Laurent Kloetzer's Blog, page 37

November 12, 2017

Jusqu'à la bête – Timothée Demeillers

Ce n'est pas évident de donner envie de lire ce livre et c'est dommage. Essayons pourtant : Erwan travaillait dans un abattoir industriel dans la banlieue d'Angers. On sait très vite qu'il a fait quelque chose de grave puisque nous le rencontrons en prison, à ressasser sa vie d'avant pour tenter de comprendre. Et c'est dans ce ressassement, cette rumination ponctuée sans cesse des clac ! de l'usine que le livre nous fait plonger. L'usine, les carcasses suspendues, le sang, les mouvements répétés, les pauses, le parking de l'usine, clac, clac, clac, les mêmes collègues, les mêmes blagues, la vaches qui roulent des yeux fous, l'imam et le rabbin venus pour les abattages rituels, les clopes, les joints, le boulot à l'usine, en attendant la retraite.Si la question de la violence faite aux bêtes et, en lien, la violence faite aux hommes, aux ouvriers et ouvrières, vous intéresse, si ce genre d'articles de Mediapart vous parle, lisez ce livre, une plongée douloureuse dans le monde de ce pauvre type, l'usine et tout ce qui tourne autour de l'usine, le HLM de l'enfance, la semaine de vacances annuelles en Vendée, la copine de l'été 2006, le super U, les soirées au bord de l'eau, la maladie, la vie en attendant la retraite, avoir juste deux ans, trois ans tranquilles, on ne demande rien de plus.J'ai lu jusqu'à la bête cul sec, le livre est une plainte longue et forte, à l'écriture puissante. Ce que vous faites de cette lecture, de cet éclairage cru du monde, de ce texte qui dit avec la précision de la littérature des choses rarement dites, c'est à vous de voir. Je me demande si l'impression qu'il provoque dure aussi longtemps que l'odeur de l'usine sur le corps d'Erwan.

Une réflexion en passant. Il me paraît évident à la lecture de ce livre que ce qu'il dit est vrai. Par la précision des termes utilisés, par la qualité de la langue, sa capacité à décrire ce que je connais (un HML, un supermarché, une relation humaine...) prouvant qu'elle décrit aussi bien ce que je ne connais pas (la prison et surtout l'usine).  Je n'ai pas cherché à sa voir qui était Timothée Demeillers ni comment il avait fait ce livre. J'ai peut-être eu tort, mais je ne crois pas. Pourquoi ?

(merci à l'ami Léo pour le conseil)
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on November 12, 2017 21:55

November 7, 2017

L'île au trésor - Byron Haskin


Nous avons choisi ce film pour notre séance familiale du dimanche soir : production Disney des années 50, adaptation d'une histoire que nous apprécions tous (beaucoup). Le résultat est tout à fait réussi. Le film porte la marque de son époque, de son budget (relativement) réduit, mais la narration est à la fois fidèle à celle du roman, inventive, les personnages sont bien caractérisés et le récit construit une relation très forte et intéressante entre l'enfant (Jim Hawkins) et Long John Silver, très bien interprété, avec force roulements d'yeux et gros rires, par Robert Newton. Tout comme dans le roman de Stevenson, l'histoire tourne autour de ce terrible et sympathique truand, sans doute un des meilleurs personnages de pirates jamais inventé. Sans être un chef d'oeuvre, l'île au trésor produit par Disney (la premier film sans animation produit par Walt) est une adaptation fidèle et soigneuse, avec son lot de joies, de surprises et de terreurs.





 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on November 07, 2017 04:34

October 24, 2017

Le crabe-tambour – Pierre Schoendoerffer

On ne parle pas sur ma passerelle, sauf pour raison de serviceDans la carrée d'un navire de la marine nationale, vers 1975, des hommes échangent des histoires sur un officier qu'ils ont bien connu : Wiltdorff, alias le crabe-tambour. Les vagues balaient le pont avant du navire, l'ambiance austère à bord est presque monacale, de grandes gerbes d'écume s'abattent sur les canons et la tourelle de l'escorteur d'escadreen mission d'assistance à la pêche (une pratique remontant à l'ancien régime) et le portrait de Willsdorff se dessine dans les récits et les souvenirs, ponctués des anecdotes bretonnes macabres du chef-mécanicien. On voit apparaître l'histoire récente de la France, les guerres de décolonisation au Vietnam, la guerre d'Algérie, le putsch des généraux... Cette construction de récits emboîtés au fil des souvenirs est menée avec une grande élégance. Film de militaires, film qui parle de la guerre, le crabe-tambour ne comporte pas beaucoup de scènes d'action ou de violence (même si le souvenir des combats est toujours là). On y voit des hommes qui parlent, boivent et surtout travaillent. La mer, les navires et les marins y sonnent vrai. Le comportement des uns et des autres ne s'explique pas entièrement, les gens ont leurs secrets et les explications qu'ils donnent de ce qu'ils ont fait... valent ce qu'elles valent.



Jean Rochefort est très bon dans le rôle du vieux commandant pas drôle du tout, les autres acteurs (Perrin, Rich, Dufilho que je découvrais) sont à la hauteur. Un très beau film.

On achètera une jonque et on rentrera à la voile ; quatre mois de mer. Après ça ira mieux.


 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 24, 2017 21:56

L'espionne du roi soleil - Annie Pietri

Maintenant, Rosa et Marguerite choisissent toutes seules leurs livres. Je me dis en tant que parent que je devrais lire ce qu'elles lisent pour le partager avec elles, mais j'ai pris pas mal de retard, qu'à ce stade je ne rattraperai jamais. Par exemple, les deux ont lu un paquet de tomes de la fantasy animalière d'Erin Hunter (la guerre des clans) et, dans un genre différent, Rosa a un vrai goût pour les versailleries d'Ancien Régime, dont elle m'a prêté un exemple durant les dernières vacances: l'espionne du Roi-Soleil, d'Annie Pietri.
Dans ce roman, nous faisons donc la connaissance d'Alix de Maison Dieu qui, en plus d'avoir un nom qui envoie du bois, est une jeune fille audacieuse, très noble, très jolie, qui ajoute à tout ça le fait d'être une escrimeuse et une cavalière accomplie (merci les leçons du grand frère). Mais voilà que son papa meurt, que sa jumelle adorée part au couvent et que son oncle maléfique tourmente sa pauvre mère (la forçant à manger sa dot pour financer la préparation de leur hôtel particulier de Versailles ! Quelle horreur !).Dans l'espionne..., on aura des complots, des empoisonnements, des dettes de jeu, un passage par la Bastille, une lettre secrète cachée quelque part, un Roi-Soleil, une belle favorite, un perroquet... L'intrigue est dans le registre du mystère mélodramatique Grand Siècle, avec un twist final plutôt rigolo. C'est écrit vivement, l'autrice (j'essaie le terme) a une étagère longue comme un autobus de documentation sur le château de Versailles dont elle joue avec assez de légèreté. Quelques scènes sont très jolies (la scène du jeu, la lettre à la sœur enfermée...), d'autres étonnamment violentes (le méchant cogne fort sur la pauvre servante). Ca reste une littérature assez formatée, pas provocatrice pour un sou, mais amusante et bien faite.
Curieusement, au milieu de ce roman assez dense, se trouve un étrange passage où une pleine séquence de déguisement-infiltration-enquête-action au milieu du bas peuple (mais oui !) est maladroitement expédiée en un seul chapitre. L'éditrice/teur a demandé de couper pour alléger le roman de peur de charger les "jeunes lecteurs" ? Ou bien les auberges mal famées sentaient-elles moins bon que les allées de Versailles ?
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 24, 2017 05:41

October 23, 2017

Au seuil du monde - Nathanael Dupré de la Tour

Dans ce petit livre, l'auteur-narrateur, un de ces cadres pressés de La Défense, partage les pensées qui l'habitent au retour de ses séjours au monastère de M., en Champagne, dont le prieur est un vieil ami.  Le style imagé du texte cherche à approcher la compréhension d'un mystère : quel sens y a-t-il de nos jours à se maintenir "au seuil du monde", à vivre de travail et de prière, à s'engager à vie dans une communauté aux règles strictes basées sur l'antique et belle règle de saint Benoît ?L'auteur tente de répondre à travers différents thèmes, traités sans ordre apparent : le travail, la prière, la chair, la charité. Toute personne curieuse du sujet et ayant une connaissance minimale du Christianisme pourra peut-être trouver là  des éléments stimulant sa pensée. Les autres risqueraient d’être troublés par l’apparent absence d’ordre du livre.
Curieusement, la partie la plus intéressante du livre est le "portrait du gyrovague", portrait sous un angle catholique du cadre hyper-connecté. La description de la jouissance à sentir sous ses pieds la moquette du bureau à cinq heures du matin est très juste. Les personnes ayant apprécié CLEER y retrouveront des sensations familières. Ceux qui parfois se droguent au travail corporate y apprendront à mettre des mots sur leur came. Reste un très curieux petit livre, ni roman, ni essai, à l'écriture très poétique et souvent brillante. J'aurais aimé qu'à partir de toutes ces impressions et ces pensées, l'auteur construise une fiction.
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 23, 2017 05:11

October 5, 2017

Le train sifflera trois fois - Fred Zinnemann

Alors le marshall Kane se marie et s'apprête à quitter la ville, mais il apprend qu'à midi Miller sera de retour. Miller, qu'il a fait condamner et qui vient se venger et que trois copains sont venus attendre en picolant et en jouant de l'harmonica, et qui viendront l'aider à descendre Kane. Kane devrait s'en aller loin, loin, loin des ennuis mais une sorte de sens du devoir le pousse à rester, contre l'avis des habitants de la ville, contre l'avis de sa toute jeune et charmante épouse, contre tout bon sens.

Cecci et moi regardons quelques westerns classiques que nous ne connaissions pas, et celui-ci en faisait partie. C'est un classique pour une bonne raison: c'est super bien. Filmé au millimètre, avec une ambiance étrange, une histoire très simple et très forte (et très noire), et très bien joué par Gary Cooper, avec de beaux et surprenants seconds rôles féminins (une belle femme d'affaire mexicaine qui n'est pas un objet érotique dans un film des années 50... Pas mal).



 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 05, 2017 04:40

October 4, 2017

Point du jour - Léo Henry

Commençons par déclarer nos conflits d'intérêts : Léo est un ami et son travail m'intéresse depuis longtemps.J'ai beaucoup aimé Point du jour, son dernier livre paru, aux éditions Scylla. Il s'agit d'une collection de récits, souvent très courts, gravitant autour d'une novella, la balade de Gin et Bobi. Des chroniques d'êtres déglingués dans le monde déglingué de Point du jour, une ville-univers spongieuse, envahie de flotte et de moisissures, coulée sous les précipitations, une sorte de bidonville confus et post-exotique aux liens bizarres avec notre monde, où on trouve des hommes aux comportements animaux, des personnages de western, une chaîne de motels assez réconfortante, des aléas climatiques qui usent le système et des alcools familiers. Léo y distille ses histoires dans une langue souvent drôle, à la fois familière et savante, et on croit souvent entendre en fond la voix haut-perchée et les accords plaqués de guitare de vieux blues des années 20. Ce sont des histoires bluesy, en vérité, avec des gens cassés racontant leurs drames avec humour, traversées par quelques personnages récurrents et attachants : Gin, la fille-lombric, Marie-Jeanne la factrice, Ishmaël le conteur un peu foireux et surtout la sculpturale Bobi, tueuse aux longues nattes, qui passe à travers Point du jour comme une lame aiguisée à travers les chairs.
Point du jour est un livre libre, dans sa forme, son univers, sa langue. De toutes les bouquins de Léo, peut-être le plus personnel.A lire en buvant un rye ! 
Ceux qui aiment les nouvelles par email, du même Léo H. : vous aimerez !Ceux qui aiment les textes autour de Yirminadingrad : oubliez toute prétention à coller à l'histoire du monde-tel-qu'on-le-connaît. Et vous aimerez aussi.Ceux qui n'aiment pas imaginer pour boucher les creux entre les histoires, ni se perdre dans des univers poético-bizarres où tout n'est pas clairement expliqué, vous pourriez être largués. Pourriez. Buvez un coup, suivez les traces de Bobi, elle s'en sort à tous les coups.


 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 04, 2017 03:04

October 2, 2017

L'arbre à bouteilles – Joe R. Lansdale

C'est mon deuxième livre de Lansdale de sa série Hap et Leonard et il est aussi bien, voire encore mieux, que le premier. Donc Leonard hérite une baraque de son vieil oncle, juste à côté de la maison de fumeurs de crack, et on découvre quelque chose sous le plancher de la maison: un cadavre d'enfant et une collection démente de bons de réduction pour les magasins du coin...Le roman parle de la vie dans les quartiers Noirs de villes pourries du Texas, de vieilles descendantes d'esclaves qui cuisinent des tartes délicieuses, de la police qui n'en peut mais, d'une belle avocate ambitieuse, gênée dans sa carrière à la fois par son genre et sa couleur de peau... Ca vanne à tout bout de champ, l'intrigue policière est bien tordue, il y a des morts, des scènes bizarres, des moments cools à boire de la bière en regardant un film, entre copains, tandis que la pluie torrentielle martèle le toit de la vieille maison.
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 02, 2017 21:59

Knie 2017

Voici mon billet marronnier : le froid arrive sur la Suisse romande, c'est le temps de la foire aux livres et des 24 heures de lecture à Romainmôtier et celui des premières soupes à la courge, et le moment où le cirque Knie passe dans la région. Chapiteau géant, affiches partout, caravane de dizaines de camions, transportant des centaines de personnes et d'animaux, Knie est comme une vague de paillettes et de spots colorés traversant la Suisse sur un trajet comme un manège, durant toute l'année et passant près de chez vous toujours vers la même période, une sorte de phénomène naturel, inévitable.


Nous sommes allés voir le spectacle, Waow, Rosa, Marguerite et moi et avons passé un très bon moment, avec les belles danseuses-acrobates de la troupe Bingo, le clown Housh-ma-Housh, le comique Cesar Dias avec son joli personnage de séducteur gominé et une scène de chanson déglinguée très marrante. Comme c'était Knie, il y avait de très beaux chevaux, une petite fille en scène avec un poney tellement mignon, un numéro d'enfants avec des chèvres que les filles ont adoré (je ne suis pas trop preneur de ces fantaisies fermières), une mise en scène de leurs chameaux de Gobi, mais aussi un tout jeune homme dans un très beau numéro de poste hongroise, avec deux chevaux noirs et dix chevaux blancs, qui a été un des clous du spectacle. Pour le reste, c'était du très bon niveau, mais du classique : Michael Ferreri sur un numéro virtuose de jonglage avec de petites balles blanches  , un duo sur patins à roulettes tournoyant sur une plate-forme à trois mètres du sol (flippant...), deux numéros d'aériens assez kitsch : Jason Brügger en néo-Icare tout de blanc vêtu, et, dans une mise en scène bateau de très belles figures de sangles aérienne en couple par Valeriy Sychev et Ekaterina Stepanova. Jusque là on est dans du cirque international très classique, très technique, bien exécuté (waow !) mais sans aspérités particulières, ni dans le mauvais goût, ni dans l'émotion.

Deux numéros sont selon moi vraiment sortis du lot : celui de trampoline des frères Errani, par son énergie, sa musique, son rythme et la capacité de ces artistes de se renouveler tout le temps (ils font partie des permanents de Knie). Ce numéro de frimeurs ritals souriants et bondissants était très classique, mais réalisé avec joie et amour, et le trampoline est un agrès qui permet des effets circassiens très étranges de suspension aérienne (j'ai une hypothèse intérieure, mal formulée, qui dit que la beauté du cirque tient à des immobilités étranges dans des formes sans cesse en mouvement - comme les balles du jongleurs qui paraissent suspendues dans la lumière des spots quand le mouvement devient régulier).Le plus grand waow du spectacle, c'est la troupe Xinjiang, dans un numéro de pyramides humaines ahurissant, et surtout, dans une improbable composition graphique et physique à base de lassos, un très grand moment de cirque.


 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on October 02, 2017 11:51

September 29, 2017

24 heures de lecture

Un thème un peu absurde (c'est quoi, la question ?) pour un acte un peu absurde également: traverser 24 heures en faisant des lectures à voix haute dans un petit village. Un acte gratuit, inutile, pour la beauté du geste. On a lu Fatou Diome, Julien Gracq, des contes animaliers, une histoire de poule volante, Douglas Adams... Il y a eu du slam au caveau. Des bruits du métro. Puis La Boétie. Et des extraits de Stevenson, des chroniques polynésiennes... puis des récits obscurs et douloureux lus dans l'obscurité de La Chapelle Saint Michel. Et le golem, et Christian Bobin (en musique, à la bougie, dans la tout de l'horloge !), et Céline, et les poèmes de Vinceannet, et Laszlo Krasznahorkai, Nick Hornby, Hélène Merlin-Kajman, et B. Traven et Francis Ponge tout au bout de la nuit. Au petit matin, après un petit déjeuner au coin du feu, on a lu encore : Dostoievski, et Olivier Sillig. Puis Jean-Paul Didierlaurent avant de terminer sur la horde du Contrevent et des contes pour enfants. Il pleuvait ces jours là, mais on était bien.   À l'année prochaine ! http://24heures.romainmotier.ch 
 •  0 comments  •  flag
Share on Twitter
Published on September 29, 2017 01:42