Alan Spade's Blog, page 10
September 9, 2022
Ma Kindle lit des fichiers epub !
Comme l'avait annoncé Amazon, il est désormais possible de lire les fichiers epub directement sur nos liseuses kindle. A condition, toutefois, que les fichiers en question ne soient pas protégés par verrou numérique (DRM). Inutile de racheter une nouvelle liseuse kindle: mon ancienne paperwhite de 2012 est arrivée à lire sans problème l'epub de Pandore abusée, de Peter Hamilton.
Mine de rien, c'est une révolution. Qui aurait pensé qu'Amazon abandonnerait le caractère propriétaire de son format? Pas moi, en tout cas. Je pensais que Jeff Bezos s'était calé sur le modèle Apple, et qu'Amazon resterait avec ses fichiers propriétaires sans jamais accepter de recevoir des epubs.
Il est donc maintenant possible de s'envoyer des fichiers epub sans verrou numérique sur sa liseuse Kindle de deux manières :
- via l'application smartphone Kindle (Android ou iOS)
- en s'envoyant le fichier sans DRM sur son adresse kindle par email, comme je l'ai fait moi-même avec Pandore abusée
Plus besoin, donc, de recourir au logiciel Calibre pour effectuer la conversion de l'epub au format compatible kindle par exemple.
Qu'est-ce que ça change pour moi?
En tant que lecteur, c'est plus simple bien sûr, puisque je peux acheter des ebooks sur d'autres sites qu'Amazon et me les envoyer directement sur ma liseuse, à condition bien sûr de vérifier qu'il n'y ait pas de verrou numérique. Sinon, il faut les faire sauter, ce qui reste bien sûr toujours possible avec le logiciel approprié. Vous trouverez en suivant ce lien un tutoriel pour le faire.
Autre possibilité, acheter directement l'ebook et ses DRM sur Amazon, solution qu'on privilégiera souvent par simplicité, et parce que les prix sont homogènes quel que soit le site de vente.
En tant qu'auteur, je gagne aussi en simplicité avec mes lecteurs. Comme je leur offre l'ebook gratuit sans DRM s'ils prennent le livre papier en dédicace, je n'aurais plus besoin de leur demander quel appareil ils ont chez eux. Je pourrai leur envoyer systématiquement l'epub s'ils l'acceptent. Vive la simplification!
Vous ne connaissez pas votre adresse email kindle? Deux méthodes pour la retrouver. Soit vous allumez votre kindle, vous allez dans les paramètres, puis options de l'appareil, puis "personnalisez votre kindle", et vous tomberez sur le pavé du bas, "adresse d'email d'envoi du kindle".
Soit vous vous rendez sur l'onglet "gérez votre contenu et vos appareils" sur le site d'Amazon. Vous cliquez ensuite sur l'onglet Préférences, puis sur le lien tout en bas, "paramètres de documents personnels". Votre adresse kindle apparaît alors.
Bonne chance!
August 31, 2022
L'Egypte et la science : mort sur le Nil
Le cas de l'Egypte et de sa relation avec la science et la religion me fascine. L'Egypte pré-dynastique existait déjà plus de 5500 ans avant Jésus Christ. Même si l'on compte uniquement l'Egypte dynastique des pharaons, on parle de 3000 ans d'une même civilisation, qui était déjà développée à la base, avec l'écriture et les hiéroglyphes, la navigation, la construction, les mathématiques, l'astronomie. Les Egyptiens n'ont pas inventé la roue, mais ils ont quand même intégré cette découverte, avec leurs fameux chars. Et tout ça 3000 ans avant JC!
Comment ne pas penser qu'il y a des savants égyptiens qui sont sortis du polythéisme, dans toute cette période de 3000 ans? Comment ne pas penser qu'il y a eu des Aristote, des Galilée, des Copernic, des Newton et des Pasteur égyptiens?
Mais que ces gens-là ce sont autocensurés? Ou bien qu'ils ont été tués par le pouvoir en place? Ou qu'ils ont fini par être renversés et enterrés dans les sables du désert, comme le pharaon Akhenaton, qui avait avant l'heure instauré une religion se rapprochant du christianisme.
L'impression que ça me donne, c'est que le culte des morts était devenu si dominant avec ces immenses pyramides, que les Egyptiens finissaient toujours par y retourner. Que les travaux consentis avaient été si gigantesques, que tout ceux qui pouvaient menacer les édifices d'une telle foi étaient ressentis comme des barbares.
La science n'a pas pu se développer en Egypte parce que le polythéisme fournissait une explication du monde clés en main, qu'il n'y avait pas besoin d'aller plus loin, et que toute personne qui s'y essayait devenait une menace pour le système, et était éliminée. Un polythéisme nettement tourné vers la mort, comme en témoignent les pyramides et les tombeaux des pharaons. Mais est-ce que tous les Egyptiens avaient naturellement ce culte de la mort, ou bien est-ce qu'il leur était enseigné dès l'enfance?
Poser la question, c'est y répondre. J'irais jusqu'à dire que ce culte de la mort ne convenait pas forcément à tous les Egyptiens. Pas à ceux qui voyaient des contradictions entre les mythes et leurs observations et déductions au sujet du monde.
Oui, pour citer une certaine Agatha, il y a eu mort sur le Nil...
Tout cela évoque bien sûr l'opposition entre science et religion, et la fameuse affaire Galilée qui opposa ce dernier au tribunal de l'inquisition en 1633. La preuve que la religion catholique n'est sortie de ses errements que très très récemment, avec la réhabilitation par Jean-Paul II, en 1992 seulement, de Galilée.
Mais disons que le Nouveau Testament étant une réforme de l'Ancien, portait en lui-même la possibilité d'autres réformes.
Il est plus facile, pour un représentant d'une religion, de se faire passer pour transmettant la parole divine si le dieu dont il est censé porter la parole est un dieu susceptible de passions et de sentiments humains. Si le dieu d'une religion s'éloigne de ces modèles humains, alors, la logique des règles édictées pourra être analysée et justifiée par la raison et non la passion. Et il devient moins facile d'utiliser la parole d'un dieu pour faire bouger les foules d'une manière radicale, parce que cette parole se réfère à des règles ayant leur logique propre. Cela étant, plus une religion a de règles de vie inflexibles, plus elle va structurer le quotidien des fidèles, plus il sera nécessaire que la religion soit liée au pouvoir pour régler la vie des fidèles, et empêcher tout déviationnisme. Moins le changement et le progrès seront possibles. Moins la parole sera libérée. Plus on interdira les Salman Rushdie. On pense bien sûr à l'islam et à son mode de vie très astreignant (pour les femmes encore plus que pour les hommes), malgré une base de connaissances très développée en Arabie concernant les mathématiques (invention du zéro par les Arabes) et l'astronomie.
En Occident, il y a eu des rapports de force avec d'autres traditions, le paganisme, mais aussi le féodalisme, ce dernier étant très lié au pouvoir. Il y a eu la collision avec l'anglicanisme et le protestantisme. Le rejet des idoles. Et du coup, la religion catholique s'est retrouvée parfois éloignée des cercles du pouvoir, et des princes ou un François Ier ont pu prendre des Léonard de Vinci sous leur aile.
C'est finalement la laïcité qui a permis à la religion de laisser respirer la science, laquelle a vu son influence s'étendre peu à peu. L'incompatibilité fondamentale de la science avec la religion, c'est que la science, quant à elle, remet en question ses propres enseignements en cas de nouvelle découverte démontrée par l'observation et l'expérimentation, au point de bouleverser de temps à autre son champ de connaissances. La religion, plus rigide, maintenue en place par son dogme, aussi ancrée que l'est une pyramide, est de ce fait plus rassurante pour les traditionalistes et autres conservateurs.
Malgré la puissance de son conservatisme, la civilisation antique égyptienne s'est effondrée, et la vie, qui est mouvement, a continué.
July 25, 2022
Le sexe, ce tabou
J’ai grandi dans une famille où le sexe était un sujet tabou entre tous. Même en tant qu’adulte, je ne me souviens pas avoir eu une seule conversation sérieuse avec des amis ayant pour objet le sexe, à l’exception peut-être de la sexualité des bonobos. Le moment où il a été le plus question de sexe dans ma vie autour de moi a été l’adolescence, et en particulier le collège et le lycée. Et pas seulement en cours de biologie. Dans la cour de récré ou dans les vestiaires, les garçons utilisaient plus le sexe comme une arme pour faire honte (« t’es puceau ! »), ou éventuellement pour se vanter. Si l’on s’en réfère au nombre de termes pour désigner les organes génitaux féminins et masculins, le sexe est pourtant central dans nos sociétés. Alors, pourquoi un tel tabou à son sujet ?
Afin de répondre à ces questions d’interdit et de secret sexuel, peut-être faudrait-il procéder à la manière d’une enquête policière, en se demandant à qui profite le crime ? Les psychologues vous diraient sûrement que les secrets et les tabous, et les tabous qui rendent les choses secrètes, donnent peut-être le sentiment de régler les problèmes en les faisant passer sous le tapis, mais que très souvent, en réalité, cette démarche ne fait qu’aggraver la situation. Donc, un tabou n’est pas une chose innocente, même si le mot « crime » pour désigner ce « tabou » peut sembler assez fort.
Est-ce que les hommes ont davantage intérêt à ce que le sexe soit un tabou ? Ou bien plutôt les femmes ?
Admettons que je sois un homme victime d’impuissance sexuelle (notez au passage à quel point le terme « impuissant » peut en soi être stigmatisant). Pour parler crûment, admettons que je n’arrive pas à obtenir d’érection de mon membre viril. Cette anomalie par rapport à une fonction essentielle peut me désigner d’emblée comme quelqu’un d’anormal. Le fait de cacher ce dysfonctionnement, de le recouvrir du voile du tabou, va me permettre, en quelque sorte, de retrouver une forme de normalité, d’acceptabilité sociale. On pourrait donc estimer que faire du sexe un tabou profite davantage au genre masculin, aux hommes plutôt qu’aux femmes.
Au moment de l’adolescence, être traité d’impuissant, pour un garçon, c’est un peu l’injure suprême. Il est vrai que les jeunes filles ne sont pas toujours tendres entre elles non plus (ou en tout cas, elles ne l’étaient pas au cours de mon adolescence), et pouvaient se moquer de l’absence de poitrine, par exemple, ou, de manière plus générale, de l’aspect physique – ce qui est aussi vrai chez les hommes. Mais il me semble que l’enjeu est le plus important chez les hommes : la procréation, la puissance d’engendrer ou l’impuissance à le faire, se détermine par une manifestation physique visible de manière assez spectaculaire. Notez bien, cela dit, que dans des périodes reculées, il est possible que la manifestation de puissance masculine qu’est l’érection ait pu être reconnue en tant que telle, sans être forcément connectée à la reproduction. Les connaissances scientifiques et biologiques faisant défaut, la procréation avait dans les temps primitifs quelque chose de mystérieux, sujette à diverses interprétations de type « mélanges d’esprit » ou « d’essence ».
Néanmoins, cette manifestation de puissance masculine existait par elle-même, et donc, j’ai l’impression que ce tabou sexuel est d’origine patriarcale avant tout. Je me trompe peut-être à ce sujet, mais j’ai aussi l’impression que les femmes auront tendance à parler un peu plus ouvertement de sexe entre elles que les hommes entre eux. Et les transgenres et autres sexes neutres ? Ces personnes sont sans doute les premières victimes des tabous sexuels. Difficile de dire si ces personnes arrivent à surmonter ces tabous et à libérer leur propre parole à ce sujet dans la vraie vie (et non simplement sur un blog ou un réseau social).
De telles intuitions mériteraient bien sûr d’être vérifiées scientifiquement.
L’évolution vestimentaire serait allée de pair avec le renforcement de ce tabou. Là encore, il faudrait pouvoir vérifier si la sexualité est plus simple, plus décomplexée de nos jours chez les nudistes que chez les « textiles ».
Le sexe a aussi une fonction purificatrice. C’est par là que passe l’urine, et donc une partie non négligeable des impuretés du corps. Dans l’inconscient, la notion de saleté s’est d’autant plus associée au sexe que les règles d’hygiène élémentaire n’étaient pas respectées, favorisant le développement des maladies. Maladies vénériennes, syphilis, et plus récemment, sida et variole du singe. Maladies sexuelles qui pouvaient ensuite être utilisées par les religions ou la morale pour stigmatiser la sexualité en dehors des règles, l’union libre, ou encore l’union homosexuelle. De même que l’on stigmatisait les obèses pour leur péché de gourmandise, en méconnaissant le rôle des gènes dans l’obésité. La malheureusement très courante cystite, infection urinaire qui touche surtout les femmes, est quant à elle due à une bactérie, Escherichia coli, qui remonte dans la vessie.
Si pour certaines civilisations, le cycle menstruel était intimement associé à la vie, la notion de saleté liée à cet écoulement de sang n’était jamais bien loin non plus. Le tabou existait donc à la fois pour les hommes, mais peut-être plus encore pour les femmes.
Il y a eu des civilisations matriarcales, c’est bien connu, il y a eu et il existe toujours des amazones, des femmes guerrières. Néanmoins, une chose est certaine, au cours de l’histoire, et des guerres, les hommes n’ont pas hésité à se servir de leur sexe comme instrument de pouvoir, de domination et d’humiliation, pour violer les femmes. Pour des soldats longtemps éloignés de leurs compagnes, il y a bien sûr la notion de besoin sexuel à satisfaire, mais qui n’explique pas tout, loin de là. Faire de cet instrument potentiel de domination qu’est le membre viril un tabou n’a bien sûr, dans ces conditions, rien d’innocent.
Certainement, dans l’histoire, il y a eu des moments charnières, des périodes d’évolution des mœurs accompagnant d’autres évolutions sociétales. Dans le roman de Ken Follet que je suis en train de lire, Le Crépuscule et l’Aube, l’intrigue se situe peu avant l’an 1000. L’un des protagonistes, Dreng, est polygame, il a deux femmes, et viole aussi de temps en temps une esclave. La Fille de Dreng, Cwenburg, a 15 ans, et devient l’épouse de deux hommes. On comprend en lisant le roman que les mœurs changent selon les époques. Un moine du nom d’Aldred nous apprend que l’Eglise catholique s’efforce justement de modifier les pratiques liées à la sexualité, en dissuadant la polygamie comme la polyandrie parce qu’en cas de mort des parents, on ne sait pas à qui reviennent les biens et cela peut amener des conflits sanglants. C’est logique et l’on a tendance à l’accepter comme un fait acquis.
Mais il n’empêche : un tel état de fait, l’interdiction par rapport à la polyandrie et la polygamie, n’intervient que parce que la notion de propriété, de possession, et donc d’héritage, est devenue prédominante dans nos civilisations. Une société avec des règles différentes concernant les possessions et leur usage pourrait également être amenée à revoir ses règles par rapport au mariage, et le fait que ce mariage ne concerne que deux partenaires. Voilà qui n’est pas sans ouvrir certaines perspectives à l’auteur de Science Fiction que je suis…
Cette même religion catholique a joué un rôle important pour faire du sexe un tabou, avec notamment la notion de péché de luxure. Dans l’islam, le sexe ne devient vraiment libéré, et encore, que pour les hommes, qu’après la mort, pour les plus fidèles des fidèles. Le paradis sous forme de plaisir sexuel ne saurait être sur terre si l’on entend manipuler les fidèles, bien sûr. La religion catholique, en encadrant le sexe dans la cérémonie du mariage, a fait naître de nouvelles conventions sociales. Les mères célibataires sont ainsi devenues des impures et des réprouvées. L’index accusateur de la honte et du péché sexuel s’est retrouvé pointé, comme par hasard, sur les femmes. Elles étaient les éléments perturbateurs. Une femme qui couchait à droite à gauche devenait une salope, là où quand l’homme fait la même chose, c’est un don Juan.
« Quel est le montant de la dot de cette femme ? » Il est possible que la notion de responsabilité par rapport à un enfant du père et de la mère biologique se soit accrue avec la notion de possession et l’embourgeoisement de la société : à mesure que les possessions comptaient davantage, on est allé vers plus de règles, plus « d’individualité des familles », que l’on pourrait opposer à la notion de tribu. Et on s’est mis à dénoncer les « filles perdues », celles qui n’avaient pas d’homme, de compagnon identifié, et qui représentaient donc un danger pour les autres femmes bien rangées, bien casées, bien organisées, bien classées par la société. La peur étant qu’elles vous volent votre mari, bien sûr.
Il y a aussi le tabou de l’inceste. Celui-ci s’explique de manière rationnelle par l’appauvrissement génétique en cas de relation sexuelle entre proches parents. D’où l’importance de connaître la filiation d’un enfant, ses liens de parenté. D’où l’idée, à des époques où la contraception était moins présente et le traçage génétique inexistant, de danger associé au fait qu’une femme puisse avoir un enfant de n’importe qui sans que l’on sache avec qui elle l’a eu exactement. Le danger de la consanguinité. Dans la mesure où un tabou peut recevoir une explication rationnelle, sa force en tant que tabou ne peut que s’affaiblir. Car bien sûr, la puissance des tabous vient de leur aspect caché, de l’omerta qui les entoure. Le tabou de l’inceste bénéficie en quelque sorte du tabou plus général au sujet du sexe. Mais dès lors que l’on aborde le sujet clairement, dès lors que les connaissances au sujet de la reproduction se sont affinées, on peut expliquer les choses, et si ce tabou de l’inceste est brisé, ce sera en toute connaissance de cause. Il faudra donc ensuite distinguer entre inceste consenti et non consenti.
Mais revenons au sujet de manière plus générale. Un adage dit « faites l’amour, pas la guerre ». N’y aurait-il pas une forme de sagesse immémoriale dans cet adage ? Les singes bonobos règlent leurs conflits en ayant des relations sexuelles. En poursuivant dans cette logique, on pourrait aller beaucoup plus loin, en se demandant si la cause de toutes les guerres, quelque part, ne serait pas la frustration sexuelle.
Expliqué ainsi, cela paraît bien sûr très simpliste. Toutefois, il y aurait sans doute des expériences sociologiques à mener, pour examiner si dans des groupes d’êtres humains où la satisfaction sexuelle est très aisée et rapide, il n’y aurait pas moins de conflits que parmi d’autres groupes où la sexualité est un tabou, et les règles trop nombreuses.
La notion de pouvoir et de sexe peut quant à elle être illustrée de manière assez éclatante lorsqu’on pense aux harems orientaux. Prenons un harem où le seigneur dispose de cinquante favorites. Lorsqu’il en choisit une pour coucher avec elle, il laisse les 49 autres insatisfaites. Il laisse aussi 49 hommes frustrés sexuellement, ne pouvant trouver de compagne, avec pour seuls recours la masturbation ou la sodomie. Il voue à la non-existence au moins 49 rencontres, 49 histoires plus ou moins torrides ou empreintes de tendresse entre des hommes et des femmes. Et non seulement cela, mais ce seigneur se sert d’eunuques pour garder ses femmes, des hommes privés physiquement de leurs organes génitaux. Si ça n’est pas du despotisme absolu, si ça ne vous permet pas d’entrapercevoir le rapport, si fréquent en politique, entre sexe et pouvoir…
Est-ce là une déviance de l’homme ? Ou une contrefaçon de la nature ? Les mammifères n’ont pas besoin d’être des prédateurs pour s’affronter afin de prouver leur supériorité génétique. Les chevaux le font entre mâles, par exemple. Les femelles choisissent le mâle le plus prometteur. Celui le plus fort physiquement. Ou celui, pour d’autres espèces, qui a le plus beau pelage ou le plus beau plumage, au cours de concours d’apparence. Plus on va vers les prédateurs, plus les choses semblent cruelles. Les lions ont leur propre harem, et ils peuvent même tuer des lionceaux d’une portée qui n’est pas la leur dans le but de mettre une femelle en chaleur. L’analogie avec le harem oriental ne peut bien sûr que venir à l’esprit. C’est le droit du plus fort, la sélection naturelle qui permet d’avoir des générations suivantes plus fortes. Sur le plan humain, de nos jours on parle de sapiosexualité pour des personnes qui sélectionneront les partenaires les plus intelligents, ou les plus cultivés. Cela ressemble à une nouvelle transposition de ce qui existe dans la nature.
Et si, justement, une fonction non négligeable du tabou du sexe ne visait pas à nous éloigner de notre condition animale ? La notion de propriété privée dont on a vu qu’elle a joué un rôle dans le développement des mœurs, et notamment de la polygamie, est-elle proprement humaine ? Essayez, comme le personnage de Thonolan dans le roman Les Enfants de la Terre, de Jean Auel, d’aller disputer à une lionne son morceau de viande, et vous verrez que cette notion n’est sans doute qu’une extension du droit du plus fort du règne animal. On voit donc qu’à divers titres, aussi bien au niveau de la propriété, des notions de territorialité rapportées aux relations humaines, d’appropriation d’un harem, il y a de fortes similitudes entre le règne animal et humain. Le fait de se vêtir, après tout, est une spécificité humaine, qui nous distingue visuellement des animaux. La distanciation par rapport aux animaux est une cause de plus à ajouter dans ce dossier du tabou sexuel, dont on constate qu’il est si vaste et complexe que cet article de blog peut à peine espérer l’effleurer.
Difficile, voire impossible, de tirer des conclusions définitives pour un sujet en évolution constante. Sinon peut-être de dire que nos sociétés auraient sans doute tout intérêt à se décomplexer et à libérer la parole au sujet du sexe.
Je vais être direct. Avez-vous, en tant que parent, discuté avec votre ado du terme « bander » dans le sens d’avoir une érection ? De la masturbation ? Des préliminaires, et de l’indispensable empathie envers son partenaire ? Du fait que la femme, contrairement à l'image véhiculée par la grande majorité des vidéos porno sur le net, ne recherche pas forcément l'endurance et la performance chez son partenaire? De ce moment si particulier, l’éjaculation ? Et, tant qu’à faire, de l’éjaculation précoce ? Avez-vous indiqué à votre garçon que la contraception ne doit pas forcément être de la responsabilité de la femme, mais que les hommes peuvent aussi prendre la pilule, et gagner ainsi en maîtrise sur les conséquences de leurs actes ? Avez-vous évoqué le rôle du clitoris avec votre fille ? La manière de le stimuler ?
On peut bien sûr considérer poétiquement que la révélation sexuelle n’en sera que plus belle si les ados font ses découvertes par eux-mêmes. Ayant été confronté à une certaine violence verbale à ce sujet dans mon enfance, je préfère pour ma part considérer qu’un ado averti en vaut deux.
Pour parler du membre viril par exemple, ce n’est après tout qu’un outil comme un autre, dont les usages sur le plan sexuel sont aussi variés que la procréation, la tendresse, certaines formes de jeu, ou, dans les cas les plus glauques et les plus déviants, la domination et la violence. Quant au clitoris, le fait d’en faire quelque chose de caché et de tabou n’a pas servi la condition féminine, mais a très certainement été utile au patriarcat. C’est pourquoi j’ai tendance à penser qu’une société égalitaire femme-homme est une société plus évoluée, plus aboutie, plus communicante, et moins parcourue par des courants souterrains de violence qui ne demandent qu’à resurgir de temps à autre. Car dans ce genre de société, le fait de parler de sexe, voire de passer à l’acte entre êtres consentants (la notion d'adultes consentants étant un peu trop restrictive à mon goût), ne serait plus si tabou.
June 19, 2022
« Pourquoi vous n'êtes pas très connu ? »
Lorsqu'un libraire me demande « Pourquoi vous n'êtes pas très connu ? », ma réaction dans mon for intérieur est celle-ci : 😅😅😅😓😓. Parce que ce genre de question, bien sûr, va tout de suite me confronter à mes limites, et à celles de l'exercice de ma profession. C'est une question qui dépend bien sûr de ce que l'on met derrière l'expression "très connu", mais qui garde malgré tout, dans sa naïveté, une certaine légitimité.
« Vous êtes l'un des auteurs qui vendent le plus ici, et de très loin. Très peu vendent autant. Pourquoi vous n'êtes pas très connu ? » C'est à peu près en ces termes que l'un des employés du rayon librairie du centre commercial Auchan à Soisy m'a posé la question qui m'a fait suer intérieurement.
Je lui ai aussitôt répondu, bien sûr, par rapport à l'absence de mes romans en rayons, le manque d'exposition lié au fait que je refuse la politique de retours des libraires, c'est à dire de devoir rembourser des livres, au bout de plusieurs mois, qui n'auraient pas été vendus. Je lui ai aussi parlé de mon carnet d'adresse proche du zéro absolu, qui ne me permet pas de passer par exemple à La Grande librairie, l'émission télé. De mes tentatives de pub payantes sur Facebook et Amazon, qui n'ont rien donné. De la traduction en anglais de la trilogie Ardalia, en Fantasy, et des Nouveaux Gardiens, en Thriller, suivis de publicités payantes dans des newsletters à plusieurs centaines de milliers d'abonnés US, qui n'ont rien donné non plus. Du fait que j'étais plutôt doué pour vendre mes bouquins en live, mais pas du tout pour le marketing sur internet.
J'aurais aussi pu lui répondre que j'étais juste un borgne parmi des aveugles. J'aurais pu lui dire que mon record de vente sur une journée était de 42 livres, alors que Brandon Sanderson a physiquement dédicacé 1000 livres papier en une seule journée (cycle de la Roue du Temps dont il a écrit les derniers opus).
J'aurais pu lui dire, aussi, que Brandon Sanderson, qui a vendu des millions de livres, est inconnu du grand public, qu'il n'est connu que des amateurs de Fantasy, qui peuvent retrouver ses romans dans les rayons appropriés. Lui faire comprendre que le terme "très connu" est vraiment très subjectif, et que même JK Rowling est toujours l'inconnue de quelqu'un d'autre.
J'aurais pu lui parler de quelque chose de plus intime, de ma méfiance par rapport à la célébrité et tous ses pièges, qui transparaît dans mon article Mortelle célébrité.
Mais si je savais que sa question avait malgré tout une légitimité, si je savais pourquoi elle me mettait mal à l'aise, c'est qu'en mon for intérieur, d'une certaine manière, je pense en connaître la réponse. C'est que pour moi, un best-seller qui se vend à plus d'une centaine de milliers d'exemplaires est une anomalie. Et que mes romans ne sont pas des anomalies, ce sont des livres "normaux".
Un roman qui suscite une réaction d'accroche immédiate et un bouche à oreille très important, ce qui signifie que des lecteurs sont prêts à dépenser leur énergie pour le faire connaître, un roman qui créé un effet boule de neige, d'augmentation exponentielle des ventes, ce roman-là, et je suis désolé pour tous les lecteurs qui ont lu et apprécié mes livres, je ne l'ai pas écrit, tout simplement. Pas encore écrit? Peut-être. Je n'en sais rien, à vrai dire. C'est quelque chose qui ne dépend de moi qu'en partie.
A une seule occasion, il m'est arrivé de ressentir cette anomalie qui peut être le signe d'un best-seller. C'était pour ma nouvelle gratuite Les Explorateurs. En décembre 2014, cette nouvelle s'est retrouvée n°1 au classement des téléchargements d'ebooks gratuits d'Amazon. Un peu plus de 600 exemplaires ont été téléchargés sur le mois de décembre 2014. Et je n'avais rien fait pour cela. Quelqu'un a juste parlé de cette nouvelle sur un site.
La nouvelle Les Explorateurs est d'ailleurs la plus téléchargée de mon catalogue: 16700 téléchargements chez Apple, 4400 chez Amazon. Mais c'est du gratuit. Et pour les Explorateurs, j'avais fait l'effort d'inciter des proches à noter le livre sur Apple, parce qu'à partir de 10 notes, la nouvelle se retrouve davantage montrée aux lecteurs de l'application iBooks. Donc sur Apple, j'avais une sorte de levier pour le faire connaître. Je trouvais pénible de faire cet effort envers mes proches pour les autres livres, donc je ne l'ai pas reproduit, même si j'incite toujours mes lecteurs à mettre des notes et commentaires sur mes livres.
De nos jours, il faut le savoir, le simple fait de mettre des étoiles à propos d'un livre sur un site de vente ou une application demande un effort gigantesque aux lecteurs. En tout cas à la plupart des lecteurs, pas à vous, bien sûr, cher lecteur, qui avez lu, noté, et même commenté au moins l'un de mes livres.
Donc, voilà, tout ça pour dire que je suis un auteur normal qui vend des livres normaux.
May 13, 2022
Auchan : attention aux factures !
Officiellement depuis le 1er avril 2022, et ce n'est malheureusement pas un poisson, le groupe Auchan a décidé de centraliser les factures des intervenants extérieurs. Officiellement, parce qu'en réalité cela touche des factures qui peuvent remonter au mois de mars 2022. Alors que les factures étaient réglées précédemment par chèque en local, par des comptables détachés dans chaque magasin, et d'après mon expérience, dans des délais raisonnables, les factures sont maintenant réglées par virement par la centrale de gestion des factures hypermarchés située à Lille. Etant auteur en dédicace, je suis intervenant extérieur, et donc impacté par ce changement. Coïncidence? Il se trouve justement que je viens d'envoyer à Auchan mes premières pénalités de retard depuis que j'ai commencé à travailler avec ce groupe il y a sept ans (2015). Dans le contexte actuel, dire que je suis inquiet pour mes factures Auchan serait sans doute sous-estimer ma préoccupation.
Ironiquement, la plate-forme informatique qui permet de vérifier les délais de règlement du groupe Auchan se nomme ASAP, l'acronyme anglais de "As Soon As Possible", c'est à dire "aussi vite que possible".
A partir du moment où les intervenants extérieurs d'Auchan que nous sommes sont "du mauvais côté du fusil", où nous laissons des factures après intervention en dédicace, nous sommes bien sûr tributaires des délais de règlement desdites factures. Et donc, être payé "aussi vite que possible", pour nous, cela fait parfaitement sens.
Quand, en tant qu'auteur autoédité, j'ai écrit ma Trilogie Ardalia, j'ai intentionnellement donné à mes chefs de tribus des noms ronflants. Je les ai appelés Aguerris, ce qui est déjà flatteur en soi, mais pour les distinguer, je leur ai donné des noms aussi emphatiques qu'Indomptable Traqueur, Grand Thaumaturge, Auguste Pourfendeur, Exaltant Pourvoyeur, Munificent Reproducteur, Charpentier Emérite, Infaillible Tisserand, Talentueux Tourneur, Dispensatrice de bienfaits ou Infatigable Voyageuse. Vous voyez le genre. Le but était d'en faire des caisses pour démontrer implicitement, ironiquement, que la réalité était forcément moins glorieuse - voire pas glorieuse du tout.
J'ai ressenti la même impression en découvrant le nom de cette plate-forme. C'est subjectif, bien sûr, me direz-vous. Néanmoins, il y a quelque chose qui n'est pas subjectif, et c'est de devoir assigner la somme de 97€ de pénalités de retard pour une facture du 12 mars 2022 non réglée (facture initiale de 487 € pour une dédicace sur deux jours).
Vous allez me dire: Alan, pourquoi tu montes tout de suite sur tes grands chevaux? Pourquoi écrire ce billet et ne pas attendre de voir si la situation va s'arranger?
Peut-être parce que nous ne recevons aucun accusé de réception à chaque fois que nous envoyons nos factures à l'adresse préconisée par Auchan. Je le sais, j'ai vérifié avec d'autres auteurs. Peut-être parce qu'un comptable local, en magasin, m'a confié que chacun des emails qu'ils envoyaient à la centrale étaient supprimés avant même d'être lus. Peut-être parce que deux autres comptables de ma connaissance, qui m'ont obtenu chacun(e) un règlement, ont dû batailler pour le faire. Peut-être parce que je sais que le groupe Auchan est en difficulté en France, et bénéficiaire en Russie... ce qui n'est pas fait pour me rassurer étant donné l'actualité.
En principe, pour avoir sa facture réglée, il faut obtenir trois choses. Un numéro de fournisseur, un numéro de magasin et un numéro de commande. J'ai les deux premières, mais je n'ai pu obtenir la troisième du comptable du magasin Auchan de Mantes.
L'exemple des parapharmacies Auchan
Je suis tellement inquiet que l'une des dernières fois où je suis allé en dédicace, j'ai pris à part la personne qui s'occupe de la gestion du magasin pour lui parler des parapharmacies Auchan. Je lui ai dit qu'à partir du moment où les employé(e)s de parapharmacies ont la possibilité d'encaisser directement les clients dans le centre commercial, en leur délivrant un ticket de caisse afin de leur éviter d'avoir à payer une seconde fois en sortant vers les caisses générales, les auteurs autoédités devraient avoir la même possibilité.
Avec des systèmes de type SumUp, nous sommes capables d'encaisser les cartes bancaires. Nous pouvons aussi pré-imprimer des tickets individuels pour chacun de nos livres, en imprimant le titre et numéro ISBN du livre, la date du jour où ils seront vendus à l'avance, et en précisant sur chaque ticket: "dédicace Untel" afin que la personne en caisse, si elle a un doute sur cet achat, puisse s'assurer que l'auteur désigné sur le ticket est bien en dédicace ce jour-là.
Vous voyez que j'ai bien réfléchi au problème. Vous trouverez rarement des billets, sur ce blog, qui soient uniquement critiques. J'essaie en général d'apporter des solutions constructives.
S'il est devenu d'un seul coup trop difficile pour Auchan de payer les intervenants extérieurs, pas de souci: ceux-ci peuvent trouver la solution, du moment qu'ils sont prévenus.
Evidemment, cette solution impliquera que ces intervenants se retrouveront, pour ainsi dire "du bon côté du fusil". En capacité d'encaisser. Ce sera aux intervenants de délivrer la liste des produits vendus, puis de payer sa marge au magasin dans les semaines qui suivront. Mais en évitant bien sûr de dépasser le délai de deux mois!
Il va sans dire que ma proposition auprès de la personne gestionnaire du magasin n'a pas été accueillie avec un enthousiasme délirant.
Vous allez me dire, "Alan, putain tu es fou d'écrire ce genre de billet! C'est le pot de terre contre le pot de fer! Tu vas te faire détruire!"
Peut-être bien. Mais il me semble bien qu'il existe encore une justice, en France, non? Y compris pour ces bâtards d'auteurs autoédités?
Et puis, les choses ne sont pas obligées de se passer très mal avec cette centralisation des paiements. Si l'on y met un peu de bonne volonté.
Il faut savoir que la famille Mulliez, qui possède le groupe Auchan, c'est Cultura, c'est Leroy Merlin, Boulanger, Flunch, Décathlon, Kiloutou, Pimkee, Jules, Norauto, Kiabi, Picwic... Voir sur ce site.
Je travaille aussi avec Cultura, qui a sa comptabilité à Bordeaux, et depuis des années ça se passe bien. En d'autres termes, ce n'est pas parce que la comptabilité est centralisée que ça doit forcément mal se passer. Si on met les moyens sur une compta centralisée, si on fait ce qu'il faut, il ne doit pas y avoir de problème.
Cela étant, je ne vais pas vivre non plus sur un simple espoir d'amélioration. Bien au contraire, en tant qu'auteur autoédité, je suis habitué à me préparer au pire. Comment croyez-vous que je puisse vivre de ma plume depuis 2014 en tant qu'autoédité, sinon? Ce n'est pas comme si la société m'avait fait une haie d'honneur.
Bon, je ne me plains pas, hein. C'est moi qui ai choisi cette profession et elle me plaît avec ses difficultés. Ses difficultés qui tournent parfois au rapport de force. Alors oui, je suis peut-être le pot de terre, mais pas dans ma tête. Dans ma tête, je me battrai jusqu'à ma dernière goutte de sang.
Si vous êtes auteur ou fournisseur extérieur et que vous éprouviez des problèmes de règlement avec Auchan Lille, merci de me contacter sur mon email alanspade at alanspade.com.
J'espère très sincèrement que nous n'aurons pas à aller jusqu'au recours collectif pour faire entendre raison au groupe Auchan. Mais s'il faut y aller on ira. Si personne d'autre n'y va, j'irais tout seul. J'ai trois autres règlements en attente chez Auchan. Les sommes que j'ai engagées en dédicaçant chez Auchan justifieront une action en justice de ma part, même tout seul s'il le faut.
Je ne me laisserai pas faire.
March 10, 2022
Lettre à Poutine - Письмо Путину
Господин Путин,
Вы хотели провести "правоохранительную операцию" для "денацификации" Украины. В этой полицейской операции участвуют более 200 000 российских солдат, часть из которых - призывники. На земле российские братья не довольствуются борьбой со своими украинскими братьями: они только что разбомбили детскую больницу в Мариуполе, убив трех человек, включая маленькую девочку.
Нападение на мирных жителей - это отвратительный поступок, отвратительное варварство.
Несомненно, вы надеетесь с помощью того, что вы называете "правоохранительной операцией", но что является ничем иным, как братоубийственной войной, направленной на предотвращение установления истинной демократии на вашем пороге, восстановить величие России времен СССР.
Однако все, что вам удалось сделать, - это изолировать Россию от международного сообщества, как никогда ранее. Объясните мне, как ваши соотечественники могут гордиться тем, что у них в союзниках самые варварские режимы: Северная Корея, Беларусь, Эритрея и Сирия.
Этой войной вы сделали НАТО более сплоченной и сильной, чем когда-либо. Международные санкции в отношении ваших соотечественников чрезвычайно тяжелы и надолго их обездолят. Рубль постоянно обесценивается. В России рушится торговля. Вы можете быть одним из самых богатых людей в мире благодаря бессовестной эксплуатации своих сограждан, но вы ускоряете упадок России.
Эта война - военная катастрофа. Это экономическая катастрофа. Это гуманитарная катастрофа, которая делает вас виновными в повторных военных преступлениях. Вы делаете Россию рабом Китая, и следующие поколения россиян должны будут принять это во внимание, когда будут судить вас.
Я надеюсь, что ваш народ будет судим гораздо быстрее, чтобы положить конец этой войне, которая является самым глупым поступком, совершенным вами за последние годы, и которая добавляет варварства, к которому вы привыкли.
Алан Спейд
Traduit à l'aide de Deep L Traducteur.
Monsieur Poutine,
Vous avez souhaité monter une « opération de maintien de l’ordre » pour « dénazifier » l’Ukraine. Cette "opération de police" comporte plus de 200 000 soldats russes dont certains sont des conscrits. Sur le terrain, les frères russes ne se contentent pas de combattre leurs frères ukrainiens : ils viennent de bombarder un hôpital pour enfants à Marioupol, tuant trois personnes dont une fillette.
Cibler des civils est un acte immonde, une ignoble barbarie.
Vous espérez sans doute, avec ce que vous appelez une « opération de maintien de l’ordre », mais qui n’est autre qu’une guerre fratricide visant à empêcher l'établissement d'une véritable démocratie à vos portes, rétablir la grandeur de la Russie du temps de l’URSS, et être célébré comme un grand homme.
Pourtant, tout ce que vous avez réussi à faire, c’est à isoler la Russie de la communauté internationale comme jamais elle ne l’a été. Expliquez-moi en quoi vos compatriotes russes peuvent-ils être fiers d’avoir pour alliés les régimes les plus barbares qui soient : Corée du Nord, Biélorussie, Erythrée et Syrie.
Vous venez, par cette guerre, de rendre l’OTAN plus unie et plus forte que jamais. Les sanctions internationales qui affectent vos compatriotes sont extrêmement lourdes, et vont les appauvrir durablement. Le rouble ne cesse d’être dévalué. Le commerce s’effondre en Russie. Vous avez beau être l’un des hommes les plus riches du monde grâce à l’exploitation éhontée de vos concitoyens, vous êtes en train de précipiter le déclin de la Russie.
Cette guerre est un désastre militaire. C’est un désastre économique. C’est une catastrophe humanitaire, qui vous rend coupable de crimes de guerre à répétition. Vous êtes en train de faire de la Russie l’esclave de la Chine, ce dont les prochaines générations de russes devront tenir compte quand elles vous jugeront.
J’espère, quant à moi, que le jugement de votre peuple sera beaucoup plus rapide, afin de mettre fin à cette guerre, qui est l’acte le plus stupide que vous ayez commis ces dernières années, et vient s’ajouter à la barbarie dont vous êtes coutumier.
Alan Spade
February 28, 2022
Fauché en plein vol
Lauréat du prix Fémina avec Vol de Nuit en 1931, grand prix du roman de l'Académie française avec Terre des Hommes en 1939, Antoine de Saint-Exupéry était déjà un écrivain à succès, connu et reconnu avant sa disparition tragique en 1944. Avant, donc, la publication en France du Petit Prince, en 1946. Quiconque se lance dans le métier d'auteur autoédité ou traditionnellement édité doit pourtant avoir à l'esprit que le livre de fiction le plus vendu au monde, Le Petit Prince, avec plus de 200 millions d'exemplaires vendus et une traduction en 300 langues, n'a été un succès universel qu'après la mort de son auteur. La mort vient ainsi parfois sublimer la vie d'un artiste comme ça a été le cas, par exemple, de James Dean ou de Marylin Monroe. Dans le cas de St-Ex, c'est son œuvre quasi posthume qui s'est ainsi retrouvée cristallisée. Ou, si l'on veut, propulsée au firmament, dans les étoiles. Quel est donc le mécanisme psychologique qui va provoquer cette réaction quasi alchimique?
Poésie, imagination, tendresse, humanité... Les qualités du Petit Prince sont évidentes, et certaines maximes de ce livre d'enfant un peu triste, au moins aussi universelles que le succès qu'il a obtenu :
- « On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »
- « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. »
- « C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. » (Tous les auteurs en savent quelque chose.)
- « Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin. »
Au lendemain d'une guerre mondiale, découvrir qu'un pilote de l'armée de l'air spécialisé dans la reconnaissance aérienne, probablement abattu en vol, était en fait un poète et écrivain, ne pouvait pas manquer d'interpeller le public.
Une dose de mystère par rapport à sa mort, le romantisme d'un pilote, aventurier et poète mort pour son pays, l'aura de la Seconde Guerre Mondiale, le prestige de la noblesse et du nom qui sonne bien, autant d'ingrédients qui n'ont bien sûr rien à voir avec les qualités intrinsèques de l'auteur.
Le succès que connaissait St-Ex avant sa mort a pu agir comme le marchepied, un tremplin vers un bouche à oreille lui permettant d'obtenir un succès plus grand encore. Mais quel était le véritable détonateur?
Ce n'est pas n'importe quel livre de St-Ex qui a connu cet immense succès. Un livre pour enfants, donc à vocation universelle. Mais ça ne suffit toujours pas. L'idée qui a vraiment mis le feu aux poudres du succès, c'est la rareté, la précarité, la fragilité. Le Petit Prince n'est sorti à New-York qu'en 1943, et Saint-Exupéry a trouvé la mort en 1944. Si l'auteur était mort deux ans plus tôt, le livre ne serait jamais sorti, il aurait été perdu à jamais pour les lecteurs. Il s'en est fallu de peu, un peu plus et... Le lecteur ne peut manquer de penser qu'en achetant le livre, il va contribuer au sauvetage de l'œuvre. Comme s'il avait voulu sauver St Ex lui-même, le repêcher en mer.
Ce sont donc des circonstances totalement indépendantes de l'auteur comme de l'éditeur qui ont fait le succès du Petit Prince, ou en tout cas, si vous préférez, qui ont mis sur orbite le succès de ce livre, qui aurait peut-être de toute façon connu un succès, quoique moins galactique, grâce à ses qualités intrinsèques.
Ce mécanisme de rareté qui rend les choses précieuses, les éditeurs en sont parfaitement conscients et en jouent en retardant par exemple la parution des livres grand format en poche. Je développe d'ailleurs cette thématique dans l'article De la rareté à l'abondance.
Les auteurs autoédités en jouent aussi en précisant aux lecteurs qu'ils rencontrent en séance de dédicace qu'on ne retrouve pas leurs livres en rayons. Ce qui pourrait ressembler de notre part à un aveu de faiblesse se transforme donc en récit venant renforcer notre cause: en contrepartie de la rareté de nos livres, non présents en rayons, nous vivons de notre plume (certains d'entre nous en tout cas), car nous touchons bien davantage par livre vendu qu'un auteur traditionnellement édité dont l'ouvrage va être disponible en librairie.
Les lecteurs deviennent alors de plus en plus éduqués au fait que la surabondance de livres sur internet n'est pas forcément liée à la faible qualité de ces derniers. L'espace, sur les rayonnages, est limité, si bien que l'on n'a souvent d'autre choix que de commander sur internet. Sans oublier qu'entre deux romans de qualité similaire, c'est bien le choix arbitraire de l'éditeur qui va décider duquel va paraître. Entre deux romans que possède une maison d'édition, c'est bien le choix arbitraire de l'éditeur qui va déterminer sur lequel il va miser beaucoup plus.
Parfois, peut-être même souvent, c'est le choix arbitraire du libraire lui-même qui va décider de la disponibilité des ouvrages en rayon.
La douloureuse réalité du succès du Petit Prince devrait faire comprendre à chaque auteur le caractère accidentel de l'universalité. Il appartiendra alors à chacun de tracer son plan de carrière de manière la plus réaliste possible, afin de ne pas se soumettre à des écueils qui, s'ils profiteront à ses livres, seront nuisibles à sa vie.
February 18, 2022
L'école est-elle trop laïque ?
Parfois, il peut être bon de bousculer ce que l'on tient pour acquis, et de remettre en cause le système. L'école, qu'elle soit primaire ou secondaire, est traditionnellement le domaine de la connaissance. Cependant, en refusant d'aborder le domaine de l'inconnaissable et de la métaphysique, en se voulant strictement laïque, l'école ne passe-t-elle pas à côté d'interrogations essentielles pour les jeunes esprits? Si l'un des buts de l'école est de développer l'esprit critique des enfants, pourquoi la philosophie intervient-elle si tard dans l'enseignement (en première)? Est-ce que l'une des entraves à l'éducation ne serait pas, dès le collège, l'insuffisance d'esprit critique à la fois par rapport aux parents et aux enseignants? Et ce, dans le but de discipliner suffisamment les jeunes esprits afin de faire des enfants, avant tout, des travailleurs?
D'où nous vient notre conscience, notre esprit ou notre âme, quelle que soit le vocable employé? Y a-t-il une vie après la mort? Y a-t-il des expériences de vie après la mort? Quel est le sens de la vie? Sa signification? La vie doit-elle avoir un but? Quel est le but de l'école? Quels sont les atouts et limites de la science? De la démarche scientifique? Qu'est-ce que la métaphysique? L'ésotérisme? Quels sont les atouts et limites de la religion? Les notions de bien et de mal sont-elles innées ou acquises? Qu'est-ce que l'empathie? Qu'est-ce que la morale? Quelles sont les principales différences entre les religions? Leurs points communs? Leur histoire, leurs racines? Qu'est-ce que le sacré et le profane? Qu'est-ce que le fanatisme? Le fanatisme peut-il être scientifique? Qu'est-ce que le scientisme? En quoi la science peut-elle s'opposer à la religion? Qu'est-ce que la superstition? La tradition? Le paganisme? L'athéisme? L'agnosticisme?
Voilà des questions importantes. Fondamentales, même. Des questions que peuvent se poser les enfants ou les ados avant d'avoir quinze ans, avant la seconde. Des questions qui peuvent générer de l'angoisse existentielle, en particulier si elles ne sont pas répondues. Des questions auxquelles les parents ou les proches des enfants vont tenter, ou non de répondre à leur manière. De la manière dont les enfants vont y répondre, leur vie sera structurée différemment.
Un exemple tout bête. Un enfant se met en tête de ne jamais se lever du pied gauche le matin. Cet acte anodin le matin va être l'un des éléments qui va structurer sa vie. Si, en primaire, on ne lui a pas appris ce qu'était la superstition, ou s'il se contente de faire comme ses parents, sans esprit critique, l'enfant va ajouter foi à quelque chose de structurant sans jamais chercher à le remettre en cause. Il sera sans doute plus perméable, ensuite, à toute croyance superstitieuse. Si cette croyance est axée sur la crainte, son jeune esprit n'en sera que plus impressionné. Il sera plus facilement manipulable et endoctrinable.
Je conçois qu'il puisse être compliqué d'enseigner trop tôt l'esprit critique à des enfants, en particulier par rapport à ce que leur enseignent leurs parents. De la même manière, avec toutes les fausses informations qui circulent sur internet, développer l'esprit critique des enfants par rapport aux enseignants peut sembler risqué, voire contre-productif.
Sans doute faut-il y aller progressivement, en leur montrant les avantages qu'il y a, par exemple, à tirer d'une expérience reproductible.
A mon avis, il faudrait déjà parler de superstition aux enfants dès la primaire, sans d'ailleurs développer trop fortement la consonance religieuse dans un premier temps. Tout ce qui a trait à la religion, et le rapport de la religion à l'école, peut vite devenir compliqué dès lors que l'on se heurte à l'opinion des parents. L'exemple de Samuel Paty reste bien sûr dans toutes les mémoires.
Néanmoins, cet exemple ne devrait pas être un frein, mais plutôt une incitation à aborder le problème sous des angles différents. Le but n'étant pas de les faire croire ou ne pas croire, mais de les inciter à réfléchir et à remettre en cause. Par exemple, plutôt que de s'attaquer aux dessins du prophète, montrer quelles étaient les pratiques superstitieuses dans la religion catholique, pratiques tombées en désuétude. Racheter ses péchés contre monnaie sonnante et trébuchante, par exemple. Et préciser que si ces pratiques sont tombées en désuétude dans la religion catholique, il est possible que d'autres pratiques, ou interdits, finissent par tomber dans d'autres religions.
C'est pourquoi dès la sixième, il faudrait selon moi une initiation à la philosophie et à la théologie. Mais à la théologie non pas pour enseigner des dogmes théologiques, mais pour en enseigner les différents ressorts. Même en littérature, on devrait pouvoir aborder, par exemple, la puissance des allégories ou métaphores bibliques pour impressionner les esprits et les mener vers la foi.
Il faudrait pouvoir, en quelque sorte, désacraliser le sacré pour l'analyser. Mais par petites touches, et sans forcément poser à chaque fois un regard critique sur l'enseignement religieux. Avec respect, en considérant que cela fait partie de notre passé aussi bien que de notre présent. Comme un archéologue, en fait, ou un historien.
Et il faudrait bien sûr aborder les limites de la science et de la démarche scientifique, afin de ne pas créer, en quelque sorte, une nouvelle religion où le dieu serait un "deus ex machina".
Pointer du doigt les limites de la connaissance. Traiter les enfants, finalement, un peu plus tôt comme des personnes responsables, ou en tout cas, des personnes qu'on doit responsabiliser.
Introduire, également, le féminisme dans l'enseignement. Montrer à quel point, dans la société, à tous les niveaux, aussi bien scientifique que religieux, la société a été calibrée de manière patriarcale. Et pourquoi pas avoir un cours sur le vêtement, qui aborderait les différents aspects du vêtement. L'aspect protecteur purement pratique, contre le froid. L'aspect protecteur par rapport au regard des hommes. Ou au contraire l'aspect révélateur, aguicheur, si l'on souhaite aborder dans son cours la question des pulsions sexuelles et la manière dont le sujet est traité par la société. Le rapport entre vêtement et rang social. Les vêtements de marque et leur influence dans la cour de récré. Je préfèrerais largement que les enfants comprennent les différents rôles du vêtement, plutôt que de leur voir attribuer un uniforme.
Essayer d'écarter ce qui, dans l'enseignement, relèverait du tabou. Car derrière le tabou se cache la peur, et les enfants et ados sont les premiers à la ressentir. Reconnaître les failles et limites de notre enseignement, c'est quelque part se montrer honnête, et sans doute, déclencher une démarche beaucoup plus participative de la part des enfants.
On devrait bien sûr s'inspirer d'autres modèles éducatifs que le modèle proprement français, essayer de prendre ce qui fonctionne bien ailleurs.
Il est possible que si on s'y prend de la bonne manière, on se retrouve avec moins de jeunes qui soient paumés face à la vie, et donc ils seront moins facilement malléables et endoctrinables. Ils auront plus d'outils intellectuels pour faire face aux mensonges circulant sur les réseaux sociaux. Peut-être faudrait-il aller jusqu'à de l'enseignement psychologique à partir de la seconde, pour démontrer comment on peut se faire manipuler, à différents niveaux, aussi bien par la publicité que par des prédicateurs.
December 30, 2021
L'erreur originelle des antivaccins
En mathématiques, même l'équation la plus élaborée, la plus complexe et la plus splendide va s'effondrer si le tout premier calcul est faux. Les personnes qui militent contre la vaccination au covid 19, parvenant parfois à rallier dans leurs cortèges des citoyens vaccinés, lesquels s'opposent à toute obligation vaccinale au nom de la défense des libertés, ont toutes, à de rares exceptions près, commis cette erreur initiale. Aussi spectaculaires et élaborés que soient les arguments qu'ils présentent ensuite, ceux-ci ne peuvent tenir la route.
Quelle erreur ont donc commises ces personnes militant contre la vaccination? Confrontées à l'épidémie, elles ont fait le choix de ne pas se faire vacciner.
Malgré les douloureux mois d'attente avant un vaccin, pendant lesquels les morts s'entassaient, malgré les expériences pendant des mois, expériences couronnées de succès grâce au courage des volontaires et à l'expertise des spécialistes, malgré la validation des vaccins par les comités réunissant les meilleurs scientifiques de chaque pays, malgré les 5,5 millions de morts au niveau mondial, un chiffre dont l'OMS estimait en mai dernier qu'il est sous-estimé et devrait être multiplié par trois, malgré l'entassement des évidences, elles ont fait ce choix de ne pas se faire vacciner.
Je ne parle pas bien sûr des personnes souffrant de contre-indications médicales. Un vaccin n'est pas anodin et certaines personnes doivent demander le conseil de leur médecin avant toute vaccination. Nous n'avons pas tous le même passé médical, ni le même corps, c'est normal.
Je parle bien de ces personnes qui ont pris cette décision de ne pas se faire vacciner en l'absence de toute contre-indication. Une décision irrationnelle? Pour moi, le seul élément de rationalité était l'absence de recul sur les vaccins. Dans l'idéal, il aurait fallu en effet 5 ans de recul. J'y reviens en fin d'article.
Dans l'idéal. Mais nous étions confrontés à une mortalité galopante de nos personnes les plus fragiles, et à un personnel hospitalier en détresse, avec à l'esprit le douloureux souvenir du confinement de mars 2020. Une fois les vaccins enfin disponibles, la seule décision possible devait s'appuyer sur la logique: il fallait prendre le risque du vaccin à partir du moment où celui-ci était scientifiquement validé. Ce qui a été le cas.
Mais bien avant que cela n'arrive, de nombreuses personnes avaient déjà choisi de ne pas se faire vacciner. Si elles s'en sont tenues à leur résolution malgré l'évidence rationnelle, malgré l'enjeu de sauver des centaines voire des milliers de leurs concitoyens, malgré tous les chiffres qui démontraient la grande efficacité du vaccin (surtout contre le virus initial), c'est parce que ce n'est pas le cerveau qui a décidé. C'est les tripes. La peur d'un produit inconnu dans les veines.
En cela, ces individus sont les descendants viscéraux (et non intellectuels, puisque ce sont les viscères qui ont parlé) des Anglais qui se sont opposés à la vaccination obligatoire contre la variole en 1853. A cette époque, comme nous le disent les chercheuses Annick Guimezanes et Marion Mathieu dans l'ouvrage Vaccination : agression ou protection ? (Inserm, Le Muscadier), les adversaires de la vaccination obligatoire contre la variole pour les enfants invoquent le « danger » d'injecter des produits issus d'animaux, des « motifs religieux » ou encore l'« atteinte aux libertés individuelles ».
La nouveauté des vaccins à base d'ARN messager ne saurait être plus déstabilisante pour nos contemporains que la nouveauté vaccinale en 1853. N'en déplaise à tous les vaccinés contre le covid qui se sont ralliés aux antivaccins, la vaccination obligatoire a permis d'éradiquer la variole, le dernier cas relevé remontant à 1977. C'est un fait historique indéniable.
L'erreur au début de l'équation, elle est là: réagir avec ses tripes, par la peur. Tout le reste, ensuite, va découler de biais de confirmation. Dans une logique partisane, on va chercher tous les défauts des vaccins à base d'ARNm, on va vouloir justifier sa décision par tous les moyens possibles et imaginables. Les trésors de logique et d'analyse déployés se heurtent toutes au fait qu'à l'origine, la décision n'avait rien de rationnelle.
Et comme on le voit, dans le passé, on n'hésitait pas non plus à brandir l'étendard de la liberté pour conforter une décision irrationnelle, prise la peur au ventre.
Tous les fervents anti-vaccins n'agissent pas par peur, ou pas uniquement: des libertaires à tendance anarchistes, par exemple, peuvent y voir l'occasion de combattre ce qu'ils estiment être un nouvel ordre de la bienpensance, en politisant à l'excès ce qui ne devrait procéder que de la logique médicale. Quand de grandes luttes s'organisent, vous aurez toujours des opportunistes qui viennent s'agréger d'un côté ou de l'autre, qui y voient un moyen de se défouler sans croire particulièrement à une cause ou à l'autre.
Un antivaccin vous parle des casseroles du labo Pfizer? De toutes les malversations du laboratoire américain? Demandez-lui pourquoi il ne s'est pas fait vacciner au Moderna. Ce n'était pas possible au tout début, mais maintenant, on a le choix en France.
Un antivaccin dénonce la faible efficacité dans le temps des vaccins à base d'ARNm? On a en effet appris que ceux-ci n'immunisaient à 80% que pendant les 10 premières semaines contre l'omicron. Ensuite cela tombe à 47%, mais le vaccin reste efficace contre les formes graves, celles qui emmènent les malades en réanimation. Demandez-lui dans ce cas pourquoi il ne s'est pas fait vacciner à l'Astrazénéca.
Vous réaliserez alors que tout cela n'est que prétexte. Que ces gens ne sont pas prêts à mouiller le maillot pour les autres -- pas de cette façon, en tout cas. Que le cynisme consistant à dire "inutile de se protéger, on va être couverts par l'immunité naturelle de l'Omicron" va nécessairement accroître grandement, au moins dans un premier temps, le nombre de personnes à l'hôpital, et le nombre de décès parmi les plus fragiles. La France ne bénéficie pas d'une pyramide des âges aussi jeune que l'Afrique du Sud. Le seul espoir est que nos plus fragiles sont en grande majorité vaccinés -- mais ce n'est pas grâce aux antivaccins ni à leur propagande.
Toutes ces personnes réagissent en fait en fonction de cette peur viscérale de départ, celle du produit inconnu dans les veines.
Et pourtant, l'Histoire nous démontre qu'avec bien moins de connaissances scientifiques, en allant vers la vie et les solutions pour la préserver à chaque fois, on a épargné des millions de vies. Les scientifiques ne sont pas tous des scientistes. Ils ne croient pas à chaque fois que la science peut tout résoudre d'un coup de baguette magique. Ils ne se prennent pas tous pour dieu. En fait, ils suivent des chemins expérimentaux, validés par des pairs, qui ne réussissent pas toujours à 100% du premier coup, parce que la médecine n'est pas une science exacte.
Les paramètres sont trop nombreux, en médecine, pour être tous maîtrisés. On ne connaît pas bien les fonctions quantiques du cerveau, mais on sait qu'elles existent. On ne sait pas encore comment les gens attrapent des Covid longs, mais on en a l'évidence sous les yeux, d'après leurs témoignages. Et on sait que les conséquences physiques, sur la santé, sont loin d'être anodines dans la population.
Contre-argument : la peur du virus
Je présentais en septembre 2021 le témoignage d'une infirmière qui n'a pas souhaité se faire vacciner. Elle soutenait l'hypothèse inverse: c'est la peur du virus qui nous fait prendre une décision émotionnelle et qui n'a rien de rationnel, en se faisant vacciner avec un produit qui n'a pas fait ses preuves sur 5 ans.
Son argument, selon moi, revient à pointer du doigt la personne qui regarde à droite et à gauche avant de traverser: "pourquoi regarde-t-elle à droite et à gauche? Cette personne a peur et réagit irrationnellement."
Et pourtant, pas besoin de connaître les statistiques pour se douter que ceux qui traversent sans regarder sont les plus nombreux à se faire écraser.
Nous avons des stats de décès au niveau mondial, nous savons qu'il faut se protéger pour protéger les autres, nous savons que nous allons sauver les vies de personnes fragiles, et que la valeur de la vie humaine n'est en rien corrélée à l'âge des individus, ou en tout cas ne devrait pas l'être.
Nous savons qu'en laissant l'omicron régner sans suffisamment le contrarier, de nouveaux variants risquent de se développer chez les moins protégés, comme le craignent les autorités indiennes. Nous savons qu'une population moins bien vaccinée peut nous amener une nouvelle évolution plus ou moins dangereuse ou contagieuse du virus tant que nous n'aurons pas avancé suffisamment sur la vaccination mondiale. Nous savons tout cela.
Et pourtant, certains d'entre nous continuent de justifier des décisions fondées sur la peur, et colportent les rumeurs de bas-étage issues d'internet. Ou se servent de chevaux de retour en quête de gloire comme destriers sur lesquels parader, comme le docteur Raoult ou Robert Malone, l'inventeur de l'ARNm expulsé de Twitter pour ses mensonges sur le Pfizer et le Moderna.
Big Pharma et les enjeux financiers
Cela ne signifie pas que ceux d'entre nous qui ont conservé suffisamment de bon sens vont pour autant signer un chèque en blanc à Big Pharma, et en particulier à Pfizer.
Le pass vaccinal obligatoire est selon moi une bonne chose comme le vaccin obligatoire contre la variole était une bonne chose, mais avant tout pour les personnes non vaccinées.
Si ce pass vaccinal devait contraindre les citoyens à se revacciner toutes les dix semaines, ce serait excessif, et d'autant plus excessif que certains pays ne sont couverts qu'à 10% par la vaccination.
La marge de progrès sur la vaccination mondiale est énorme. C'est vers là qu'il faut aller avant tout.
Personnellement, je comprends la lassitude des Français par rapport à tout ça. Leur désenchantement. L'idée d'avoir encore autant de restrictions alors qu'on est vaccinés, oui c'est dur. Ce n'est pourtant pas l'inefficacité des vaccins qui est en cause, mais la trop faible vaccination au niveau mondial.
Il nous faut maintenant espérer que la compétition entre labos va pouvoir déboucher sur des vaccins nettement plus durables, et encore plus efficaces.
Jusque là, ne baissons pas les bras et continuons à protéger nos plus fragiles et nos personnels hospitaliers. Continuons à nous protéger les uns les autres, comme des frères d'armes.
P-S : pour ceux qui se demandent, non je ne signe pas la pétition contre le pass vaccinal. Je n'aurais pu accepter que si la pétition demandait à réviser le pass pour éviter de revacciner les Français trop souvent. Pas question non plus de faire un chèque en blanc aux antivaccins.
December 15, 2021
Un million de mots
L'écriture de mon dernier roman de Science Fiction Memoria, à paraître dès demain jeudi 16 décembre dans sa version ebook, et le 27 décembre dans sa version papier, m'a permis d'atteindre le seuil d'un million de mots écrits depuis le début de ma carrière. Il s'agit bien sûr exclusivement d'écriture de romans ou de nouvelles de fiction, sans compter mes travaux de traduction, ou mes articles sur ce blog par exemple.
Memoria, l'ebook en promo à 0,99 € seulement les 16 et 17 septembre sur les sites de venteCe seuil psychologique du million de mots écrits est important pour moi. Il comprend les ouvrages suivants :
- Tesla - L'Amulette de Rishkâr : 118 800 - Non publié
- Les Explorateurs : 90 500
- Le Souffle d'Aoles : 123 000
- Eau Turquoise : 129 600
- Les Flammes de l'Immolé : 187 600
- Le Vagabond : 70 300
- Passager clandestin : 86 000
- Les Nouveaux Gardiens : 118 700
- Memoria : 90 000
Total : 1 014 500 mots
L'Amulette de Rishkâr était mon premier roman, le premier tome d'une trilogie en hommage à Conan le barbare, écrit entre 2001 et 2003. Pas assez abouti, je ne le publierai pas. Il rentre néanmoins dans le décompte, puisque j'ai mis deux ans à l'écrire et qu'il représente un authentique effort d'écriture de fiction.
J'ai par ailleurs assuré la traduction en anglais d'Eau Turquoise, des Flammes de l'Immolé et des Nouveaux Gardiens.
Cela peut paraître une masse de travail assez considérable, mais tout est à relativiser. Une romancière professionnelle comme Kristine Kathryn Rusch écrit entre deux et trois millions de mots de fiction par an. C'est à dire que ce que j'ai fait dans toute ma carrière, elle le fait en un trimestre ou un semestre.
Tous les auteurs n'ont donc pas la même capacité de travail. Peut-on désormais me considérer comme auteur professionnel?
Il y a différents critères. Certains disent qu'il faut un million de mots minimum. D'autres qu'il faut avoir vendu 5000 livres ou ebooks. J'en suis à 11 352 livres papier et 5253 ebooks en autoédition, sans réseau de diffusion autre que les plates-formes numériques. D'autres encore qu'il faut vivre de sa plume. C'est le cas pour moi, à temps plein, mais j'ai la chance d'être propriétaire et d'avoir remboursé mon prêt immobilier.
A titre personnel, je me considère comme amateur éclairé, ce qui a un avantage: j'ai conscience de ma marge de progression. Certains de mes lecteurs me disent que mes romans s'améliorent à chaque fois, ce qui me fait bien sûr plaisir. Je vous en laisse juge, avec les trois premiers chapitres de Memoria, que vous pouvez lire à la suite de la présentation du roman.
290 pages - ISBN : 979-10-90571-37-2 Livre broché : 16 € - Ebook : 2,99 €Quelle place occupe la mémoire dans notre vie de tous les jours ? Depuis qu’elle a perdu une partie de ses souvenirs intimes, Lucinda Vels traverse le quotidien comme un fantôme. Avec un certain cynisme, elle équipe d’autres personnes d’implants neuronaux, alors qu’en tant que « Tradi », elle désapprouve totalement la démarche. Mais elle a besoin d’amasser les crédits pour accomplir son rêve d’une société plus juste, et ce travail paie bien. Ironie du sort, elle va finir par se laisser persuader d’utiliser la technologie sur elle-même, afin de recouvrer la mémoire. C’est alors qu’elle se découvre mère. Elle qui a toujours pris soin de ne pas tomber amoureuse a eu une fille, et son destin va en être bouleversé.
1. « Il faudra bientôt que je parte, maman »
Les cheveux étaient lisses, soyeux. Prendre ces mèches et les entrecroiser en nattes noires emplissait le cœur de Lucinda d’une joie simple et sereine. Sa fille était si sage, acceptant de bonne grâce ce moment de communion, le dos toujours droit, la posture élégante. Elle en était si fière ! Sept ans à peine, et capable de tant de maturité... Découvrir qu’elle pouvait ressentir autant de plénitude dans ces instants si communs surprenait toujours la jeune maman. Elle qui pensait avoir en horreur la maternité, combien s’était-elle trompée ! Ce n’était que lorsqu’une pièce du puzzle venait se greffer sur votre existence que vous réalisiez à quel point elle vous avait manqué jusque là. L’air embaumait de la familièreodeur de tilleul émanant de ses cheveux, et vous saviez que vous n’échangeriez ce moment contre rien au monde. Bientôt, la dernière tresse serait finie, et alors, la petite demoiselle tournerait vers elle son visage beau et grave, et elle verrait la couleur de ses yeux.
« Le spatioport de Quazam accueille aujourd’hui quatre barges de débarquement de classe A, ce qui augure d’une saison touristique de tout premier plan, Shana.
– Oui, Jim, et...
– Son à zéro, » marmonna Lucinda.
Malgré sa voix pâteuse, le réseau domotique obtempéra immédiatement.
Lucinda palpa ses draps fiévreusement, comme si le simple fait de les agripper pouvait retenir le délicieux rêve et ces images qui s’enfuyaient. Elle avait été sur le point de voir ses yeux ! De pouvoir enfin connaître leur couleur, de plonger dans ces fenêtres de l’âme de l’enfant. Et tout cela lui échappait !
Elle se retourna rageusement. Ces plumes qui environnaient son cœur et le faisaient flotter dans un champ antigrav s’étaient tout à coup transformées en enclumes. Jusqu’au parfum du tilleul qui imprégnait à présent sa bouche d’un goût amer. Elle roula de côté et s’assit. Tête plongée entre les mains, elle se massa le cuir chevelu. Le contact de ses cheveux crépus entre ses doigts avait le don de l’apaiser. Elle soupira. Son cerveau lui faisait l’effet d’une pochette surprise qui alternait le meilleur et le pire. Le problème, c’est que le meilleur se révélait surtout dans ses rêves, là où le pire habitait son quotidien.
Comme elle se levait pour se diriger vers la salle de bain, Alice, l’IA qui pilotait son réseau domotique, désocculta en partie ses fenêtres pour laisser passer une lumière encore tamisée.
Lucinda, agacée, se gratta l’avant-bras. Se dire que ses songesétaient meilleurs que sa réalité n’était pas tout à fait vrai. Depuis qu’elle avait choisi délibérément de violer l’autel sacré de son cerveau, depuis qu’elle s’était fait implanter un nanite mémoriel, des bribes de sa mémoire pouvaient lui revenir à tout moment, et pas seulement dans ses rêves. Elle n’était sans doute pas au bout de ses surprises.
Ses ablutions terminées, elle se dirigea vers la cuisine. Elle n’eut qu’à effleurer le bouton « standard » du synthétiseur pour que ses céréales, fèves et jus de fruits habituels apparaissent au bas de l’appareil, dans leurs contenants, en quelques secondes.
L’ironie de la situation lui arracha une grimace. Si ses parents savaient, ils ne manqueraient pas de l’accuser d’avoir succombé aux sirènes des « Rénos ». Et en particulier son père, si sourcilleux. Il lui reprocherait d’être devenue l’une d’entre eux. Et il se tromperait — elle se considérait toujours comme une « Tradi ». Mais elle était pragmatique. Sans cela, jamais elle n’aurait choisi ce métier de cyberneuro.
Qu’y pouvait-elle, si une partie de l’humanité entendait s’approprier la vue d’un aigle andosien, l’ouïe d’un tarsier d’Arcturus, l’odorat d’une chauve-souris de Chrysalin, le goût du linamel d’Elsevia, ou le sens du toucher des thals de sa planète, Quantor ? Pouvait-elle ramener à la raison ceux qui brûlaient d’accroître leur force physique, ou leur souplesse de manière excessive en modifiant leur cerveau ? Ceux qui voulaient y voir la nuit ? Développer leurs performances sexuelles ? Rajeunir ? Ou bien encore, les plus nombreux, ceux qui ne rêvaient que d’absorber et d’émettre des informations à une fréquence inhumaine, leur permettant de tutoyer le niveau d’échanges d’intelligences artificielles ?
Non, bien sûr. Ce qu’elle pouvait faire, c’était profiter du marché que cela représentait, en les équipant elle-même des nanites qui les rendaient capables de prodiges — quand ses patients ne faisaient pas de rejet. Sous sa direction, heureusement, de telles déconvenues étaient rares. Tout dépendait de la connaissance de ce vaste terrain de jeu qu’était le réseau neuronal, et de l’habileté avec laquelle on pouvait déterminer les réactions quantiques au niveau du thalamus, ou d’une autre partie de l’encéphale. Lucinda avait bénéficié d’un enseignement pointu, et se sentait comme un poisson dans l’eau dans les méandres du cerveau — le cerveau des autres en tout cas. Elle aurait sans souci continué à accumuler des crédits, si on ne lui avait pas volé sa calotte neuronale multifonctions, héritage de son oncle. Si elle ne s’était pas aperçue, aussi, qu’elle avait perdu une partie de sa propre mémoire, et notamment les moments qui entouraient ce vol.
Alice avait été incapable de lui livrer le moindre indice de ce qui s’était produit. Une véritable trahison !
Une fois informée, sa compagnie d’assurance avait à son tour enquêté. Selon celle-ci, le réseau domotique avait subi des modifications rendant impossible la découverte d’une quelconque piste. Pire encore, ce viol des systèmes annulait la garantie de Lucinda — elle ne pouvait plus être remboursée. Dilapidé, l’héritage familial qui avait demandé une vie de travail à son oncle Samnus !
Pas question que celui-ci l’apprenne, bien sûr. Lucinda n’était pas ruinée — nul ne pouvait l’être, sur une planète-providence comme Quantor — mais comptait bien rétablir la situation. Pour cela, il lui fallait retrouver la mémoire. L’hypnose n’ayant rien donné, elle s’était finalement résolue à laisser l’un de ces minuscules robots appelés nanites lui trifouiller l’hippocampe. Comme l’opération, qui comportait un risque d’altération de la personnalité, n’était pas tout à fait légale, elle avait eu recours à une organisation évoluant, sans mauvais jeu de mots, en zone grise et peut-être même au-delà, celle des Anciens de Nova. Les nanites mémoriels étaient malheureusement les plus coûteux, et toutes ses économies y étaient passées.
Deux jours que le microscopique robot était intervenu (il faisait partie des intermittents, ceux qui ne restaient que quelques instants dans le cerveau), mais les résultats n’étaient pas du tout ceux qu’elle escomptait. Du vol, elle ignorait toujours tout. En revanche, une nouvelle personne s’était immiscéedans sa vie — une jeune demoiselle connue ni d’Eve ni d’Adam, mais que son instinct lui désignait comme sa propre fille. Son instinct, et autre chose. Peu après que le nanite mémoriel eut été retiré, la première image de cette fille dont elle ignorait jusqu’au prénom lui était apparue. La petite main s’était placée dans la sienne, mais le visage enfantin n’avait pas osé se tourner vers elle lorsque la voix douce, étrangement familière, avait murmuré ces paroles : « il faudra bientôt que je parte, maman. »
Sans y penser, Lucinda essuya une larme tombée sur sa joue. Elle resta ainsi, épaules voûtées, sans toucher à sa nourriture. Maintenant, cela lui revenait un peu. Elle se souvenait de son incertitude initiale, puis du choc, du coup de poing à l’estomac qu’avaient provoqué ces simples mots.
« Ce n’est qu’un jeu, l’une de ces lubies de gamines, » avait-elle tenté de se persuader. Mais son cœur s’était rencogné, recroquevillé sous la pression de l’étau glacial de la peur.
Combien de temps entre ce passé indistinctet aujourd’hui ? Elle n’aurait su le dire. Ses sentiments d’alors revenaient la frapper de plein fouet, comme un écho — ou plutôt, une réplique d’un tremblement de terre. Elle l’avait vraiment aimée. Elle semblait représenter tant de choses pour elle.
Lucinda s’essuya le front du bout des doigts. Puis elle prit une inspiration et se raffermit sur son séant. Aujourd’hui, elle en aurait le cœur net.
2. L’examen
Le panel de titanium du hangar glissa silencieusement, révélant le globe blanc d’Alcor A et celui, bleuté, d’Alcor B. Parfaitement climatisé, son glisseur antigrav la protégerait de l’ardeur des rayons.
« Centre de santé de Shar’Nastra, » indiqua Lucinda. Son doigt effleura le bouton « auto » qui flottait dans l’air, et le véhicule se mit en marche. Il franchit sans un bruit l’ouverture, puis accéléra de façon exponentielle. A la double boule en fusion d’Alcor, vinrent s’ajouter à l’horizon deux autres étoiles, Mizar A et B, au diamètre deux fois plus réduit — des géantes rouges. Les deux dernières, Mizar C et D, plus éloignées encore, se contentaient d’éclairer la nuit quantorienne en cette saison. Quantor était ainsi l’une des rares planètes bénéficiant de la lumière de six étoiles. Son atmosphère épaisse offrait heureusement une excellente protection contre les rayons cosmiques et ultraviolets. Quant aux occulteurs de vitres ou de cockpits, ils figuraient parmi les plus performants de la galaxie. Même les nuits étaient claires.
Lucinda aurait pu faire venir un droïde médical chez elle, mais cela aurait manqué de solennité. Se déplacer, c’était se prouver qu’elle abordait cette nouvelle phase de sa vie en conquérante, et non en victime. Autour d’elle, l’uniformité grise de la lande n’était rompue que de loin en loin, par des étendues herbacées. Elle n’habitait pas l’une des régions les plus spectaculaires de la planète, loin s’en fallait, mais en contrepartie de cette monotonie du paysage, la quiétude ambiante n’était jamais troublée par les déferlements de touristes. Aurait-elle voulu profiter physiquement d’une vue plus exaltante, elle n’avait qu’à effleurer un pointplus distantsur l’écran holo — ou prononcer quelques mots — pour que son glisseur prenne de l’altitude et la propulse au-delà de la vitesse du son vers sa destination, pour un voyage aussi court qu’agréable.
Comme souvent ces derniers temps, Lucinda se rappelales instants qui avaient suivi son réveil dans son lit, ce jour fatidique où elle avait perdu la mémoire. Cette impression que de larges pans de son existence lui faisaient défaut avait été la plus marquante. Elle s’était demandé si elle n’était pas folle en réalisant que sa vie sociale étaitaussi emplie que le vide intergalactique. Ce n’était que par la suite, lorsque sa mère lui avait appris qu’elle la croyait sur Elsevia, une planète lointaine, qu’elle avait commencé à penser que sa santé mentale n’était peut-être pas en cause. Pourquoi lui aurait-elle menti ainsi ?
Hypothèse corroborée par le vol de sa calotte multifonctions. Comment mieux éviter qu’elle en dénonce l’auteur, sinon en effaçant sa mémoire ? Après tout, son système domotique lui-même avait eu une proportion non négligeable de sa base de données supprimée.
Lucinda avait exposé son point de vue à des enquêteurs, mais s’était heurtée à leur scepticisme. L’éradication d’une partie de la mémoire biologique était un procédé délicat et coûteux, cela revenait presque aussi cher que l’appareil qui lui avait été dérobé. Lucinda était pourtant persuadée qu’il devait y avoir un lien de cause à effet entre les deux événements.
A moins... à moins qu’elle n’ait décidé elle-même d’opérer cet effacement sélectif de ses souvenirs. Elle en avait les compétences, étant cyberneuro. Afin d’éviter qu’elle n’intervienne une seconde fois sur sa mémoire dans le but de la rétablir, elle se serait alors arrangée pour se débarrasser de sa calotte, ou avait fait en sorte que quelqu’un la récupère, après avoir programmé l’opération. Elle devait forcément, dans ce cas, avoir bénéficié d’un complice qui aurait lui-même supervisé celle-ci.
Mais dans quel but ?
Lucinda frissonna malgré la chaleur dans l’habitacle. Si elle avait tenu à supprimer ces souvenirs, c’est qu’ils étaient peut-être trop durs à supporter. Auquel cas, on pouvait tout imaginer, et en particulier la perte tragique de cet être qui faisait accélérer les battements de son cœur — son propre enfant.
« T’emballe pas, ma fille », murmura-t-elle. Si elle s’était arrangée pour faire effectuer l’opération par un tiers, Lucinda était suffisamment prévoyante pour laisser une note sur son omnicomp lui enjoignant de ne pas chercher à retrouver la mémoire, et lui expliquant les tenants et aboutissants de sa démarche. Or, elle n’avait rien trouvé de tel. Elle devait absolument se faire confiance, sinon elle deviendrait cinglée.
La structure de métal, de fibre de carbone et de verre du centre de santé se profila entre d’autres immeubles de la ville de Shar’Nastra. Les habitations aussi bien que les unités de production et les trottoirs étaient blancs pour mieux renvoyer la chaleur. De grands arbres avaient été plantés le long des voies, et quand ils s’y prêtaient, les bâtiments avaient été végétalisés. Comme le trafic se densifiait, le glisseur ralentit fortement. Lucinda serait bien passée en conduite manuelle si elle ne s’était sentie trop émotive. Elle n’allait pas tarder à connaître la vérité de son corps. Son appareil prit place dans un flot multicolore de véhicules. En plus des glisseurs, il y avait des monopodes et bipodes, ainsi que des individus en combinaison antigrav, propulsés par micro-impulsion. Dans l’une de ces combinaisons, elle distingua le crâne parfaitement lisse d’un Alampa. A bord d’un jetbus sur sa gauche, le front ridé et le nez en triple fente d’un Nal’Quan. Quantor était une planète multiespèce. Chacuney vivait en harmonie, même si la colonisation successive par les Nal’Quans, les humains et les Alampas n’avait pas été sans causer moultproblèmes.
A tout moment, les différents appareils ou individus pouvaient s’élever pour aller se poser sur une plate-forme ou dans un hangar de l’un des bâtiments, ou bien plonger vers l’une des voies souterraines. Le chaos n’était qu’apparent, les algorithmes interconnectés corrigeant automatiquement les trajectoires pour éviter toute collision, y compris des engins en contrôle manuel. Les services obstétriques du centre de santé se trouvaient au troisième étage, c’est donc dans le hangar de ce niveau que vint se ranger le glisseur.
A peine eut-elle posé le pied au sol qu’un droïde inclina la voûte sphérique qui lui tenait lieu de crâne devant elle. Son corps en forme de dragée géante flottait en l’air, maintenu par un champ antigrav. Lucinda savait qu’il pouvait au besoin faire sortir des appendices faisant office de bras et de mains. « Bienvenue au centre de santé de Shar’Nastra, fit la voix veloutée et androgyne. Quel est le motif de votre visite ? » Comme il prononçait ces paroles, les iris bleutés la scannèrent de haut en bas, l’espace d’un battement de paupières.
Lucinda n’hésita pas, ayant préparé sa réponse. « C’est pour un examen. Je voudrais vérifier si j’ai déjà donné naissance in utero à un ou plusieurs enfants. » Voilà, c’était dit. Et d’une voix à peine tremblante.
En tant que traditionaliste, Lucinda savait qu’elle aurait refusé de faire naître sa fille dans une couveuse. Cela posait bien sûr la question gênante du recours à un compagnon mâle, dont elle n’avait pour l’instant aucun souvenir. Si elle en était passée par une imprégnation naturelle, quels pouvaient être ses sentiments à l’égard de son amant ? Elle qui avait toujours repoussél’idée de concevoir, ne devait-elle pas être tombée follement amoureuse pour faire passer un enfant devant ses projets ? Mais dans ce cas, pourquoi n’avait-elle aucun souvenir de son amant ? Autant d’interrogations qu’elle préférait remettreà plus tard.
Une chose après l’autre.
En dépit de l’incongruité de la question, le droïde ne marqua aucune hésitation. « A première vue, votre morphologie laisse penser que c’est le cas. Souhaitez-vous passer au scanner pour le vérifier ?
– C’est pour ça que je suis ici. Je veux une confirmation officielle. Je veux savoir combien j’ai eu d’enfants.
– Désirez-vous des examens complémentaires ? Examens mémoriels ?
– Ce ne sera pas nécessaire. Je suis déjà un traitement de ce côté.
– Dans ce cas, veuillez me suivre. »
Lucinda poussa un long soupir. Ils marchèrent jusqu’à un mur le long du hangar où étaient disposés des gyropodes à champ de force stabilisant. Lucinda en choisit un et indiqua d’un geste à l’appareil, via l’affichage holographique, de suivre le droïde. Ce dernier accéléra rapidement. Après un défilé de corridors, ils empruntèrent un puits gravifique qu’ils abandonnèrent très vite pour longer de nouveaux couloirs. La pièce qui accueillit Lucinda comportait des modules en forme de scaphandre, placés à la verticale.
« Examen de niveau 2, prononça le droïde. Sujet : Lucinda Vels. »
Elle savait qu’il ne disait cela qu’en raison du protocole. La machine à laquelle il avait parlé aurait pu se contenter de recevoir ses instructions sous forme d’ondes. C’est d’ailleurs ce quis’était produit pour toute une série d’informations complémentaires. Dès lors que des êtres biologiques étaient à portée de voix, cependant, les machines devaient s’adapter.
« Déshabillez-vous, s’il vous plaît. »
Lucinda sentit son cœur battre plus fort. Elle retira son haut, son soutien-gorge, puis sa jupe et sa petite culotte. La tenue classique d’une « Tradi », beaucoup plus originale cependant que les uniformes trop souvent portés par les « Rénos ».
Le scaphandre s’entrouvrit. Frémissante, tous poils hérissés, elle prit place à l’intérieur. Le couvercle se referma et elle eut devant elle les yeux électroniques des scanners et autres senseurs qui commençaient déjà leurs analyses. Bientôt, une image de son corps se forma, remplaçant les instruments.Elle lut l’effarement sur les traits de son visage et dans ses grands yeux marron. La peau noire, les cheveux crépus étaient ceux, typiques, d’une humaine descendante de ces colons venus s’installer sur Quantor, et dont le métabolismeavait dû s’adapter, avec les générations, aux conditions climatiques de la planète. Son cou strié de larges plaques témoignait des modifications génétiques qui avaient été apportées pour permettre à l’espèce de respirerl’atmosphère ambiante. Ses seins, pleins et galbés, avaient été préservés de tout changement. Les différencespar rapport à son espèce d’origine étaient bien sûr plus importantes à l’intérieur de son corps.
Son regard tomba sur ses hanches. Sans nul doute, celles-ci étaient suffisamment larges pour avoir permis l’accouchement par les voies naturelles. Son hypothèsefut bientôt confirmée par la machine. « Diagnostic positif » lut-elle tandis qu’une voix prononçaitles mots qui flottaient devant elle. Elle avait donné naissance, mais à une seule reprise. Huit ans auparavant. A une fille.
Le scaphandre se rouvrit, et Lucinda tituba à l’extérieur. Elle ne savait trop si elle avait espéré ou redouté cette confirmation. C’était trop mélangé à l’intérieur, comme un tourbillon qui la laissait sens dessus dessous. Elle s’agenouilla, essuya une larme et se pencha vers ses vêtements. Comme elle s’habillait en tremblant, elle s’efforça de remettre de l’ordre dans ses pensées. Comment avait-elle pu oublier une telle chose ?
Le droïde médical flottait toujours dans un coin de la pièce. Lucinda prit une inspiration, décidée à surmonter ses émotions. « Peux-tu interroger ta base de données ? demanda-t-elle d’une voix rêche.
– Bien sûr.
– Dans quel centre s’est produit l’accouchement ? A quoi ressemblait l’enfant ? »
Une seconde s’écoula avant la réponse, ce qui représentait une recherche approfondie. Elle tomba comme un couperet.
« Aucune trace d’un accouchement à votre nom. Aucune trace non plus d’un accouchement correspondant à votre ADN et à votre profil. Ni ici ni sur aucune des stations orbitales de Quantor. »
3. L’abîme
Lucinda en resta bouche bée. En un sens, cependant, elle n’aurait pas dû être surprise. L’information cadrait avec ce que lui avaient dit ses parents au sujet de son voyage interstellaire. Sauf que Lucinda savait pertinemment ne pas être allée sur la planète Elsevia durant cette période — ni sur aucune autre, d’ailleurs. Elle n’avait pas tout oublié de ces huit dernières années, et se souvenait avoir continué de travailler en freelance en tant que cyberneuro. Il y avait donc bien tentative de dissimulation de la réalité. Dans quel but, c’était la question qu’il lui fallait résoudre.
D’un geste vif, elle dessina un « H » sur son sac à main, qui lui répondit en affichant l’heure — 8h20. Il ne lui restait que quarante minutes avant le début de sa journée de travail. Elle inclina la tête en direction du droïde avant de se diriger vers son gyroscope. « Retour à la dernière destination, » articula-t-elle. Aussitôt, l’appareil se mit à accélérer. Il se penchait avec grâce dans les virages. L’esprit troublé, Lucinda ne suivait pas vraiment ses mouvements, mais le champ de force qui l’entourait suffisait à les lui faire accompagner et à assurer la stabilité. Quelques glisseurs de plus étaient apparus dans le hangar depuis qu’elle en était partie. Elle reprit le sien et lui fit mettre le cap sur la Nan Tech, la compagnie qui l’employait. Située aux confins des colonies humaines, dans la ville de Baneleys, l’entreprise était une émanation des Anciens de Nova, qui y pratiquaient à la fois leurs opérations légales et clandestines. C’était sans doute en raison de sa réputation sulfureuse qu’elle payait si bien, mais Lucinda n’était pas en position de jouer les fines bouches. D’autant moins, d’ailleurs, qu’elle avait été également cliente de leurs services, ayant bénéficié du nanite mémoriel fourni et implanté par la Nan Tech.
S’élevant entre les grandes plaines qui abritaient les cultures locales, des collines firent leur apparition. Le terrain devint plus rocailleux. Lucinda passa les commandes en manuel, et s’amusa à louvoyer entre des éperons rocheux. Il fallait une certaine concentration pour que l’ordinateur de bord ne reprenne pas la main, ce qui n’était pas pour lui déplaire. L’état d’esprit était adapté à son travail. En contrepartie de leur générosité, les Nal’Quans se montraient exigeants et peu enclins à faire preuve de mansuétude en cas d’erreur — pas ceux de la Nan Tech en tout cas.
Au creux de la vallée, les vastesdômes allongés se découpèrent. Pourvus de motifs violets qui tenaient lieu de fenêtres, ils étaient typiques de la culture novienne. Ils abritaient des bassins d’eau saline, verdâtre, où poussaient des algues issues de la planète mère des Nal’Quans, Nova Prime. Rien que d’y penser, Lucinda pouvait déjà sentir leur odeur âcre, pas si désagréable, cependant, une fois que l’on s’y était familiarisé. Impossible de faire autrement de toute façon, puisque ses employeurs, en raison de leur nature semi-aquatique, avaient besoin de s’y ressourcer toutes les heures. Le hangar qui accueillait les glisseurs du personnel se trouvait en dehors des locaux de travail. Elle n’était pas la seule à venir garer le sien, ce qui n’était pas un problème — les alvéoles du bâtiment pouvaient s’ouvrir simultanément pour laisser entrer les véhicules, et il était facile d’en sélectionner une qui ne soit pas surchargée. Il fallait en revanche ressortir à l’air libre et marcher ou flotter le long d’une ruelle avant de pénétrer dans le hall de l’entreprise. Ceux qui comme Lucinda ne bénéficiaient pas d’une combinaison climatisée se retrouvaient assaillis par une bouffée de chaleur dès leur sortie du hangar.
Elle chercha des yeux sa collègue Annette Delsing. Deux des individus qui s’avançaient à ses côtés avaient la peau bleue et le visage plissé des Nal’Quans. D’autres étaient des humains, de sexe mâle pour la plupart. Pas d’Annette à proximité. Elle aurait pu sortir son omnicomp de son sac à main pour la localiser, si ce n’est que de toute façon elle la retrouverait au bureau.
Alors qu’elle s’apprêtait à se remettre à marcher, Lucinda se sentit tirée en arrière par le bras. Elle se retourna sur un individumasqué, dont elle ne discerna que les yeux bleus. L’instant d’après, l’homme plaqua un objet métallique contre son front. Une voix grave retentit dans sa tête, si forte qu’elle ne pouvait que provenir de l’objet, ou avoir été amplifiée par lui. « Si tu réussis à retrouver la mémoire, tu vas être plongée dans un abîme dont tu ne sortiras pas vivante. » Tandis que l’écho sonorese répercutait dans son crâne, toute réalité disparut aux yeux de Lucinda, et elle se vit en chute libre dans un gouffre. Plus elle tombait, plus la température augmentait, au point de lui cuire les jambes, le torse et le visage.
Au moment où son corps ne fut plus qu’une plaie béante, tout devint noir autour d’elle.
Lorsqu’elle revint à elle, ce fut en position allongée, sur une table d’opération. Un droïde de conception novienne la considérait de son air indéchiffrable. Deux Nal’Quans se trouvaient également penchés au-dessus d’elle. Une voix récitait des paroles, et comme l’un des doigts palmés du Nal’Quan se posait sur ses lèvres violacées, elle comprit que la voix venait de sa propre bouche, tout en réalisant le sens des mots qu’elle prononçait. Elle se tut aussitôt. « Dont tu ne sortiras pas vivante, » voilà cequ’elle répétait en boucle. L’air autour d’elle était si frais... elle qui osait à peine respirer se mit à aspirer l’air divin à grandes goulées.
« Vous êtes en sécurité ici, la rassura celui des Nal’Quan dont la peau était la plus ridée.
– Etat des fonctions biologiques : optimal, fit le droïde.
– Etes-vous sujette aux insolations ? l’interrogea le second.
– Pas que je sache, répondit-elle, perplexe. Je n’ai presque pas été exposée aux rayons. » La question lui paraissait sans commune mesure avec la douleur ressentie. Elle se redressa sur les coudes et, bourrelée d’angoisse, regarda ses jambes, qu’elle s’attendait à voir noircies, carbonisées.
Rien. Elles étaient en parfait état — elle pouvait même remuer les orteils. Ses bras, son torse n’avaientsubi aucune brûlure non plus. C’était absurde.
« Vous êtes en parfaite santé, la rassura le premier. Vous avez sans doute eu une bouffée d’angoisse. Est-ce le stress lié à l’intervention du nanite mémoriel ? C’était juste avant-hier, d’après votre dossier. »
Elle fronça les sourcils en le dévisageant. Elle se trouvait donc à l’infirmerie de la Nan Tech, puisque bien sûr, son dossier médical classique ne mentionnait pas le nanite. La sensation de l’objet froid sur son front lui revint tout à coup, et elle y porta la main. « Ce n’était pas le nanite, dit-elle. J’ai été agressée. »
Les Nal’Quans la considèrent en fronçant les sourcils avant de s’entreregarder. Les quatre petits appendices, sorte de mini-tentacules au niveau de leur menton, s’agitèrent. « Dans ce cas, vous voudrez peut-être vérifier que rien ne manque. » Le plus ancien lui désigna son sac à main, qui reposait dans un coin de la pièce.
« Si vous pouvez décrire l’individu qui vous a agressée, nous pouvons le signaler au service de sécurité, qui mènera son enquête », proposa le plus jeune. A son attitude, il était évident qu’il ne souhaitait pas voir les autorités de la ville mêlées à cette affaire. Ce qui se passait à la Nan Tech devait y rester autant que faire se pouvait.
« C’était un humain. Il avait les yeux bleus mais il portait un masque.
– D’autres détails ? C’est un peu court. »
Elle secoua la tête. « Je regarderai dans mon omnicomp. Il était dans mon sac, mais ses senseurs ont pu détecter quelque chose.
– Nous nous sommes déjà permis de le consulter, fit l’ancien. Ses senseurs ont été bloqués. Il n’a rien. »
Lucinda avala sa salive. « Vous voyez bien que c’était une agression. Préméditée... »
L’embarras se peignit sur les traits des Noviens. « Bien sûr, rien ne vous empêche de porter plainte auprès des autorités, dit l’un.
– Auquel cas, nous serons forcés d’en référer à notre hiérarchie... » fitl’autre.
La nuance de menace dans sa voix, la dernière intonation plus haute laissant entendre qu’elle n’était pas achevée retentirent comme autant de signaux d’alerte. Il ne fallut pas beaucoup d’imagination à Lucinda pour la compléter. Laquelle mettra fin à votre contrat. Ou quelque chose du genre, se dit-elle. Elle sentit presque les rouages de son cerveau s’enclencher. Si elle restait sur sa position et portait plainte, elle se ferait virer. Terminé, l’idée d’engranger suffisamment de crédits pour bénéficier assez rapidement d’un autre passage de nanite mémoriel. Quelle serait la première personne à s’en réjouir sinon son agresseur, qui avait justement fait en sorte de la dissuader de continuer à travailler ici, où elle s’efforçait de recouvrer la mémoire ? Il aurait gagné, elle aurait perdu. C’était aussi simple que ça.
Lucinda poussa un gros soupir. « Je ne vais pas porter plainte. Après tout, je ne suis pas blessée.
– Vous sentez-vous capable de reprendre le travail ? » s’enquit le plus jeune.
Elle se contenta de hocher la tête en allant récupérer son sac. Il ne manquait rien à l’intérieur, preuve supplémentaire du but poursuivi par son agresseur. Sans perdre plus de temps, elle prit congé. Ses employeurs, elle le savait, n’étaient pas du genre à la cocooner. Elle se trouvait dans une zonede la Nan Tech complètement inconnue d’elle. Son omnicomp était un petit boîtier plat muni d’une sangle qu’elle pouvait ajuster sur son avant-bras si elle le souhaitait. « Destination secteur 481C, » articula-t-elle. Elle le rangea dans son sac, ce qui n’empêcha pas l’objet d’émettre des holoprojections sur son chemin — des flèches vertes qui flottaient dans l’air et indiquaient la direction.
Annette était déjà à son poste dans le bureau que toutes deux partageaient. Comme la plupart des humains nés sur Quantor, elle avait aussi la peau noire, et son cou présentait les plaques caractéristiques des colons. Mais ses cheveux à elles étaient bouclés, avec des mèches orangé clair.
« Où étais-tu passée ma belle ? » Il y avait une pointe d’ironie dans la question, mais sans méchanceté — ce n’était pas le genre d’Annette. La régularité des traits de son amie, la volupté de sa bouche, la perfection de ses formes athlétiques révélaient des améliorations génétiques autres que celles portant sur la simple adaptation aux conditions de vie. Cela aurait pu les séparer, et Lucinda s’était d’ailleurs montrée très réservée au début. Avec son propre nez de travers, ses dents à l’alignement imparfait et sa taille inférieure à celle d’Annette, elle n’était guère avantagée. Mais Lucinda connaissait le prix de tels ajustements, qui frôlaient parfois les limites de l’eugénisme, et n’étaient tolérés qu’après ample vérification du niveau général de diversité des gènes. Une beauté plus rayonnante pouvait ainsi se payer de fonctions digestives moins efficaces, de performances physiques amoindries, ou d’une prédisposition plus prononcée à certaines maladies.
Annette, contrairement à ce qu’avait craint Lucinda au début, n’avait rien de ces arrogants spécimens qui ne vous admettaient dans leurs cercles que si laperfection de votre plastique correspondait à leurs critères surhumains. Son rire jovial, communicatif, avait su toucher son cœur. Son enjouement et sa bonne humeur n’étaient jamais feints. Sa simplicité et sa franchise pouvaient être déstabilisantes, mais s’avéraient rafraîchissantes dans un milieu où il fallait trop souvent lire entre les lignes pour comprendre ce qui se tramait. En outre, Annette en avait suffisamment sous cette épaisse crinière pour s’être spécialisée dans la biologie novienne — pas une mince affaire, quand on savait que les Nal’Quans étaient équipés d’une paire de cerveaux.
« Tu le sais bien, lui répondit-elle en rangeant son sac près de son poste. Tu as vérifié sur ton omni. »
Sa collègue et amie ne se démonta pas pour autant. « Oui, mais qu’est-ce que tu faisais là-bas ? Un malaise ? Ne me dis pas que tu es tombée enceinte sans me prévenir ! »
La boutade était dangereusement proche de la réalité. Je suis tombée enceinte sans me prévenir, moi. Ou plutôt sans que je m’en souvienne. Il y a huit ans de cela.
« Une mauvaise rencontre, lâcha-t-elle. Je t’en reparle à la pause. Déjà que j’arrive en retard, faut au moins que je fasse semblant de bosser. » Annette lui rendit son sourire en coin et se concentra sur son propre poste. Elles n’avaient encore jamais été réprimandées par leurs susceptibles employeurs, mais se doutaient toutes les deux qu’elles n’auraient pas droit à plus d’un ou deux jokers. Comme elle se plongeait dans son travail de reconfiguration de circuits neuronaux, Lucinda fit apparaître des images holo de certains secteurs du sujet, et les observa pour déterminer si des ajustements étaient nécessaires. Là où l’appareil de Lucinda avait pour fonction de simuler l’environnement d’une calotte neuronale humaine afin de vérifier son efficacité, celui d’Annette était son pendant novien. Lucinda admirait son amie de s’être intéressée à des cortex aussi différents que ceux des Nal’Quans. Elle savait que ces derniers employaientégalementdes Rénos, ce qui leur permettait de jouer sur les deux tableaux. Avec les Rénos, ils possédaient la puissance de calcul des nanites implantés dans des esprits biologiques. Avec des Tradis, ils bénéficiaientd’une approche se reposant davantage sur l’expérience et l’intuition. La Nan Tech vendant ses nanorobots aussi bien aux Nal’Quans qu’aux humains, ils avaient besoin de profils spécialisés dans les deux espèces.
Configurer des neurones se rapprochait du voyage dans l’espace. L’infiniment petit, agrandi par l’ordinateur holo, présentait des formes étranges et merveilleuses. Il fallait naviguer entre les interstices, trouver les éventuelles failles pour intervenir dessus. Vérifier les changements, et en cas d’erreur, effectuer un diagnostic sur la calotte neuronale pour voir ce qui clochait. Comme d’habitude, Lucinda ne vit pas le temps passer. Au bout de deux heures, ce fut Annette qui la tira de sa transe.
« Alors ! C’était quoi, cette rencontre ? Accouche, ma belle. »
Lucinda se serait bien passée de cette expression. Son amie s’était levée de son poste et se tenait à quelques centimètres à peine. Elle lui raconta l’agression et ses conséquences. « Il a dû utiliser une sorte d’impulseur d’ondes cérébrales calibré pour m’envoyer une image précise et un message, accompagnés de sensations. Je me suis vraiment sentie brûler.
– C’est horrible, fit Annette. Et ce message qu’il t’a fait parvenir... C’est de ma faute. Je n’aurais pas dû t’inciter à avoir recours à ce nanite mémoriel. » Tout entrain avait disparu du visage de son amie, laquelle se mordit la lèvre inférieure.
« Bien au contraire. C’est vrai qu’au début, j’avais un autre objectif. Mais j’avais déjà eu des séances d’hypnose. Pour me souvenir. Ça n’avait rien donné. Je savais qu’il y avait des trous dans ma vie. L’idée que tu m’as soumise en valait bien une autre. »
Annette cessa de se mordre la lèvre et son regard se fit plus intense. Elle lui saisit la main. « Et au fait ? Ça a donné quoi, avant-hier ?
– Figure-toi que j’ai bien eu un souvenir. Du genre plutôt surprenant. Renversant, même. » Elle ne sut pourquoi, elle se sentit rougir et baissa les paupières. Elle prit une inspiration, mesurant l’ampleur de la révélation. « J’ai eu une fille, il y a environ huit ans de cela. Je suis allé vérifier la chose à un centre de santé pas plus tard que ce matin. Ils m’ont confirmé que mon corps avait donné naissance à une fille, mais sans obtenir aucune trace de l’accouchement. »
Annette baissa la tête, mais ne sembla pas autrement surprise. Lucinda en resta sans voix un instant. « Toi, tu sais quelque chose, finit-elle par articuler.
– Tu as eu d’autres souvenirs ?
– Un rêve où je m’occupais de ses cheveux. Je... j’avais vraiment des sentiments forts pour elle. Je sais que ça paraît fou de dire ça, alors que je ne connais même pas son prénom !
– Ce n’est pas fou du tout, Luce. Crois-moi.
– Alors ? Pourquoi tu n’étais pas surprise ?
– Parce que je m’attendais à être surprise. Je suis passée par là, moi aussi, tu sais bien. Comme pour toi, ce que j’ai découvert après le passage du nanite a été extraordinaire et inattendu. Je préfère ne pas t’en dire plus pour le moment pour ne pas altérer ta propre expérience. Ce processus de recouvrement de mémoire peut être long. Il ne faut pas le brusquer. Si ton cerveau n’est pas prêt à accepter la vérité, il peut y avoir des conséquences effroyables. »
Lucinda haussa les sourcils.
« Sois patiente, » fit Annette.
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