Christophe Claro's Blog, page 81

December 4, 2015

La phrase du jour


Le candidat à la présidence de la Région Auvergne Rhône-Alpes Laurent WAUQUIEZ a déclaré vouloir «…fermer les formations fantaisistes comme celles des métiers du cirque et des marionnettistes…» et « Ouvrir des formations débouchant sur des vrais jobs».
On se demande bien ce qui peut motiver quelqu'un d'aussi occupé que Laurent Wauquiez à accorder une infime partie de son précieux temps à cet étrange combat. Comment se fait-il qu'une formation professionnelle permettant à des personnes de se préparer aux métiers du cirque lui semble "fantaisiste", lui qui a pourtant compris que l'ennemi c'était les homosexuels et Taubira, plutôt que Marion Maréchal Lepen? Eh bien je crois qu'il y a cela une explication: Laurent Wauquiez a tout bonnement peur de la concurrence déloyale. Parce que le clown, le vrai, c'est lui.

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Published on December 04, 2015 01:10

December 3, 2015

Vie et mort du coussin


Vie et mort du coussin

Sous la tête grasse, pesante : sa boursouflure — qu’on imagine peuplée d’innombrables lombrics, tous engendrés par la crasse d’autrui, d’où cette impression qu’un instant de répit accouchera d’une éternité de purulence. Qui peut croire qu’en tapant du plat bête de la main une matière molle, sa texture couarde, on peut lui redonner vie et amplitude, dignité et confort ? Depuis longtemps tu as renoncé à voir en cette dalle hypocritement moelleuse le réhausseur de tes basses pensées, et pourtant c’est à lui – au coussin qui est de jour comme à l’oreiller qui est de nuit – que tu confies la lente et invisible dévoration de ce qui se passe derrière ta tête. Allons, repose-toi, laisse aller à sa guise le sang dans tes membres rompus par l’agitation ou l’inaction – causes différentes, effets semblables : entends le chant de la gangrène ! –, ferme ces yeux qui ne savent plus voir que le contour décalé des choses, oublie ce qui t’attend et imite quelques minutes ce mort dont tu as usurpé la vie. La chaleur de l’inanimé – née dans des entrailles de plumes, dans ce nid ennemi – va se diffusant à travers la taie niaise et rêche, puis gagne ta nuque qu’elle abrutit, mouille tes cheveux en algues et s’attaque alors à la peau inconnue, la peau imparfaitement tendue sur ton crâne. Un échange de fluides se produit, doit nécessairement se produire puisqu’au sortir de la sieste, ta tête est devenu, quoi ? coussin confus, et le coussin, quoi encore ? crâne écrasé.
— Extrait de La nature des choses (à paraître)
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Published on December 03, 2015 21:49

December 2, 2015

Rouge la vie, rouge la mort, et seul sur scène

Si vous faites vite, vous pouvez encore décrocher des places pour Rouge décanté, l'admirable pièce mise en scène par Guy Cassiers, adaptation pour la scène du bouleversant roman de l'écrivain néerlandais Jeroen Brouwers, Rouge décanté . Seul sur les planches, cerné par des stores-écrans où son image filmée palpite et se dissout, se fige et résiste, s'avançant égaré sur des pavés muets au milieu de plans d'eau minimalistes, oscillant entre ses médocs et ses mouchoirs, se réfugiant dans des rites vides de sens en apparence, un homme brisé parle, parle encore.
Interprété depuis dix ans par le comédien Dirk Roofthooft, un homme se souvient des quelques mois passés avec sa mère en Indonésie dans un camp d'internement. Il avait cinq ans, et toute l'horreur du monde, toute la puissance de l'humiliation humaine s'est engouffrée en lui par ses pupilles, déchirant les organes invisibles de sa sensibilité et de son entendement. Pendant une heure quarante, il se souvient, se souvient de sa mère tout entière arquée sur leur survie, de sa grand-mère réduite à l'état de brindilles, il se souvient aussi d'un amour disparu, de la naissance de ses enfants. L'acide du souvenir atroce le ronge, et il n'y a aucun remède. 
La diction porte en elle mille fêlures. Des mouches rôdent, qu'il faut chasser, attraper, tuer. La cruauté vécue a son mortel sésame: un croassement qui évoque des souvenirs épouvantables. Un casque colonial vous sert de tête, à défaut de rêve. A cinq ans, le camp c'est la mort travestie en vie, et cette expérience brouillera à jamais les notions de bien et de mal. Impossible de se reconstruire après ça. 
C'est au théâtre de la Bastille, il n'y a même pas à discuter.
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Théâtre de la BastilleDirection Jean-Marie Hordé 76 rue de la Roquette 75011 Paris  Bastille 01 43 57 42 14
Du 2 au 18 décembre à 20 hDimanche à 17 hRelâche les 7 et 13 décembre Durée 1 h 40
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Jeroen Brouwers, Rouge décanté, Folio
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Published on December 02, 2015 23:44

Ça fait du bien

© Yves Pagès
"Si la littérature n’a pas cette vertu de permettre de se détacher, porter des masques, des costumes, se fuir, retourner un objet pour voir ce qu’il y a derrière, si c’est frontal et transparent comme une loupe, ça ne sert à rien, c’est complètement mort. La langue elle-même est déjà tellement épaisse et tordue que la recherche d’une langue qui ne serait que transparence ne peut être qu’un mensonge. Ceux qui y prétendent se mentent à eux-mêmes ou bien c’est une ambition complètement folle…"
— Pierre Senges, entretienavec Louise de Crisnay (Libé).
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Published on December 02, 2015 01:38

La phrase du jour (mais qui fait du bien)



En début d'année, Eugène Savitzkaya a publié un texte, Fraudeur, aux éditions de Minuit, qui a reçu récemment le prix Rossel.

L'indispensable Pierre Maury s'est entretenu avec l'auteur il y a peu, et c'est de cet entretien qu'est extrait l'échange suivant qu'on n'a plus qu'à imprimer et scotcher sur le capot de l'ordi, tiens:
Pierre Maury: Il y a, dans Fraudeur, une grande douceur, malgré quelques images plus brutales (les viscères des lapins, par exemple). Vous sentez-vous apaisé ?

Eugène Savitzkaya: Ne m’apaisent que l’amour charnel et le vin jeune.
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Published on December 02, 2015 00:00

December 1, 2015

Où était votre agenda le 2 décembre 2015 à 8h34 ?

Hadès n’en réclame pas moins ces rites
"Il m’a fallu des années pour accepter l’idée que ma mort serait filmée.
Je te vois quand tu fais semblant de me voir.
Sa mère possède une vidéo de tous ses ex, qu’elle visionne parfois quand son mari ne rentre pas.
J’ai presque été étonné en découvrant que le magasin où travaille mon fils n’était pas en noir et blanc, tellement j’ai passé de temps à vérifier qu’il ne piquait pas dans la caisse.
Tu veux voir le bêtisier de ta naissance ?
Il a une nouvelle appli. Quand tu l’appelles, au lieu de le voir lui, tu te vois toi. C’est hyper troublant, et à la fois, quelque part, c’est rassurant.
Tu passes me surveiller à quelle heure, au fait ? On avait dit onze heures, je crois.
Ne me pousse pas à bout, sinon je te fais écouter l’enregistrement de ta dernière crise.
– Où était votre agenda le 20 novembre 2015 à 17h41 ?"

[Extrait d'un texte à paraître chez Publie.net, dans un ouvrage collectif dirigé par Céline Curiol et Philippe Aigrain. La question posée aux écrivains sollicités pour ce livre était: ""Si nos vies sont suivies en temps réel, serons-nous encore libres de les écrire ?"]
Nous sommes mercredi et jusqu'ici nous n'avons pas encore été contrôlé, qu'on se le dise, mais sans être écouté.
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Published on December 01, 2015 23:33

La phrase du jour

"Quand on consulte des images de pédophilie, on est un pédophile, quand on consulte des images de djihadiste, on est un djihadiste." — Nicolas Sarkozy.
What you see is what your are? On laissera au lecteur de le soin de décliner cette formule magique à combinaison variable. On se demandera également avec profit ce qu'on est quand on regarde des images d'abus de confiance, de détournement de fonds, de sondages truqués, de financement de campagne, de Kadhafi, de Bygmalion, de Tapie, etc.
(En outre, comme vous êtes en train de regarder une photo de nain de jardin en pleine séance de bondage, j'en déduis que vous êtes un… Non, pas possible?! )
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Published on December 01, 2015 00:38

November 30, 2015

La nature des choses

Caprices de la passoire

Ne laisse pas suspendue en plein vent cette passoire dont tu ignores jusqu’à la provenance ! Trop tard. Enhardi par l’absence d’eau, ce casque absurde devient, ainsi brandi, un crible redoutable qui transforme – magie noire, magie folle – le flux invisible de l’air en rayons de vide ! C’est faire le mal que d’offrir à la nature cet ustensile dont on devine pourtant la consistance avant qu’une main d’homme le rêve perméable. A l’instar de cette peau dont tu vantes un peu partout, sans trop réfléchir, et à proportions égales et contradictoires, la délicieuse porosité tout comme l’obstinée résilience, ce monstre qu’est la passoire en sait long sur ta faculté à te remplir et te vider. Et pourtant. Toi qui redoutes les failles, tu n’as pas vu venir le trou et sa pluralité. A travers le filtre métallique de cet hélas convexe confessionnal migrent et transmigrent les innombrables particules des pensées que tu n’as pas su mettre en gelée. Souviens-toi cependant du temps où cette coquille quadrupède, rouge ou jaune tu ne sais plus, mais ferme, solide, une fois campée dans la fosse de l’évier, aspirait par sa foule d’orifices toutes les alluvions que tu refusais à tes aliments. Une forme d’amour, aveugle ou sourd, s’incarnait peut-être dans cette opération. Allons, presse ton visage contre le miroir piqué —et tout passera.
— Extrait de La nature des choses, à paraître
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Published on November 30, 2015 21:30

November 29, 2015

"Il faut en finir" : l'Asile Artaud

Certes, la parution de lettres inédites d'Antonin Artaud ne peut que susciter l'intérêt, mais comment dire? le volume qui vient de paraître chez Gallimard, et qui s'intitule Lettres 1937-1943 , pose quelques petits problèmes. Tout d'abord, la préface de Serge Malausséna, neveu d'Artaud, où ce dernier non seulement se pose en défricheur du corpus, alors qu'on sait combien il a "œuvré" au fil des ans pour contrarier la parution des œuvres complètes, mais nous inflige des souvenirs personnels sans grand intérêt, comme son "émotion" en revoyant le parc de l'asile où il jouait… On hallucine aussi en lisant, en fin de volume, que Malausséna remercie "amis et initiés", quand on sait qu'Artaud n'a cessé de désigner l'initié comme son ennemi premier.Ensuite, l'introduction rédigée par le Dr André Gassiot, médecin-chef de l'hôpital Cayssiols de Rodez, où nous est infligé cette fois-ci un bref historique de la conception clinique de la folie et du statut d'aliéné, sans parler de considérations sans intérêt du style: "Avec Artaud […] le génie flirte avec le délire".Mais le pire est à venir, sans doute, car si l'ouvrage qu'on tient entre les mains est présenté comme des "lettres d'Artaud", on se demande bien ce que viennent y faire, insérés au même titre que les missives de l'écrivain, des diagnostics rédigés par divers psychiatres de l'époque, des certificats d'entrée, voire des lettres d'autres correspondants auxdits psychiatres, ou des lettres de la mère d'Artaud – certes, ces derniers documents ne sont pas inintéressants, mais il aurait mieux valu les consigner en annexe, puisque ledit volume se présente, une fois de plus, comme des "lettres d'Artaud", et non comme un "dossier Artaud", lequel existe par ailleurs aux éditions Séguier (Artaud et l'asile, de Danchin et Roumieux). Mais sans doute Gallimard ne peut-il plus assurer la parution des inédits d'Artaud sans la ratification de ses héritiers, qui ont grand besoin de redorer leur blason après avoir contrarier incessamment l'incroyable travail de Paule Thévenin.
Mais passons aux lettres en question, qui précisons-le, ne sont pas toutes inédites. Le corpus ici circonscrit concerne, on l'a dit, les années 1937 à 1943, c'est-à-dire depuis le retour d'Irlande d'Artaud jusqu'à son transfert à Rodez. Au début, Artaud récuse sa propre identité, il n'est pas Artaud, écrit-il, il est Antonin Arlanapulos, ou Antonin Arland, il se dit "grec", "né à Smyrne le 29 septembre 1904" (et non né le 4 février 1896…). Pendant près de deux cents lettres, on assiste à une tentative de désenvoûtement forcené, Artaud s'enfonce dans un délire kabalistique, il renie tout, ses amis, mais surtout sa mère, qu'il refuse de voir, seul lui importe de recouvrer sa liberté. Il nie être Artaud, une façon de rejeter en bloc ses écrits et surtout toute littérature. Tour à tour, il supplie et menace les divers médecins qui s'occupent de son cas. La guerre arrive, mais rien apparemment dans ses lettres ne semblent indiquer qu'il en a vraiment conscience – en apparence, du moins, car ses lettres (jusqu'à quatre par jour) témoignent précisément d'un état de belligérance à la fois intérieur (il est succubé à chaque instant) et extérieur (tous ses proches complotent contre lui), ce qui le pousse à lancer des sorts, à imaginer de violentes guerrillas urbaines, à faire exploser Paris, bref à déployer un arsenal qui l'apparente à un dément alors qu'il survit juste dans un asile tandis que le monde se dépèce heure par heure, systématiquement. Comme il le dit à Yves Tanguy fin 38:
"La vie Messieurs, va faire explosion et ce n'est pas votre stupide logomachie matérialiste qui arrêtera cette explosion."
Et d'ajouter dans la même lettre, en majuscules, ceci:
"PARLER POUR NE RIEN DIRE
                                        EST FINI"
Ce sont des lettres pleines de bruit et de fureur, venues d'un corps assiégé qui cherche à donner forme à sa résistance et refuse d'arrêter d'écrire. Artaud souffre, il veut de l'opium, de l'héroïne, du laudanum. Le sevrage imposé par l'internement est trop violent et rien ne peut plus enrayer ses bouffées délirantes — "graphorrhée" conclut le Dr. Longuet à Sainte-Anne. Il lutte néanmoins pour "s'élever au dessus du Né de la Sueur qui est en moi": déjà se profile le projet d'un corps sans organe, même s'il faudra du temps à Artaud pour parvenir à défricher l'imbroglio psychique dans lequel il s'est enfoncé pour parvenir à une poétique du désenvoûtement, scandée, aux limites de la glossolalie, seule capable à ses yeux de miner jusqu'aux fondements de l'être. Mais le clou reste à tordre, et la poussée "psycho-lubrique" demeure encore à vaincre pour qu'Artaud non seulement se réinvente, mais  devienne le Mômo, l'anti-initié, le suicidé récalcitrant.
_____________Antonin Artaud, Lettres 1937-1943, édition établie par Simone Malausséna, préface de Serge Malausséna, Introduction d'André Gassiot, éd. Gallimard, 29,90€
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Published on November 29, 2015 21:30

November 27, 2015

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Christophe Claro
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