Christophe Claro's Blog, page 86

October 14, 2015

Mon livre n'a pas de presse: c'est grave, docteur?

Je ne sais pas si vous avez suivi ce canular qui, hélas, n'en est pas un. Il y a peu a paru dans le journal Libération une petite annonce signée par un écrivain, Fabrice Guénier, dont le deuxième roman, Ann, figure dans la liste du prix Renaudot (on est hyper impressionné…). Voici le texte en question (de l'annonce, hein, pas du roman):
« Dernier roman Gallimard encore en lice pour le Renaudot, n’ayant eu à ce jour ni critique ni article de presse, cherche à rencontrer journaliste curieux. Contacter Fabrice Guénier."
C'est bien sûr, d'une certaine façon de facto, un coup de pub, et assez bien relayé, entre autres par Les Inrocks. On comprend la tristesse ante coïtum de l'auteur, qui voit son livre en lice mais pas dans la presse. Mais que cherche-t-il à dénoncer (ou à vendre?). OK, son livre est sur une liste. C'est déjà pas mal, même si on s'en fout. Ils sont cinq cents et des poussières, en cette énième rentrée, qui peuvent s'accrocher avant que ça leur arrive. Certes, il n'a pas encore eu de "papier", et là encore ils sont plus de cinq cents qui peuvent non seulement s'accrocher, mais s'accrocher à une branche qui n'existe pas. Fabrice Guénier veut-il dénoncer un état de fait qui, rassurons-le, ne fera qu'empirer (eh oui) ou cherche-t-il à faire parler de son livre par des biais vaguement cocasses mais surtout éprouvés – l'homme est ancien publicitaire, pas membre de l'Oulipo, c'est bon on avait compris.
Disons les choses telles qu'elles sont, et telles que les attaché.e.s de presse vous le diront. Il est de plus en plus difficile de décrocher un papier, à moins de figurer dans le peloton de tête, qui se réduit chaque année, avant parution, voire avant écriture, à une dizaine de têtes de gondole. Et quand vous décrochez un papier, eh bien, ça ne fait guère avancer le schmilblik. La presse littéraire n'est quasiment plus prescriptrice. Ça peut éventuellement renflouer  l'égo des auteurs, ces frêles choses angoissées qui croient que l'ivoire dont serait faite leur tour a une quelconque valeur, mais pas au point de faire sursauter la courbe de leurs ventes vouées à l'extinction au bout de trois mois. Vous voulez vendre? Vendre vraiment? C'est pas compliqué, torchez votre copie puis envoyez à Ruquier & Busnel. Sinon, oubliez. 
Mais voulez-vous vendre? Parce que, bon, hein, je vous rappelle que vous êtres en principe un écrivain, et non un commercial. Votre boulot, ce n'est pas d'assurer les ventes et de booster la promotion. Votre boulot, c'est de faire des phrases. Une, puis, deux, puis trois. Puis de les recommencer. Encore et encore. Si votre livre ne marche pas, à qui la faute? Au système? Ah mais nous en sommes tous responsables du système, non? A moins que nous soyons… contre? Oups. Ne vous est-il jamais venu à l'esprit, ne serait-ce qu'une seconde, que, peut-être, la littérature a davantage à voir avec le discret, le clandestin, la résistance, la marge ? Qu'elle est peut-être menacée, mais que surtout elle est une menace? Vous voulez être la menace avec en prime les lauriers? Hum, ai-je envie de dire. C'est dur parfois de prendre des pincettes quand on aime jouer de la perceuse.
Que préférez-vous? Figurer sur une liste de prix "prestigieuse" (mouahhahah) et ne pas avoir de presse? Ou avoir un peu de presse et n'être sur aucune liste (what the fuck !) ? You know what?, comme dirait Droopy. Les trois quarts des livres de la rentrée ne seront pas sur des listes et n'auront aucune ou très peu de presse. Leur existence sera précaire, hasardeuse, catastrophique – leurs lecteurs seront rares, tardifs, aléatoire, mais, qui sait?, précieux, patients, ardents.
Prions seulement pour que ceux qui décrocheront le gros lot gagnent assez d'argent pour ne plus avoir besoin d'écrire.


 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 14, 2015 10:07

De l'aubergine considérée comme un sex-toy

Je vous en avais parlé il y a peu: Le Courtier en tabac , de John Barth, ressort! Publié en traduction une première fois au Serpent à Plumes en 2002, il était ensuite passé furtivement au Livre de Poche en deux volumes. Le revoici le revoilà, grâce aux bons soins des éditions Cambourakis.

1055 grammes de prose pétillante ! Fourni complet avec quelques centaines d'alexandrins, une recette à base d'aubergine pour obtenir une érection plus que correcte si vous êtes micropénien, la véritable histoire de John Smith et Pocahontas, comment choisir un cahier pour écrire des poésies, quel expédient utiliser pour se torcher le fondement, quel effet a le tabac sur le comportement humain, des anecdotes édifiantes sur les bordels flottants, quelques mésaventures avec des truies, une histoire d'inceste, des pirates, un caméo de Newton en bougrelas, que sais-je encore… C'était ma deuxième traduction et j'y ai pris un plaisir extrême. Je l'ai dédiée pour cette nouvelle édition à la mémoire de Denis Roche, qui m'en avait confié (étourdiment) la longue et laborieuse confection au début des années 90.

Le livre est paru en langue anglaise (Etats-Unis) en 1960, il n'est donc jamais trop tard pour s'en faire un compagnon endiablé – puisque les livres, n'est-ce pas, ne sont pas sujets aux dates de péremption, qui sont, elles, l'apanage des produits de consommation alimentaire. (Bon, je pinaille, car certains livres ont tendance à ressembler à des produits alimentaires. Eh non je ne vous dirai pas ce que je pense du frichti concocté par Libérati.)
Bref, n'hésitez pas vous jeter sur ce Courtier en tabac avec l'enthousiasme un peu débridé d'un employé d'Air France sur un cadre en chemise de qualité.
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 14, 2015 09:02

October 13, 2015

La persistance des veuves

<!-- /* Font Definitions */ @font-face {font-family:Cambria; panose-1:2 4 5 3 5 4 6 3 2 4; mso-font-charset:0; mso-generic-font-family:auto; mso-font-pitch:variable; mso-font-signature:3 0 0 0 1 0;} /* Style Definitions */ p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal {mso-style-parent:""; margin-top:0cm; margin-right:0cm; margin-bottom:10.0pt; margin-left:0cm; mso-pagination:widow-orphan; font-size:12.0pt; font-family:"Times New Roman"; mso-ascii-font-family:Cambria; mso-ascii-theme-font:minor-latin; mso-fareast-font-family:Cambria; mso-fareast-theme-font:minor-latin; mso-hansi-font-family:Cambria; mso-hansi-theme-font:minor-latin; mso-bidi-font-family:"Times New Roman"; mso-bidi-theme-font:minor-bidi; mso-fareast-language:EN-US;} @page Section1 {size:595.0pt 842.0pt; margin:70.85pt 70.85pt 70.85pt 70.85pt; mso-header-margin:35.4pt; mso-footer-margin:35.4pt; mso-paper-source:0;} div.Section1 {page:Section1;} </style> --> <div class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><div style="text-align: left;"><a href="http://1.bp.blogspot.com/-3flD433fBns..." imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://1.bp.blogspot.com/-3flD433fBns..." width="241" /></a></div>C’est une histoire de semence, l’histoire d’une parole enfin libérée. Violette Ailhaud vient d’avoir 84 ans. On est en 1919. Il lui reste six ans à vivre (Violette est née en 1835). Et ce qu’elle a à dire, elle l’a confié à une enveloppe, que le notaire chargé de sa succession ne devra pas ouvrir avant l’été 1952. Dans l’enveloppe, un texte, qui devra être remis à l’aîné des descendants de Violette, « de sexe féminin exclusivement », ayant « entre 15 et 30 ans ». Ce texte s’intitule <i>L’homme semence</i>, et il a traversé le silence d’un siècle de veuves.<br /></div><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">1852. Violette est sur le point d’épouser Martin. Mais Napoléon III a confisqué le pouvoir et ses opposants sont passés un peu partout par les armes. Dont Martin.<span style="mso-spacerun: yes;">  </span>Au Saule Mort, hameau du village du Poil dans les Alpes-de-Haute-Provence, disparaît ainsi le dernier homme. Le père de Violette ? Mort aux Iles du Salut, au bagne. Les autres hommes ?<span style="mso-spacerun: yes;">  </span>Transportés en Algérie. Le village des femmes prend alors une décision : non seulement résister, tenir bon, mais guetter, guetter le prochain homme, et lui demander d’être le futur père de tous les enfants à venir, afin que le village ne s’éteigne pas. Deux ans après la mort de Martin, un homme arrive. Violette va l’aimer, et à 84 ans le souvenir qu’elle garde leur nuit d’amour est un petit miracle d’écriture :</div><blockquote class="tr_bq"><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">« Au début, je me retiens de mordre à pleines dents dans cet homme que j’attends depuis longtemps, depuis toujours je crois. Je sais ma faim mais je ne sais pas ce qu’il faut faire. […] Comme on serre les jambes, je serre, pour les empêcher de déborder, la violence contenue, le désir, l’attente du plaisir, toute cette force de vivre embâclée depuis deux ans derrière le barrage qui coupé le cours de ma vie. […] Je me jette sur mon Jean, […] Je prends, je mords, je frappe, je ne sais plus où je suis, je disparais, je perds conscience. Je hurle quand le plaisir m’envahit. La force, la profondeur de ce plaisir sont si inattendues que je pense un moment que je vais mourir ou devenir folle. »</div></blockquote><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Vingt-cinq pages : pour dire le plaisir promis, attendu, arraché. Les hommes reviendront, alors, épars, mais la guerre elle aussi reviendra, et si Violette, en 1919, décide de raconter cette histoire c’est parce que la Première Guerre mondiale a de nouveau pris et tranché tous les hommes de son village. Le dernier, dit-elle, est mort le jour de l’Armistice… :</div><blockquote class="tr_bq"><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">« A chaque fois la République nous a fauché nos hommes comme on fauche les blés. C’était un travail propre. Mais nos ventres, notre terre à nous les femmes, n’ont plus donné de récolte. A tant faucher les hommes, c’est la semence qui a manqué. »</div></blockquote><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Ce texte a si fortement impressionné ses lecteurs qu’il a donné naissance au « Festival L’homme semence », riche de spectacles, ateliers, expositions, conférences.<span style="mso-spacerun: yes;">  </span>Il continue d’essaimer malgré le temps, hors littérature, bien vivant dans sa chair.</div><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">_______________</div><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Violette Ailhaud, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">L’homme semence</i>, éd. Paroles, coll. main de femme (« des livres à ne pas mettre entre les mains de tous les hommes »), illustré de 8 linogravures de Maryline Viard, 10 €<br /><br /><span style="font-size: xx-small;"><i>Ill: Carl Wilhelm Kolbe Le Vieux ( 1759-1815 ), Tronc de vieux saule pleureur, 1808, Kunsthaus Zurich </i></span></div><div class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><br /></div>
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 13, 2015 21:30

La phrase du jour





"Je dirais même que c'est encore plus difficile pour les hommes d'écrire au nom d'une femme tout simplement parce que les hommes ne sont pas des femmes." — Joël Dicker
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 13, 2015 06:35

October 12, 2015

Comme si une chose grave: la frappe AC Hello


Naissance de la gueule : c’est le titre, et on va vite y entrer dans cette gueule, on va vite s’y dissoudre aussitôt, avec la langue, la langue brûlée de l’auteure, AC Hello, sur laquelle on pourrait se méprendre en allant trop vite, c’est-à-dire, qu’on pourrait, emporté par sa rage, ne voir là qu’un écrit à dominance tripale, un cri plus ou moins modulé, alors qu’en réalité la langue de Naissance de la gueule est du côté du chant, riche en inflexions, et travaillant ses ratés à l’aide d’une rythmique redoutable. Tout commence au bord du fleuve du périph, qui charrie ses véhicules aveugles, et qu’une « fille à la bouche ouverte » vient sentir plus que voir, en absorbant les pulsations, s’en écœurant – et l’écœurement finit alors par remplacer son cœur, car en elle, en cette fille, fanfaronne « un fils de pute » qui l’empêche d’exister, de fondre sa voix dans le flux. Oui, ici, tout est affaire de flux, de jus, et ça fuit, la fille fuit, les fluides fuient, et c’est parti pour une cavale de la langue et des organes, des pensées avortées, des pulsions foirées. 
La bouche étrangle, la gueule veut parler. Et respirer. Des sons forcent la trachée, et ces sons font guerre :
« Ma tête est une opposition. Un ensemble d’expulsés. Je rigole sur ma chaise. J’irai jusqu’au bout de ma terrible tête qui n’a plus peur d’elle-même. C’est foutu. Pour la rêveries idéaliste et optimiste. C’est foutu. »
La fille donc fuit, c’est-à-dire qu’elle se réfugie, aussi, chez des gens, mais les gens mordent, au début ils accueillent, puis ils demandent, demandent de la parole, de la bave, or la gueule veut sortir de la bave, en a marre de se faire cogner parce qu’elle refuse d’être « dans la culture du debout », et forcée de parlée, contrainte à l’articulation, se déchire elle-même dans sa la ngue :
« Isui sanorce, riste, isui anomerb, anometoil, anomlarge, barje, anomcile, anolair, sanorce, isui pfilld’monde, isui illemonde, isuis anom i puitvoir, i puimrapandre dsinterstices, i puitvoir dtamaison, ié lcor ié la c’science extensible et isui prtou. Ipuistir, ipuistir. »
Au lecteur d’apprendre à mâcher ça, il le faut, ça n’est pas fini, ça continue, et après toutes sortes de « collisions », d’aheurtements ressentis en chair et en langue commence un drôle de voyage en Floride, où ça ne fait qu’empirer, mais différemment, avec Stanislas, avec Emmy aussi, Tobby, Jérôme Akoulov, un monde interlope qui parfois vomit, parfois se branche sur l’art et l’argent. La fille va vomir tout ça aussi, lasse de ce:
« malaise ontologique de ces blaireaux de merde, en habits d’apocalypse, dont la cervelle remplie d’attractions illimitées, tend des sucreries à des jambes, des poitrines, des nez et des crânes »…
Exit la fille, commence alors la troisième partie de ce retable cramé, un texte intitulé « claque-tête », à la justif étroite, qui mitraille, utilisant les syllabes comme des semonces, des rat-rat-rat mitraillettes, pour qu’on entende claquer la violence, la guerre,  les rafles, les rafales.Naissance de la gueule : quand le langage ne se laisse pas faire, ça fait mal, rien n’est épargné, et ça laisse dérisoire pas mal de proses racées.
______________AC Hello, Naissance de la gueule, éd. Al dante, 13 €
A.C. Hello pratique la performance et/ou la lecture sur scène. Crée des situations. Elle dessine, peint et écrit. Nombreuses publications en revues et fanzines (papier ou internet, dont Overwriting, Chimères, Armée noire…). Expose également. Un passage (rapide mais efficace) dans le collectif L’Armée noire.
Elle crée la revue Frappa en 2014, revue multimédia visible sur le net, et qui a vocation a exister également en version papier.
De la même auteure :
Paradis remis à neuf (Livre + CD, éditions Fissiles, 2014)
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 12, 2015 21:30

Brève polaire

C'est avec une joie non dissimulable qu'on apprend la parution éditoriale imminemment prochaine d'un ouvrage en forme de "conte philosophique" écrit par le moniteur de philosophie Michel Onfray, conte illustré par de l'illustration qui a été dessinée et peinte par la chanteuse-peintre Mylène Farmer.
Le titre figurant sur la couverture de ce livre écrit par l'auteur s'appellera L'étoile polaire – rappelons que, du fait de son alignement avec l’axe de rotation, une étoile polaire est perçue comme immobile par un observateur situé sur la planète, donc pas d'inquiétude à voir, l'agitation que devrait susciter ce livre ne devrait être en principe qu'une erreur de parallaxe.

 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 12, 2015 00:27

Christophe Claro's Blog

Christophe Claro
Christophe Claro isn't a Goodreads Author (yet), but they do have a blog, so here are some recent posts imported from their feed.
Follow Christophe Claro's blog with rss.