Christophe Claro's Blog, page 79

January 11, 2016

Millet: zéro nuance de gris

Le problème – l'ennui, le profond ennui – avec les écrivains paranoïaques en manque de renom, c'est qu'à peine a-t-on écrit leur nom sur la page ou l'écran qu'ils gonflent déjà, telles des baudruches entendant le début de leur nom – bau… – et croyant y déceler une épithète louangeuse. Et à peine a-t-on entrepris de leur rabattre le caquet qu'ils y voient la confirmation de ce nœud, plus coulant que le fromage auquel s'apparente leur cerveau, où ils s'imaginent que l'on glisse leur tête. Aussi ne dira-t-on pas grand-chose finalement de l'article consacré par Richard Millet à Maylis de Kerangal, paru récemment dans le numéro 61 de la Revue Littéraire. Pas grand-chose à dire, en effet, puisque, une fois de plus, on y apprend ce qu'on savait: l'homme du ressentiment aime à remuer.
Donc, Millet remue. Et remue mollement dans les eaux attendues de ses détestations. Il arbore ses petits étendards fiévreux qui n'étonneront que les novices, enfilant les rôles honnis comme autant de gants moisis. D'abord le Sexiste, qualifiant Maylis de Kerangal de "Zola femelle", lui donnant du "Madame de", la traitant de "Babyliss de Kerangal". Puis le Raciste, crachant sur la "littérature française", visiblement abâtardie, qu'incarne selon lui Maylis de Kerangal et d'autres (en gros, les primés), afin de pouvoir mieux insulter les tenants de la littérature francophone, recourant à l'expression "attraction raciale" et rabâchant l'adjectif "blanc" (ou, "white"), même serti de guillemets. Enfin le Réac, fier et froissé, fustigeant en une même gerbe le post-modernisme, l'ultra-gauche, Foucault, Didi-Hubermann, les gender studies, etc. Surtout etc.
Sexiste, raciste, réac: ce sont là sans doute des termes un peu forts, et que cherche tant à décrocher ce petit persécuté Millet qu'on trouverait finalement généreux de l'en parer. Soit. Retirons-les. Il n'en a pas besoin, étant devenu, jusqu'au paroxysme du ridicule, dérapages inclus, la parodie de lui-même, comme si le fiel fascisant suffisait à faire acte de Bloy. Ça doit être ça le plus dur à vivre, dans le ressentiment. S'imaginer au sommet de la dénonciation et de la vérité, alors qu'on racle la cuvette en se torchant avec ses pages. Se vouloir fracasse et n'être que mélasse. Se croire polémiste quand on est juste taxidermiste. S'inventer blanc quand on n'est que gris. Se croire unique quand on progresse aux régionales.
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Published on January 11, 2016 22:51

Foenkinos : le caniche à la portée de l'Infinite

Faudrait-il, vraiment, ne plus jamais s'étonner? Doit-on, tout simplement, s'habituer? Telles sont les questions que je me pose parfois devant l'obscénité assumée par certains écrivains lors de leur parcours promotionnel. A ce petit jeu payant, on peut dire je crois que David Foenkinos vient de décrocher le pompon. En effet, il n'a rien trouvé de mieux que de déposer son immense talent papetier au pied des détenteurs d'une carte visa infinite.
On vous explique la chose, au cas où vous ne seriez pas détenteur d'une carte Infinite… Le 17 décembre dernier, de 19h à 20h30, à l'hôtel Saint James Paris, 43 avenue Bugeaud, dans le XVIème arrondissement, moyennant quand même 160 euros par adulte (on ignore si des enfants ont tenté de forcer l'entrée…), les détenteurs d'une carte Infinite avaient droit à une "rencontre littéraire" avec David Foenkinos, comportant les avantages (prononcez: "advantaidge") suivants: 1/ privatisation d'un salon de l'hôtel particulier Saint James Paris; 2/ échanges autour de la passion de l'écriture et de ses œuvres; 3/ cocktail champagne ; 4/ livre dédicacé par l'auteur ; 5/ groupe restreint de détenteurs de la carte Visa Infinite. 
L'événement, intitulé "en aparté", était ainsi résumé dans la brochure de la Société générale:
"Pénétrez le cercle très sélect du Saint James Paris, unique château-hôtel de la capitale, pour une rencontre littéraire des plus confidentielles. C'est au cœur de cette superbe maison bourgeoise, dans un salon entièrement privatisé, que le célèbre romancier David Foenkinos vous accueille en personne pour un moment d'échange privilégié. Reçu dans les meilleurs conditions, vous conversez avec l'auteur, de la façon la plus conviviale qui soit. Profitez-en pour évoquer avec lui, en toute spontanéité, l'amour dans son œuvre ou sa passion du jazz, sa méthode d'écriture ou encore la genèse de son roman Charlotte, prix Renaudot 2014. Agrémentée d'un cocktail champagne, la discussion promet d'être captivante."

Ah pardon, j'ai oublié de vous dire ce qu'était la carte Visa Infinite. C'est une carte de crédit de couleur noire, donc forcément hyper classe, qui offre certains avantages (liés bien sûr à des revenus certains), puisqu'elle vous permet de retirer, dans la limite du solde disponible de votre compte à vue
- jusqu’à 15 000 EUR par période de 7 jours sans dépasser :-  4000 EUR par jour dans les distributeurs Société Générale, Crédit du Nord et à l’étranger,- 1500 EUR par période de 7 jours dans les distributeurs de toutes banques en FranceVous voyez tout de suite le rapport avec la création littéraire, je n'en doute pas.
Bref, c'est la carte des grands qui ne mégotent pas, hein. Et qui ont pu ainsi, "en toute spontanéité", "échanger" avec David autour du destin tragique de Charlotte Salomon tout en sirotant une coupette de champagne, et en tripotant leur carte visa Infinite d'un air inspiré. Un échange "privilégié", comme ils disent à la Société générale. C'est bizarre, mais le mot "privilège" ne semble plus poser problème de nos jours. Serait-il devenu, lui aussi, hyper classe? En tout cas, choisir son lectorat en fonction de sa capacité de retrait, voilà qui est d'une élégance rare. 
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Published on January 11, 2016 21:30

Les fantasmâlgories de Theweleit

Je vous signale ce soir une soirée exceptionnelle avec et autour du travail de Klaus Theweleit et de son livre Fantasmâlgories, soirée animée par son traducteur, Christophe Lucchese et Johnathan Littell — j'avais évoqué brièvement l'œuvre de Theweleit lors de mon post de 2011 sur le passionnant essai de Littell intitulé Le sec et l'humide. Entre-temps, l'obstiné Lucchese a réussi à imposer ce premier opus de Theweleit, qu'on se réjouit de lire bientôt. Bref, en attendant un compte rendu, voici les infos pour ce soir et sur le texte, repris d'un courrier de Claire Stavaux, éditrice à l'Arche:

"À l’occasion de la parution en langue française d’un ouvrage incontournable de la théorie du fascisme – jusqu’alors inédit en France – de Klaus Theweleit (Männerphantasien), publié en français sous le nom de Fantasmâlgories, j’attire votre attention sur une manifestation qui pourrait vous intéresser :
Lecture-rencontre avec Klaus TheweleitLundi 11 janvier 2016 à 19HÀ la Bibliothèque de l’Institut Goethe de Paris (en allemand et en français, interprétariat assuré)En présence de son traducteur, Christophe Lucchese, et de Jonathan Littell (auteur des Bienveillantes, prix Goncourt 2006, influencé par Theweleit), qui animera le débat.https://www.goethe.de/ins/fr/fr/sta/par/ver.cfm?fuseaction=events.detail&event_id=20673334
Sortie en librairie de Fantasmâlgories : le 28 janvier 2016 (le livre sera disponible en avant-première au Goethe)

À propos du texte :Quel lien existe-t-il entre le fascisme et le genre ? C’est à partir de cette question que Klaus Theweleit explore la fascination masculine pour la violence et le pouvoir dans son œuvre colossale Männerphantasien (1977, Verlag Roter Stern).À l’aide de la psychanalyse et partant d’un large corpus littéraire issu des rangs des corps francs allemands de l’entre-deux-guerres, l’auteur a tenté d’analyser la structure mentale de la personnalité fasciste. Son ouvrage, qui reste encore à découvrir en France, consacré à la question du rapport entre pouvoir et genre, transgresse allègrement les limites des champs disciplinaires. En résulte un ouvrage hybride, mêlant histoire, psychanalyse et gender studies, qui nous plonge au cœur de l’âme virile et de sa dérive fasciste, avec de nombreuses illustrations en miroir/contre-point/pied-de-nez (des affiches de propagande aux tableaux de maîtres, en passant par des planches de comics américains) et un ton mêlant le sérieux scientifique à la contestation iconoclaste des thèses freudiennes. En se proposant de percer la psyché (érotique) de l’homme soldat dans les textes d’auteurs de l‘entre-deux-guerres, Klaus Theweleit refuse de se satisfaire de l’interprétation psychanalytique traditionnelle et, dépassant la stricte période historique du fascisme européen, l’élargit à une analyse intemporelle de l’âme du soldat.
L’édition française, établie et traduite par Christophe Lucchese, a été raccourcie et sort en un seul volume.N’hésitez pas à largement diffuser cette information autour de vous. L’entrée est libre mais pensez à réserver vos places auprès du Goethe en appelant au 01 44 43 92 30.

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Published on January 11, 2016 01:27

Radi butine

Ouch. On est le 11 janvier. Oui. Pas le 1. Soit. Donc, le 11. On dirait un bug informatique, je sais, mais passons. On s'est un peu laissé dépasser par les événements (et franchement pas merci ô hernie cervicale de mes deux ((disques)).
Bref, le Clavier Cannibale revient traîner sa fatale carcasse sur les os nouveaux de l'an. Et décrète 2016 l'année de la Blaise (rivière de 85, 5 km qui traverse la Haute-Marne et que je salue ici). Bon, commençons en douceur, et tant pis pour la recette de la frangipane. Aujourd'hui, on vous parle de Radi.
Oh là mon Dieu , de Fabienne Radi, dont on avait déjà prisé le précédent ouvrage, est un petit recueil de quatre textes qui pourrait par conséquent être carré mais ne tourne évidemment pas rond puisque l'auteur aime, plus que tout, passer du coq à l'âne. Bon, passer du coq à l'âne peut paraître fastoche à première vue, mais chez Radi, ça relève du funambulisme, et ça en dit long autant sur le coq que sur l'âne. Ça veut dire, par exemple, passer d'un souvenir de cours de géologie à une installation artistique en transitant par Paul Newman puis Charlton Heston. Ça se fait en douceur, par petits glissements, avec ce naturel bancroche qui sied aux esprits curieux. Car l'intérêt du coq à l'âne, c'est qu'une fois arrivé à la queue de l'âne, on a encore en tête des images de la crête du coq (sans parler du regard bleu de Newman ou de les plis de la toge de Heston).
Prenons un deuxième exemple. Vous connaissez Richard Chamberlain? Il vous fait penser à quoi? Peut-être à une série télé. Aux Oiseaux se cachent pour mourir. Série tirée d'un best-seller. Best-seller écrit par ColleenMcCullough. Ne pas confondre avec Carson McCullers. Ni avec un livre de Romain Gary. Et Colleen, au fait, elle vient d'où? Pourquoi cette histoire d'oiseaux qui préfèrent aller se planquer avant de rendre l'âme? Tout ça exige un petit exercice d'investigation, donc, de voltige, tiens, nous revoilà dans les airs, à tire-d'aile. Evidemment, pour faire passer un fil rouge par des aiguilles invisibles, il faut parfois tricher. Ça s'appelle de la magie. Un truc indispensable quand on écrit. Surtout sur l'art, qui brasse les formes. L'oiseau est une forme. Ergo
Radi aime bien traiter l'info, mais elle sait aussi que l'info la traite, et comme on est pas des vaches, autant y mettre son grain de sel. Il est donc question d'art, ergo… question de formes. Les formes peuvent être légères, volages/volatiles. Il convient donc de les laisser essaimer, enfin, de les aider à essaimer. Radi butine, on vous l'a dit. Ce qui lui permet d'imaginer l'invention du beurre 4000 ans avant hier soir pour mieux nous expliquer ce que c'est que ce bleu curaçao qui n'existe pas, en fait, et en profiter pour se fendre d'une exégèse fantôme du film The Swimmer, où l'on distingue des traces de beurre. Etre pertinent, c'est parfois non seulement chercher midi à quatorze heures, mais trouver que quatorze heures ressemble sacrément à midi, vu d'un certain angle païen. Il y a du rhizome chez Radi. C'est dit.
______________Fabienne, Radi, Oh là mon Dieu, cinq histoires traitant de l'art par la bande, éd. art & fiction, coll. SushLarry, 2015, 12 euros




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Published on January 11, 2016 00:30

December 17, 2015

La photo du jour



Kathrine Switzer, première femme à courir le marathon de Boston en 1967. Jock Semple (à sa droite, en costard), un des organisateurs officiels de la course, essaie de lui faire arrêter la course. Peu après, la AAU interdit explicitement aux femmes de participer à toute compétition avec des coureurs masculins, sous peine de perdre le droit de concourir. C'est finalement en 1972 que les femmes eurent pour la première fois le droit de courir officiellement le marathon de Boston.
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Published on December 17, 2015 21:50

Finir l'année ( and fuck forever…)

Fidèle à sa conception crypto-stakhanoviste de la fainéantise, le Clavier Cannibale se retire quelques jours ouvrés à la campagne, histoire d'avancer (ou reculer) sur divers projets ou fronts. Au programme, une dizaine de lectures imprévues et prévues, un monceau de recettes à fignoler, une petite traduction de trois millions cinq cent mille signes et des pousièrres-octets en cours, des épreuves Lot49 à bichonner mais c'est Pierre 'Magic" Demarty qui a traduit donc zéro inquiétude, des amis à nourrir et à abreuver, des travaux des champs, quelques promenades en forêt pouvant déboucher sur la découverte inopinée de cadavres de champignon, des parties de chasse au Griffoul (le dahut local…), des méditations solitaires en groupe devant un ciel nocturne qu'on devine déjà hirsute d'astres séniles et de singularités nues, mille nuits en une avec Marion, des rites ancestraux perpétrés dans la cave, un passage en boucle, obsédant et titanesque de The Windmills of Your Mind, que sais-je encore, l'apparition inopinée des faramineux lutins Plick et Plock, ces pré-Incultes incorrigibles… et éventuellement un ou deux posts sur ce blog si jamais je déniche un spot…

*
Bref, retour prévu sur vos écrans rétro-éclairés dans le courant de la première semaine de janvier, et puisqu'on parle du 7 janvier, ma foi, autant vous donner tout de suite rendez-vous à cette date — oui, car le jeudi 7 janvier, je serai à la librairie Charybde, à Paris, pour une rencontre à partir de 19h30 autour de mon nouveau livre, Comment rester immobile quand on est en feu, une "anti-ode" à paraître la même semaine aux éditons de l'Ogre. L'occasion d'en lire de larges extraits, mais rassurez-vous, vous trinquerez aussi après.

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Published on December 17, 2015 21:30

La phrase (ignoble) du jour

"Je ne savais pas que c'était une photo de James Foley. Elle est accessible par tous sur Google. J'apprends ce matin que sa famille me demande de la retirer. Bien évidemment, je l'ai aussitôt retirée."  — Marine Le Pen 

Qui donc, selon Marine Le Pen, était sur cette photographie? Qui était, selon elle, ce décapité apparemment "anonyme"? Comment peut-on être anonyme ? Quelqu'un mais pas James Foley? Quelqu'un qui n'a pas de famille, donc personne pour demander à ce qu'on retire sa photo décapitée ? Et en quoi le fait que cette photo fût accessible par tous sur Google rendait-il légitime de s'en servir sur son compte Twitter?
Dans cette histoire assez pathétique, ce qui ressort surtout, c'est l'art de mettre en scène une forme viciée de double-bind. Un, je suppose que c'est n'importe qui sauf James Foley; deux, j'apprends que c'est James Foley pluôt qu'un autre. Un, je choque en mettant en ligne une photo choquante. Deux, je la retire par souci de décence. Un, je rappelle que la photo est accessible par tous; deux, je ne la rends plus accessible. Un, je suis contre Daech; deux, je suis avec les victimes et leur famille. Un, je suis impulsive; deux, je suis à l'écoute. (Mais au final: Un, je vous prends pour des cons; deux, je vous prends pour des cons.)
"Retirer ses propos (ou des photos)": c'est depuis longtemps la technique du Front National (et de plus en plus d'autres politiques). Car dire puis retirer ce qu'on dit, ça revient en fait, pour eux, à dire deux fois. Je dis que les chambres à gaz sont un détail, puis je retire ce que j'ai dit (sous une pression quelconque, judiciaire, médiatique, etc.) Ainsi, mon propos non seulement est deux fois plus visible, mais la plus-value est évidente: je montre que je suis à l'écoute, que je peux faire une erreur, que je sais reconnaître mes excès, etc.
Ce qu'il faut retenir surtout, dans la déclaration de Marine Le Pen, c'est cette formule: "bien évidemment", dont le cynisme semble nous dire: "Attention, un jour vous verrez ce que j'en ferai, de vos évidences…"
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Published on December 17, 2015 03:55

December 16, 2015

La sauterelle et le cheval (à propos d'une image simonienne)

Animées, les images le sont à plus d'un titre – je parle ici des images au sens rhétorique (comparaisons, métaphores, etc.). Outre la puissance analogique qui les cabre et leur permet des greffes parfois surprenantes, elles recèlent dans leurs plis une mémoire secrète. Il arrive en effet que leur dynamisme et leur originalité soient à la fois hommage et relance. Prenez le début du Cheval , ce texte magnifique de Claude Simon publié en deux livraisons par la revue Les Lettres nouvelles en février et mars 1958 et qui reparaît aujourd'hui, sous forme de livre – un livre nécessaire, ardent.
Décrivant des chevaux dans la nuit, comparant tout d'abord les bruits qu'ils font à un "grignotement" produit par des insectes, Simon écrit ceci:
"[…] les chevaux, les vieux chevaux de l'armée, l'antique tosse à massacres qui va le long des longues routes de la guerre, branlant sa lourde tête cuirassée de plaques métalliques, n'a-t-elle, n'ont-ils pas quelque chose de cette raideur de crustacés, cet air vaguement ridicule, vaguement effrayant des sauterelles, avec leurs pattes raides, leurs os saillants, leurs flancs annelés comme des corselets […]" (p.7)
On le voit, l'auteur part ici d'une perception auditive de l'insecte puis opère un détour visuel par le crustacé, pour revenir à l'insecte en le spécifiant cette fois-ci : ce sera la sauterelle. L'image, surprenante, qui compare le massif au ténu, le pesant au sautant, arrive donc après une certaine "confection", quelques brèves étapes finement reliées, articulées entre autres par le crissant "crustacé".Cette image, pourtant, n'est en rien orpheline, et on peut lui trouver une ancêtre chez Hugo, dans un poème des Orientales intitulé La Bataille perdue:
"Tous ces chevaux, à l'œil de flamme, aux jambes grêles,
Qui volaient dans les blés comme des sauterelles,
Quoi, je ne verrai plus, franchissant les sillons,
Leurs troupes, par la mort en vain diminuées,
Sur les carrés pesants s'abattant par nuées
Couvrir d'éclairs les bataillons!"
Ici, on le sent, quelque chose de biblique – du fait des "nuées" – sous-tend la comparaison. Mais si l'on trouve à la fois chez Simon et Hugo cet animal soudain fantasque qu'est le cheval-sauterelle, c'est bien sûr parce qu'il vient de plus loin, et, aussi saisissante que soit l'image, rappelons qu'elle figure dans l'un des plus anciens livres au monde,  :
"Est-ce toi qui donnes la vigueur au cheval, / Et qui revêts son cou d'une crinière flottante? Le fais-tu bondir comme la sauterelle?" (Job, 39, v. 22 - trad. Segond)
De Job à Simon en passant par Hugo, l'image se laisse éprouver par les sursauts de la langue, s'affûte à ses voltes; sa singularité naît moins de son originalité que de sa fusion dans une scansion. L'insecte et le cheval semblent ainsi, au cours des âges, danser de conserve, mesurer leurs cadences, échanger leurs élans, guetter un devenir commun. Cousins tout d'abord par le dynamisme – le saut –, les voilà soudain soudés chez Simon par un liant inattendu, qui enrichit la vision : un "air vaguement ridicule, vaguement effrayant".Les ailes rognées, diminuées de leur aura religieuse, les sauterelles-chevaux de Simon semblent avancer péniblement dans la boue homérique des temps, elles ne bondissent plus, sculptées par un âpre destin famélique. Signe qu'un "massacre" de plus – de trop? – est passé par là.
______________Claude Simon, Le Cheval, post-face de Mireille Calle-Gruber, les éditions du Chemin de fer, 14 €
Note: Je suis tombé par hasard sur les vers de Hugo dans le passionnant ouvrage French Global, une nouvelle perspective sur l'histoire littéraire, éd. Classiques Garnier (2014)
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Published on December 16, 2015 23:55

Les anges radieux de William T. Vollmann



A paraître





le 7 janvier 2016




éd. Editions Actes Sud…


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Published on December 16, 2015 04:13

December 15, 2015

Dark ou Darth?

Des années qu'ici on l'appelle Dark Vador. Des années, putain! Ça commence à bien faire, cette histoire. Parce qu'il ne s'appelle pas Dark Vador. Ce type, aussi sombre soit-il, ne s'appelle pas Vador le Noir, ou le Sombre Vador. Il s'appelle Darth, Darth Vader. "Vader" signifie "père" en néerlandais – du coup on comprend mieux son prénom, Anakin, dans lequel on peut lire et entendre: an akin / un parent. Quant à "darth", on peut y lire bien sûr la collusion de dark + death (appelez-le Moir, si ça vous dit). Mais pas Dark Vador, non.
C'est une "erreur de traduction" qui remonte à la sortie en salle en France de l'épisode IV, donc au 19 octobre 1977 — le jour même, rappelons-le, où Hanns-Martin Schleyer était assassiné par la Fraction Armée Rouge, mais passons. En outre, "darth" est, dans la saga-à-fric Star Wars, un titre réservé aux Siths qui sont devenus des seigneurs, vous m'en direz tant. Donc, soit vous l'appelez Darth Vader, Seigneur Vader, ou encore Moir Pater, mais là c'est à vos risques et périls, et vous pouvez tant qu'à faire appeler la série La Guerre des Vedettes, au point où on en est. 
Bon, on peut aussi fouiller un peu la chose et se dire que "Darth" est la transcription anglaise du mot arabe "dars", mot signifiant "cours" ou "conférence", évoquant à la fois l'apprentissage et une dimension spirituelle. Mais bon, arabiser un méchant n'est peut-être pas la meilleure idée du siècle.
Tour ça pour vous dire quoi? Ah, oui, allez voir à tout prix le film. Il sort, là, aujourd'hui. Son titre? Ah pardon, j'oubliais. Ça s'appelle L'attente. C'est un film de Piero Massina, avec Juliette Binoche et Lou de Laâge. Et là, ouf, ni guerre débile ni étoiles à la con. Juste des visages. Des visages justes.

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Published on December 15, 2015 21:30

Christophe Claro's Blog

Christophe Claro
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