya de suivre des yeux la direction qu’elle lui indiquait de la main, mais il n’aperçut rien que des arbres, des montagnes, des plaines et des champs.

— Des hommes ? se demanda Siv. Mais, je ne sais pas ?

Gunnbjörn crut enfin voir une petite tache, à la lisière d’une forêt lointaine. Il plissa les yeux, et finit par distinguer ce que voyait son apprentie : un groupe d’hommes, à pied.

— C’est peut-être le thing ? demanda-t-il.

Celui-ci ne s’assemblerait que demain, mais des hommes des régions les plus lointaines avaient déjà commencé à arriver au village — tels ce scalde dont elle lui avait rebattu les oreilles. Mais, aussi tôt dans la journée, c’était étrange.

— Non, dit Siv, lugubre. Des marcheurs.

Gunnbjörn poussa un grognement. Voilà qui n’était pas de bon augure. Les marcheurs avaient forme humaine, mais c’était tout. Animés par des démons, ils dévoraient les corps et les âmes des vivants pour s’en repaitre.

— Tu es sure ?

— Leur façon de se déplacer… presque sure, sire.

Gunnbjörn jeta un coup d’œil au cadavre du sanglier. S’il s’agissait bien de marcheurs, ils devaient avertir le village au plus vite.

— Rentrons vite, alors. Tu dépèceras ta prise plus tard.

Avec l’altitude, le vent frais était d’autant plus cinglant, et Gunnbjörn regretta un instant de ne pas avoir pris de manteau.

Il avait une quarantaine d’années, la peau sombre, une taille respectable, quoique assez banale pour un guerrier viking, et une coiffure qui combinait de longs cheveux crépus tressés en arrière avec des tempes rasées sur le côté du crâne.

Il était habillé des vêtements traditionnels des guerriers vikings : il avait une chemise de corps ouverte jusqu’à mi-poitrine, que la vanité le poussait à ne pas refermer malgré le froid, au-dessus de laquelle il portait une veste en cuir sans manche. Au dos de celle-ci était brodée l’appartenance de son clan en lettres runiques. Ses jambes et ses pieds étaient, de leur côté, mieux protégés de la fraicheur, par un épais pantalon de cuir et des bottes à sangles. N’ayant pas prévu de guerroyer aujourd’hui, il ne portait que deux petites haches à la ceinture.

Pour se réchauffer, il marchait à grandes enjambées. Derrière lui, Siv peinait à le suivre. Gunnbjörn entendait la respiration de sa servante qui se faisait plus rapide : elle avait du mal à garder le rythme dans la montée.

Devant eux, Fenrir le chien gambadait. Il s’agissait d’un molosse noir à la taille imposante et aux poils longs. Son aspect quelque peu effrayant lui avait valu d’être baptisé Fenrir, comme le dieu loup, mais pour éviter la confusion avec ce dernier on l’appelait en général « Fenrir le chien », ce qui amenuisait quelque peu l’impact du nom.

Derrière eux, et déjà beaucoup plus bas, se trouvait la baie de Fossarjavík, avec le village côtier de Kirkjubær d’où ils étaient partis un peu plus tôt. Gunnbjörn se retourna quelques instants pour contempler le paysage, et en profita pour vérifier que Siv arrivait encore à le suivre.

Il lui avait demandé de l’accompagner chasser parce qu’il pensait qu’un peu d’entrainement physique ne ferait pas de mal à la jeune femme, et lui permettrait également d’échapper à ses corvées quotidiennes. Il n’était pas certain qu’elle lui en soit reconnaissante. Elle peinait dans la montée, rajustait tous les trois pas l’arbalète qu’il lui avait prêtée et qu’elle portait en bandoulière dans le dos, et trébuchait régulièrement à cause de ses bottes qui étaient trop grandes pour elles.

Qu’est-ce que tu t’imaginais ? se demanda Gunnbjörn en son for intérieur. Ce n’est pas une guerrière.

Siv était plutôt menue, avait la peau pâle et de longs cheveux châtains qu’elle gardait détachés. Contrairement à lui, elle avait pensé à se couvrir les épaules d’une cape en laine ; en revanche, ses jambes étaient exposées, puisqu’elle ne portait qu’une robe qui lui descendait jusqu’à mi-mollets.

— Est-ce que ça va ? lui demanda-t-il.

— Oui, sire.

Gunnbjörn poussa un soupir bruyant.

— Tu n’es pas obligée de m’appeler sire.

Siv attendit de l’avoir rejoint et d’avoir repris son souffle avant de répondre :

— Je sais, sire.

Il leva les yeux au ciel.

— Si tu regrettes d’avoir accepté de m’accompagner, tu peux me laisser l’arbalète et faire marche arrière.

— Non, sire. Vous me faites grand honneur en m’autorisant à venir avec vous.

Gunnbjörn n’était pas assez idiot pour ignorer le sarcasme. Siv se montrait toujours d’une politesse exemplaire, voire obséquieuse, mais y ajoutait parfois une ironie peu dissimulée.

— Tu n’es vraiment pas obligée, si tu n’en as pas envie. C’est juste que je pensais…

Il ne termina pas sa phrase. Il n’était pas certain de ce qu’il avait pensé. Normalement, c’était son fils, ou des amis, qui auraient dû l’accompagner à sa partie de chasse. Mais Gunnbjörn n’avait pas plus d’enfant que de femme, et s’il avait quelques compagnons qu’il considérait comme des amis, il était le genre d’homme à préférer d’habitude ce type d’excursions en solitaire.

— C’est un honneur, sire, termina Siv.

Il essaya un instant de déterminer si elle était sincère, puis abandonna.

— Un jour, soupira-t-il, j’arriverai à savoir quand tu parles avec le cœur et quand tu te moques de moi.

— Les deux ne sont pas toujours incompatibles.

Gunnbjörn fut surpris de voir un sourire aux coins des lèvres de sa servante. Cela n’arrivait que depuis peu de temps. Lui était plus démonstratif et partit dans un grand rire sonore. Siv le regarda avec incompréhension, n’estimant visiblement pas que sa remarque justifiait pareille réaction.

— On se remet en route, alors ? demanda-t-il ensuite.

— Puis-je juste suggérer à mon honorable maitre que son humble servante ne dispose ni de la longueur de ses jambes, ni de la force de ses muscles, et qu’un rythme plus tranquille lui serait plus confortable ?

— D’accord, concéda le guerrier. C’est juste que je pensais…

— … me rendre service en forgeant mon faible corps pour faire de moi une valeureuse guerrière, sire ?

La façon que Siv avait de le percer à jour faisait sans doute partie des choses qui avaient conduit Gunnbjörn à l’apprécier autant. Parfois, aussi, cela l’agaçait un peu.

— C’est aussi que, lorsque je marche plus lentement, je ne peux pas m’empêcher de parler. Je vais encore raconter certaines de mes prouesses, et avoir droit à tes remarques perfides.

— Moi, perfide ? Je n’oserais jamais, mon seigneur. Et de toute façon, je serai trop occupée à garder mon souffle.

Avec ce nouvel accord, ils se remirent en route, à une allure plus réduite qui laissait à Fenrir le chien le loisir d’aller renifler un peu partout, à Gunnbjörn le champ libre de deviser et qui permettait à Siv de rester à sa hauteur.

Après quelques anecdotes, il commença à raconter le dernier raid auquel il avait pris part dans les iles du Levant, et qui l’avait emmené à affronter un samouraï en combat loyal.

— Et, là, s’emporta-t-il, tu sais ce que m’a répondu ce chien à quatre pattes ?

Il ne s’attendait pas à une réponse de Siv, qui avait jusqu’à présent honoré sa part du marché en gardant le silence. Mais, malgré son souffle court, la servante se sentit tout de même obligée de demander :

— Je ne comprends pas, sire, n’est-il pas d’usage pour un chien d’avoir quatre pattes ?

La question prit Gunnbjörn au dépourvu et il s’arrêta, interloqué. Comme pour appuyer Siv, Fenrir le chien se retourna, démontrant qu’il avait bien quatre pattes.

— Tu ne sais pas d’où vient l’expression ? demanda-t-il.

— Oh, si, monseigneur. Mais, d’ordinaire, je ne m’autoriserais pas à pointer l’absurdité de la redondance.

Devant le regard faussement courroucé de son interlocuteur, elle ajouta prestement :

— Pardonnez-moi, messire. Je vais reprendre mon silence essoufflé pour vous laisser conter vos exploits ineffables.

Elle tint parole tout le reste de l’ascension. Peu à peu, tandis que Gunnbjörn racontait des exploits à peine exagérés, la pente se fit moins raide et l’herbe qu’ils foulaient laissa la place à plus de terre et de racines. Ils arrivaient dans la forêt perchée.

Tandis qu’ils s’aventuraient dans les bois, Gunnbjörn mit son égo de côté et se mit à raconter un des exploits de son père plutôt qu’un des siens. Dans sa jeunesse, l’homme avait participé à une expédition pour explorer les océans au-delà de Midgard.

Siv sortit de son silence mais, à la surprise du guerrier, elle faisait montre d’un intérêt réel qu’elle n’essaya bientôt même plus de masquer derrière des piques incisives. Elle en oublia même de l’appeler « sire ». Cela n’était peut-être pas si étonnant : après tout, la jeune femme venait d’Asgard.

Gunnbjörn, s’il transmettait l’histoire fidèlement, n’était pourtant pas certain de sa vérité : il n’y avait pas beaucoup de survivants qui pouvaient se targuer d’avoir participé à une telle expédition. La plupart de ceux qui s’en vantaient étaient surtout de fieffés menteurs.

Son père, Gunnvald, disait avoir vu des flammes tomber du ciel réduire leur bateau en cendres. Il n’avait dû son salut qu’à une planche de bois sur laquelle il s’était accroché, et qui avait fini par le ramener sur une ile du Nord.

— Des flammes tombées du ciel ? demanda Siv. Ce n’était pas des éclairs ?

D’ordinaire, c’était la colère de Thor qui expliquait qu’aucun navire ne revenait passé une certaine limite. Du moins, c’était le cas chez les gens du Nord ; au Levant, on parlait des vents des dieux. La vérité était que personne, nulle part, n’en savait grand-chose.

— Pas d’après mon ancien. Honnêtement, je ne sais pas quel crédit accorder à son histoire. Je ne pensais pas que ça t’intéresserait autant. Après tout, tu devrais en savoir plus que moi, là-dessus.

— Pas vraiment, admit Siv. Je me rappelle juste m’être réveillée sur une plage, en compagnie d’autres exilés. Je n’ai pas de souvenirs du voyage.

Cela ne surprenait pas Gunnbjörn. Tous les exilés d’Asgard lui avaient dit la même chose. Pour cette raison, il ne lui demanda pas à quoi ressemblait la vie là-bas. Tous ceux qui lui en avaient parlé la décrivait comme sensiblement similaire à Midgard. À se demander pourquoi on les bannissait ici.

— Qu’est-ce que tu faisais, avant ?

— Comme métier ? demanda Siv. Rien de très recommandable, j’en ai peur, sire. Jamais je n’aurais osé espérer avoir la chance de servir un seigneur honnête et magnanime.

Il y avait peut-être une pointe d’ironie dans la phrase, mais Gunnbjörn soupçonna que, sur le fond, Siv était sincère. Lorsqu’il l’avait rencontrée, quelques mois plus tôt, elle n’était pas exactement dans une situation idéale. Pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher de ne pas se sentir mal lorsqu’elle se montrait aussi redevable.

— On dit que dans les veines des exilés coulent le sang des dieux. Tu n’es pas une servante ordinaire.

Siv poussa un soupir. Clairement, elle ne voyait pas les choses de la même manière.

— Je ne suis pas ordinaire, admit Siv, mais je crains qu’il y n’y ait rien de divin là-dessous. Être une servante bien traitée est sans doute le mieux à espérer.

Gunnbjörn ne savait pas quoi dire. Peut-être n’avait-il pas utilisé les bons mots. Les bonnes phrases. Il aurait aimé lui dire à quel point, sang des dieux ou pas, elle était importante pour lui. Mais s’il pouvait faire preuve d’éloquence lorsqu’il s’agissait de raconter ses exploits, il était moins à l’aise lorsqu’il devait parler de ses sentiments.

— Et puis, ajouta Siv, je doute que servir le grand Gunnbjörn soit être une servante ordinaire. Je suis sure que si quelqu’un est capable de défier le feu des dieux, ou le vent, ou quoi que ce soit, c’est vous, sire.

Le regard de Gunnbjörn se posa sur un corbeau qui les observait, perché sur un arbre. Un messager d’Odin, comme l’indiquaient ses yeux rouges luisant.

— Ne dis pas ça. Tu vas offenser les dieux.

Siv suivit son regard, et s’inclina avec déférence.

— Mes excuses, seigneur d’Asgard. N’y voyez pas d’offense. Je disais cela uniquement pour flatter mon seigneur en espérant qu’il me traite bien.

Le volatile s’envola. Est-ce que c’était parce qu’il était vexé par l’outrage ? Parce qu’il avait accepté les excuses ? Ou juste pour aller se poser sur une branche plus confortable ? C’était dur à dire.

Ils firent quelques pas de plus en silence, puis Gunnbjörn sentit Siv lui toucher le bras. Sans un bruit, elle lui indiqua quelque chose. Il fallut au guerrier plusieurs secondes pour comprendre ce dont il s’agissait : à quelques dizaines de mètres d’eux, en partie masqué par un buisson, se tenait un sanglier de bonne taille.

Siv attrapa son arbalète et commença à l’armer. L’engin était doté d’une poulie qui permettait de lui donner une bonne puissance sans requérir trop de force, mais qui présentait l’inconvénient de ne pas offrir la même cadence qu’un arc plus sommaire. Gunnbjörn maudissait intérieurement cette perte de temps, et espérait que la bête n’aurait pas l’idée d’en profiter pour filer.

Après cela, ils allèrent à pas de loups chercher l’emplacement idéal pour le tir. Le guerrier fit signe a son chien de venir à ses pieds, puis l’attrapa par les poils du cou pour éviter qu’il n’aille éveiller l’attention de l’animal. Ensuite, il suivit son apprentie vers une petite butte qui avait l’avantage de lui donner de la hauteur. Il approuva ce choix d’un hochement de tête, avant de lui murmurer :

— Tu te rappelles ce que je t’ai dit ?

Un carreau ne serait probablement pas suffisant pour abattre immédiatement une bête d’une taille importante. Par conséquent, il fallait se préparer à la poursuivre, à la pister, voire, dans les cas extrêmes, à esquiver une charge désespérée.

Tandis que Siv lui répondait à son tour d’un hochement de tête silencieux, il lui fit signe qu’elle pouvait y aller. Elle épaula l’arbalète et resta un certain temps ainsi, à se préparer à tirer, attendant le moment propice.

Finalement, Gunnbjörn entendit l’arbalète claquer, puis le grognement de l’animal touché. Il arbora une moue de satisfaction : c’était du bon travail.

Blessé au dos, l’animal se tourna vers eux, furieux, et se mit à charger. À côté de lui, Siv maniait la poulie à toute vitesse afin de recharger. Ce n’était probablement pas le bon choix : elle n’aurait pas le temps de tirer avant que l’animal ne soit sur eux. Dans ce genre de circonstances, d’après l’expérience de Gunnbjörn, le mieux était de reculer dans un endroit plus sûr, ou de compter sur une arme suffisamment tranchante pour achever le travail.

Il sortit une des haches qu’il avait à sa ceinture, et la tint à disposition de Siv. Celle-ci l’ignora, continuant à se focaliser sur son arbalète tandis que le bruit du galop furieux de la bête noire qui fondait vers eux se faisait plus menaçant. Gunnbjörn était un peu déçu, mais il ne pouvait pas lui en vouloir : après tout, elle le lui avait bien rappelé, elle n’était pas une guerrière.

Ses yeux se reportèrent sur l’animal qui approchait. Celui-ci s’apprêtait à bondir, et Gunnbjörn hésita un instant. Il avait dit qu’il n’interviendrait que si Siv lui demandait, et elle n’avait rien fait de tel. Cependant, il avait prévu d’agir tout de même si la situation était désespérée, parce qu’il craignait bien que son humble servante n’ose lui demander de l’aide de peur de le décevoir.

Tandis qu’il réfléchissait, l’animal sauta vers Siv, qui se laissa tomber en arrière. La situation semblait maintenant suffisamment désespérée pour qu’il intervienne.

Alors qu’il s’apprêtait à frapper, tandis que l’animal était toujours en l’air, il entendit un nouveau claquement. Interdit, il vit un carreau d’arbalète transpercer la tête de l’animal, qui continua sa course au-dessus de son apprentie qui s’était jetée en arrière avant d’aller s’écraser un peu plus loin.

Tandis que Siv restait allongée au sol, Gunnbjörn fit quelques pas vers l’animal pour s’assurer qu’il était bien mort. Après quoi, le charme fut rompu, la vie reprit ses droits, et Fenrir le chien se mit à remuer la queue et à pousser des jappements enthousiastes.

— Tu chasses toujours le sanglier ainsi ? demanda Gunnbjörn.

— Bien sûr, Monseigneur. J’ai, évidemment, une grande pratique en la matière.

Gunnbjörn examina la dépouille qui était à ses pieds. Si le premier carreau ne l’avait que légèrement blessé, le second avait fracassé sa boite crânienne par le dessous.

— Je suppose que ça marche, en tout cas.

Toujours à terre jusque-là, Siv se releva enfin, sous la pression de Fenrir qui venait essayer de lui lécher le visage.

— Mon seigneur me permettrait-il de reprendre mon souffle avant de dépecer la bête ?

Gunnbjörn lui fit un petit signe d’acquiescement, et la regarda inspecter son corps. Il pensait que c’était pour vérifier qu’elle n’était pas blessée, mais elle le détrompa :

— Par les dieux, s’exclama-t-elle, je suis pleine de sang de porc.

Le guerrier partit dans un rire tonitruant tandis que son apprentie lui jetait un regard courroucé.

— C’était du bon travail, lui dit-il. Pas très orthodoxe, mais efficace, je suppose.

Elle ne paraissait pas convaincue, et se mit à gravir la butte. De là où elle était, la vue était plus dégagée et on pouvait voir la vallée voisine.

— Sire, venez voir !

Gunnbjörn se précipita pour la rejoindre. Vu le ton enjoué, il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui pointe du doigt une armée ennemie prête à déferler sur leur vallée, mais plutôt une autre proie possible, peut-être un cerf ou au moins un lapin. Ce à quoi il ne s’attendait pas, c’était à ce qu’elle lui montre quelques fleurs mauves.

— Ce sont des cynoglosses ! s’exclama-t-elle. Ne sont-elles pas magnifiques ?

Le guerrier ne put retenir un soupir.

— Ce n’est pas franchement mon domaine de prédilection.

Pendant ce temps, Siv s’était baissée pour en cueillir quelques-unes. Elle se releva avec un grand sourire et s’approcha de Gunnbjörn pour en placer une dans la fermeture de sa veste en cuir.

— Sire, elle vous irait à merveille.

Il lui jeta un regard mauvais, mais elle continua :

— Je suis sure qu’ainsi, mon seigneur aura un succès indéniable.

— Je doute que ce soit dans nos mœurs, répliqua-t-il sèchement.

— Peut-être pas chez les guerriers, admit Siv. Mais pour capter l’œil d’un poète, peut-être ?

— Qu’est-ce tu insinues ?

Siv lui fit un petit sourire ironique.

— Je dis juste qu’un certain scalde est venu au village en prévision de la réunion du thing et qu’il regardait mon seigneur d’un air intéressé.

— Assez !

— Désolée, ô sire. Loin de moi l’idée de vous offenser.

Siv se tourna, comme pour retourner à la contemplation du paysage, mais Gunnbjörn soupçonnait que c’était pour lui cacher son sourire. Il poussa un soupir et regarda la fleur qu’il avait encore en boutonnière. Il hésita un instant à la jeter à terre et à l’écraser sous ses bottes, mais il se ravisa. Même s’il lui semblait que sa servante se moquait de lui, il se demandait si, à ses yeux, il ne s’agissait pas d’un véritable présent, et il ne voulait pas non plus la vexer.

— Bon, tu as repris ta respiration. Maintenant que tu l’as tué, il te reste à dépecer ta prise.

— Un instant, sire.

Siv continuait à scruter l’horizon.

— Vous voyez la même chose que moi ? demanda-t-elle.

— Si c’est encore une fleur…

— Non. Là-bas.

Le ton de Siv était grave. Gunnbjörn essaya de suivre des yeux la direction qu’elle lui indiquait de la main, mais il n’aperçut rien que des arbres, des montagnes, des plaines et des champs.

— Des hommes ? se demanda Siv. Mais, je ne sais pas ?

Gunnbjörn crut enfin voir une petite tache, à la lisière d’une forêt lointaine. Il plissa les yeux, et finit par distinguer ce que voyait son apprentie : un groupe d’hommes, à pied.

— C’est peut-être le thing ? demanda-t-il.

Celui-ci ne s’assemblerait que demain, mais des hommes des régions les plus lointaines avaient déjà commencé à arriver au village — tels ce scalde dont elle lui avait rebattu les oreilles. Mais, aussi tôt dans la journée, c’était étrange.

— Non, dit Siv, lugubre. Des marcheurs.

Gunnbjörn poussa un grognement. Voilà qui n’était pas de bon augure. Les marcheurs avaient forme humaine, mais c’était tout. Animés par des démons, ils dévoraient les corps et les âmes des vivants pour s’en repaitre.

— Tu es sure ?

— Leur façon de se déplacer… presque sure, sire.

Gunnbjörn jeta un coup d’œil au cadavre du sanglier. S’il s’agissait bien de marcheurs, ils devaient avertir le village au plus vite.

— Rentrons vite, alors. Tu dépèceras ta prise plus tard.

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Published on May 29, 2022 14:00

April 18, 2022

Festival des Intergalactiques

Oi, Oi ! (c’est la version tutoyé de « Oyez, oyez ! »).

J’ai, encore une fois, l’inénarrable plaisir de vous annoncer que j’aurai l’honneur d’être présente au festival des Intergalactiques à Lyon le samedi 23 et dimanche 24 avril, dont la thématique horriblement d’actualité est « No future » (ou 未来がない pour se la péter) (ou « Pas de futur » pour respecter la loi Toubon).

Le festival lui-même comporte des évènements du 21 au 26, et vous pouvez retrouver toute la programmation ici. Je serai quant à moi le samedi et le dimanche à la MJC Monplaisir (25, avenue des frères Lumière 69008 LYON) avec, ma foi, un planning plutôt chargé :

Samedi 23 avril14h, salle 3 : Table ronde Parodies, humour et subversion : le rire dans l’imaginaire15h30 à 17h, salon du livre : dédicace17h, salle 2 : Table ronde : Punk : tout est dans le suffixe ?Dimanche 24 avril11h30 à 13h, salon du livre : dédicace14h à 15h30, salon du livre : dédicace15h30, salle 2 : Table ronde : Survivre ensemble : nos communautés nous sauveront-elles de la fin du monde ?17h à 18h, salon du livre : dédicace

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Published on April 18, 2022 05:59