Laurent Kloetzer's Blog, page 55
May 20, 2015
La théorie de la tartine

J'ai lu ce roman par curiosité, convaincu par ce long billet de Catherine Dufour. Pour un résumé extensif de l'intrigue, ses situations et ses personnages vous pouvez vous y reporter. Tout ce que dit le billet référencé est juste, la pavane pour une idée d'Internet défunte, les formules qui font mouche, le sens de l'air du temps, la façon de capter des personnages à la fois branques et vrais. C'est la forme parisienne-XXIème siècle du roman réaliste, ça tape là où il faut, comme la déclinaison littéraire d'un blog (plus que d'une chronique de magazine, so old school...), l'intrigue rigolote a du rythme et enchaîne les catastrophes. Ca ferait un bon film un peu déjanté, façon film français où des trentenaires commentent leur vie avec un cynisme amusé et parlent de sexe non pas dans la cuisine mais sur un channel irc.
Au fond, tout cela est très parisien, et ne m'intéresse pas beaucoup.

Published on May 20, 2015 02:37
May 18, 2015
Taxi Téhéran - Jafar Panahi
Pauvre film. Qui a fait parler de lui parce que son réalisateur, interdit de tourner en Iran, son pays de résidence, essaie de contourner la censure qu'on lui impose en montant des plans tordus. Ici, devenir taxi et filmer ses passagers, et à travers eux parler d'eux, de lui, de sa situation, de son pays... Un dispositif de pauvre pour un pauvre film. A vrai dire, j'étais curieux de savoir si l'intérêt que suscitait le film était lié à ses qualités propres ou à la situation très pénible (ce n'est rien de le dire...) de son auteur / réalisateur / chauffeur / interprète.
Au delà des limites imposées par par la situation du cinéaste, Taxi Téhéran est un bel exercice d'oeuvre sous contrainte. Unité de lieu (tout est filmé depuis l'intérieur du taxi), unité de temps (une journée), unité de sujet. Le film est très écrit, très habilement monté, tout en finesse. S'il s'agit bien d'une petite chose que ce film, c'est une petite chose très pensée et très calculée et j'ai été très ému de me rendre compte que ce film croise la route de tout un tas de films, dont on aperçoit des moments, que Panahi aurait sans doute voulu faire à la place de celui-ci. Comme si on voyait le moment où, dans ces autres histoires, les personnages sautent dans le taxi du réalisateur, et laissent voir au spectateur étonné l'histoire qu'il pourrait raconter.Ce Taxi Téhéran est un film pauvre, mais un vrai film de cinéma.

Au delà des limites imposées par par la situation du cinéaste, Taxi Téhéran est un bel exercice d'oeuvre sous contrainte. Unité de lieu (tout est filmé depuis l'intérieur du taxi), unité de temps (une journée), unité de sujet. Le film est très écrit, très habilement monté, tout en finesse. S'il s'agit bien d'une petite chose que ce film, c'est une petite chose très pensée et très calculée et j'ai été très ému de me rendre compte que ce film croise la route de tout un tas de films, dont on aperçoit des moments, que Panahi aurait sans doute voulu faire à la place de celui-ci. Comme si on voyait le moment où, dans ces autres histoires, les personnages sautent dans le taxi du réalisateur, et laissent voir au spectateur étonné l'histoire qu'il pourrait raconter.Ce Taxi Téhéran est un film pauvre, mais un vrai film de cinéma.





Published on May 18, 2015 03:04
May 5, 2015
Le dératiseur de Hamelin - au petit théâtre de Lausanne
Des notables s'en mettent plein les poches, tout roule, ils banquettent joyeusement, profitent de la situation, jusqu'à ce que survienne une catastrophe écologique, comme on dirait maintenant : prolifération de rats dans la ville. Le maire commence par ignorer la situation jusqu'à ce ses propres entrepôts soient atteints... Et les plus grands scientifiques ne peuvent trouver de solution... Alors arrive l'homme miraculeux, le joueur de flûte, étranger un peu diabolique, venu de loin, qui réclamera son dû pour son "travail".
La compagnie Pied de biche ose tout, dans cette adaptation du fameux conte des frères Grimm. En premier lieu, ne rien édulcorer, respecter le récit, son contexte, sa morale cruelle. Y ajouter des chansons, de la musique (genre métal épique des années 70 plein de guitares électriques !), jouer sur les changements d'échelle entre vrais acteurs et marionnettes, transformer les décors sous vos yeux, glisser dans la mise en scène des morceaux "pour adultes", sans jamais perdre les enfants. Le tout avec énergie et bonne humeur.
Marguerite et sa copine ont beaucoup aimé, les parents aussi. On se situe la dans une mouvance à laquelle je rattacherai le travail des Artpenteurs sur le Révizor ou celui de Christian Denisart pour l'arche part à huit heures : un théâtre pour enfants de très grande qualité, qui allie invention, énergie, sérieux et folie, pour le plus grand plaisir de tous.
Bref, du grand art.
PS: le spectacle joue encore cette semaine, et je crois qu'il reste des places. Foncez-y, ça vaut vraiment le coup ! Le site du petit théâtre.


La compagnie Pied de biche ose tout, dans cette adaptation du fameux conte des frères Grimm. En premier lieu, ne rien édulcorer, respecter le récit, son contexte, sa morale cruelle. Y ajouter des chansons, de la musique (genre métal épique des années 70 plein de guitares électriques !), jouer sur les changements d'échelle entre vrais acteurs et marionnettes, transformer les décors sous vos yeux, glisser dans la mise en scène des morceaux "pour adultes", sans jamais perdre les enfants. Le tout avec énergie et bonne humeur.
Marguerite et sa copine ont beaucoup aimé, les parents aussi. On se situe la dans une mouvance à laquelle je rattacherai le travail des Artpenteurs sur le Révizor ou celui de Christian Denisart pour l'arche part à huit heures : un théâtre pour enfants de très grande qualité, qui allie invention, énergie, sérieux et folie, pour le plus grand plaisir de tous.
Bref, du grand art.


PS: le spectacle joue encore cette semaine, et je crois qu'il reste des places. Foncez-y, ça vaut vraiment le coup ! Le site du petit théâtre.


Published on May 05, 2015 01:27
April 16, 2015
Le Grand Nulle Part - James Ellroy


Published on April 16, 2015 03:33
April 2, 2015
Rainbows End - Vernor Vinge

Rainbows end (la fin des arcs-en-ciel, et non le pied de l'arc-en-ciel, même si on peut supposer que le double-sens est voulu) est le nom d'une maison de retraite, rappelant au lecteur et aux personnages que malgré les miracles des technologies les hommes restent des êtres finis. Malgré son univers déroutant, très pré-singularité, le roman est tout à fait accessible et facile à lire, en plus d'être une des anticipations les plus profondes et crédibles de ce que pourrait être un monde où les flux d'informations sont mille fois ce qu'ils sont maintenant. Les idées fusent dans tous les sens, le roman explore la vie intime, la vie scolaire, les relations de pouvoir, le hacking, les virus, la sécurité, les jeux, comme une plongée dans ce futur hyper-californien, assez optimiste malgré le terrorisme et les fous qui pullulent.Une intrigue d'espionnage assez intéressante sert de fil rouge à cette plongée, même si je la trouve un peu trop liée à la famille Gu et pas assez développée dans ses implications - j'aurais aimé en savoir plus sur ses tenants et aboutissants (et je ne demande même pas l'identité du lapin...). Je suis également surpris par la totale absence dans le livre de toute dimension sexuelle. Les personnages s'intéressent à la science, à leurs études, à leurs problèmes familiaux, mais les corps - quand ils ne sont pas malades - paraissent tout à fait absents de leurs préoccupations. Est-ce un oubli volontaire de la part de l'auteur, ou bien un point aveugle ?Si on pense qu'un des buts de la science-fiction est de provoquer des vertiges, Rainbows end est une grande réussite. Bourré d'idées, facile d'accès, avec des personnages plutôt bien écrits, ce roman de Vernor Vinge nous emmène loin.
C'est un peu une coïncidence qui m'a fait lire Rainbows end en même temps que Zendegi. Si leurs thèmes profonds diffèrent beaucoup (le Vinge comprend notamment toute une dimension méta-littéraire), les deux romans tentent d'offrir une prospective crédible à 20 ou 30 ans, accompagnée d'une description intéressante de certaines évolutions technologiques et de leurs conséquences sociales. Zendegi est un roman plus simple que celui de Vinge, plus direct et aux enjeux me paraissant plus crédible. Le Vinge a pour lui un foisonnement, une grande richesse de vocabulaire et de créations. Les deux livres ont en commun leur grande facilité d'accès, leur fausse simplicité, et le plaisir d'offrir une grande stimulation intellectuelle. La science-fiction est bien vivante !

Published on April 02, 2015 23:08
April 1, 2015
Rosa, T1 - François Dermaut

La France de la IIIème république, à la campagne. Rosa, une belle brune sérieuse, est mariée à Mathieu, bien plus vieux qu'elle et bien malade. Un soir d'ivresse dans la taverne que tient la jeune femme, les hommes du pays en viennent à parler de virilité, et à chercher à savoir qui parmi eux à le coup de rein le plus vigoureux. Querelle d'ivrognes, querelle d'honneur, cette bande imbécile fait de cette question l'enjeu d'un pari idiot. Les enjeux montent, des participants se joignent, mais qui pourra juger ? Rosa est ruinée, elle a besoin d'argent pour venir en aide à son mari, elle se propose dans le rôle de juge, acceptant les coucheries induites, mais à condition que les choses se fassent à ses conditions. Le livre raconte l'aventure bizarre de cette femme engagée sur un chemin hors des clous du conservatisme social ambiant. On devine qu'elle en paiera le prix, cher (ce n'est qu'un premier tome sur deux) et qu'elle y trouvera une certaine dignité et peut-être une forme de liberté ?
Je trouve très amusante la fraternité de sujet et de noms avec le Rosa de Maurice Pons, puisque dans les deux récits on a une tavernière fort jolie qui se retrouve à faire le bonheur des hommes, dans une société bien corsetée. Mais là où le récit de Maurice Pons est une fantaisie érotico-militaire (si, si) (et un chef d'oeuvre), le Rosa de Dermaut est un récit social et réaliste, pas dépourvu toutefois de caricatures ni d'humour.
Le récit est long, bien mené, avec des personnages bien plantés. Comme le dit Gromovar, on y retrouve l'atmosphère lourde et campagnarde de certains textes de Maupassant, cruauté comprise. Les personnages sont intéressants et se dévoilent plus ou moins, certains portant d'intéressants secrets.
Je suis toutefois plus réservé que lui sur certains points. Si le récit traite du sort d'une femme il me semble qu'il reste un récit d'homme, dimension érotique comprise - l'érotisme y étant entièrement dans le sujet, les scènes de lit ayant lieu, époque oblige, en chemise. Les passages en voix off de la narratrice, souvent lourds et explicatifs, sonnent un peu faux et réduisent l’ambiguïté. Qu'en penseront les lectrices ?
Published on April 01, 2015 21:38
March 30, 2015
Zendegi - Greg Egan

Lu en numérique
Published on March 30, 2015 09:12
March 5, 2015
J'aime lire - lectures pour enfants
Il n'aura pas échappé aux lecteurs attentifs de ce blog que son auteur a deux enfants, Rosa et Marguerite, petites filles de bientôt huit et bientôt sept ans respectivement. Lors des trajets en transports publics, la distraction principale pour elles est de se faire lire des livres, ce qui donne à l'auteur de ses lignes l'occasion de parcourir le continent immense de la littérature enfantine.J'y consacrerai donc ce billet et peut-être un ou deux autres qui sait ?La bibliothèque publique voisine nous a fourni un tombereau de petits fascicules rouges qui font le bonheur de nos jeunes lectrices: je veux parler du magazine j'aime lire, des éditions Bayard. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ce magazine propose chaque mois un petit roman en cinq à sept courts chapitres, suivi de jeux et d'une ou deux petites BDs.Les romans sont écrits par des auteurs spécialisés dans le genre, et sont toujours d'un niveau au moins moyen, très souvent bon et parfois excellent. On pourra féliciter les éditeurs pour leur exigence en matière de niveau de langue et de qualité d'écriture, ainsi que pour leur ouverture d'esprit quant aux thèmes abordés dans les récits.Je vais ici mentionner trois "petits romans" qui m'ont particulièrement plu/intéressé.
Meutre dans l'aquarium (Olive Bellerose, J'aime lire n°422, mars 2012) : ce récit prend une trame assez classique des J'aime lire, l'enquête scolaire. Ce lundi matin, un poisson de l'aquarium de la classe est retrouvé mort... Et le mardi suivant, un second... Là, le lecteur adulte tique: c'est une histoire de serial killer ! Ce qui fait tout le charme de ce petit roman, c'est que le meilleur copain du narrateur enquêteur est doué d'un pouvoir fantastique, celui - quand il est stressé - d'entendre les pensées, mais sans savoir "qui" pense . Et le roman, réaliste en tous points par ailleurs, traite ce "détail" comme une évidence, une forme de réalisme magique qui n'est jamais interrogée, et fait tout le charme de cette petite enquête.
Aki a des soucis (Marie Vaudescal, J'aime lire n°381, octobre 2008) : Aki, une jeune japonaise, est obligée de vivre quelques mois à la campagne, parce que sa maman est enceinte et a besoin de beaucoup de repos. Sur une trame de base qui pourrait rappeler le voisin Totoro, on a là un récit curieux, vu du point de vue d'Aki qui est une petite personne tout à fait désagréable et odieuse, rendue méchante envers son entourage par les sentiments qui la rongent. Ce roman ose raconter une forme de (petite) dépression enfantine, une vie vue entièrement en noir pour des raisons que le protagoniste ne parvient pas à s'expliquer, le tout étant traité avec humour et délicatesse, accompagné des belles couleurs automnales des illustrations. Un parti-pris audacieux et très réussi.
L'incroyable sauvetage (Roger Judenne, J'aime lire n°434, mars 2013) : ici, l'histoire scolaire relève de l'anecdote presque triviale. Une petite fille à la pause de midi veut montrer sa perruche à des camarades plus ou moins sympathiques. L'un d'eux fait peur à l'animal, qui va se percher sur une des machines du chantier voisin... et les gosses essaient tant bien que mal de la rattraper. Mais là où le récit devient très amusant, c'est dans sa façon: le point de vue change à chaque chapitre, ce qui donne une dimension très excitante au récit, le suspense narratif (le mystérieux garçon monté sur la grue va-t-il tomber ?) s'ajoutant au suspense littéraire (qui raconte le prochain chapitre ?)
J'avais de bons souvenirs d'enfants des J'aime lire. Je très suis heureusement surpris de la qualité constante de leurs publications. Reste à leur proposer une histoire discrètement lovecraftienne...

Meutre dans l'aquarium (Olive Bellerose, J'aime lire n°422, mars 2012) : ce récit prend une trame assez classique des J'aime lire, l'enquête scolaire. Ce lundi matin, un poisson de l'aquarium de la classe est retrouvé mort... Et le mardi suivant, un second... Là, le lecteur adulte tique: c'est une histoire de serial killer ! Ce qui fait tout le charme de ce petit roman, c'est que le meilleur copain du narrateur enquêteur est doué d'un pouvoir fantastique, celui - quand il est stressé - d'entendre les pensées, mais sans savoir "qui" pense . Et le roman, réaliste en tous points par ailleurs, traite ce "détail" comme une évidence, une forme de réalisme magique qui n'est jamais interrogée, et fait tout le charme de cette petite enquête.

Aki a des soucis (Marie Vaudescal, J'aime lire n°381, octobre 2008) : Aki, une jeune japonaise, est obligée de vivre quelques mois à la campagne, parce que sa maman est enceinte et a besoin de beaucoup de repos. Sur une trame de base qui pourrait rappeler le voisin Totoro, on a là un récit curieux, vu du point de vue d'Aki qui est une petite personne tout à fait désagréable et odieuse, rendue méchante envers son entourage par les sentiments qui la rongent. Ce roman ose raconter une forme de (petite) dépression enfantine, une vie vue entièrement en noir pour des raisons que le protagoniste ne parvient pas à s'expliquer, le tout étant traité avec humour et délicatesse, accompagné des belles couleurs automnales des illustrations. Un parti-pris audacieux et très réussi.

J'avais de bons souvenirs d'enfants des J'aime lire. Je très suis heureusement surpris de la qualité constante de leurs publications. Reste à leur proposer une histoire discrètement lovecraftienne...
Published on March 05, 2015 10:15
March 2, 2015
Un ennemi du peuple - Ostermeier à Kléber-Méleau
Dans une année à l'emploi du temps un peu agité, avec peu de temps disponible pour les sorties, ça peut paraître drôle d'idée d'aller voir une pièce en allemand sur-titré dans une ancienne zone industrielle de Lausanne.
Nous avions adoré les revenants d'Ibsen, adaptés par le même Thomas Ostermeier, et c'est purement sur son nom que nous sommes allé voir cette pièce. Et alors ? se demande le lecteur impatient. Qu'en est-il ?Dans une petite ville thermale, le docteur Stockmann découvre que les eaux avec lesquelles on soigne les curistes sont empoisonnées par divers polluants, expliquant les maladies constatées dans l'établissement la saison précédente. Il s'en ouvre au directeur des bains et maire de la ville, son propre frère, ainsi qu'à des amis journalistes, qui se montrent tous très concernés, avant de comprendre qu'une publicité déraisonnable sur cette affaire (ou même la simple conduite des deux ans de travaux d'aménagements nécessaires pour les conduites d'eau...) sera très nuisible à la vie de la ville dont les bains sont la principale source de revenus. Et au fur et à mesure que le récit évolue, Stockmann se retrouve de plus en plus isolé...
L'action de la pièce se déroule à l'origine dans la Norvège conservatrice de la fin du XIXème siècle, mettant en scène un clairvoyant ayant raison au milieu des aveugles qui veulent le faire taire (peut-être la façon même dont l'auteur se voyait ?). Ostermeier l'a transposée dans l'Europe moderne. Stockmann est une sorte de bobo idéaliste, qu'on devine bien marqué à gauche, un type moderne sorti des milieux alternatifs, qui s'occupe de son bébé quand sa femme le lui refile. Le récit et ses enjeux sont tout à fait pertinents, la vérité face à la sécurité économique ou la survie des medias...La mise en scène n'hésite pas à pousser Stockmann dans ses retranchements, son absolutisme irréductible et son manque de goût pour le compromis (mais peut-il y avoir de compromis dans cette situation ?) lui donnant des airs dictatoriaux... Jusqu'à une scène - un peu gadget à notre goût, même si très bien menée - de réunion publique durant laquelle les spectateurs incarnent la population de la ville.J'ai été tout d'abord très sceptique face à cette "modernisation" de l'action, avant d'admettre qu'elle fonctionnait très bien et parvenait à tirer de la pièce déjà forte de belles résonances. D'autant que la mise en scène est impeccable, les jeux de décors très astucieux (l'usage malin de l'ambiance squat de l'appartement de Stockman, par exemple), la troupe vraiment très en forme et très intense, tous les acteurs étant excellents (et le fonctionnement parfait des sous-titre associé à mes restes scolaires d'allemand permettant de ne pas perdre le fil). Bref, si nous voyons passer une nouvelle mise en scène du même, ou une autre pièce avec les acteurs de la Schaubühne de Berlin, nous irons la voir !
PS sous forme de politique locale: sans méjuger les qualités de la salle du théâtre Kléber-Meleau, n'est-ce pas un signe de la nouvelle direction du théâtre de Vidy que de ne pas présenter ce spectacle dans la salle Charles Apotheloz ?

Nous avions adoré les revenants d'Ibsen, adaptés par le même Thomas Ostermeier, et c'est purement sur son nom que nous sommes allé voir cette pièce. Et alors ? se demande le lecteur impatient. Qu'en est-il ?Dans une petite ville thermale, le docteur Stockmann découvre que les eaux avec lesquelles on soigne les curistes sont empoisonnées par divers polluants, expliquant les maladies constatées dans l'établissement la saison précédente. Il s'en ouvre au directeur des bains et maire de la ville, son propre frère, ainsi qu'à des amis journalistes, qui se montrent tous très concernés, avant de comprendre qu'une publicité déraisonnable sur cette affaire (ou même la simple conduite des deux ans de travaux d'aménagements nécessaires pour les conduites d'eau...) sera très nuisible à la vie de la ville dont les bains sont la principale source de revenus. Et au fur et à mesure que le récit évolue, Stockmann se retrouve de plus en plus isolé...

L'action de la pièce se déroule à l'origine dans la Norvège conservatrice de la fin du XIXème siècle, mettant en scène un clairvoyant ayant raison au milieu des aveugles qui veulent le faire taire (peut-être la façon même dont l'auteur se voyait ?). Ostermeier l'a transposée dans l'Europe moderne. Stockmann est une sorte de bobo idéaliste, qu'on devine bien marqué à gauche, un type moderne sorti des milieux alternatifs, qui s'occupe de son bébé quand sa femme le lui refile. Le récit et ses enjeux sont tout à fait pertinents, la vérité face à la sécurité économique ou la survie des medias...La mise en scène n'hésite pas à pousser Stockmann dans ses retranchements, son absolutisme irréductible et son manque de goût pour le compromis (mais peut-il y avoir de compromis dans cette situation ?) lui donnant des airs dictatoriaux... Jusqu'à une scène - un peu gadget à notre goût, même si très bien menée - de réunion publique durant laquelle les spectateurs incarnent la population de la ville.J'ai été tout d'abord très sceptique face à cette "modernisation" de l'action, avant d'admettre qu'elle fonctionnait très bien et parvenait à tirer de la pièce déjà forte de belles résonances. D'autant que la mise en scène est impeccable, les jeux de décors très astucieux (l'usage malin de l'ambiance squat de l'appartement de Stockman, par exemple), la troupe vraiment très en forme et très intense, tous les acteurs étant excellents (et le fonctionnement parfait des sous-titre associé à mes restes scolaires d'allemand permettant de ne pas perdre le fil). Bref, si nous voyons passer une nouvelle mise en scène du même, ou une autre pièce avec les acteurs de la Schaubühne de Berlin, nous irons la voir !

PS sous forme de politique locale: sans méjuger les qualités de la salle du théâtre Kléber-Meleau, n'est-ce pas un signe de la nouvelle direction du théâtre de Vidy que de ne pas présenter ce spectacle dans la salle Charles Apotheloz ?
Published on March 02, 2015 22:28
January 17, 2015
L'Arabe du futur - Riad Sattouf
Dans l'Arabe du futur, le dessinateur Riad Sattouf raconte sa toute petite enfance : fils d'une mère française et d'un père syrien, docteur en histoire, le petit Riad, petit enfant blond, grandit en Libye sous Kadhafi et en Syrie à Homs, dans des pays dont je ne savais rien.
Du même Sattouf, je connaissais en partie les BDs humoristiques la vie secrète des jeunes ou bien Pascal Brutal. Il a le trait et la plume acérés, acide. Des petits miquets qui visent juste.
Dans l'Arabe du futur le récit à hauteur d'enfant nous fait découvrir sans aucun recul la Libye égalitariste de Kadhafi où toutes les maisons sont gratuites (et dépourvues de verrou) et le ravitaillement aléatoire, les décisions politiques instables ou bien la Syrie d'Assad, avec ses véhicules défoncés et ses maisons jamais terminées.
Cette qualité de regard est la grande force du livre, car celui-ci est surtout le portrait tendre et cruel du père de l'enfant (la mère n'étant qu'une figure silencieuse à l'arrière-plan), Syrien éduqué, laïc, admirateur des dictateurs, dont la relation à l'islam, à la politique, aux juifs... est pour le moins ambigüe. Le personnage porte de nombreuses contradictions, souvent invisibles à ses propres yeux, ce qui le rend d'autant plus énervant et attachant.
Les autres personnages sont aussi saisis avec beaucoup de justesse, dans leurs lâchetés, leurs mensonges, leur tendresse.
Cela donne des pages à la fois déprimantes, drôles et fascinantes. J'ignorais tout ce ce monde, de ces manières de penser. Riad Sattouf nous promène dans un univers mental et sensoriel loin du nôtre et décale les points de vue, c'est là tout le charme de cet album.
Du même Sattouf, je connaissais en partie les BDs humoristiques la vie secrète des jeunes ou bien Pascal Brutal. Il a le trait et la plume acérés, acide. Des petits miquets qui visent juste.
Dans l'Arabe du futur le récit à hauteur d'enfant nous fait découvrir sans aucun recul la Libye égalitariste de Kadhafi où toutes les maisons sont gratuites (et dépourvues de verrou) et le ravitaillement aléatoire, les décisions politiques instables ou bien la Syrie d'Assad, avec ses véhicules défoncés et ses maisons jamais terminées.
Cette qualité de regard est la grande force du livre, car celui-ci est surtout le portrait tendre et cruel du père de l'enfant (la mère n'étant qu'une figure silencieuse à l'arrière-plan), Syrien éduqué, laïc, admirateur des dictateurs, dont la relation à l'islam, à la politique, aux juifs... est pour le moins ambigüe. Le personnage porte de nombreuses contradictions, souvent invisibles à ses propres yeux, ce qui le rend d'autant plus énervant et attachant.
Les autres personnages sont aussi saisis avec beaucoup de justesse, dans leurs lâchetés, leurs mensonges, leur tendresse.



Cela donne des pages à la fois déprimantes, drôles et fascinantes. J'ignorais tout ce ce monde, de ces manières de penser. Riad Sattouf nous promène dans un univers mental et sensoriel loin du nôtre et décale les points de vue, c'est là tout le charme de cet album.
Published on January 17, 2015 22:16