Laurent Kloetzer's Blog, page 14

July 26, 2022

Le nom du monde est forêt -- Ursula Le Guin


Je viens de lire le dit d'Aka, j'en parle ici, et il est édité au livre de poche dans le même volume que le nom du monde est forêt, un des premiers livres d'Ursula Le Guin que j'ai découvert adolescent. Celui-ci, dont le pitch et la structure du récit ont inspiré Avatar (dont je pense du mal avec une grande vigueur) est peut-être le plus simple des romans d'Ursula du cycle de l'Ekumen. C'est une fable anticolonialiste assez simple et dont le récit se termine comme les anticolonialistes voudraient qu'ils se terminent (c'est-à-dire pas comme sur Terre). Un des personnages est un méchant militaire colon méchant (j'ai dit qu'il était méchant ?), sans doute le personnage le moins fin jamais écrit par notre grande dame de la SF. La description de la culture autochtone est par contre tout à fait étonnante, de même que son principal protagoniste, rêveur éveillé capable de ramener dans le monde de l'éveil des idées et des concepts venus du rêve, et devenant par là un dieu.Je fais un peu la fine bouche, mais ça reste un roman remarquable, très bien écrit, souvent palpitant et une très bonne intro à l'univers de l'Ekumen (dont je pense qu'il n'est pas entièrement cohérent d'un roman à l'autre et que, vous savez quoi ?, on s'en fiche).
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Published on July 26, 2022 13:03

Le dit d'Aka - Ursula Le Guin


Suite de mon exploration, ou de ma ré-exploration des romans d'UKLG, celui-ci lu sur le conseil de luvan. Le dit d'Aka appartient au cycle de Hain et voit Sutty, une terrienne envoyée de l'Eukumen tenter de comprendre pourquoi sur la planète Aka les modes de vie et les philosophies anciennes ont disparu brutalement après le contact d'Aka avec les vaisseaux de l'Eukumen. Après avoir fini le roman, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question, mais j'ai adoré suivre cette linguiste ethnologue dans sa recherche et son exploration d'un monde autre, et, comme toujours chez Le Guin, fascinant. J'ai aimé ce roman par ce qu'il laisse percevoir du mystère des autres cultures, des autres êtres humains, parce qu'il dit de nos relations avec ces ailleurs, comment nous aimons nous y laisser entraîner et parfois piéger.
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Published on July 26, 2022 12:49

July 24, 2022

Le livre écorné de ma vie -- Lucius Shepard


Ce qui est bien dans ce livre : l'écriture, souvent inspirée, capable de transmettre des sensations complexes. La couverture. Le concept bien fumé du récit (que je ne spoilerai pas). Le reste, je n'ai pas aimé (le narcissisme littéraire, vrai ou simulé, le Cambodge vu par les yeux d'un occidental,  le sexe/drogue/violence, la re-descente du fleuve en bateau...). J'ai de la sympathie pour Lucius Shepard et j'ai vraiment beaucoup aimé certains de ses récits, mais pas celui-ci. 

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Published on July 24, 2022 23:28

July 12, 2022

L'anomalie -- Hervé Le Tellier

 

J'ai lu un Goncourt !

Celui-ci est arrivé précédé d'une réputation flatteuse. Original, romanesque, science-fiction... On nous présente une galerie de personnages, puis, vers le premier tiers, un évènement très étrange qui va bouleverser leur vie à tous, le genre d'évènement qui se produirait dans le premier épisode d'une série un peu weird.

Les personnages sont très bien écrits, avec grand talent. Ils sont presque tous des héros de film, film américain pour certains, film français rive gauche pour d'autre, il manque le film social. L'auteur les plante en un chapitre chacun, très bien arrangé, qui nous en dit beaucoup et nous dit juste ce qu'il faut, un peu à la façon de Léo Henry au début du Casse du continuum. J'admire.

Après cette mise en jambe remarquable, il y a l'évènement, l'anomalie du titre. L'auteur a des lectures, des références, alors il relie le truc à un paquet d'idées SF puis, après ça, nous dit clairement qu'il n'en a rien à faire de l'explication, et c'est à peu près à ce moment que je n'en ai eu plus rien à faire du roman (je ne sais pas si c'est lié : il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l'intelligence, et même le génie, c'est l'incompréhension, je vous laisse admirer). Après, c'est bla, bla, bla, conséquences pour personnage 1, pour personnage 2, personnage N, et fin du roman, qui est trop court pour que j'aie le temps de m'ennuyer.

C'est fait avec beaucoup de métier, c'est distrayant et au final, aucune patte de canard n'a été brisée durant la lecture.




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Published on July 12, 2022 01:46

July 8, 2022

The Irishman -- Martin Scorsese

 Martin Scorsese est vieux. Robert de Niro est vieux. Al Pacino est vieux. Joe Pesci est vieux. Martin fait revivre le monde de little Italy et des gangsters en rajeunissant numériquement tous ces gens, puis en les emmenant vers la vieillesse et la mort. C'est parfois marrant au début et ça devient long et sépulcral. Ca m'a plu quand même. Plus le temps passe, plus Sheeran l'Irlandais, joué par Bob de Niro, a un air de Droopy dépressif. On comprend que sa famille lui fasse la gueule.

J'ai appris plein de truc sur l'histoire du crime et des US, et qui était Jimmy Hoffa. La balade valait le coup.




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Published on July 08, 2022 09:57

June 9, 2022

In the mood for love -- Wong Kar Wai


Je me rappelle avoir eu un peu envie de voir ce film à sa sortie, puis il a sombré dans la liste immense des films jamais vu. Une coïncidence et une rencontre nous l'ont rappelé et nous l'avons regardé.

Suite l'épisode 12 du podcast "une invention sans avenir" (écoutez-le ! J'espère que ça vous intéressera autant que moi), consacré à la critique, je ressens une certaine vanité à tenter de dire des choses de ce film.

Nous avons beaucoup aimé et c'est très beau.

Un homme et une femme s'aiment (peut-être ?) dans le Hong Kong des années soixante. La lumière est trouble, parfois verdâtre, teintant les doigts qui effleurent les cigarettes. Les espaces sont exigus, quasiment tout se passe dans des couloirs, des escaliers. Monsieur Chow écrit en amateur des feuilletons wuxia. Madame Chan fait bonne figure, et elle porte pour chaque scène une robe qipao différente, mais à chaque fois très très belle. Quand elle marche, ses pieds se posent sur une ligne. Il y a du montage et de la musique, tout s'agence merveilleusement, les dialogues plein de sous entendus, les ellipses temporelles, les lumières sur les visages sérieux des personnages, la fumée des cigarettes.

Si vous aimez le cinéma, cet art avec des gens qui bougent sur un écran, ce film pourrait vous plaire.








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Published on June 09, 2022 06:34

May 18, 2022

La main gauche de la nuit -- Ursula Le Guin

https://images.noosfere.org/couv/p/pp5191-1984.jpg 


Il y a quatre ans, j'ai relu les Dépossédés (c'était vachement bien). Cette année, j'ai récolté plein de vieux livres de SF chez un copain qui vidait sa bibliothèque et parmi ceux-là, la main gauche de la nuit, que j'ai donc relu dans la même édition pocket moche que quand je l'avais découvert. Oui, cette couv est vraiment... heu... sans rien à voir avec le contenu ?

 Et le livre, alors ?

J'en avais le souvenir d'un bouquin un peu obscur dans lequel il m'avait fallu du temps pour plonger. On dira que j'ai grandi, et c'est maintenant exactement la SF qu'il me faut. Primo, le roman n'est pas très long. Puis il croit entièrement à son univers, et moi j'y crois aussi. Le récit est totalement, humainement et sociologiquement crédible.

Je rappelle très très vite le pitch : Genly Aï, un Terrien, est envoyé de la société galactique sur la planète Gethen (dite Nivôse par ceux qui l'ont découverte), un monde très très froid peuplé par des humains hermaphrodites. Il va se retrouver coincé dans des intrigues politiques compliquées, devoir voyager à des endroits où il n'avait pas envie d'aller et il va se faire un ami.

Relire mamie Ursula de nos jours, c'est à la mode (et bien tant mieux : elle fait de bons livres). Relire celui-là, en post metoo et féminisme plus visible (ou bien = l'auteur de ces lignes un peu plus informé), c'est intéressant. Comme m'a dit une amie, c'est un roman assez misogyne : la vision que le narrateur a des femmes et de ce qui est "féminin" est carrément dépréciatrice.

Autre surprise, alors que dans la langue des natifs le pronom pour décrire les gens est asexué (comme eux, qui le sont 90% du temps), le texte anglais et français utilise il tout le temps. On se demande ce qu'aurait donné un texte où les getheniens auraient été décrits dans une grammaire prenant en compte leur manière particulière d'être genrée. Pourquoi est-ce que Ursula n'a pas fait ce genre de choix ? Peut-être que ça ne se faisait pas, ou par manque de savoir le faire (les autaires sont parfois très limité.e.s dans leurs capacités, j'en sais quelque chose), ou d'autres raisons qui ne sont qu'à elle. Le livre est comme ça, tant pis, tant mieux, ça nous permet d'en parler.

Sinon, j'ai adoré. J'ai voyagé très loin, j'ai aimé les personnages, j'ai vécu dans des sociétés étranges et humaines, incompréhensibles et toutes proches. La toute fin du roman m'a bouleversé et m'a fait ressentir quelque chose que je ne trouve que dans les meilleurs textes de SF, une nouvelle perception de qui je suis et de ce que nous sommes, nous, êtres humains. 



 

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Published on May 18, 2022 12:07

May 7, 2022

Blogging tardif - films

Le principe de ce blog est, depuis le début, de suivre un peu mes lectures, visionnages et autres rencontres avec des productions culturelles. Je ne suis pas aussi assidu à le tenir que je ne le fus, mais j'aimerais marquer ici quelques trucs regardés ou bien lus ces dernières années dont je voudrais garder une trace. Jugements lapidaires en perspective ! Peut-être que je développerai plus tard certains de ces commentaires dans des messages plus longs, mais j'en doute, les journées sont courtes et la fin des temps est proche.
On va commencer par les films, dans un ordre approximativement inverse de visionnage. A relire la liste, je me rends compte qu'il en manque, mais tant pis. Voici donc, en vrac, des films vus ces deux dernières années.
 Re)Trouvailles | BERTRAND TAVERNIER | Le juge et l´assassin - YouTube
 Le juge et l'assassin, de Bertrand Tavernier : après quelques belles rencontres, comme Laissez-passer, nous avons exploré d'autres films de Tavernier. Nous en avons aimé certains et détestés d'autres. Le juge et l'assassin fait partie des premiers : la relation entre le juge (Noiret) et l'assassin (Galabru) est fascinante, les scènes secondaires sont très bien. La charge de gauche n'est pas très fine, mais ça fait plaisir de voir cette lutte des hommes et des classes ainsi incarnée. On a beaucoup aimé.
QUE LA FETE COMMENCE
Que la fête commence, de Betrand Tavernier: voir supra. Celui-ci est dans la seconde catégorie. On aime beaucoup les acteurs qui y jouent (Noiret, Rochefort et Marielle !), l'ambiance d'époque est forte, mais le film, avec son lot de sperme, de sang et de pisse est somme toute assez déprimant. Capitaine Conan - Film de Bertrand Tavernier (France, 1996) de Bertrand Tavernier (Film de guerre) : la critique

Capitaine Conan, de Betrand Tavernier: voir supra. La reconstitution, le sujet, l'époque, le cadre sont formidables. Certaines scènes, extraordinaires. Torreton, incroyable. Mais on n'a pas aimé. On n'a pas bien compris où ça nous emmenait, et nous n'avons jamais accroché.
Les Choristes (2004) - VEGA Film & Distribution
Les choristes, de Baratier: je ne me rappelle plus pourquoi on l'a regardé, peut-être pour faire plaisir aux enfants ou aux grands-parents. J'ai pensé aux disparus de Saint Agil, de Christian-Jacque, et je me suis dit qu'on savait bien mieux faire les films de pensionnat à en 1936. Les choristes, c'est bien gentillet. Et tout le monde ne filme pas les enfants comme Truffaut dans les 400 coups[image error]

Le grand Meaulnes, de Jean-Daniel Verhaeghe : on y retrouve le mignon Jean-Baptiste Maunier, comme dans les choristes. Mais là où les choristes était simplement gentillet, ce grand Meaulnes est nul. Rien à sauver (comme quoi, avoir Marielle ou Torreton dans un film ne suffit pas). Mamma Mia! : 7 anecdotes à connaître sur la comédie musicale | Vogue France

Mamma Mia!, de Phyllida Lloyd : je ne l'ai jamais dit, mais une de nos descendantes est fan de comédies musicales et de Abba. Et bien c'était très rigolo de regarder ça avec elle. J'ai découvert Abba, et en fait, j'ai plutôt aimé. The Imitation Game - Le Temps
 The imitation game, de Morten Tyldum. Un film sage sur un sujet fascinant. Ca se laissait quand même regarder, et certaines images étaient très bien.

What Is The Main Point of 'Gattaca' (1997) Movie? What Is The 'Gattaca' Meaning? » SpikyTV
Gattaca, de Andrew Niccol : celui-ci, je l'avais vu à sa sortie. Les filles ont eu à la regarder sur demande d'une de leurs profs. J'avais oublié combien ce film était abstrait et beau. Plastiquement, il a étonnement peu vieilli. Et j'adore la manière dont Jude Law incarne son personnage. Formidable. THE TRUMAN SHOW (Critique) – Les Chroniques de Cliffhanger & Co

The Truman show, de Peter Weir : encore un visionnage scolaire, dans le cas d'une réflexion en classe sur la liberté. La réalisation n'est pas très inspirée, mais le film reste remarquable par l'univers qu'il crée. Et j'y aime beaucoup Jim Carrey. Une très belle découverte familiale. Richard III (1995) - IMDb

Richard III, Richard Loncraine : celui-là aussi, vu à sa sortie. Ian Mc Kellen avant qu'il soit Gandalf et Magneto, et avant qu'il se commette dans Cats, c'était quelque chose. Shakespeare + nazis, ça marche plutôt très bien.
Photo du film L'Assassinat du Père Noël - Photo 6 sur 6 - AlloCiné
L'assassinat du Père Noël, de Christian Jacque : celui-ci, on l'a regardé pour se plonger dans les années 40. Rien de transcendant, mais ça se regarde très bien. Critique : Man on the Moon, de Miloš Forman - Critikat

Man on the Moon, de Milos Forman : j'ai dit plus haut que j'aimais Jim Carrey. Il est vraiment extraordinaire dans ce film sur un Andy Kauffman, humoriste barré des années 70. Ce film mériterait un billet plus long, tant il m'a bouleversé et mis mal à l'aise. On en vient à douter de la vérité, et de la réalité, comme chez Dick ou chez Christopher Priest. C'est vraiment très bien. Ondine»: quand l'amour fait splash - Le Temps

Ondine, de Christian Petzold : urbanisme berlinois et morceaux de récit fantastique. C'était inhabituel et plutôt pas mal, mais je ne m'en souviens pas très bien, ce qui n'est pas très bon signe. Indiana Jones and the Temple of Doom (1984) - IMDb

Indiana Jones et le temple maudit, de Steven Spielberg : (re)vu en famille. A part la première scène, on a détesté. Je sais qu'il paraît que c'est le meilleur de la série, etc., mais en fait la misogynie du film/du personnage nous a vraiment déplu. (Alors que, durant mon premier visionnage au siècle dernier, je me rappelle avoir ri tout le temps)
This is the gruesome original ending of the Hunchback of Notre Dame
Le bossu de notre dame, de Gary Troussdale et Kirk Wise : vu avec une enfant à l'hosto. Je ne l'avais pas aimé à la sortie. Là, je l'ai adoré. Les musiques, la réalisation, la qualité des dessins et des décors, les chansons... Et ce détail qui laisse entendre que les gargouilles qui parlent n'existent que dans la tête de Quasimodo... Formidable. C'est le Bolchegeek qui m'avait donné envie de le revoir.
 Frère des ours | DisneyPixar.fr

Frère des ours, Aaron Blaise et Robert Walker. Vu aussi à l'hosto avec enfant. Les chansons sont nulles mais le cadre était original et le scénario contient un twist assez joli. Ca parle de la vie, de la mort, de la culpabilité et du rachat. Pas mal. 7 Easter Eggs You Can Find in Disney•Pixar's Up—Plus 3 Up Easter Eggs in Other Pixar Films - D23

Up, de Pete Docter et Bob Peterson. Vu aussi à l'hosto avec enfant (oui, ça a été un peu long). On a beaucoup aimé. Le quasi court métrage qui ouvre le film et qui résume la vie du héros est un chef d'oeuvre.
WALL-E - Movies on Google Play
Wall-E, de Andrew Stanton. Vu aussi à l'hosto etc. On a adoré. Plein de trouvailles géniales, une SF poétique qui fait penser à des classiques des années 50. Cats' VFX Artist Breaks Silence on Editing Out Buttholes | IndieWire

Cats, de Tom Hooper: dieu que c'est embarrassant ! Mais ça nous a fait découvrir le muscial d'origine (plusieurs chansons sont très bien) et les poèmes d'où tout cela provenait. Lola Rennt (Run Lola Run) - Introduction Theme - YouTube

Lola Rennt, de Tom Twyker: vu à sa sortie, j'en gardais un souvenir ébloui. Et bien j'aime toujours beaucoup, et Marguerite (11 ans à l'époque) a adoré. Parce qu'il y a Franka Potente avec des cheveux rouges et une musique qui envoie du bois. Little Women

Little women, Greta Gerwig : une adaptation moderne et assez sage du roman, rien de honteux, bien jouée, bien faite, avec Paul Atreides dedans. Ce film m'a surtout rappelé le roman et l'importance qu'il a eu dans ma vie, en me présentant la figure d'une jeune personne voulant et pouvant devenir écrivain. Je crois que j'ai eu envie d'écrire après l'avoir lu. Et j'étais sans doute un peu amoureux de Jo.





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Published on May 07, 2022 08:25

April 25, 2022

Le Tartuffe, ou l'hypocrite – A la Comédie Française

Nous avions tellement envie de profiter un peu des célébrations autour des 400 ans de John-B. Poquelin que nous avons organisé un voyage à Paris pour aller voir ce Tartuffe en trois actes, mis en scène par Ivo Van Hove.




Pour la faire simple, le metteur en scène néerlandais a tenté de monter la première version du Tartuffe, reconstituée par "archéologie littéraire" (c'est un concept rigolo) excavée et ciselée dans la matière du texte de la troisième et dernière version (et seule dont on dispose). Et, à partir de cet objet bizarre, il joue à explorer quelques idées, que je résumerai ainsi :

Tartuffe est un type ramassé dans la rue, lové dans la famille d'Orgon, et il ne veut pas partir parce qu'il a tout à perdre (donc il va être prêt à mordre !). Il est jeune, pas vilain, et comme le mariage Orgon-Elmire bat de l'aile (rappelons qu'Orgon "revient de la campagne" au début de la pièce et qu'Elmire se remet d'une maladie), van Hove imagine que la jeune épouse a en fait envie de se taper le visiteur (et réciproquement). Troisième idée : madame Pernelle, Orgon et Tutuffe sont des conservateurs, Damis, Cléante et Dorine sont des libéraux progressistes, et il va y avoir du fight social.


Commençons par ce qui était vraiment bien : c'est le Français, ce sont les 400 ans de leur boss, ils fallait mettre le paquet, ils l'ont mis. Les acteurs sont super bons (je les ai tous aimés et j'ai été touché de revoir Podalydès, vieux, parce que, en fait, il est vieux), ils envoient du bois, c'est formidable. La scénographie est très riche, pleine d'idées, avec musique d'Alexandre Desplat, mouvements de décor qui pètent, éclairage puissants et expressifs... Il y avait des moyens sur scène et ça se voyait. Et, même si je n'aime pas tout des partis pris de I.V.H., j'admets qu'il y a des idées et qu'il les a exprimées avec intensité. Vous n'aimerez peut être pas, mais vous en parlerez.

Comme je l'avais déjà dit la dernière fois que j'ai vu la pièce, il s'agit en vérité d'une pièce flippante et désespérée. Le discours de Cléante m'a rappelé l'angoisse des débats contre les "vérités alternatives" sur les réseaux sociaux. Cléante a raison, il le sait, mais il ne peut pas convaincre. Et Orgon lui dit : "tu causes bien, tu es savant, mais tu sais quoi ? OSEF." Et toute discussion paraît s'enliser et se perdre, les débats et stratégies des libéraux contre l'ennemi ne mènent à presque rien. Le pire est peut-être le fait que Tartuffe n'est même pas un monstre, mais juste un type qui va se bagarrer pour survivre (ce qui le rend encore plus redoutable) et qu'on le comprend. 

Plusieurs effets de mise en scène sont très puissants : le début, qui ressemble à un générique de série très classe. Les arrivées en scène des combattants (pareil que chez les Artpenteurs, la pièce est une série de combats ritualisés). Les lunettes blanches d'Orgon... J'ai ressenti un grand plaisir à voir la précision du jeu, le soin des détails, ambiances sonores et visuelles, lampes qui descendent, pas rythmés des combattants déboulant sur la galerie...

Marguerite m'a dit "c'est super sombre et oppressant". Et Rosa : "j'ai préféré Scapin. Il s'y passait plus de choses, on rigolait plus et ils sautaient partout"

Peut-être que c'est là la limite de cette mise en scène. Le texte nous glisse quand même que la pièce est sensée être drôle. Et Tartuffe ?, dit Orgon au récit de Dorine, et on voudrait rire, on rit même un peu, parce que Molière écrit des blagues, mais on ne se sent pas tout à fait légitimes. Plusieurs échanges sont du comique léger qui paraît déplacé dans cette ambiance violente. La scène de séduction ambigue entre Elmire et Tartuffe, qui repose sur du sous-entendu allusif, devient ici très très explicite, presque pornographique.


Le spectacle d'I.V.H est puissant, ténébreux, terrifiant parfois. Il insiste sur le côté sombre et angoissé de la pièce, sur notre impuissance face à l'hypocrisie et au mensonge. Et dans notre époque de doute, on ne rigole plus du tout.


Je conclus en citant la critique parue dans le Temps. Alexandre Demidoff, l'auteur, raconte très bien la scène initiale de la pièce, et j'ai retrouvé mes sensations dans son récit.

https://www.letemps.ch/culture/paris-une-messe-noire-un-tartuffe-present-vitriol

Devant vous, en prélude, la scène dans sa noirceur de cratère primordial. Avec ses ficelles, ses passerelles, sa machinerie. C’est là que Tartuffe naît chez Ivo van Hove, sur un air lancinant de sirène, à la lueur des flambeaux. Il est cet inconnu qui s’arrache à nos ténèbres. Un oiseau de proie orphelin de son ciel. Des mains s’affairent autour de lui. Ce sont des mains aveuglées. Elles le déshabillent. Elles le purifient. Elles plongent dans une bassine cet éphèbe maigre comme un rapace en hiver. Elles le rhabillent. Le cravatent. C’est un diable, au fond, porté sur des fonts baptismaux par ceux-là même qu’il va ruiner, comme s’il était l’émanation d’un milieu pusillanime jusqu’à l’inconscience.


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Published on April 25, 2022 05:08

March 22, 2022

Melmoth furieux -- Sabrina Calvo


Sabrina est une amie. C'est difficile de faire ici une chronique de ce livre très intime, qui mêle SF années 80, commune de Paris, expériences politiques contemporaines, couture, transsexualités (et bien plus) et autobiographie.

Melmoth est un livre profondément sincère qui évoque Belleville, Eurodisney, les luttes politiques dans une langue qui est celle de l'ici et maintenant. 


Le livre est une pure création de son autrice, à la fois cohérente dans son arc principal (la marche sur Eurodisney est-elle un rêve ou une réalité ?) et pleine de digressions sur la matière, les vêtements, les looks, nos apparences. L'enfance y est une matière plastique, magique, infinie, incompréhensible. Le salut jaillit des toutes petites choses.

Avec le temps qui passe, Sabrina ne s'affadit pas, elle ne renonce à rien, elle brûle toujours plus, avec la même foi, la même sincérité. Sa présence dans le monde m'inspire.




Ha oui, et dans ce livre, il y a un canard à trois pattes, aussi.


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Published on March 22, 2022 01:30