Laurent Kloetzer's Blog, page 16
January 30, 2022
La panthère des neiges – Marie Amiguet et Vincent Munier
3615 vivez ma vie : j'ai découvert que la petite ville à côté de mon village avait un cinéma et que ce cinéma avait des fauteuils ultra-confortables ! Larges, avec de l'espace pour les jambes, et des conditions de projection somme toute très bonnes.

Nous y sommes donc allés pour voir la Panthère des neiges. Parce que les relations avec les animaux sont un sujet qui nous intéresse. C'est donc un documentaire où un photographe animalier part au Tibet avec un écrivain-voyageur (une espèce française, je ne sais pas s'il en existe dans d'autres pays) pour tenter de voir-en-vrai la mystérieuse panthère des neiges. On les voit observer des bêtes à la jumelle, à la lunette, au super-téléobjectif de la mort. Dormir dans des super tentes décathlon. Marcher dans des paysages dingues. Ils papotent, aussi, de l'affut, de la vie, des hommes-qui-détruisent-tout, des Occidentaux-qui-pigent-rien. Dans ce blabla, de temps en temps, quelques idées intéressantes, mais trop souvent.
On voit aussi les animaux qu'ils voient. Les images sont belles, très léchées, avec un piqué de malade et des couleurs de folie. Moi, je n'aime pas tellement les animaux, mais c'est enchanteur de voir ses oiseaux, gazelles, petits chevaux, yaks sauvages, chats de Pallas, loups... Et la panthère, me demandez-vous ? Je ne vais pas spoiler. Je blague, mais rien que pour voir ces images super léchées de bêtes à peine dérangées par nos deux blablateurs, le film vaut le coup.
Considérons comme un projet anthropologique qu'au lieu de simplement voir les bestioles on voie aussi les types qui regardent les bestioles (l'expo Sauvages au musée d'histoire naturelle de Neuchâtel expliquait bien tout ça). Il nous a manqué de voir la dame qui filmait les deux hommes et dont la présence était implicite mais jamais éclaircie, cachant donc le contexte de la réalisation.

On aurait aimé aussi s'intéresser un peu plus aux vrais-gens qui vivent dans ce coin de Tibet, car il y en a, et on s'est demandé comment nos deux aventuriers escapistes au coeur pur ont convaincu les autorités chinoises de les laisser se promener.
Et enfin, si l'écrivain pouvait faire un peu moins de mots, de voix off et d'imparfaits du subjonctif, ça me ferait des vacances.
Même si je critique, ça reste un film très intéressant à voir.
January 27, 2022
Kabu kabu – Nnedi Okorafor

January 23, 2022
Croyances -- Au musée de l'art brut, à Lausanne
A Haïti, un homme installé dans les quartiers pauvres dessine des centaines de figures de dieux étranges coloriées au stylo bille au dos de paquet de céréales.


Londres, une ancienne servante de ferme reçoit lé révélation d'un esprit médiumnique qui lui inspire des visions d'une grande finesse, créées de nuit seulement à la lumière d'une lampe à huile.


Paris, un mystérieux ouvrier croate, installé au dernier étage d'un immeuble vétuste, dessine frénétiquement des êtres christiques et ésotériques qui montrent la trace d'une initiation maçonnique.

On dirait des morceaux de scénarios pour l'appel de Cthulhu, mais ce sont en fait des extraits des biographies de quatre des nombreux artistes exposés au musée de l'art brut de de Lausanne.
C'est un fait pas assez connu que Lausanne expose un des musées les plus intrigants au monde. Il détient une collection immense d'oeuvres d'artistes hors des courants, hors des circuits. L'exposition actuelle, autour du mysticisme, des visions religieuses et des croyances comprend des dizaines d'oeuvres choquantes, drôles ou très belles, faites de matières nobles ou triviales.Le musée de l'art brut est sans doute un des musées les plus inclusifs qui soit. On y trouve de nombreuses oeuvres de femmes, mais aussi de pauvres, d'accidentés, de handicapés... venues du monde entier.C'est un musée qui démolit la figure noble de l'artiste, homme génial et inspiré installé dans son atelier sanctuaire. Il nous rappelle que des oeuvres artistiques sont produites par des milliers de nos contemporains et de nos ancêtres, femmes, hommes, visibles ou rejetés.
Le visiter risque de changer votre vision de la culture, et du monde.
Titane - Julia Ducournau
Hier soir, comme nous n'avons pas réussi à convaincre les enfants de regarder un film avec nous, nous avons décidé de regarder Titane, dont j'avais entendu dire qu'il n'était sans doute pas recommandé en dessous de seize ans. A raison. Je ne vais pas en dire grand chose, parce que c'est un film à voir, à ressentir, dont le résumé ne signifierait rien.
Vous pourrez aimer si vous aimez les films de David Lynch ou de Cronenberg et les récits apparemment absurdes qui ne trouvent leur logique que ce couplage de l'image, du rythme et du son qu'on appelle "le cinéma". Moi, j'ai adoré.





January 17, 2022
Les grandes oubliées -- Titiou Lecoq

Ce livre est une synthèse de l'histoire scolaire (de France, à peu près) essayant de mettre en lumière toutes les femmes qu'on en a virées pour diverses raisons. Femmes du néolithiques, prêtresses antiques, amazones, chevaleresses, autrices de théâtre du grand siècle, écrivaines, poétesses, reines, résistantes, combattantes de l'ombre des luttes féministes... Quelles femmes, au delà de Georges Sand, de Louise Michel et de Simone Veil ?
Le propos est simple : les femmes étaient là, tout le temps, elles ont agi, et pas seulement dans la sphère domestique. Elles ont peint, se sont battues à l'arc ou à l'épée (et en sont mortes), ont écrit, ont intrigué, ont été des protagonistes de tout ce grand récit historique plein de bruit et de fureur, ce collectif d'explorations et d'expériences passées qu'on appelle l'Histoire. Et l'autrice nous les fait percevoir, avec talent et une belle énergie.
Ce livre est un essai engagé, pas un travail d'historienne. Mais il donne des liens et les envies de s'intéresser aux travaux qu'il met en valeur.
November 12, 2021
Cocher les cases
David Diop, la porte du voyage sans retour.

La porte... raconte le voyage au Sénégal de Michel Adanson, botaniste, au 18ème siècle, entre collections de plantes et de bestioles, découverte de la langue wolof et des cultures associées, et observations des pratiques esclavagistes. C'est très bien documenté, très bien fait. Certaines scènes sont vraiment très bien (le récit sous les étoiles, le jeune prince et son cheval, le mariage du roi, le meurtre fantastique via serpent géant...)Le roman traite avec précaution et délicatesse de tous les sujets qu'il aborde : relations entre Blancs et Noirs, esclavagisme, situation des femmes (en Europe comme en Afrique) et même la situation de la recherche universitaire (au 18ème siècle).
L'idée de base est vraiment forte (la femme vendue comme esclave qui est revenue) mais le romancier n'ose pas aller trop loin. Le récit manque de contradictions internes, de narrateurs pas fiables, d'ambiguités... Par contre, il coche toutes les cases et évoque tous les sujets de notre époque : écologie, racisme structurel, sexisme... L'ensemble est très sage. Pas honteux, mais restant bien dans les clous, et tournant en vérité autour d'un fantasme amoureux et sexuel plutôt commun.
A l'exception du dernier chapitre, qui m'a vraiment surpris. L'auteur, en prenant soudain un point de vue surprenant et pas très cohérent avec le reste (mais on s'en fiche !), se moque de lui-même, de son travail et des prétentions des Européens. Et ça fait du bien.
November 10, 2021
Balade romantique sur le Rhin (en char Shermann)

Mais voilà, faire jouer au jeu de rôle dans un cadre historique donne envie de s'informer sur la période et le cadre. Après avoir regardé le (très bon) un pont trop loin, que je prendrai peut-être le temps de chroniquer ici, je me suis intéressé à la campagne des Alliés en Europe de l'Ouest. Et il s'avère que Daniel Feldmann, dont j'avais beaucoup aimé les biographies synoptiques de généraux, a également co-écrit et publié en 2016 un livre sur l'exact sujet qui m'intéressait.
La campagne du Rhin traite de plusieurs problèmes intéressants. Que faire quand un camp (l'Allemagne) a perdu la guerre, mais refuse de l'admettre ? Et que pour des raisons complexes, mais explorées par exemple dans ce bouquin, la population et les soldats décident de se battre jusqu'au bout ? Que faire quand, comme les Alliés, on a un véritable avantage numérique et matériel, mais pas infini, et qu'on doit venir à bout de cet adversaire ? D'autant que les Anglo-Canadiens arrivent au bout de leurs réserves d'hommes, que les Américains ne veulent pas en envoyer plus, que les Français ont envoyé au repos leurs meilleures troupes (coloniales, à la peau un peu foncée) pour intégrer des FFIs motivés mais pas formés et éviter la formation d'un front communiste sur les arrières. Comment planifier la victoire sur l'Allemagne ? Comment s'y prendre ?
Outre un détail des forces et des opérations, ce livre passionnant nous parle aussi des relations entre Alliés et généraux (pas très bonnes, mais ayant au final un impact minime sur les opérations), explore les plans tels qu'ils ont été conçus et tels qu'ils ont été accomplis et s'intéresse aux raisons qui ont poussé Eisenhower à arrêter les troupes alliées sur l'Elbe alors qu'elles étaient aussi proches de Berlin que les Soviétiques...
La campagne du Rhin étudie tout cela au niveau stratégique et opérationnel et ne se plonge pas, c'est voulu, dans l'expérience du combattant ou les détails du terrain.
Ce qui ne gâche rien, le livre est bien écrit, vivant, appuyé sur des sources de première main. Les auteurs font preuve d'un remarquable esprit de synthèse et livrent une étude solide sur cette campagne peu connue, à l'exception des wargamers, bien sûr.
Je peux maintenant apprécier le rôle de chaque nation Alliée dans ce combat. De l'inexpérience des troupes américaines, au comportement honteux des Français en Bavière, en passant par les "batailles planifiées" des Anglais, l'erreur (admise par lui, ce n'est pas rien) du général Horrocks lançant la seconde vague blindée trop tôt lors des combats près de Clèves...
Et le soir je peux lister pour m'endormir les opérations militaires sur ce front pour m'endormir. Wacht am Rhein, Nordwind, Veritable, Grenade, Blockbuster, Plunder, Varsity... Bonne nuit les petits !

October 17, 2021
Mais quelle comédie ! -- A la comédie française

Mais quelle comédie ! est une pièce dansée et chantée montée par la troupe de la comédie française pour célébrer ses retrouvailles avec le public après les très longs mois de confinement. Et, à en juger par l'accueil très chaleureux de la salle, c'est tout à fait réussi. La troupe a monté un spectacle à numéros inspirés par les grands moments de la comédie musicale à l'américaine, le music-hall, l'opérette, la chanson de variété (de Brel à Barbra Streisand)...

Les musiciens sont présents sur scène (et très bons), les actrices et acteurs du français savent jouer, chantent fort honnêtement, dansent plutôt bien. Le programme annonce que la pièce est née d'un travail de réflexion et de partage sur leur métier d'acteurs, la joie de faire partie de cette troupe extraordinaire, les peines particulières liées à ce travail. Un numéro très touchant montre Elsa Lepoivre (que nous avions admirée dans Lucrèce Borgia) montant trois fois sur scène la même journée pour trois pièces différentes tout en attendant un message d'une personne chère dont on ne saura rien. Ce passage est de loin le plus émouvant de la soirée (et par les dieux de l'Olympe, quelle actrice ! Même quand elle joue une bribe de bribe du rôle, on l'entend, elle sonne et résonne...)

Quelques autres (brefs) moments rendent compte de cette vie du théâtre et sont touchants. Pour le reste, ils se cachent et font les guignols pour faire rire. J'ai trouvé les numéros de music-hall poussiéreux, certains moments (le bègue, la voyante) carrément embarrassants. Il y avait de jolie choses dans le reste (Serge Bagdassarian chantant la quête, certains passages dansés) mais je n'ai presque jamais adhéré à ce pot-pourri concocté par des gens talentueux. Le public, lui, a aimé et les acteurs paraissaient heureux. Moi, je n'étais pas avec eux.

October 3, 2021
Alain le Foll -- Au palais lumière
Je ne sais pas si Alain le Foll est un maître de l'imaginaire, comme le prétend le sous-titre de l'exposition, mais cet illustrateur, disparu en 1981, est un artiste passionnant à découvrir.
Nous avons beaucoup apprécié qu'une expo soit consacrée à un artiste qui a commencé sa carrière dans la pub, puis est passé par le dessin de presse et le livre pour enfants. Je ne connaissais pas son nom mais en découvrant ses images, je me suis trouvé dans un terrain de mémoire familier, comme si je les avais aperçues durant mon enfance. Le Foll a un dessin très précis, avec des objets et personnages "réels" qui se mêlent à des fleurs et plantes psychédéliques.
L'expo mène de manière intéressante de ce travail "commercial" à un travail personnel de dessins et de lithographies. Le Foll a fait de très beaux travaux sur les paysages, explorant les formes, les lignes et les couleurs (voir le paysage africain, ci-dessous - ses visions des rochers des îles anglo-normandes poussent dans l'abstraction). Une salle plus profonde encore nous emmène dans l'étrange (-1D3 points de SAN), avec des images qui s'intéressent au lien entre l'animal, le végétal et le minéral, avec des anatomies impossibles, des visions de tubes, de tiges et d'articulations harmonieusement arrangées.
Bravo aux organisateurs de cette expo, pour le choix du sujet et l'art des arrangements qui nous emmènent loin dans l'univers de cet artiste !






August 28, 2021
Une vie (Winston Smith 1903-1984) – Christian Périssin, Guillaume Martinez
Cette série de cinq livres évoque la vie d'un fameux écrivain et journaliste britannique qui a traversé le XXème siècle et ses souffrances. Si les périodes évoquées vous intéressent et si les constructions littéraires alambiquées vous stimulent, ces bandes dessinées sont pour vous. Après les images ci-dessous, je vais spoiler à mort. Vous êtes prévenus !





Avec son dessin faussement sage et son sujet historique, je m'attendais à de la BD histo un peu académique comme il s'en publie plein et que je comptais lire pour profiter des recherches des auteurs et me plonger dans les périodes durant lesquelles j'aime jouer et faire jouer des histoires.
Mais le projet est tout autre. Cette bio est imaginaire et en même temps tissée de vrai. Elle est un joli tour de magie visant à nous faire croire à son auteur, nourrie d'autres vies réelles, les éclairant et nous les faisant voir différemment, notamment celle d'Eric Blair / Georges Orwell, avec des apparitions d'autres personnages fameux. Le construction du récit, qu'on découvre à travers un autre personnage qui le lit, permet à la fois d'en augmenter la crédibilité et de multiplier les fausses pistes et les mensonges... Les personnages (le gérant de l'hôtel, par exemple) ne disent pas tout, certains dessins et échos de cases laissent deviner d'autres choses gardées secrètes.
Tout n'est pas réussi. Le rythme lent des premiers tomes sur l'enfance et l'adolescence contraste avec la relative frénésie narrative du dernier. Ca m'amuse que les auteurs aient fait sauter le tome 5 ("parce que la lecture de la biographie de Smith m'a plutôt ennuyée...", j'aime bien cet aveu).
Le dessin, à la fois précis et doux, très triste quand il décrit l'Angleterre de l'enfance, m'a bien plu.
Une oeuvre très intéressante et une belle construction littéraire, qu'on se serait plus attendue à trouver dans un roman "classique". Le résultat m'a enchanté.
