Alan Spade's Blog, page 2
March 24, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 39
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-neuvième.
39. Le proverbial grain de sable
La communication hyperluminique avait été rassurante — Merek allait bien. Installé dans son siège gravifique du Croc de Shaenor, Jaynak poussa un soupir de contentement. Son frère, comme les autres pilotes dont les nanites ektrim venaient d’être neutralisés, se trouvait surveillé par des drones SR dans une salle commune du Strator. Tant qu’ils ne seraient pas revenus sur Nadar pour communier avec l’argelen, et aussi longtemps que leurs réactions aux informations concernant le passé n’auraient pas été évaluées, ils demeureraient suspects. Jaynak fit un vœu pour que son frère accepte au plus vite la nouvelle réalité des choses. L’Expansion ne voudrait à aucun prix laisser la situation en l’état, et bien vite, Nadar allait devoir présenter un front uni contre ses anciens alliés. Des pilotes comme Merek seraient alors d’un intérêt vital pour la défense de leur civilisation.
Jaynak activa la vue arrière sur la console attachée au dossier devant lui. Le Croc de Shaenor s’éloignait de l’un des grands chantiers spatiaux en orbite autour de la verte Nadar. L’on y distinguait deux imposants destroyers dans leur dernière phase d’achèvement. Ils n’avaient pas pu participer à l’invasion d’Oblan, mais sauf très mauvaise surprise, seraient fin prêts pour repousser toute menace en provenance de l’Expansion. Jaynak se tourna vers Naldeia et posa sa main dans la sienne. Elle lui sourit.
Soudain, le visage aux veines saillantes de Balchak apparut au-dessus de la console de communication du poste de pilotage.
« Je viens d’acquérir votre signal, dit le Quantorien. Je vous suis en mode occulté.
– Bien compris, fit Shaella. Silence radio jusqu’à nouvel ordre. »
Un signal lumineux lui répondit.
A l’instar des humains et de sa compagne, Jaynak prit le parti de se détendre. Il leur restait plusieurs heures avant de rallier le point de rendez-vous au milieu du système, où ils feraient leur jonction avec la flotte de retour d’Ixion. C’est là que lui et Naldeia se sépareraient. Jaynak avait pour mission de donner des conférences aux anciens Fervents pour leur expliquer son parcours et les convaincre de faire cause commune avec les Réfractaires. Naldeia, quant à elle, rejoindrait en compagnie de Shaella et de Balchak le Rapier dans le système Estregor. Là, elle jouerait le rôle d’intermédiaire entre le commandement suprême de la Confédération des Planètes Unies, le commandant Telnov, qui venait d’être promu Coordonnateur de la flotte nadarienne, et le professeur Belganov. Sa tâche serait à n’en pas douter écrasante. La savoir entre les mains de Shaella McGinnis était tout de même rassurant. La commandante humaine avait prouvé son niveau de compétence depuis qu’ils l’avaient rencontrée. Shaella n’agissait bien sûr pas de manière désintéressée, mais si elle avait partagé la mentalité des Fengirs, des Ektrims ou des Zayborgs, elle ne se serait pas préoccupée du sort des Nadariens après les avoir retournés contre leurs anciens alliés.
Elle lui faisait penser à une chirurgienne qui aurait retiré le caillot empêchant la libre circulation du sang — grâce à elle Nadar avait une chance de retrouver sa vitalité.
La planète verte n’était plus qu’un point brillant derrière eux depuis quelque temps déjà quand Fal annonça la désoccultation. L’utilisation du dispositif de furtivité était gourmande en ressources. Il fallait le préserver en vue du passage du Relais d’Accélération, après le rendez-vous avec la flotte.
Jaynak demanda à sa console l’accès en tant qu’observateur aux détecteurs courte portée. Balchak était toujours occulté, sans doute parce qu’il avait eu tout loisir d’amasser des réserves d’énergie pendant son orbite autour de Nadar. Un nouveau point se matérialisa subitement, étonnamment proche.
« Holoproj », ordonna Shaella.
Le bâtiment qui venait de surgir était de classe croiseur. Formé d’une impressionnante demi-sphère parcourue de courants bleutés partant de la poupe pour se rétrécir et s’étirer à partir du milieu, il était doté d’une double proue pyramidale à laquelle il fallait ajouter la baie de commandement central. Le vaisseau portait sans aucun doute la signature des Ektrims. On ne devinait la présence des pyramides en proue que parce qu’elles se détachaient sur fond de nébuleuse.
« Il est à double générateur d’antimatière, dit Shaella sans s’adresser à quiconque. Un modèle très rare. » La tension dans sa voix, bien que perceptible, était maîtrisée.
« Il est positionné sur un vecteur d’interception, annonça Fal.
– Il devait s’être occulté pour s’être autant approché sans apparaître sur les détecteurs, commenta Naldeia.
– Je prends les commandes en mode synaptique, dit Shaella. Tenez-vous bien, ça va secouer. Contactez la flotte Nadarienne.
– Impossible, lui répondit l’officier en charge de la communication. L’ennemi brouille nos signaux. »
Le Croc de Shaenor se mit à zigzaguer follement. Jaynak, qui surveillait les détecteurs, n’aperçut pas la signature de L’Eclat d’Alcor, de Balchak. Le Quantorien patientait peut-être dans l’ombre, attendant le moment décisif pour frapper. Quoiqu’il en fût, tandis que Shaella multipliait les manœuvres évasives, le respect que Jaynak nourrissait à l’égard des humains s’accrut. Même lui, dont le corps était habitué à gérer des gravités différentes, avait le tournis.
Le transporteur s’était rapproché autant qu’il le pouvait du croiseur ektrim. Shaella commanda simultanément le largage des deux missiles et de la paire de torpilles qui constituaient les seules armes du vaisseau.
Quatre éclairs jaillirent en courte succession du croiseur. Missiles et torpilles explosèrent dans le silence de l’espace avant d’avoir atteint leur objectif. Le Croc de Shaenor subit une série de secousses. Jaynak sentit la main de Naldeia se refermer sur la sienne et la serrer. Pour la première fois, il réalisa la gravité de la situation.
Un éclair puissant frappa tout à coup le vaisseau. Le bouclier du simple transporteur fengirien s’avéra bien trop frêle pour y résister — humains comme Nadariens furent plongés dans l’inconscience. Fal, quant à lui, se mit en semi-veille afin de limiter les dégâts.
Balchak R’stog ne pouvait se départir d’une certaine admiration pour la commandante McGinnis. Son vaisseau, le Diligent, était une merveille de technologie. Pourtant, elle n’avait pas hésité à le délaisser pour emprunter un transporteur fengirien, certes trafiqué et amélioré, mais beaucoup moins performant. Il aurait adoré partager avec elle les risques insensés de sa mission sur Nadar. Il y avait là de quoi réveiller les sensations du phar’thal, le rituel de protection qu’il avait subi à l’adolescence, et qui resterait à jamais associé pour lui à la notion de danger mortel. S’adapter à une planète inconnue, s’infiltrer dans ses bases les plus névralgiques, agir de manière à déstabiliser tout un régime sans pourtant laisser la moindre trace. Etre, en somme, le proverbial grain de sable qui fait dérailler toute la machine… le rêve de tout espion porté sur l’action.
Shaella ne lui faisait pas assez confiance pour l’inclure dans l’équipe, et il se voyait relégué à une simple mission d’escorte. Autant dire qu’il faisait de la figuration. Il pouvait la comprendre, bien sûr. Ils étaient de deux bords différents sur l’échiquier galactique. Elle ne connaissait rien à ses talents et ne se fiait à lui que dans la mesure où elle avait dû deviner qu’il ne ferait rien pour désappointer Lucinda. Lui permettre d’opérer à partir de L’Eclat d’Alcor était déjà, du point de vue de Shaella, un signe positif.
Balchak était déterminé à ne pas se contenter de faire le boulot, mais à accomplir sa tâche de manière aussi scrupuleuse qu’il le pouvait. Il était certain de n’avoir été repéré par personne depuis leur incursion dans le système d’Altanis. Contrairement au Croc de Shaenor, il pourrait sans doute se maintenir en mode occulté jusqu’à la rencontre avec la flotte de Nadar. Il n’aurait ensuite qu’à laisser son dispositif d’occultation se recharger jusqu’au moment d’atteindre le Relais d’Accélération vers Estregor.
Le point qui apparut tout à coup sur ses détecteurs courte portée fit frémir les poils de sa barbe, comme à chaque fois qu’il était confronté à l’inattendu. En la matière, il était servi, songea-t-il en prenant connaissance aussitôt, par le biais de son augmentation cérébrale, des caractéristiques du nouveau venu — un croiseur Ektrim non répertorié sur sa base de données, rien de moins ! Balchak eut l’idée de se placer dans les six heures du vaisseau ennemi pour l’attaquer par-derrière dans l’espoir de désactiver ses boucliers et même de toucher son système de distorsion.
« Pure folie », grommela-t-il. Le croiseur menait une attaque-surprise et avait donc tous ses boucliers levés — Balchak n’avait aucune chance. Formé à prendre des décisions rapides, il eut un dernier regard pour le frêle transporteur de Shaella qui s’était désespérément lancé dans une série de virages serrés et, mâchoire crispée, fit demi-tour. Impossible d’où il était d’essayer de rallier la flotte, le croiseur lui barrant le passage. Le mieux était encore de revenir vers Nadar à vitesse maximale d’impulsion et de se rappeler au bon souvenir du professeur Belganov. Heureusement, la commandante Shaella lui avait fourni les coordonnées hypraluminiques qui lui permettraient de le joindre — dès qu’il serait suffisamment éloigné du croiseur ektrim, bien entendu.
Balchak poussa un soupir de soulagement en s’apercevant que le vaisseau ennemi ne l’avait pas pris en chasse. Obnubilé par sa proie, il n’avait pas songé qu’un autre appareil occulté pouvait se trouver sur place.
Nadar avait grossi sur l’écran de visualisation, et plusieurs heures s’étaient écoulées quand Balchak estima pouvoir courir le risque de contacter Belganov. L’Eclat d’Alcor naviguait depuis peu en toute visibilité, ayant épuisé ses réserves. A la surprise de Balchak, le visage du professeur apparut dans son cockpit avant même qu’il ne cherche à le joindre. Dans la même fraction de seconde, l’augmentation de Balchak lui signala la présence de deux destroyers et d’un croiseur se dirigeant droit sur lui.
« Balchak R’stog, fit le professeur de sa voix grave, que fait L’Eclat d’Alcor dans les parages ?
– J’étais chargé d’escorter le vaisseau du commandant McGinnis, dit Balchak, jusqu’au moment où un croiseur ektrim est apparu. »
L’éclat bleuté émanant des yeux du professeur se fit plus ardent. « Ma prémonition s’est donc révélée exacte. La menace qu’a fait peser l’ennemi si tôt après le départ de Naldeia et Jaynak m’a incité à penser qu’ils couraient un danger. Et ils ne sont pas les seuls, j’en ai peur. Qu’est-il arrivé au Croc de Shaenor ?
– Désolé, mais je l’ignore. J’ai préféré désactiver mes détecteurs pour éviter qu’ils ne trahissent ma présence. Je vous envoie les coordonnées de la rencontre. »
Belganov mit fin à la communication dès qu’il eut l’information. Balchak se rapprocha du croiseur, jusqu’à évoluer dans son sillage. Il était sur le point de rappeler le professeur quand celui-ci le devança une nouvelle fois.
« J’ai interrogé les stations de protection d’Altanis », dit Belganov.Balchak hocha la tête. Les soleils de chaque système pouvant constituer des points de vulnérabilité aussi bien que les planètes elles-mêmes, des stations de protection étaient parfois disposées afin de contrer une éventuelle menace.
« Deux d’entre elles m’ont signalé des fluctuations de neutrinos qui pourraient correspondre à un croiseur occulté. Les données de navigation de ce supposé croiseur sont cohérentes avec le temps qu’il lui aurait fallu pour rejoindre l’endroit à partir de la zone où vous-même l’avez rencontré. Malheureusement, la trajectoire que suit ce croiseur va le mettre hors de portée de nos stations.
– Ce qui signifie ?
– Notre croiseur et nos destroyers ont des capacités de distorsion limitées sans avoir recours à un quelconque Relais d’Accélération. Si vous êtes volontaire pour une mission à haut risque, vous avez trois minutes pour vous arrimer dans notre hangar. Nous allons effectuer un saut au plus près de notre étoile. »
***
Le rayon tracteur attira le Croc de Shaenor au travers de l’un des sas du croiseur ektrim. Pendant qu’il se maintenait dans son état de demi-veille, Fal lançait des simulations. Ignorant les effectifs réels de l’ennemi, il se basait sur des chiffres standards pour des bâtiments du tonnage du croiseur. Ses chances de fuir ou de perturber les systèmes adverses s’avérant infimes, il décida de demeurer dans le même état jusqu’à nouvel ordre. Il était capable de sonder les lieux de manière très discrète afin de ne pas donner l’éveil — cela devrait lui suffire pour l’instant.
Les systèmes de survie du vaisseau fonctionnaient encore. Ils étaient les mieux protégés, si bien que l’atmosphère restait propice aux occupants humains et nadariens, qui avaient survécu. Les compagnons de Fal, en revanche, ne feignaient pas leur inconscience.
Le son d’un découpeur à plasma se fit entendre. La paroi ciblée tomba au sol. Un drone vint tout d’abord inspecter les lieux. Peu après, les Zayborgs apparurent. Ils portaient des combinaisons dont les lueurs bleutées les distinguaient en tant que garde prétorienne de l’Ektrim commandant le vaisseau. Leur crâne était aussi allongé que celui d’un Ektrim, mais plus lisse. Des éclats rougeoyants émanaient d’un œil sur deux, et leur queue pourvue d’une boule hérissée de pointes se balançait rythmiquement tandis qu’ils avançaient. Ils s’emparèrent des humains qu’ils prirent sans cérémonie sur leurs épaules. Fal, quant à lui, eut droit à un harnais de contention, lequel emprisonna ses drones et son torse.
L’androïde ne fit pas un mouvement et se laissa transporter à son tour. Un Fengir commandait le détachement de Zayborgs. Les coursives du croiseur se succédaient. Fal fut séparé des humains, mais s’aperçut qu’on les conduisait dans une salle médicalisée. Lui-même échoua dans une pièce où figuraient une demi-douzaine de droïdes de sinistre allure — des gardes à la livrée noire, dont la taille amincie et les larges épaules donnaient l’impression d’une grande puissance physique.
Fal fouilla ses archives, à la recherche d’une situation aussi compromise pour Shaella et son équipe. Il n’en trouva pas.
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March 19, 2025
Le plan complètement DINGUE d'Elon Musk
Chacun sait à présent que Donald Trump a abusé de son père Fred Trump, dans les années 90, au moment où son géniteur était victime d'un Alzheimer, pour lui soutirer sa fortune aux dépens des autres héritiers. Si vous ne me croyez pas, lisez à ce sujet Mary L. Trump, l'une des héritières spoliées. C'est en tenant compte de ce passé et en observant certains signes de sénilité précoce de Donald Trump qu'Elon Musk a conçu son plan diabolique.
Interrogé au sujet de la maladie d'Alzheimer, Chat GPT nous apprend que certains gènes, comme APP, PSEN1 et PSEN2, sont impliqués dans des formes familiales précoces d'Alzheimer. Si l'un de vos proches a été victime d'Alzheimer avant 65 ans, alors le gène est sans doute présent dans votre famille, et vous-même avez une chance sur deux de développer la maladie.
Fred Trump, né en 1905, n'a été diagnostiqué qu'en 1991, soit à l'âge de 86 ans. Son Alzheimer n'est donc pas génétique.
Chat GPT nous dit en effet qu'il n'est pas nécessaire d'avoir les gènes pour en être victime. Au-delà de 80 ans, 1 personne sur 4 est concernée par la maladie, et après 85 ans, c'est plus d'1 personne sur 3.
Il est possible qu'Elon Musk n'ait pas connu toutes les nuances liées à la maladie d'Alzheimer. Ou bien, il a tout simplement décidé, considérant les signes précoces de sénilité chez Donald Trump, qu'une chance sur trois ou quatre serait suffisante pour lui.
Pourquoi n'avoir pas choisi Joe Biden, pourtant plus âgé? Parce que Musk a eu l'intuition que Trump serait plus crédule, plus facile à tromper. Par ailleurs, Musk était en désaccord frontal sur certains points avec Biden. Il lui aurait été infiniment plus difficile d'en devenir un proche.
Mais je brûle les étapes. Parlons tout d'abord de Neuralink, la société d'implants cérébraux de Musk. Cette compagnie s'est rendue célèbre en parvenant à faire jouer un tétraplégique à un jeu vidéo uniquement grâce à un dispositif relié aux synapses de son cerveau.
Neuralink est la société qui a inspiré mon roman Memoria. Et, tant que vous y êtes, n'hésitez pas à vous plonger également dans la suite de Memoria, l'Essence des Sens. Fin de l'autopromo (il faut bien vivre).
Neuralink a notamment pour objectif futur de lutter contre les maladies neurodégénératives de type Alzheimer. En finançant sa campagne et en l'aidant très activement à se faire élire, Musk a pu se rapprocher physiquement de Donald Trump. On le voit d'ailleurs souvent à Mar-a-Lago.
Musk est dans une position idéale d'observateur. Il sera ainsi à même de détecter les premiers signes d'Alzheimer chez Trump, lequel aura 80 ans en juin 2026. Dès que ce dernier sera diagnostiqué, fort de sa complicité avec Trump, Musk va lui proposer de se faire opérer et de se faire greffer une puce Neuralink, afin de vaincre Alzheimer.
Imaginez le coup de pub : Neuralink guérit d'Alzheimer le président en exercice des Etats-Unis. Gigantesque.
Musk agit comme l'entrepreneur qui va placer son argent dans une start-up prometteuse, en attendant qu'elle perce. Sa start-up, c'est Trump.
C'est pourquoi Musk va tout faire pour que Trump aille au-delà de son second mandat, au cas où Alzheimer se déclarerait plus tardivement chez son futur patient.
Bien évidemment, Neuralink n'est pas du tout en mesure de lutter contre Alzheimer pour le moment. Il est tout à fait possible que ça n'arrive jamais du vivant de Musk. Mais l'optimisme de Musk est légendaire. C'est un optimisme qui va bien souvent très au-delà de la lucidité. Un optimisme délirant.
Vous voyez comment toutes les pièces du puzzle sont en place?
Je trouverais, pour ma part, d'une ironie assez incroyable que celui qui a abusé son père devienne le sujet expérimental, le Frankenstein du docteur Mabuse de ce siècle.
Autres articles sur le même sujet :
- Elon Musk sans langue de bois
- Elon Musk et l'hyper agressivité
- Comment Elon Musk est passé du côté obscur
March 17, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 38
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-huitième.
38. En sous-sol
L’Ektrim possédait une cape dont le col à l’extrémité évasée lui encadrait le visage, qu’il avait osseux. Ses yeux étaient deux puits sans fond d’où pulsait une haine infinie. Les courants électriques parcourant sa peau nervurée se répandaient jusque sur la surface de sa cape aux motifs ondoyants. Là, ils gagnaient en intensité, comme un orage qui voyait soudain sa puissance décuplée et ne demandait qu’à laisser échapper l’un de ses éclairs dévastateurs.
Belganov n’avait pris possession du Palais de la Première Strate que depuis une vingtaine d’heures, et la communication holographique était la première qu’il recevait en provenance d’un dirigeant étranger.
« L’Exarque stellaire vous parle », dit l’Ektrim. Pénétrante, sa voix paraissait résonner dans plusieurs endroits de la pièce. Elle s’insinuait dans les oreilles comme un serpent vous entourant de ses anneaux pour faire de vous sa victime. « Je suis Than’Agh. En trahissant les Fengirs, vous vous êtes exclu de l’Expansion. Le traité qui nous liait est maintenant caduc. Votre peuple peut se réjouir d’avoir choisi le Coordonnateur qui va le mener à son anéantissement. Les jours de votre pitoyable civilisation sont comptés. »
Belganov n’eut pas le temps de répondre — le dirigeant des Ektrims mit fin à la communication. L’Intelligence Synthétique au service du Premier Coordonnateur s’avéra impuissante à remonter à la source afin d’identifier l’origine de l’appel. Crypté au niveau quantique, celui-ci était intraçable. Une ombre passa sur le visage de Belganov, dont les traits ridés étaient plus creusés encore qu’à l’accoutumée. Ces derniers jours avaient été harassants. La nouvelle de la défaite de Grendchko et des Fengirs, et de la capture de la flotte entière de Nadar par les Réfractaires, avait bien sûr eu un formidable effet euphorisant. La succession de victoires sur Nadar rendait d’autant plus difficile de garder sa lucidité dans ces moments. Grâce à la prise du plus névralgique d’entre eux, les centres opérationnels des Fengirs étaient tombés les uns après les autres. La liesse le disputait parmi le peuple à un immense ébahissement.
Tout cela était bien beau, mais depuis sa nomination en tant que Premier Coordonnateur par intérim, Belganov voyait les responsabilités s’entasser sur ses épaules comme autant de briques menaçant de l’enterrer pour de bon. Depuis qu’il était devenu le leader des Réfractaires, il s’était habitué à l’idée de devoir assumer des charges bien plus diverses que sa formation d’origine. Il s’était donc préparé de manière intensive, et son augmentation était une ressource précieuse — mais il y avait des limites.
L’appel de l’Exarque venait le ramener à une réalité abrupte. Il eut une pensée inquiète pour Naldeia et Jaynak. Tous deux avaient embarqué dans le transporteur fengirien de la commandante Shaella McGinnis, de l’Angle M. Naldeia devait coordonner la flotte des Nadariens avec les forces de la Confédération des Planètes Unies, en prévision des représailles que l’Expansion ne manquerait pas d’exercer sur Nadar. Quant à Jaynak, inquiet pour son frère Merek, il comptait rallier au plus vite la flotte de retour du système d’Ixion. Belganov et Shaella avaient convenu de garder secret le rôle joué par l’Angle Mort dans les derniers événements — l’organisation tenait à sa clandestinité.
En ce qui concernait la Confédération des Planètes Unies, une période de préparation du peuple était nécessaire pour annoncer l’alliance avec l’ennemi de naguère.
Belganov se caressa le menton entre l’index et le pouce. Cet appel pouvait laisser entendre que les Ektrims surveillaient de beaucoup plus près Nadar qu’il ne l’avait cru, auquel cas…
Une icône clignotante interrompit le cours de ses réflexions. Halnev, le Premier Guide Communiant, cherchait à le joindre.
« Premier Coordonnateur, dit Halnev, dont l’hologramme se matérialisa devant Belganov, nous avons réussi à ouvrir l’accès aux sous-sols et à pénétrer dans un centre de contrôle indépendant du reste de la base. L’équipe spéciale d’intervention vient de le pirater. En ce moment même, notre IS récupère les secrets des entrailles de cette prétendue ambassade.
– Très bien, j’arrive. » Belganov coupa la communication avant que Halnev ne puisse émettre d’objection.
Dans le rapport qu’il avait envoyé, l’androïde Fal avait signalé l’existence de ces sous-sols. Il fallait cependant disposer d’une clé de décryptage ektrim pour y pénétrer, faute de quoi Fal avait indiqué une probabilité de 90 % pour que les sous-sols soient piégés et explosent. Avant de quitter la planète, Shaella et son équipe avaient fourni aux Réfractaires une série de clés ektrim connues de leurs services. Celles-ci devaient servir de base pour décrypter le verrou de l’ancienne ambassade fengirienne. Les principales Intelligences Synthétiques de Nadar avaient été mises à contribution pour résoudre le problème en douceur, et le succès était au rendez-vous. Aller sur place comprenait une part non négligeable de risque en cas de traquenard, néanmoins Belganov tenait absolument à découvrir l’endroit de ses propres yeux. Ce sous-sol allait peut-être devenir l’aboutissement de sa carrière — bien plus encore que son poste de Premier Coordonnateur par intérim.
Il demanda à ce qu’on lui prépare son flotteur. Plusieurs drones l’accompagnèrent ainsi que deux gardes de sa sécurité personnelle.
Après avoir vécu dans l’ombre pendant si longtemps, Belganov avait du mal à se faire au luxe de précautions dont il était entouré, davantage qu’à la majesté des lieux environnants. Il fallait par exemple que l’on vérifie systématiquement que ses moyens de locomotion n’aient pas été piégés, sans parler des encombrantes escortes permanentes, bien sûr.
Un tripode le conduisit avec ses gardes à son flotteur, dont le cockpit était opaque de l’extérieur. Quatre autres engins identiques partirent en même temps que lui afin de déjouer un éventuel attentat sur sa personne. Le trajet fut bref. Depuis les airs, Belganov vit une foule de gens se presser à l’entrée du grand bâtiment rectangulaire. A présent que les Fengirs avaient été vaincus, la curiosité au sujet de l’ambassade si longtemps interdite était vive. Pour l’instant toutefois, Belganov faisait défendre les accès par des gardes assortis de droïdes de sécurité. Ce n’était pas la plus populaire des mesures, mais il y avait des moments où le respect de l’ordre et de la discipline devait prévaloir. Le peuple devait comprendre que la victoire des Réfractaires ne signifiait pas l’anarchie et le chaos.
Les flotteurs du Premier Coordonnateur et de son escorte se posèrent sur une plate-forme rétractable de taille moyenne. D’autres gardes l’accueillirent à l’intérieur. Belganov gardait une apparence de sérénité en arpentant les couloirs, puis en empruntant une navette, bien qu’il ait rarement éprouvé autant d’impatience. Sur les murs, des traces noires et des pans de métal tordus racontaient leur histoire. Des équipes de droïdes s’affairaient à remettre les lieux en état. Bientôt, les derniers vestiges des combats disparaîtraient. Les holoprojecteurs simulant l’environnement des Fengirs étaient pour l’instant inactifs mais pourraient être rallumés en cas de visite touristique de l’endroit, à condition de s’avérer inoffensifs.
Deux gardes étaient postés à l’entrée du sous-sol. Ils saluèrent respectueusement le Premier Coordonnateur par intérim, lui livrant le passage vers l’ouverture béante qui avait remplacé la trappe parfaitement camouflée. Un éclat bleuté révélait la fonction antigrav du conduit. Belganov percevait la nervosité des soldats autour de lui — sa vie comme celle des membres de son escorte allait dépendre d’une technologie fengirienne. Sans hésiter, il accomplit l’enjambée qui le positionna au centre du vide. Quatre des soldats s’empressèrent de le rejoindre. L’attente ne dura que deux secondes avant que les parois ne se mettent à défiler à la verticale. Ils atteignirent le sol avant même de l’avoir réalisé.
Des robots multifonction servant de machines-outils étaient alignés, inertes. Sur les murs, des lignes couvant d’un feu orange encadraient des séries de casiers. Belganov s’approcha de l’un d’eux et essaya de l’ouvrir, sans y parvenir.
« Nous n’avons pas réussi non plus, dit l’un des soldats. Cela s’opère sans doute à partir de la salle de contrôle. »
Belganov fit signe de l’y conduire. En chemin, ils tombèrent sur Halnev qui arrivait en sens inverse. La nervosité visible sur le visage du Premier Guide Communiant devait égaler la sienne, songea Belganov. Halnev brandit une tablette.
« Notre IS a interfacé les commandes de cette usine là-dessus. Ces robots fabriquent des drones », expliqua-t-il en désignant les rangées de structures entourées de multiples bras articulés.
A son tour, il s’approcha de l’un des casiers. Il consulta sa tablette, fit défiler les icônes et effleura l’une d’elles. Des nombres apparurent sur les casiers. Halnev sélectionna sur sa tablette le nombre en face d’eux.
Le casier correspondant glissa vers eux. A l’intérieur, il y avait un étrange mini-drone. Les protubérances qui le recouvraient faisaient penser à des nœuds, et sa coque s’avérait quasi transparente. Effilé sur le devant, il comportait une aiguille si fine à son extrémité que la pointe en devenait presque invisible.
« Juste un instant, je vais en prendre le contrôle, dit Halnev. Voilà. »
Le mini-drone fut tout à coup parcouru de courants bleutés le long de ses « nœuds ». Il s’éleva en l’air sans produire aucun bruit. Les soldats autour d’eux échangèrent des regards nerveux. L’aspect de la chose était indéniablement menaçant.
« L’IS vient de me suggérer une fonction en la faisant clignoter. Essayons. » Halnev effleura une nouvelle icône.
Le mini-drone disparut. Plusieurs exclamations étouffées retentirent. Belganov approcha sa main de l’endroit où s’était trouvé l’engin. Il en perçut les contours. « Ils ont donc la faculté d’occultation, et cette aiguille à l’extrémité…
– L’IS me signale une icône d’analyse de contenu du drone, dit Halnev.
– Allez-y », ordonna Belganov.
Projeté par la tablette que tenait Halnev, l’hologramme qui apparut avait la forme d’une larve aux anneaux argentés, en tout point similaire à celle qui avait été révélée au Premier Coordonnateur à bord du Rapier. Un frisson de contentement intense parcourut Belganov. Les soldats écarquillaient les yeux en contemplant la morphologie étrange. Le silence était absolu.
« C’est donc ainsi qu’ils procédaient, fit Belganov au bout de quelques instants.
– Vous pouvez développer, professeur ? » demanda Halnev. Par réflexe, il était revenu à l’ancien titre de Belganov.
Le Premier Coordonnateur hocha la tête avant de désigner de l’index un emplacement sur l’arrière de son crâne. « C’est ici que se trouve notre point faible. Un espace infime entre deux zones de notre cortex. Aucun nerf n’y est relié — si vous appliquiez une aiguille sur ce point précis, je ne sentirais rien.
– Vous voulez dire que ce drone…
– L’image que vous avez devant vous, cette larve, est le fameux nanite conçu par les ektrims. Les mini-drones occulteurs fabriqués ici en contiennent tous au moins un. Vraisemblablement beaucoup plus. Peut-être des millions. Si mes prévisions sont exactes, les mini-drones ne se contentaient pas de pénétrer subrepticement dans les Cavernes d’Ambre de notre planète pour nous injecter leur cargaison au moment suprême où notre conscience se trouvait dans la matrice. Leur aiguille devait leur permettre d’analyser notre sang, et de le comparer en quelques fractions de seconde à leur base de données afin de savoir si l’ADN correspondait à un individu déjà contaminé par un nanite. Ainsi, les mini-drones pouvaient passer à la cible suivante si c’était le cas. Dans le cas contraire, ils procédaient à l’injection. C’est la preuve formelle que nous recherchions. »
Certains des soldats se mirent à contempler l’étendue des casiers alentour. Belganov songea qu’il y avait là de quoi infecter la planète entière. Les drones devaient être transportés dans les principales villes par les Fengirs eux-mêmes, qui les récupéraient une fois leur tâche effectuée. Grâce à cette usine secrète, chaque nouvelle génération de Nadarien se retrouvait contaminée, dès que les jeunes étaient en âge de communier avec l’argelen.
« Nous avons maintenant le moyen de contrer les rumeurs complotistes qui se sont répandues depuis que nous avons annoncé l’existence de ces nanites, dit Belganov. Dès que la base sera remise en état, nous organiserons des visites guidées. Il y aura aussi une reconstitution holographique visitable par tous, à tout moment. Nous ferons en permanence la démonstration de l’existence de ces drones et de leur fonction d’occultation. Les nanites ne peuvent être observés à l’œil nu, mais le caractère exotique des icônes utilisées par les ektrims, ainsi que leur technologie, devrait convaincre le plus grand nombre.
– Cette technologie ne risque-t-elle pas d’être subtilisée pour être employée de nouveau à des fins néfastes ? demanda Halnev.
– C’est un risque, mais elle est si avancée qu’elle ne peut être répliquée facilement. Nous devrons établir une sécurité draconienne au moment des visites, qui seront de toute façon interdites aux aliens. Bien évidemment, le centre de contrôle ne sera accessible que par du personnel autorisé. Nous allons, je pense, devoir développer une industrie d’augmentations. A terme, ceux parmi nous qui le désirent pourront être équipés de nanites capables de détecter ces parasites ektrim. Cela devrait limiter la paranoïa des gens.
– L’IS m’a également confirmé que ces parasites ont une fonction d’autodestruction. Si elle n’a pas été activée jusqu’à présent, c’est bien que ce centre était le seul habilité à envoyer cet ordre, et qu’il n’a pas reçu les alertes prévues à cet effet. Notre plan a donc parfaitement réussi.
– C’est un immense soulagement, conclut Belganov. Nous allons enfin pouvoir procéder en toute sécurité au retrait parmi la population des nanites anti-ektrim en même temps que des parasites qu’ils ont capturés. »
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March 13, 2025
Les leçons du covid
Quelques réflexions rapides sur l'état du monde. Vous en ferez ce que vous voudrez.
La vérité est tyrannique. Elle ne peut pas plaire à tout moment à tout le monde. C'est absolument impossible. La vérité peut déranger. Et parfois de manière très intime.
Quant à la démocratie, elle a été inventée avant les réseaux sociaux et consiste à gérer les interactions entre êtres humains afin de léser le moins grand nombre, ou si l'on préfère, de satisfaire le plus grand nombre autour d'un projet commun.
Et de préférence, sans heurts.
La démocratie n'a rien à voir avec la démarche de recherche de vérité. Le populisme encore moins.
Qu'est-ce que l'on constate de nos jours? Que les réseaux sociaux sont bien plus puissants que l'éducation, qu'elle soit parentale ou scolaire.
Que la tendance des réseaux sociaux, c'est le vote permanent sous forme de "j'aime" et autres interactions, un vote articulé autour des opinions.
Mais la vérité n'a rien à voir avec le plus grand nombre, qui est une autre forme de rapport de force.
Avec le covid, les gens se sont découverts la possibilité, par le nombre, de nier les conclusions scientifiques qui les dérangeaient. Les immenses enjeux financiers liés aux vaccins contre le covid ont été un formidable tremplin pour cette remise en question.
Cinq ans après le début du covid, on a, et notamment aux Etats-Unis, une prolongation de cette tendance avec le déni non seulement du réchauffement climatique, mais de la science en général.
Et c'est vrai que quand on nie la réalité, on peut en retirer un enivrant sentiment de liberté. Il devient alors tentant d'invoquer la liberté d'expression pour nier de plus en plus la démarche scientifique, et lui substituer l'opinion du plus grand nombre.
C'est la porte ouverte vers la régression vers les Ages Sombres.
En tant qu'auteur de SF, il m'est facile d'imaginer, en réaction à un tel phénomène, une dictature de type scientifique.
Je constate d'ailleurs que beaucoup de scientifiques fuient comme la peste les réseaux sociaux.
Mais j'espère qu'on n'en arrivera pas là. J'espère que les gens comprendront qu'à un certain moment, on a besoin de gardes-fous, et de normes. La critique de telle ou telle découverte scientifique est bien sûr parfaitement légitime, et les scientifiques sont les premiers à s'y adonner. Mais faut-il encore savoir argumenter en s'appuyant sur la science et non en la dénigrant. Et croyez-moi, sur Internet, ce n'est pas donné à tout le monde.
En conclusion, il faut aussi signaler que les réseaux sociaux, même de type Facebook où l'on n'est pas limité par le nombre de mots, ne se prêtent absolument pas à la recherche de la vérité. Ils sont trop volatils, trop éphémères pour cela. Ils donnent la part trop belle au spectaculaire.
March 10, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 37
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-septième.
37.Ledébut de la fin« Mon rêve va enfin se réaliser : je vais embrasser un Circanien sur une île déserte. » Jaynak avait le sourire aux lèvres en couvrant de son regard le personnage en combinaison à proximité de son flotteur. Derrière sa visière, le Circanien avait la peau jaune, des cheveux raides séparés par une raie au milieu du crâne. Il le dévisageait d’un œil critique.
« Moi au moins, fit Naldeia en retirant son casque, dévoilant son beau visage de Nadarienne, je peux retrouver facilement mon apparence. Tu ne peux pas en dire autant, Jay.
– C’est la faute de la moussor, dit Jaynak. Une idée de Shaella. Toujours mieux qu’un casque vissé en permanence, si tu veux mon avis. »
Naldeia posa ses mains sur ses épaules, l’attira à lui et l’embrassa voluptueusement. « Je confirme, dit-elle. C’est même beaucoup mieux. Même si ça fait un peu bizarre d’embrasser un autre toi. »
Ils poursuivirent leur étreinte, profitant du moment. Naldeia retira sa combinaison.
« Pas mes interstices, espèce de vaurien ! protesta-t-elle en souriant. Pense à notre rendez-vous !
– Tu crois que quelqu’un peut nous voir sur cette île déserte ? »
L’île battue par les vagues leur amenait des embruns iodés. Plate et dénudée, elle se situait à quelques centaines de kilomètres d’Argea. Tous deux avaient enfin pu dormir suffisamment longtemps, après plusieurs mois d’intense activité où ils n’avaient pris que le strict minimum de repos. Ces instants de retrouvailles étaient une trêve aussi minuscule que l’îlot dans l’océan, ils en avaient conscience. Chacun avait le regard plongé dans l’autre, cherchant à graver ce moment dans sa mémoire.
Une ombre s’étendit sur l’île. Jaynak et Naldeia levèrent les yeux. Ils ne voyaient que le ventre du transporteur fengirien, dont le fuselage tigré de noir et de gris était de sinistre augure. Les réacteurs antigrav ne produisaient qu’un vrombissement feutré. Naldeia s’empressa de récupérer sa combinaison restée au sol. A peine celle-ci entre ses mains, un double rayon antigrav les frappa, et les deux Nadariens commencèrent à s’élever. Un sas s’ouvrit sur leur passage, puis se referma.
L’atmosphère dans le vaisseau était différente, mais le système pulmonaire des Nadariens est l’un des plus adaptatifs aux mélanges distincts, si bien que Naldeia comme Jaynak furent à peine incommodés. Ils passèrent dans la cabine principale qui faisait aussi bien office de poste de pilotage, de navigation et de combat que d’habitat central. Les commandes et les sièges dédiés aux Fengirs avaient été réaménagés pour des humains.
Shaella les salua. Fal était là aussi, ainsi que six membres du commando d’élite de l’Angle M dans leur combinaison de combat. Jaynak aurait souhaité un peu moins de ponctualité de la part des services spéciaux de la Confédération des Planètes Unies.
« Bienvenue à bord, dit Shaella. Avant de vous installer, merci d’enfiler les combinaisons d’assaut. »
Pendant que tous deux s’exécutaient, Shaella les informa de la situation. La flotte nadarienne venait de forcer les dispositifs de protection du Relais d’Accélération menant sur le système Ixion, et était sur le point de le traverser. Grendchko était bien à bord du vaisseau mère, et de nombreux vaisseaux fengiriens participaient à l’expédition. Du côté de la Confédération des Planètes Unies, des flottes fantômes s’étaient amassées dans les secteurs les plus stratégiques du quadrant habituellement convoités par les forces de l’Expansion. « En réalité, dit Shaella, ce ne sont que des leurres. Les véritables différentes flottes de la C.P.U. se sont rapprochées en ordre dispersé des Relais qui peuvent les amener sur le secteur d’Altanis en trois sauts maximum. Elles se tiennent prêtes.
– Des nouvelles du professeur Belganov ? s’enquit Naldeia.
– Votre prochain Coordonnateur a bien enregistré ses messages holo à destination de votre flotte. Lui et ses troupes de Réfractaires n’attendent que notre signal pour agir ici, sur Nadar.
– Tout est donc en place, dit Jaynak. D’après nos informateurs, mon frère Merek aurait été affecté sur le Strator, le vaisseau mère. J’espère qu’il ne lui arrivera rien. »
Shaella fronça les sourcils. « Je comprends votre préoccupation, mais vous ne devriez ne vous intéresser qu’à notre mission. Nous avons énormément à faire aujourd’hui, si nous voulons rendre votre peuple à son destin. Vous êtes-vous entraîné à l’utilisation de votre combinaison ?
– Chaque fois que je l’ai pu, sur simulateur.
– Idem, fit sobrement Naldeia.
– Ses systèmes d’acquisition immédiate et de servomoteurs cherchent à compenser l’absence d’Augmentation chez l’utilisateur. Vous vous déplacerez plus rapidement, vous viserez plus vite et plus juste. Son champ de force vous protégera du moment que des armes lourdes ne sont pas employées.
– S’ils ont le temps d’en mettre en batterie, c’est que nous aurons échoué dans notre tentative », dit Fal.
Ayant revêtu leur combinaison, Naldeia et Jaynak s’installèrent dans leurs fauteuils gravimétriques. Le transporteur de guerre enclencha ses fonctions d’occultation avant de mettre le cap sur Argea.
Les multiples épreuves que Jaynak et ses compagnons avaient traversées ces derniers mois menaient toutes à ce moment décisif. La révolte des Réfractaires serait-elle acceptée par la société ? Même s’ils étaient vainqueurs ici sur Nadar, tout pouvait être remis en cause par la flotte, si la mutinerie contre Grendchko venait à échouer. La partie se jouait sur des niveaux tellement différents que mieux valait ne pas y songer de manière trop précise. Jaynak se tourna vers Shaella. « Commandant, je croyais que seuls des Nadariens devaient intervenir sur notre planète ?
– Les enjeux sont trop importants ici pour que je ne mette pas la main à la pâte, répondit-elle en le fixant de ses yeux verts. Nous n’interviendrons que dans des bâtiments ne correspondant pas à l’architecture traditionnelle nadarienne, ce qui rend l’opération tout à fait réalisable — il n’y aura pas de problèmes de gravité.
– Nous aurions même pu avoir un autre allié à nos côtés, suggéra Fal.
– Le Quantorien Balchak, oui. Il s’est montré très désireux de participer, expliqua Shaella à Naldeia et Jaynak. Je suis bien placée pour comprendre son besoin d’action, mais pour le moment, je préfère qu’il couvre nos arrières.
– Où est-il, en ce moment ? s’enquit Jaynak, plus pour meubler la conversation que par réel intérêt.
– Dans son vaisseau L’Eclat d’Alcor. Caché derrière un astéroïde en orbite de la planète. »
Comme le transporteur s’approchait du noyau de Megeal, toujours occulté, Shaella demanda à Jaynak s’il était prêt à jouer son rôle. Il répondit par l’affirmative. « Mettez votre casque, commanda-t-elle. Les autres aussi. Le programme va modifier votre voix pour lui donner le timbre et l’accent fengirien, dit-elle. Surtout, montrez de l’autorité. » Elle-même enfila son casque, qui s’ajusta à sa combinaison.
Jaynak hocha la tête. Le transporteur avait commencé sa descente. L’arche de vitriglass et le bâtiment à la symétrie parfaite étaient terriblement familiers.
« Désoccultation », fit Fal.
Jaynak prit une inspiration. « Ici le transporteur Croc de Shaenor, en visite d’inspection. Adepte Ymeo, Beyl et Yrkel, présentez-vous immédiatement devant le bâtiment. Habilitation Helgash 1. »
L’image que recevaient les agents de l’ORG était celle d’un Fengir. La voix transformée de Jaynak avait contenu suffisamment d’intimidation. L’androïde Beyl devait y être insensible, mais tout comme les nanites ektrim conditionnaient les Nadariens à obéir sans discuter aux injonctions des Fengirs, sa programmation devait le contraindre à se plier aux directives. D’autant que l’habilitation Helgash 1 était la plus impérative. Quant au code d’identification du transport fengirien, il devait encore être valide selon Shaella.
Les portes du bâtiment de l’ORG ne tardèrent heureusement pas à s’ouvrir. Seuls Yrkel et Beyl se présentèrent. Jaynak eut aussitôt l’intuition qu’Yméo avait pris peur. Les derniers rapports des Réfractaires signalaient que l’Adepte était en disgrâce auprès de Grendchko, elle devait donc penser que les Fengirs avaient décidé de la punir — ce qui n’était après tout pas si loin de la réalité.
« Tant pis ! lança Shaella, répondant à l’interrogation muette de ses équipiers. On y va ! Maintenant ! »
Elle commanda par son nanite l’ouverture des portes du transporteur. Cinq des dix occupants bondirent au sol, l’arme au poing. Jaynak pressa la détente de son disrupteur. L’indicateur de sa visière avait désigné le centre de la poitrine d’Yrkel, qui fut également touché à la tête par un autre commando. Catapulté en arrière, il s’écroula. Les trois autres avaient concentré leurs tirs sur Beyl, tout en avançant pour laisser la place au reste de l’équipe.
L’androïde de l’ORG bénéficiait d’un champ de force qu’il activa juste à temps. Néanmoins, les tirs encaissés le firent reculer de deux pas.
Du coin de l’œil, Jaynak vit Shaella s’envoler dans sa combinaison antigrav, et ajuster à son tour l’androïde. Jaynak tira lui aussi sur Beyl, dont le champ de force rougissait de plus en plus. Naldeia en fit autant. L’androïde étendit les bras. Il répliqua avec une décharge d’éclairs bleus, qui vinrent mourir sur le champ de force de Fal en crépitant.
Les deux épaulettes se détachèrent de Fal. Les mini-drones se dirigèrent vers Beyl à grande vitesse et ouvrirent le feu sous différents angles. Fal lui-même menait une attaque aussi bien physique que quantique afin de surcharger les systèmes de communication de l’androïde ennemi.
La pression s’avéra trop forte. Le champ de force de Beyl finit par disparaître et l’androïde fut désintégré. L’explosion répandit ses vibrations sur toute la plate-forme, mais les boucliers magnétiques des membres du commando les protégèrent du souffle de la destruction comme des débris.
Les portes du bâtiment étaient restées ouvertes. La commande de champ de force intégral prévu en pareille instance pour défendre les locaux de l’ORG avait donc bien été bloquée par les attaques quantiques conjuguées du Croc de Shaenor et de Fal. Le commando se rua à l’intérieur. Sa combinaison procurait tellement de vélocité à Jaynak qu’il fut le troisième à entrer. Cinq drones SR approchèrent à toute vitesse, et l’un d’eux lui tira dessus, illuminant son champ de force d’un éclat bleuté. Jaynak bondit de côté. Avant même de rouler au sol, il répliqua et pulvérisa le drone. D’autres tirs des commandos manquèrent les quatre autres, ceux-ci ayant enclenché leur dispositif d’évasion.
« Ne tirez pas ! commanda Fal en levant le bras. Laissez-moi faire. »
Les pupilles de l’androïde disparurent, ses yeux devinrent gris et blanc. Les drones ennemis se figèrent en suspension et se mirent à trembler. Les uns après les autres, ils firent volte-face. Puis se précipitèrent là d’où ils étaient venus, escortés par les deux mini-drones de Fal. « J’ai pris le contrôle », commenta simplement celui-ci. Peu après, Fal enjoignit aux employés de l’ORG, par l’entremise de ses drones, de se rendre. Le personnel n’opposa aucune résistance.
Le groupe pénétra dans la salle de commandement. Yméo n’y était pas. Shaella demanda à Fal d’envoyer ses drones à sa recherche. « C’est la console principale ? s’enquit Shaella en désignant l’un des terminaux.
– Affirmatif », répondit Naldeia.
Shaella s’en approcha, puis fit signe à ses hommes. « Mettez-vous en mode augmentation, dit-elle. Fal, tu te joins à nous. Attaque quantique coordonnée sur les Intelligences Synthétiques de ces terminaux. Maintenant ! »
Jaynak et Naldeia s’entreregardèrent. Les membres de l’Angle M, concentrés sur leur objectif, s’étaient tous raidis à l’exception de Fal. Si focalisés sur leurs implants, même, que Jaynak se dit qu’ils seraient vulnérables en cas d’attaque physique. Il se mit à surveiller avec inquiétude les entrées du centre, imité par Naldeia. Peu de temps passa cependant avant que les humains ne reprennent des postures qui leur étaient plus naturelles.
« Première partie de l’opération réussie, dit Shaella.
– La bulle d’isolement des communications a presque été sans défaut, compléta Fal. Seul un centre de sécurité local tenu par des Gardiens de l’Harmonie a reçu une alerte.
– J’ai déjà averti nos alliés Réfractaires, dit Shaella. Ils vont faire le nécessaire à leur sujet.
– Et Yméo ? demanda Jaynak.
– Elle s’est enfuie à bord d’un flotteur, répondit Shaella. Sa trajectoire est à l’opposé de notre prochain objectif.
– Elle ne va donc pas prévenir les Fengirs ? s’étonna Naldeia.
– A mon avis, elle a peur de ce qu’ils vont lui faire, dit Jaynak. Je ne pense pas qu’elle soit un danger.
– Je suis d’accord, fit Shaella. L’opération va maintenant entrer dans sa phase 2. Nous allons commencer par asservir les IS de l’ORG, afin de renforcer notre potentiel offensif sur les réseaux virtuels.
– C’est en cours », fit Fal d’une voix mécanique.Pendant que l’androïde de l’Angle M accomplissait sa tâche, les membres du commando enfermèrent les Nadariens faisant partie du personnel de l’ORG dans l’une des pièces du bâtiment réservées au stockage de fournitures. A leur retour, Fal, assisté de Shaella, était parvenu à s’assurer le contrôle de la puissance de calcul des Intelligences Synthétiques.
« Retournons au transporteur, commanda Shaella. Des Réfractaires sont en route pour prendre le relais ici. Ils nous informent en revanche que leurs collègues n’ont pas encore pris le contrôle du centre de sécurité local. Les combats font rage, et le risque de mettre en alerte les Fengirs ne va faire que s’accroître. »
Jaynak, Naldeia et les autres coururent à sa suite, et rejoignirent le transporteur en un rien de temps. Shaella mit cette fois le cap sur l’ambassade fengirienne, qui était d’après ses sources le centre névralgique de commandement des Fengirs sur Nadar. Elle contacta Belganov, dont le visage holo se matérialisa au-dessus de la console de communication. « Nous lançons la phase ultime de l’opération, dit-elle.
– Entendu, commandant, fit le professeur. Nous attendrons votre signal. Bonne chance. »
Un volumineux bâtiment rectangulaire, jurant avec l’architecture infiniment moins orthodoxe d’Argea, se dessina. Shaella assuma la tâche d’appeler le commandement fengirien — l’IS du Croc de Shaenor lui donna l’apparence et la voix d’un Fengir expérimenté, dont elle déclina le nom et le rang. « Nous avons ordre du haut commandement de venir vous renforcer pendant toute la durée de la campagne sur Oblan, expliqua-t-elle.
– Ce n’est pas de refus. Notre garnison est vide, et les rapports indiquent une agitation croissante de la populace ici. Permission de vous ranger sur la plate-forme 2E. »
Shaella savait son plan peu sophistiqué. Son principal atout, outre l’effet de surprise, était que les Fengirs avaient en général recours instinctivement à la force brute plutôt qu’à la technologie. Le fait même que Fal ait pu tromper l’ennemi sur leur apparence jusque là était rassurant. Relié à l’Intelligence Synthétique du vaisseau, mais aussi aux systèmes de l’ORG, l’androïde voyait sa puissance de calcul décuplée.
Elle posa le transporteur sur la plate-forme 2E. Bientôt, celle-ci se rétracta pour entraîner le vaisseau à l’intérieur du hangar de stérilisation, où l’on procédait à la désinfection des appareils et de leurs occupants. Alentour, l’espace vide était impressionnant, il n’y avait presque aucun autre vaisseau. Des machines à l’extrémité conique gravitèrent autour du transporteur. Une brume blanche ne tarda pas à entourer la carlingue.
« Activation du faux denorium », ordonna Shaella.
Une fumée jaunâtre nettement plus épaisse que celle de stérilisation se propagea dans le hangar.
« Nous avons une fuite importante de denorium, signala Shaella à son contact Fengir. Demandons l’envoi immédiat d’un droïde de réparation de type Méca 37 X.
– Bien compris. Surtout, restez à bord en attendant son intervention.
– La procédure sera respectée. »Contrairement à ce qu’elle venait de dire, Shaella ouvrit l’écoutille inférieure, misant sur l’épaisse fumée pour empêcher tout repérage visuel, et sur le piratage à distance des dispositifs de détection, lequel avait jusque là bien fonctionné.
Pour mettre en œuvre toute la puissance quantique dont il disposait, et s’assurer le contrôle des systèmes automatiques du centre, Fal avait cependant besoin d’un contact plus direct avec l’une des consoles. Il fut le premier à sortir du vaisseau, et mit en fonction son dispositif antigrav pour voler en direction du sas où apparaîtrait le droïde méca. Le reste du commando demeura à bord, de crainte que les signaux biologiques de ses membres, différents de ceux des Fengirs, ne soient malgré tout détectés.
Shaella se mit en relation avec Fal via son augmentation, voyant au travers de ses yeux. L’androïde Méca 37X avait la silhouette d’un bipède aux énormes épaules et aux membres inférieurs puissants, à la tête ovoïde affleurant légèrement. Il disposait de champs de confinement capables de contenir n’importe quel type de fuite. Fal ne lui laissa pas le temps de s’avancer vers le transporteur. Dès que le sas s’ouvrit, il abattit d’un geste foudroyant sa main sur l’épaule de sa victime et engagea l’offensive au niveau quantique. Moins d’une seconde plus tard, le cerveau positronique du méca modifia son allégeance. Sur ordre de Fal, le droïde se plaqua contre la porte du sas pour l’empêcher de se refermer.
« Allons-y ! » lança Shaella.
Cette fois, plusieurs des portes du transporteur s’ouvrirent à l’unisson, livrant passage aux membres du commando, dont les visières tête haute fournissaient un aperçu du décor dépourvu de l’envahissante fumée.
Shaella s’élança en activant ses fonctions antigrav. Regardant derrière elle, elle vit Naldeia et Jaynak, d’abord distancés, les rejoindre à vive allure. Elle approuva de la tête. Moins habitués que les autres membres du commando à leur combinaison, les Nadariens s’adaptaient rapidement. Le droïde méca maintenait toujours la porte du sas ouverte. Le commando se rua à l’intérieur, et Shaella éprouva le sentiment soudain de leur vulnérabilité — si nombreux dans un si petit espace ! Fal ordonna au droïde de relâcher sa prise, puis d’ouvrir l’autre porte du sas, avant même la fin du processus de décontamination.
Ils s’avancèrent dans un couloir. Le droïde était d’autant plus précieux qu’il possédait les plans généraux des lieux, que Fal partagea à chacun des membres augmentés du commando. Shaella fit s’illuminer la partie du plan correspondant au centre de contrôle des hangars, signalant ainsi silencieusement leur prochain objectif. Jaynak et Naldeia, qui ne disposaient pas d’augmentations aussi perfectionnées que les autres membres de l’équipe, se contentaient de suivre.
A l’exception d’un droïde d’entretien qu’ils croisèrent, dépourvu de toute programmation de sécurité, les couloirs étaient vides. Ils prirent deux embranchements différents avant d’emprunter un canal modgrav qui les fit grimper d’un étage. Shaella se sentait comme un poisson dans l’eau. Rares étaient les séquences d’action non simulées dans son métier, et même si les holosims s’avéraient extraordinairement réalistes, rien ne valait la modification du champ d’existence en temps réel. Fal avait mis en circulation ses drones-épaulettes, qui opéraient des reconnaissances et permettaient de découvrir le terrain à l’avance. Le droïde-méca, n’étant pas autorisé à pénétrer dans le centre de commande, n’avait pas la possibilité de le déverrouiller. L’obstacle était cependant attendu. Fal plaqua sa paume contre la serrure quantique et lança le programme d’acquisition. La porte se rétracta dans la paroi.
Les drones furent les premiers à se ruer à l’intérieur, fournissant aussitôt des images. Il y avait cinq Fengirs dans le centre. Doté de réflexes foudroyants, l’un d’eux abattit l’un des drones. Le premier membre du commando à entrer fut instantanément pris pour cible. Son champ de force s’illumina d’une lueur bleutée tandis qu’il ripostait, éliminant l’un des Fengirs. Il s’avança vivement et tira sur un second individu à la fourrure fauve, qui bondit de côté et parvint à rester en vie. Fal entra en action, foudroyant coup sur coup deux ennemis. Shaella et Jaynak firent irruption côte à côte. Du coin de l’œil, la commandante perçut une menace et opéra une rotation du buste tout en prenant de l’altitude.
Ce n’était pas elle que le Fengir visait. D’un bond prodigieux, il s’était jeté sur Jaynak. Il abattit deux de ses pattes griffues et Jaynak fut projeté contre des consoles. Naldeia poussa un cri. L’impact fut cependant considérablement amorti par le champ de force de sa combinaison associé au système antigrav, lequel compensa automatiquement la vitesse trop dangereuse. Sans cela, le choc aurait pu lui briser l’échine.
Shaella aligna le Fengir. Touché au torse par le rayon de son disrupteur, celui-ci s’écroula, un trou dans la poitrine.
Naldeia vit Jaynak remuer, ce qui la rassura quelque peu. Elle repéra l’un de leurs ennemis du côté le plus éloigné de la salle. Il s’efforçait apparemment de déclencher l’alerte via la console de communication, sans pour autant parvenir à ses fins grâce aux ondes perturbatrices de Fal. Elle dut tirer trois fois avant de réussir à l’abattre.
Le silence se fit. Chacun reprit son souffle. Jaynak tenta de se redresser. Il avait une double griffure spectaculaire sur sa combinaison. Naldeia se précipita vers lui, morte d’inquiétude. Elle ignorait si elle devait essayer de le relever ou l’allonger. En s’approchant, elle vit que les rayures n’avaient pas pénétré sur toute l’épaisseur de la combinaison — Jaynak était secoué, mais reprenait peu à peu ses esprits. Elle l’aida à se redresser.
Déjà, Fal s’affairait au-dessus de l’une des consoles. Shaella accéda à l’interface de l’androïde, et sut en même temps que lui que l’alerte n’avait pu être donnée. Le centre de contrôle n’était qu’une annexe, cependant il était relié au cœur de la base. Une fois connecté, Fal lança une attaque quantique massive. Comme Shaella l’avait soupçonné, les systèmes du centre n’avaient pas été remis à jour depuis assez longtemps, nul chez l’ennemi n’anticipant une infiltration de l’intérieur. Bénéficiant de la puissance de calcul combinée des systèmes de l’ORG et de ceux du Croc de Shaenaor, exploitant à fond l’effet de surprise, Fal obtint une victoire aussi rapide que décisive. Il ouvrit à distance les accès au centre, au moment où Shaella donnait le signal d’assaut à Belganov et à ses troupes.
« L’ennemi va tenter de passer à l’offensive ici, dit Shaella. Portez-vous aux endroits que je vous indique sur le plan, et surveillez les accès. Naldeia et Jaynak, vous restez avec moi. »
Il ne s’agissait toutefois que d’une mesure de précaution. Contrôlant tous les accès, Fal bloquait l’avancée des Fengirs, qui devaient détruire une à une des portes conçues pour résister à de nombreux assauts. Dans le même temps, il s’assurait de laisser le passage à leurs alliés.
Le mot « reddition » étant absent du vocabulaire fengirien, Shaella s’arrangea pour que ses alliés combattent leurs oppresseurs à dix contre un chaque fois que nécessaire. Huit heures plus tard, le centre entier tombait sous le contrôle des Réfractaires. Malgré toute la bravoure des Fengirs, les pertes chez les Nadariens s’avéraient minimes.
Belganov en personne pénétra dans l’ambassade, entouré d’une garde prétorienne. Les retrouvailles avec Jaynak et Naldeia n’eurent rien de protocolaire mais réchauffèrent les entrailles.
Fal put se connecter au cœur du dispositif, et prendre le contrôle à distance des systèmes de sécurité et d’ouverture des autres complexes fengiriens sur la planète. Dans différents points du globe, l’assaut fut donné simultanément par les Réfractaires, dont les rangs et les moyens avaient grossi à mesure qu’ils convertissaient à leur cause leurs compatriotes. Ce fut le début de la fin de la mainmise des Fengirs sur Nadar.
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March 6, 2025
L'Europe doit déclarer la guerre à la Russie
Le désengagement des Etats-Unis en Europe conjugué à la course effrénée aux armements en Russie ne nous laisse pas le choix. Dans les deux prochaines années, en 2026 ou au plus tard en 2027, l'Europe doit déclarer la guerre à la Russie. Dans cette guerre, l'Europe devra être l'agresseur. Les colonnes de blindés européennes devront franchir les frontières de la Russie, les forces aériennes violer l'espace aérien russe. Il ne s'agit pas d'envahir la Russie, bien sûr. Nous devrons juste détruire l'armée de terre, l'armée de l'air et la marine russe. Et surtout, surtout, pulvériser l'appareil militaro-industriel russe. Les moyens? Uniquement conventionnels. Le but de cette opération, que l'on pourrait baptiser Strike and Return? Empêcher la Russie de s'en prendre à ses voisins pour les 20 prochaines années. L'Europe devra agir seule, sans le soutien des Etats-Unis, et se préparer à une riposte nucléaire. L'hypothèse d'un conflit nucléaire n'est en effet pas à écarter, mais nous devons en prendre le risque. Sinon, c'est inéluctable, la Russie va s'attaquer aux pays baltes, et à ses autres voisins proches, voire moins proches, dans les cinq prochaines années.
L'histoire de la Russie comme de l'Europe ne trompent pas. Une course aux armements telle que la met en œuvre la Russie, avec la mise en chantier de 7000 chars d'assaut pour 2030, ne peut signifier que de prochaines guerres menées par la Russie.
L'Europe doit donc attaquer en premier. Profiter de l'affaiblissement actuel de la Russie pour frapper, et frapper fort.
A combien de morts faut-il s'attendre ? On ne peut pas savoir, et d'autant moins qu'on ne peut pas prévoir si cette guerre ne va pas basculer dans le nucléaire. Mais en admettant que ce soit uniquement sur le plan conventionnel, les Européens doivent s'attendre à un million de morts dans leurs rangs. Donc oui, il faut se mettre à construire de nouveaux cimetières, et à agrandir ceux qui existent.
Néanmoins, ce million de morts européens permettra de sauver la vie de nombreux millions d'autres Européens. Elle empêchera une bonne partie de l'Europe de tomber sous le joug d'une nouvelle dictature néo staliniste. Il nous faudra sans doute occuper provisoirement certaines villes stratégiques russes, le temps de s'assurer de la destruction de l'appareil militaro-industriel.
Nous pourrons en profiter pour exhorter le peuple russe à se débarrasser du FSB et des divers réseaux de renseignement, qui sont le fléau de ce pays.
Et le régime de Poutine? Ma foi, si l'intégralité de son armée est détruite, je ne sais pas si ce régime tiendra. Si je m'en réfère à la Seconde Guerre Mondiale, les occidentaux n'ont pas eu besoin de s'en prendre à la tête du régime directement, et les tentatives d'assassinat de Hitler se sont toutes soldées par des échecs.
C'est pourquoi je suis persuadé qu'il faudra en venir à la guerre. Le but de ce billet n'est d'ailleurs pas de chercher à intimider ou à menacer. Ce sont les dictateurs qui pratiquent la menace et le chantage. Les démocraties, elles, se préparent tranquillement et font ce qu'il y a à faire le moment venu. C'est ce qu'on appelle la force tranquille. De la détermination, mais sans gesticulations ni rodomontades.
March 3, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 36
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-sixième.
36. De l’autre côté du Relais
Le vaisseau mère Strator se présenta devant le dernier Relais d’Accélération avant le système Ixion à la tête d’une flotte composée de l’essentiel des forces de projection de Nadar. Plusieurs vaisseaux fengiriens le secondaient, aussi bien des croiseurs et destroyers comme la Griffe Férale que des appareils de taille plus réduite. Parmi ces derniers, les redoutables Gen-A, capables de se faire se réunir des rayons d’antimatière pour détruire des bâtiments adverses. Le Relais était pour l’heure inactif, étant configuré pour se fermer si des flottes importantes l’approchaient sans autorisation préalable. Il existait toutefois moyen de mener des attaques au niveau quantique pour pénétrer les défenses des Relais. Les meilleures Intelligences Synthétiques de Nadar étaient à l’œuvre, en train d’accomplir cette tâche cruciale.
Cette fois, il n’était plus question de simulation, comme l’indiquait à Merek son cœur battant la chamade. Il repensa à son frère Jaynak, dont il n’avait plus de nouvelles depuis de si longs mois. C’était sans doute égoïste de sa part, mais il regrettait de ne pas avoir la possibilité de lui conter ce qui allait être la plus illustre victoire des Nadariens depuis des siècles. Son frère s’arrangeait toujours pour disparaître aux moments les plus captivants. Merek devrait se contenter de Niducia et des autres membres de sa famille. Il les voyait déjà rassemblés autour de lui, écoutant de toutes leurs oreilles.
Evidemment, il faudrait pour cela qu’il survive aux heures et aux jours qui allaient suivre.
Le signal tant attendu retentit. Merek effaça aussitôt l’hologramme de visualisation de la flotte qu’il contemplait avec tant de fierté. Il allait bientôt avoir sous les yeux ses frères d’armes, sans aucun intermédiaire. Autour de lui, des dizaines de chasseurs s’élançaient les uns après les autres, irradiant de la lueur bleutée de leur réacteur dorsal les hangars du Strator. Merek effleura de son pouce le booster, et son propre Retaliator s’élança à son tour. Sa silhouette effilée évoquait celle d’un oiseau de proie, là où les bombardiers Crushers, quant à eux, étaient plus ronds et trapus.
Merek accomplit un virage serré. L’impressionnante carlingue du Strator se déploya à neuf heures, et il se rengorgea quelque peu. Ce n’était pas donné à tous de jaillir des entrailles du vaisseau mère que dirigeait en ce moment le Premier Coordonnateur lui-même. Son affectation avait été notifiée à Merek quinze jours auparavant seulement. C’était un honneur si insigne, d’ailleurs, que l’ombre d’un soupçon était venue l’effleurer. Ses rapports avec les Fengirs n’étant pas des meilleurs, il s’était demandé si on ne le préposait pas au plus important bâtiment de la flotte afin de mieux pouvoir le surveiller, dans l’éventualité où Jaynak tenterait de le contacter. Il se murmurait en effet que son propre frère aurait rejoint les rangs des Réfractaires, ce que Merek avait du mal à croire. Le Stage de Remise sur la Voie qu’avait subi Jaynak ne devait pas être une expérience des plus agréables, mais de là à devenir un traître...
Le Relais d’Accélération s’illumina tout à coup, et Merek poussa un soupir de soulagement. Bientôt, l’une des formations de chasseurs reçut l’ordre de franchir le portail. Si le Relais se coupait durant le saut, ou si un puissant comité d’accueil assaillait les nouveaux venus de l’autre côté, le reste des forces seraient au moins épargnées. Longues furent les minutes avant de recevoir le signal de l’escouade de reconnaissance. Quand l’ordre parvint à Merek de traverser à son tour le Relais, il poussa un rugissement intérieur — les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.
Cette fois, plusieurs frégates et quelques Gen-A se joignirent à la nuée de Retaliators et de Crushers. Ils s’élancèrent au travers du Relais. Jamais Merek ni aucun des autres chasseurs de son escadrille, ou même de la flotte entière, n’avaient participé à une campagne d’une telle ampleur. L’impression de n’être qu’un rouage d’une gigantesque machine de destruction était exaltante. Comme les tachyons défilaient autour de lui, Merek revérifiait tous les systèmes. Les holosims avaient indiqué un avantage de 10 contre 1 en leur faveur. Les Oblanites devraient être vaincus avant même d’avoir compris ce qui leur arrivait. Les chasseurs comme le sien allaient être les premiers à se présenter sur le champ de bataille, et joueraient un rôle non négligeable pour affaiblir l’ennemi.
La traversée fut interminable, mais enfin, Merek et son escadrille jaillirent de l’autre côté du Relais. Aussitôt, le cockpit se polarisa pour s’adapter aux lumières des différentes étoiles du système Ixion.
Seule l’escouade de reconnaissance les attendait à proximité. Tout danger immédiat écarté, Merek activa avec avidité ses détecteurs moyenne portée. Autour de la planète Oblan, les destroyers, croiseurs et frégates représentaient moins d’une trentaine d’unités, contre plus de cinq cents pour la flotte de Nadar.
Dans les six heures de Merek, les premiers croiseurs apparurent, aussi majestueux qu’impressionnants. Puis ce fut le Strator, le vaisseau mère qui les surpassait en gigantisme. La taille de la flotte imposait un nouvel insupportable délai, condition néanmoins impérative pour délivrer un coup si apocalyptique que la flotte ennemie n’aurait d’autre recours que de se rendre.
Nadar était sur le point de restaurer sa grandeur, et allait le faire avec toute la superbe dont elle était capable. Oblan n’avait certes comme statut que celui d’allié mineur de la Confédération des Planètes Unies, mais c’était le seul monde jamais colonisé par Nadar. A ce titre, il jouait un rôle très important dans l’Histoire.
Au fur et à mesure de l’apparition des bâtiments les plus imposants, les chasseurs se plaçaient en avant-garde en formation prédéfinie. Le moment approchait où les forces unifiées de Nadar allaient se ruer à impulsion maximale en direction d’Oblan et de ses lunes. Il sembla à Merek que plus aucun vaisseau n’était sorti du Relais depuis quelque temps, quand un ordre jaillit du système de communication.
« Ordre numéro un. »
Merek tiqua. Cet ordre ne correspondait à aucun de la nomenclature officielle. Pourtant, plusieurs éléments de son escadrille rompirent la formation. Où allaient-ils ainsi ? Merek eut à peine le temps de se poser la question qu’un hologramme apparut au-dessus de la console de communication. C’était un Nadarien inconnu. Le plus surprenant était qu’il ne s’adressait pas à la flotte, mais directement à Oblan.
« Peuples d’Oblan, disait le mystérieux inconnu, nous sommes venus en masse ce jour pour rendre hommage à votre civilisation de pionniers et à son esprit d’entreprise. »
Les yeux de Merek s’arrondirent.
« C’est dans un esprit de paix et de fraternité que nous nous sommes permis cette légère intrusion dans votre système, continua l’inconnu. Nous avions besoin de nous défaire d’une influence qui nous est hautement préjudiciable. Rassurez-vous, dès cette tâche accomplie, nous franchirons le Relais en sens inverse en direction de Nadar. Nous espérons pouvoir bientôt ouvrir des relations diplomatiques fructueuses avec votre civilisation éclairée. »
L’hologramme s’effaça, et Merek eut l’œil attiré par l’éclat de lasers. Plusieurs Retaliators s’en étaient pris ensemble à un Gen-A. L’effet de surprise fut tel que le vaisseau fengirien n’eut aucune chance et explosa, transpercé de toutes parts. La stupeur de Merek lui fit contempler son écran radar sans comprendre. Des dizaines de spots représentant des chasseurs ou frégates fengiriennes disparaissaient les uns après les autres. Outrage inconcevable, sacrilège sans nom, son propre peuple se retournait contre les alliés Fengirs ! Les membres de Merek lui parurent peser une tonne quand il en reprit enfin le contrôle. Il voulut diriger son appareil sur l’un des Retaliators qui avait mis fin à l’existence du Gen-A le plus proche.
La désillusion fut terrible — les commandes ne répondaient plus.
« Nous avons pris les commandes de votre chasseur, fit la voix d’un Nadarien. Vous allez être acheminé vers votre point d’attache dès que possible. »
Et en effet, le vaisseau de Merek, comme des centaines d’autres, vira de bord pour mettre le cap sur le Strator. Le vaisseau mère faisait feu de tous ses canons sur la Griffe Férale, tandis que ses torpilles à protons étaient larguées simultanément en direction de l’imposant destroyer fengirien. En retour, celui-ci riposta de ses canons à plasma, qui vinrent irradier le bouclier du Strator.
A la droite de Merek, un porte-missiles fengirien ciblé par une quinzaine de Crushers explosa. « C’est un cauchemar, fit Merek en tentant encore faiblement d’agiter son manche à balai. Quelle trahison ! »
La Griffe Férale fut bientôt prise pour cible par pas moins de cinq destroyers et deux croiseurs, en plus du Strator. Comme la plupart des vaisseaux fengiriens, la Griffe n’avait pas eu le temps de dresser ses boucliers à pleine puissance. Une bonne moitié des centaines de missiles et de torpilles se portant vers lui fut détruite à distance par ses canons, ce qui s’avéra insuffisant. Sa proue explosa en premier, puis ce fut le milieu du vaisseau qui se scinda, avant qu’une série de déflagrations ne se répande en direction de la poupe.
La principale menace éliminée, le Strator abaissa ses boucliers, permettant à des centaines de chasseurs et bombardiers d’être dirigés vers ses hangars.
***
Comme le Strator franchissait enfin le Relais d’Accélération menant sur le système d’Ixion, la satisfaction se répandit sur le visage de Grendchko. Tous ces préparatifs, toutes ces simulations, mais aussi ces doutes terribles de dernière minute. Cette absurde alerte d’Ymeo. Désireuse de racheter son échec flagrant dans la recherche et la capture des principaux Réfractaires, son plus fidèle agent des renseignements s’en était allé inventer une fumeuse histoire de complot contre les Fervents. Ses Fervents, qui lui vouaient un culte. Quelle ineptie ! La punition d’Ymeo serait un raffinement de cruauté à son retour — un autre bon moment en perspective.
Il n’empêche, Grendchko, tout au long du trajet, avait guetté du regard la moindre trace de rébellion dans l’attitude ou l’expression des commandants des opérations autour de lui. Il n’avait rien remarqué en dehors de la détermination qu’il attendait d’eux en pareille circonstance. A tout hasard, il s’était muni de deux drones de Surveillance Répression qui avaient ordre d’éliminer toute source de menace sur la personne physique du Premier Coordonnateur. Les drones, dont la vigilance ne pouvait être prise en défaut, flottaient en ce moment au-dessus de lui. Prudence oblige, Grendchko avait aussi fait mettre au point, bien avant toute rumeur de complot, un système de contrôle à distance des chasseurs de sa flotte. Au moindre soupçon de trahison, il pourrait prendre le contrôle individuel des vaisseaux incriminés, par l’entremise de l’Intelligence Synthétique du Strator. Grendchko savait occuper un poste très convoité. Il ne fallait négliger aucune précaution, particulièrement dans un contexte de guerre.
Le Strator émergea du Relais d’Accélération et se plaça à l’endroit prévu, au centre du dispositif. Voir les milliers de chasseurs prêts à risquer leur vie pour la gloire de Nadar, et bien évidemment, pour sa propre gloire, emplissait le cœur de Grendchko d’une ivresse bien supérieure à ce qu’aurait pu lui procurer n’importe quelle herbe à fumer.
La Griffe Férale ne tarda pas à se positionner dans les quatre heures du vaisseau mère. Grendchko fit la grimace. Shinaen lui-même avait pris le commandement du redoutable destroyer. Pour surveiller le déroulement de la bataille ? Ou bien pour donner ses propres directives, comme il en avait l’habitude ? Au cours du trajet, Grendchko n’avait pas manqué de passer en revue les effectifs. Il avait été surpris du nombre de vaisseaux fengiriens. Ces derniers ne représentaient qu’un cinquantième du total de la flotte, mais il s’agissait de vaisseaux qui avaient tous pour planète d’attache Nadar. Cela signifiait que la présence des Fengirs sur Nadar était en ce moment réduite à son strict minimum. Une mobilisation aussi massive pouvait s’expliquer par l’instinct de prédateur de leurs alliés — dès qu’il y avait un carnage à accomplir, les Fengirs ne pouvaient manquer de répondre présents. Mais Grendchko ne pouvait s’empêcher de ressentir le poids d’une certaine pression, et c’était suffisant pour lui gâcher une partie de son plaisir.
Le Premier Coordonnateur consulta sa console. Celle-ci lui apprit que la totalité de la flotte avait franchi le Relais.
« Ordre numéro un. »
Le stupéfiant commandement qui venait de retentir, relayé par tous les systèmes acoustiques du vaisseau mère, n’émanait ni de Grendchko ni de Shinaen. De son trône dominant la salle de commandement, le Premier Coordonnateur remarqua la teinte mauve qui avait soudainement remplacé le gris habituel du dos et du torse de nombre de ses Fervents aux différents postes. Ces derniers s’emparèrent de leur arme de poing et se mirent à tirer sur leurs propres compatriotes, les paralysant.
Eberlué, Grendchko ne releva pas dans un premier temps que les victimes ne présentaient pas un torse mauve comme celui des agresseurs. L’hologramme honni de son pire ennemi, Belganov, venait d’apparaître devant l’une des baies vitrées. Il s’adressait aux Oblanites, mais tout à sa confusion, Grendchko ne saisit pas la teneur du message. Levant la tête en direction de ses drones SR, il vit ceux-ci victimes de tremblements. Des rayons mortels les frappèrent soudain, et ils explosèrent dans un fracas assourdissant. Grendchko n’eut que le temps de s’écarter pour ne pas recevoir de débris. Sa main agrippa son disrupteur.
Trop tard. Le commandant Telnov, un Fervent dont il aurait pourtant juré de la fidélité, visa son bras qui se retrouva paralysé. L’arme devait être réglée à son minimum, car seul son bras droit fut engourdi.
Telnov s’approcha et d’un geste vif, retira l’arme des doigts gourds de Grendchko.
« Traître », fit ce dernier, les lèvres tremblantes.
Dans la salle aux larges baies vitrées donnant sur l’espace, les bruits de chute de corps cessèrent bientôt. Pourtant en nombre inférieur, les rebelles avaient amplement profité de l’effet de surprise. Grendchko n’en dénombra qu’une dizaine, quand la salle de commandement comptait une trentaine d’hommes. Les dix mutins, et le Premier Coordonnateur lui-même étaient les seuls à être restés debout. Les Réfractaires n’avaient perdu que deux hommes.
« Ecartez-vous, dit Telnov. Toute résistance est inutile. » Deux autres disrupteurs étaient braqués sur Grendchko, qui s’éloigna docilement de son pupitre.
Telnov prit aussitôt la direction des opérations. Il commença par une vérification exhaustive des différents secteurs du vaisseau mère. De la salle des machines aux hangars, en passant par les postes d’observation, tous les points stratégiques avaient été pris par les rebelles. Seuls quelques îlots de résistance subsistaient, là où les Réfractaires n’avaient pas été suffisamment nombreux pour l’emporter.
« Vous allez vous adresser à vos fidèles, dit Telnov. Vous allez répéter exactement ce que je vais vous dire. »
Grendchko s’était imaginé comme un invincible leader, un conquérant inexorable et impitoyable, ne connaissant pas la peur. Lorsque Telnov lui pointa sous le nez son disrupteur, il décida de réviser quelque peu son opinion de lui-même. Mieux valait obéir et continuer à vivre.
« Je m’adresse à tous mes Fervents, fit écho Grendchko après Telnov. Tous ceux qui n’ont pas le torse mauve, vous allez déposer vos armes. Si vous ne le faites pas, je vais envoyer sur vous les droïdes et drones de combat, avec ordre de ne pas faire de quartier. Vous avez trente secondes pour obéir et vous rendre. Je répète, ici Grendchko. Rendez-vous immédiatement. »
Telnov lui sourit, satisfait. « C’était une bonne idée, vos drones SR. Dommage que nous ayons fait en sorte de pirater l’Intelligence Synthétique du vaisseau au moment du passage dans le Relais d’Accélération. Vos drones ont été immobilisés suffisamment longtemps par les attaques quantiques de l’IS pour que nous puissions disposer d’eux. »
Il ordonna de conduire Grendchko devant l’une des larges baies vitrées. Tandis qu’une partie de la flotte des Nadariens donnait l’assaut contre les Gen-A, destroyers et croiseurs fengiriens, Grendchko assista, impuissant, à l’écroulement de ses rêves. Les forces fengiriennes disparaissaient les unes après les autres. Il y eut bien une frégate nadarienne pour tenter de se porter à leur secours, mais elle fut atomisée à son tour. Après cela, ceux des bâtiments nadariens qui ne prenaient pas une part active aux combats choisirent de maintenir une prudente neutralité.
Telnov alla jusqu’à répondre à l’appel de Shinaen et à le mettre en communication avec Grendchko. Enragé, le Fengir eut le temps de maudire l’ancien Premier Coordonnateur avant que son destroyer ne disparaisse dans une gerbe d’explosions parmi les plus aveuglantes de la bataille.
***
Lancinant, le mal de crâne s’était peu à peu étendu. Un voile violacé couvrait à présent la vision de Merek, l’empêchant de distinguer clairement ses alentours. Quand son Retaliator s’était posé dans son hangar, Merek avait voulu ouvrir son cockpit et en sortir aussitôt.
Une nouvelle fois, l’appareil avait refusé de lui obéir.
Merek possédait un disrupteur, mais son chasseur étant à l’épreuve de ce type d’arme, il craignait que le rayon ne lui soit renvoyé s’il tentait de s’en servir pour forcer le passage. Son plan initial avait échoué. Rallier les différents pilotes qui comme lui, avaient été victimes du détournement de leur appareil, afin de faire front contre les ennemis qui semaient le chaos dans la flotte, n’était plus possible. Malgré le voile de douleur devant ses yeux, Merek avait bien vu des groupes d’hommes entourer chaque chasseur. Ceux qui tentaient de résister et sortaient avec leur arme de poing en dépit des sommations se retrouvaient paralysés. Aucun ne parvenait seulement à toucher l’un de leurs adversaires, aussi Merek supposait-il que ses alliés potentiels n’étaient pas dans la plénitude de leurs moyens. Eux aussi devaient être victimes de ces terribles vrilles à l’intérieur de leurs cerveaux. Longtemps, Merek observa les pilotes de son escadrille se faire emprisonner et emmener sous bonne escorte. Vers la fin, des droïdes de combat et drones de surveillance répression compensèrent le nombre apparemment réduit des agresseurs séditieux, accélérant la cadence. Quand le cockpit de Merek daigna enfin s’ouvrir, ce fut précisément sur une paire de drones SR qui le menacèrent de leurs canons et lui enjoignirent de lâcher son disrupteur.
Merek n’eut d’autre choix que d’obéir.
On lui demanda de sortir, et Merek réalisa que ses membres répondaient mal. Il faillit perdre l’équilibre en glissant au sol. L’un de ces soldats nadariens au torse mauve braquait son arme sur lui, et les deux drones SR flottaient toujours de manière menaçante. L’homme lui fit signe d’avancer, et Merek prit la direction indiquée. Ils ne tardèrent pas à emprunter une navette qui les propulsa le long des larges couloirs du Strator, aux côtés de centaines d’autres qui effectuaient le même trajet.
Ils furent conduits dans un immense mess où une myriade de ballons-tubes fumants avaient été disposés sur autant de tables. Merek ressentit la pointe du disrupteur sur ses reins, et avança. Comme de très nombreux de ses compatriotes présents dans la salle, il se prenait les tempes entre les mains, un geste qui ne parvenait pas à freiner l’élan des ondes lancinantes qui répandaient des traits de feu, allant jusqu’à lui engourdir les membres. L’image des vaisseaux fengiriens détruits lui revenait encore et encore, associée à une sensation viscérale de culpabilité.
« Vous ne voulez plus avoir mal à la tête ? lui demanda le soldat qui l’accompagnait. Fumez le sengré et la douleur disparaîtra. »
Merek crut que l’autre se moquait de lui. Etant donnée l’intensité de la douleur, jamais une herbe comme le sengré ne serait suffisante pour le soulager. Il s’assit néanmoins devant la table, et fit effort pour ignorer un instant la souffrance, et observer les alentours.
D’autres Nadariens inhalaient les volutes. Il vit plusieurs d’entre eux redresser l’échine. Ils avaient l’air d’aller mieux. Perplexe, Merek huma la vapeur s’élevant de son verre. C’était bien du sengré. Une nouvelle onde lui vrilla le crâne, le faisant grimacer. Il plaqua son unique narine sur l’embouchure du ballon-tube et aspira.
Rien ne se produisit. Comme il l’avait prévu, la douleur était telle que les sensations liées au sengré étaient imperceptibles. Il inhala encore une ou deux bouffées avant de se reculer. Se tournant vers le soldat qui l’avait conduit dans ce lieu, il se mit à secouer la tête. Bientôt, pourtant, il s’interrompit.
La douleur, subitement, avait disparu. Le voile violacé se retira, les couleurs reprirent tout leur éclat, son ouïe se remit à fonctionner normalement, sa vue redevint perçante. Le soldat ricana devant son air éberlué.
Merek et son escorte patientèrent longuement dans la salle. Partout, la même scène se répétait, avec des Nadariens qui semblaient souffrir mille morts, puis se mettaient à fumer pour aller mieux quelques instants plus tard. La seule hypothèse qui vint à Merek fut qu’on leur avait empoisonné l’air de leur cockpit et que l’antidote au produit toxique était mélangé au sengré.
Peu à peu, les portes de l’immense salle cessèrent de s’ouvrir sur de nouveaux arrivants. Quand l’agitation se fut calmée, un hologramme géant apparut au fond de la salle. Il s’agissait du même personnage âgé qui s’était affiché au-dessus de la console de communication du Retaliator, et qui avait envoyé un message de paix et d’amitié aux Oblanites. Il avait le front haut et une expression de sagacité sur son visage d’ancien.
« Je suis le professeur Belganov, membre du Haut Conseil des Réfractaires et votre nouveau Premier Coordonnateur par intérim », dit-il.
La déclaration fut accueillie par un silence stupéfait dans toute la salle.
« Certains d’entre vous, poursuivit l’individu, ont sans doute été victimes de maux de crâne récemment. En particulier ceux d’entre vous qui auraient assisté aux combats entre les vaisseaux fengiriens et les nôtres. C’est une réaction normale. Nous avons pris soin d’isoler le nanite ektrim présent dans votre cerveau primaire des centres sur Nadar qui auraient pu donner un ordre d’autodestruction. Néanmoins, ces implants ont une marge d’autonomie, et sont programmés pour générer de la souffrance s’ils détectent des tentatives de rébellion contre les Fengirs. Quand vous avez absorbé le sengré, un nanite anti-ektrim conçu par nos soins s’est laissé attirer. Ce nanite AE est entré dans votre cerveau primaire et s’est mis à effectuer des recherches. Dès qu’il a découvert la présence d’un nanite ektrim, il a envoyé des ondes thêta pour le neutraliser, puis s’est approché de lui pour l’englober et l’empêcher de nuire. C’est pourquoi vous n’avez plus mal à la tête au moment où je prononce ces mots. »
Tandis que Belganov parlait, un schéma holographique représentait la scène. « La meilleure preuve que ce nanite ektrim existait et visait à provoquer une soumission envers les Fengirs, c’est que vous pouvez à présent penser ce que vous voulez de nos anciens “alliés”. Faites l’essai, et vous verrez que vous avez retrouvé davantage de liberté de pensée. Songez à ces vaisseaux fengiriens détruits, par exemple. »
A titre d’expérience, Merek se représenta l’un des Gen A détruits. Il fut abasourdi de ne plus ressentir l’impression d’immense sacrilège ni les sentiments de révolte et de haine qui avaient accompagné l’événement. Un brouhaha généralisé envahit la salle.
Tout à coup, d’autres images apparurent, montrant les Nadariens sur Oblan, non loin de leurs vaisseaux. Il s’agissait selon toute évidence de documents d’archives, car les vaisseaux étaient obsolètes depuis longtemps. Le silence se rétablit au fur et à mesure que les visages se tournaient vers la représentation holographique.
« Notre peuple s’est bien rendu sur Oblan il y a six siècles de cela, reprit Belganov. Nous y avons partagé une partie de notre technologie plus avancée. Mais si nous nous sommes retirés de cette planète, ce n’est pas en raison d’une déclaration d’indépendance des Oblanites, mais bien parce que nous avons jugé ce peuple trop porté sur l’agressivité. Les Oblanites étaient en butte à des déséquilibres internes prouvant qu’ils devaient encore gagner en maturité avant que nous ne puissions établir des liens durables avec eux. Ils ne nous ont jamais apporté la gloire. C’est plutôt nous qui leur avons amené de nouvelles perspectives. »
L’hologramme de Belganov réapparut. « Ce savoir que je partage avec vous, dit-il, nous vient de l’argelen. Celui-ci n’a rien de corrompu. En se servant des nanites de technologie ektrim implantés par les Fengirs, nos prétendus alliés vous ont empêché d’accéder à toutes les connaissances qui menaçaient de détruire les mensonges qu’ils cherchaient à répandre. Nos ancêtres ne pouvaient plus consulter les archives sous peine d’être victimes de terribles migraines. Ils ont donc renoncé à cette connaissance. Vous y aurez de nouveau accès, à votre retour sur Nadar. C’est un nouveau monde qui va s’ouvrir à vous. Un monde très différent, vous allez le constater, de cet univers de propagande dans lequel vous étiez engoncés. Vous souvenez-vous de l’ordre numéro un ? Il est le premier commandement de notre nouvelle Coordination. Le moment est venu pour vous de vous libérer de vos chaînes. Une fois ma période d’intérim passée, je me retirerai et vous pourrez élire la personne de votre choix au poste de Premier Coordonnateur. Et cette fois, sans aucune restriction ni barrière psychique, je vous en fais ici le serment. »
Broché 19 €
Relié 26,38 €
ebook 3,99 €
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February 24, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 35
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-cinquième.
35. L’ombre et la proie
Jaynak avait profité de chaque instant après qu’on lui ait retiré son casque d’argent. La joie de recouvrer son intégrité physique n’avait cependant été, en ce qui le concernait, que de courte durée. En tant que Nadarien, il était l’une des trois personnes sur le Rapier à pouvoir retourner sur sa planète sans souffrir des problèmes de gravitation. Son rôle allait donc être majeur dans la livraison des nanites AE au réseau de Réfractaires. Encore fallait-il modifier radicalement son apparence pour qu’il ne soit pas reconnu par l’ennemi et repris. Il était également impératif de simuler la présence en lui d’un nanite ektrim pour qu’il ne soit pas identifié en tant que Réfractaire, au cas où le parasite qu’il n’avait plus dans son cortex serait interrogé à distance. A cette fin, Hina Meili installa dans son cerveau primaire un nanite, frère jumeau de celui de Naldeia. Ce dernier produirait les réponses standards en cas de questions inopinées.
Pour ce qui était de l’apparence physique, Shaella MacGinnis possédait le secret d’une méthode assez spéciale. La moussor était une mousse organique dont la matière première était prélevée sur une planète alien. Celle-ci était souple, mais pouvait se voir rigidifiée à différents degrés selon de subtiles altérations chimiques. D’autres modifications moléculaires déterminaient le coloris final. Elle avait la particularité précieuse de laisser respirer la peau.
La nouvelle physionomie de Jaynak fut d’abord programmée sur un simulateur holographique. Il aurait des pommettes beaucoup plus hautes, un menton nettement plus pointu et des cuisses plus larges, entre autres. Une fois tous les détails réglés, Jaynak entra dans la cellule d’altération anatomique. Là, son corps flotta en apesanteur pendant que des machines dessinaient sur la moindre parcelle de son épiderme sa nouvelle apparence en projetant la moussor selon les doses voulues, puis en la sculptant avant de la sécher. Jaynak eut l’impression de porter un vêtement qui était une véritable prison de chair. Il se sentit plus lourd et plus emprunté en ressortant de la CMA. La moussor avait la particularité de changer son ADN en surface, mais il subsistait un point faible, ses yeux. Un appareil spécialement conçu fut alors greffé sous ses plaques oculaires. Il projetait un rayon modifiant l’éclat bleuté des yeux de Jaynak pour correspondre à son nouvel ADN superficiel.
Jaynak retourna sur Nadar à bord d’une navette de même type que celle de Naldeia, et qui passa comme elle avec succès l’épreuve des balayages de sécurité. Pendant les trois premières semaines, Jaynak voyagea de spatioport en spatioport sur les différents continents de la planète. Parfois il livrait ses containers à des Réfractaires, à charge pour eux de les répartir ensuite au mieux. Plus rarement, il se rendait lui-même dans des usines de fabrication de sengré pour y déposer des containers de mini-drones contenant leurs nanites AE. Il lui arriva aussi de livrer des mini-drones aspirateurs de nanites accompagnés de leurs caissettes dans des Cavernes d’Ambre qui avaient commencé à appliquer la coutume de la Minute de Sengré.
Au bout de ces trois semaines, on informa Jaynak que le noyautage des fumoirs par des membres des Réfractaires était encore insuffisant. Les moyens de ces derniers étant limités, ils se concentraient sur les établissements les plus fréquentés de la planète. Jaynak eut donc pour désagréable mission de récupérer un agent chimique spécial auprès de l’un des collègues du réseau. Puis il s’infiltra dans le domicile d’un serveur en son absence. Là, il empoisonna sa réserve d’obal. Quand l’homme tomba malade, il se trouva aussitôt un agent des Réfractaires pour le remplacer sur son poste.
A chaque nouveau fumoir noyauté, c’étaient des réserves de sengré contaminées par les nanites AE qui pouvaient être livrées à un nouveau propriétaire, et une clientèle supplémentaire qui se voyait ainsi « traitée ». Le travail était monstrueux, sans fin. Il était impératif que le revêtement au sol de ces établissements puisse être aspiré en toute discrétion par des mini-drones, sous peine de courir le risque que soit détectée la technologie d’avant-garde introduite par la Confédération des Planètes Unies.
Empoisonner des serveurs n’était pas vraiment du goût de Jaynak. Il se consolait en se disant que l’immense fumoir qu’il venait de contribuer à noyauter desservait l’un des camps d’entraînement les plus considérables de Fervents de la planète. Pour avoir été l’un d’eux, il savait qu’un entraînement drastique comme celui que subissaient les futurs soldats de Grendchko avait pour effet de rendre plus irrésistible encore l’envie de sengré. Ces fumoirs constituaient donc des cibles prioritaires. Si le but était de neutraliser tous les nanites ektrim, croire que l’on y parviendrait avant l’invasion de la planète Oblan était illusoire. Il fallait en conséquence hiérarchiser au mieux, ce à quoi s’employait le réseau des Réfractaires. Ce dernier, heureusement, s’agrandissait de jour en jour, ce qui permettait d’accélérer les opérations. A chaque fois qu’il pénétrait dans une base de la résistance, souvent située au cœur des Cavernes d’Ambre réparties sur toute la planète, Jaynak apercevait certains de ses collègues plongés en transe dans l’argelen, en train de guider les milliers de personnes qui accédaient à de nouvelles connaissances. Libérés de l’emprise des Fengirs, très rares étaient les Nadariens qui criaient au complot, quand le savoir leur parvenait de l’argelen et de la mémoire stockée par les ancêtres. Les pièces du puzzle historique s’assemblaient avec une logique parfaite. L’ampleur de la supercherie dont ils avaient été victimes leur était ainsi révélée, et ils prêtaient dans leur très grande majorité le serment d’assister les Réfractaires, tout en gardant le secret.
Souvent, Jaynak guettait les nouvelles dans la Ruche, anxieux de découvrir si des individus allaient témoigner de la déviance qui se propageait chez nombre de leurs concitoyens. A chaque fois, il s’émerveillait de s’apercevoir que seule, la propagande fengirienne avait droit de cité. Les Réfractaires avaient pour consigne de demander aux gens de surtout poursuivre leurs activités et missions habituelles. De n’aider que selon les directives précises qui leur étaient transmises. En apparence, ils ne devaient modifier à aucun prix leur comportement. Il fallait croire qu’ils s’acquittaient à merveille de cette tâche.
***
Ymeo épluchait comme à son habitude les millions de données en provenance des holocams de la planète, à la recherche du moindre indice, du moindre signe de la présence de Jaynak, Naldeia ou Belganov sur Quantor. L’androïde Beyl s’occupait de l’essentiel du travail, elle-même n’ayant pas la capacité de traitement suffisante pour prétendre à une quelconque exhaustivité. Les projections holo qu’elle visualisait étaient sélectionnées par des Intelligences Synthétiques. Celles-ci estimaient qu’une intuition de type organique pouvait faire la différence dans cette quête méticuleuse, pour des données spécifiques jugées plus prometteuses que les autres.
Et comme d’habitude depuis des mois à présent, c’était un fiasco.
Ymeo soupira. Il ne restait que trois jours avant le début de la campagne interstellaire visant à récupérer Oblan. Elle aurait tellement voulu faire ce cadeau à son Maître avant son départ ! Et pas seulement pour éviter de tâter de nouveau du redoutable fouet à électrodes du Premier Coordonnateur. Grendchko méritait vraiment ce présent. Elle ne souhaitait que le bonheur du Maître, peu importait son propre bien-être. Il le méritait cent fois, lui qui était en train de rendre sa grandeur passée à Nadar !
Un signal d’alerte attira son regard vers un écran. Sur celui-ci, elle aperçut la silhouette d’Yrkel s’engouffrer dans le hall d’accueil. Son adjoint était parti dans la matinée pour l’appartement de l’un de ses amis Fervents, un soldat d’infanterie. Ymeo se prit à rêver que l’individu ait repéré l’un des trois fugitifs. Tous les Fervents avaient reçu leur signalement, ce qui aurait dû améliorer la probabilité de les retrouver.
Comme elle en avait eu l’intuition, Yrkel se présenta à son bureau moins d’une minute plus tard. L’éclat bleuté de ses yeux avait revêtu une teinte blanche, ce qui indiquait un état de choc. Elle l’interrogea du regard, et il se lança dès qu’il eut repris haleine.
« Rezelnov s’est plongé dans l’argelen, lâcha-t-il.
– Lui aussi a la trouille. Quelle déception. » A mesure que la date du lancement de la campagne de reconquête du Premier Coordonnateur se rapprochait, le nombre de Nadariens à se mettre à fréquenter les Cavernes d’Ambre avait explosé. Pire encore, les rapports estimaient qu’une majorité de Fervents avaient sans doute eu recours secrètement à leur cubar. Des Fervents ! Alors même que tout, dans l’enseignement du Maître, devait les tenir éloignés de cet objet rattaché à une tradition dépassée. Mais voilà, comme la glorieuse bataille que le peuple allait mener pour récupérer son dû approchait, un méprisable instinct de survie conduisait la plupart des gens à rechercher un réconfort spirituel dans l’argelen. Ils étaient si faibles, tous ! Ymeo ne concevait pas que l’on puisse être Fervent et désirer le contact avec l’argelen. C’était quasiment une trahison.
« C’est ce que j’ai d’abord pensé, dit Yrkel. Je ne voulais pas le croire, je me disais “pas lui !” Le Rezelnov que je connaissais n’aurait jamais pu faire une chose pareille. Alors, je l’ai écouté. Il m’a dit l’avoir fait sans en avoir conscience, comme si c’était quelque chose de naturel. Pourtant, il n’avait pas touché à son cubar depuis des années, à tel point qu’il était couvert de poussière. Mais, ce qu’il m’a ensuite rapporté !
– Vas-y, accouche.
– Il a été replongé dans un passé ancien. Du temps où les Fengirs étaient nos ennemis, et menaçaient notre planète.
– Les Fengirs n’ont jamais été nos ennemis. Ils ne nous ont jamais menacés.
– C’est ce qu’il pensait aussi. Et qu’il pense toujours, sans aucun doute ! L’argelen maudit, corrompu sans doute, lui a montré une époque où nous étions menacés par la flotte des Fengirs. Des Ektrims sont alors venus nous voir. Ils ont joué les intermédiaires en cherchant à apaiser les choses. Nos dirigeants d’alors ont accepté la présence de délégations de Fengirs. Très vite, ils bâtirent certains bâtiments dans lesquels personne n’était autorisé à entrer, sauf eux. Quelques années après, le Premier Coordonnateur de l’époque a soumis l’idée d’un traité d’alliance, d’entrée dans l’Expansion. Ceux qui s’opposaient à ce traité, ou qui cherchaient à en savoir plus sur le passé, étaient victimes de terribles maux de tête ou devenaient fous. L’idée d’accepter ce traité s’est répandue dans la société à une vitesse qui n’était pas naturelle. Ceux qui se dressaient contre les Fengirs se sont tus pour la plupart, ou sont entrés dans la clandestinité. »
Ymeo ne put retenir un frisson devant l’ampleur du blasphème, de la trahison envers leurs alliés Fengirs. « Tissu d’inepties !
– Sans doute, Adepte. Mais quelqu’un a cherché à contacter Rezelnov via l’argelen. Il se proposait de lui expliquer pourquoi tant des nôtres étaient victimes de maux de tête.
– Comment a-t-il réagi ?
– Il a senti qu’on essayait de le manipuler et s’est déconnecté aussitôt. Mais je pense qu’il n’est pas le seul. Je pense que beaucoup d’autres ont été approchés de la sorte. Je crois que nous sommes victimes d’un immense complot des Réfractaires.
– Hum. Dommage qu’il ne soit pas resté connecté, nous aurions pu en apprendre plus sur ce que manigancent nos ennemis.
– Quels sont vos ordres, Adepte ? »
Comme elle dévisageait Yrkel, une ombre voila son visage. « Nous pourrions prévenir notre Maître, bien sûr, mais un seul témoignage ne sera pas suffisant pour le faire réagir. Il nous en faut au moins deux autres pour prouver l’existence du complot. Trouve-m’en deux autres comme Rezelnov. Je te débloque un budget de 20 000 crédits pour les faire parler. Les trois devront témoigner devant notre Premier coordonnateur. Ils auront intérêt à être convaincants. »
Yrkel s’inclina et quitta la pièce.
Les commissures des lèvres d’Ymeo prirent un pli amer. Elle n’aimait pas ça. L’impression que l’on venait de lever le coin du voile d’un plan potentiellement létal pour le pouvoir en place jetait un froid glacial sur son cœur. Le plus troublant était de se dire que des Fervents avaient pu être persuadés de se connecter à l’argelen, et d’y chercher des réponses. Comment les Réfractaires s’y étaient-ils pris ? D’importantes sommes avaient dû changer de mains pour obtenir pareil résultat. Il lui fallait vérifier les flux financiers et, de manière générale, tout ce qu’il pouvait y avoir d’inhabituel au sujet des Fervents. Ymeo se prit à songer qu’en concentrant leurs efforts sur les trois fugitifs, les Oreilles de Grendchko avaient peut-être confondu l’ombre avec la proie. C’était là une pensée presque rebelle à l’égard du Maître, et elle en fut désorientée.
Ce ne fut que deux jours plus tard, en milieu d’après-midi, qu’Yrkel revint avec ses trois Fervents. « J’ai eu beaucoup de mal à en trouver qui acceptent de parler, confia-t-il à Ymeo. J’ai eu droit à des regards… des regards qui me laissaient penser que c’était moi le traître. Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais c’est grave. Et nous ne pouvons avoir ces trois-là que pendant trois heures maximum. Ensuite, ils doivent rejoindre leur unité. »
Ymeo hocha sèchement la tête. Ce que disait Yrkel faisait sens, puisque la flotte nadarienne se mettrait en route dès le lendemain. Elle se mordit la langue en songeant à l’entretien qu’elle allait avoir avec le Maître. Devoir lui mentir afin d’obtenir audience lui était insupportable — et pourtant, il le fallait. Elle le contacta sur son canal d’urgence absolue. Il daigna lui répondre en personne.
« Tu as donc des nouvelles de nos fugitifs, dit Grendchko la lueur dans ses yeux accompagnant la menace perceptible dans le ton de sa voix.
– Oui, Maître. Des nouvelles d’une importance capitale. Ils ont préparé un complot qui met en péril votre règne sacré. J’aimerais vous amener trois témoins pour vous prouver ce que j’avance.
– J’aurais préféré que tu m’apportes leur tête sur un plateau.
– Ce n’est qu’une question de temps, Maître. Si nous prenons les dispositions nécessaires. »
Le regard de Grendchko s’appesantit sur elle, lui promettant un univers de souffrance si elle mentait. « Soit, fit-il finalement. Amène-moi tes témoins. »
Les coupoles dorées du Palais de la Première Strate se détachaient dans le couchant. Le flotteur d’Ymeo et de ses trois témoins s’approcha avec célérité, puis se posa. L’Adepte et les trois Fervents durent franchir plusieurs cordons de sécurité avant d’être autorisés à pénétrer dans le bureau du Premier Coordonnateur, escortés par cinq drones de surveillance-répression.
Lorsque le Maître eut accordé son consentement, Ymeo prit la parole. Jusqu’à présent, elle n’avait pas osé lui révéler que dernièrement, une majorité de Fervents semblait se connecter à l’argelen. Quand elle le fit, Grendchko plissa dangereusement le nez. « C’est inconcevable, dit-il. Vous avez forcément fait erreur.
– Je vous transmets les données qui prouvent mes dires sur votre tablette, Maître, dit Ymeo, qui s’attendait à ce type de réponse. Je vous implore d’écouter ce que Rezelnov, Makib et Dezev ont à vous apprendre. »
La rude expression sur le visage de Grendchko pouvait être interprétée comme un acquiescement. Ymeo se tourna vers Rezelnov. « Vas-y, toi. »
Le Fervent se mit à parler. Puis ce fut au tour de Makib, et Dezev. Ce dernier était celui des trois le plus en proie au doute. Il lançait des regards de droite et de gauche, ne demandant rien tant que de s’enterrer au fond d’une cavité. Comme il l’avoua, il était le seul d’entre eux à avoir accepté l’aide d’un Réfractaire. Lorsqu’il révéla l’existence d’un nanite ektrim dans le cerveau des Nadariens, Grendchko l’interrompit d’un rire lugubre.
« Des insanités, fit-il d’un ton sinistre, une lueur mauvaise dans le regard. Tu m’as fait perdre mon précieux temps pour écouter le délire de Fervents devenus fous. Des lâches, des pleutres prêts à inventer n’importe quelle extravagance pour échapper à leur devoir. »
Il paraissait sur le point de recourir à une mesure extrême quand une icône apparut sur sa console. « Vous avez de la chance que l’on vienne de me proposer une entrevue qui ne peut attendre, sans quoi je vous aurais tous fait désintégrer sur-le-champ. » Il se leva brusquement, attrapa Ymeo par le menton et lui plaqua le front contre le sien, produisant un son mat. « Aucun d’entre eux ne m’a parlé de nos trois fugitifs. Je saurai m’en souvenir. »
Ymeo se ratatina littéralement. « Maître…
– File ! Hors de ma vue, toi et tes trois déchets ! »
Les larges mains de Grendchko se formèrent en poings qu’il appuya sur la surface de son bureau. Ses puissantes épaules vibraient de rage contenue. Ymeo et les trois Fervents ne se le firent pas dire deux fois. Ils s’inclinèrent avant de s’enfuir en courant presque.
Grendchko mit du temps à recouvrer suffisamment de calme pour s’asseoir. Quand Shinaen pénétra de sa démarche silencieuse, souple et dangereuse dans la pièce, il était parvenu à se recomposer son expression habituelle.
« Le moment est venu de faire le point sur nos forces en vue de notre petite excursion, commença le Fengir avec gourmandise.
– Avec plaisir », répondit Grendchko de manière un peu trop raide.
L’autre huma l’air un instant, les moustaches frémissantes. « Quelque chose vous contrarie ? demanda Shinaen. Vous ne me cachez rien, j’espère ?
– Tout est parfaitement sous contrôle, assura Grendchko du ton le plus détaché possible.
– J’y compte bien. Nous allons engager des forces importantes dans cette flotte que vous dirigerez. Si quelque chose devait arriver à nos vaisseaux, je vous tiendrais pour personnellement responsable.
– Vous n’avez aucun souci à vous faire. Je vous en donne ma parole. »
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February 17, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 34
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-quatrième.
34. Liberté de conscience
Contrairement à l’appareil de Naldeia, le vaisseau-cargo de Belganov possédait les derniers dispositifs d’occultation de la Confédération des Planètes Unies. Il pénétra l’atmosphère de Nadar de nuit. La paroi des Cavernes d’Ambre d’Argea qui lui avait laissé le passage plusieurs mois auparavant s’ouvrit devant lui, sans pour autant que l’aspect extérieur des Cavernes ne soit modifié aux yeux d’un éventuel observateur, en vertu d’une projection holographique ultra réaliste. Belganov posa son vaisseau dans l’un des hangars secrets appartenant aux Réfractaires. Dès qu’il eut mis le pied sur le sol, il fut accueilli par une délégation des siens.
« J’ai réussi dans ma mission, leur expliqua-t-il, mais il y a un prix à payer que je n’avais pas envisagé. » Il refusa de répondre à leurs questions tant que ne serait pas convoquée l’assemblée du Haut Conseil. On décida qu’elle se tiendrait dans les deux prochaines heures, dans la salle de conférence principale de la base. Afin d’éviter la dissémination des informations, seuls les leaders de chacun des continents de Nadar y assisteraient. Le cloisonnement des données était à ce stade vital pour la réussite de l’opération. Les leaders ne communiqueraient à leurs subordonnés que le strict nécessaire.
Le moment venu, Belganov et les autres membres du Haut Conseil s’installèrent dans la salle de conférence. Le professeur plaça sur la table devant lui une tablette qui contenait les données cruciales au sujet des nanites ektrim. Il posa sa main droite sur son cubar d’ambre, et accéda en pensée au nœud privé réservé aux participants du Haut Conseil répartis sur toute la planète. Il sentit les esprits familiers de ses pairs le rejoindre les uns après les autres. A l’aide de son cerveau primaire, il appuya sur l’une des icônes de la tablette tout en gardant la connexion au travers de l’argelen avec son cerveau secondaire. L’image aussitôt projetée devant lui était celle d’une larve argentée vaguement repoussante correspondant au nanite ektrim. Son cerveau primaire communiquait l’information au secondaire, qui la relayait telle quelle en passant par l’argelen. Lorsqu’il s’exprima, ce fut tout à la fois à voix haute et en pensée.
« Après des années de recherche, j’ai enfin pu visualiser le nanite ektrim qui a fait l’objet de notre quête depuis si longtemps — le nanite responsable du malheur de notre peuple. C’est cette chose que vous avez sous les yeux. Mais je n’y suis pas parvenu seul. »
Un geste du doigt, et la tablette projeta l’image suivante, celle du visage de trois humaines à la couleur de peau différente. « Lucinda Vels, de Quantor, nous avait déjà prouvé son extrême compétence et sa fiabilité. Hélas, ses talents se sont avérés insuffisants pour découvrir ce nanite. Les deux autres humaines, Kaylee Moco et Hina Meili, appartiennent à la Confédération des Planètes Unies. Sans elles, et sans l’apport de la Confédération elle-même, rien n’aurait été possible. »
Un brouhaha de voix s’éleva dans la salle, et de pensées dans le nœud de communication. « Nous avons donc fait alliance avec la Confédération des Planètes Unies ? fut l’interrogation dominante.
– Oui, je vous parle bien d’une alliance avec la C.P.U., répondit Belganov. J’étais le premier d’entre nous à vouloir rester neutre dans le conflit opposant la Confédération à l’Expansion. Mais j’ai compris que dans les circonstances actuelles, la neutralité n’était plus possible. Je me suis engagé en notre nom à tous en réalisant que la C.P.U. était le seul allié suffisamment puissant pour nous permettre de développer, en un temps record et de manière massive, les contre-mesures au nanite ektrim qui rend impraticable toute révolte des nôtres. Et vous savez tous à quel point le temps est un facteur crucial. Au moment où je vous parle, Grendchko bâtit une flotte visant à conquérir Oblan, et forme ses légions. Des millions des nôtres peuvent périr dans un conflit qui n’a pas lieu d’être. Une confrontation qui n’a pour objectif, dans l’esprit pervers de notre Coordonnateur, que de renforcer son ego boursouflé et sa position dominante. »
Quelqu’un demanda si Belganov avait prémédité cette alliance et il répondit par la négative, retraçant les événements et notamment le rôle de Naldeia. Le fait d’apprendre que l’une des leurs était en réalité un agent de la Confédération suscita de nouveaux éclats, et de longues palabres s’ensuivirent. L’un des éléments décisifs que Belganov mit en avant fut le danger encouru par leurs compatriotes. « Le nanite ektrim, dit-il, peut déclencher une explosion interne et provoquer la mort de milliards de nos frères et sœurs. Le plan que nous avons conçu vise à prévenir cela. » Un grand silence suivit sa déclaration. Beaucoup de ses pairs avaient déjà envisagé une telle éventualité, et cette révélation confirmait leurs pires soupçons. Le professeur passa dans un second temps à une explication détaillée de ce qu’il avait en tête.
C’était un énorme morceau à avaler pour les dirigeants de la résistance, bien sûr, mais à la fin de la réunion, en lisant les expressions et en guettant les pensées dans l’argelen, Belganov ne détecta aucune révolte. D’importantes interrogations subsistaient au sujet de l’efficacité des contre-mesures, et des conséquences que cela emporterait pour les citoyens. En définitive, cependant, les Réfractaires avaient vécu si longtemps en espérant se défaire du joug de l’oppresseur, et la pression mise par Grendchko était telle ces derniers temps que l’alliance avec la Confédération fut acceptée et le plan de Belganov, adopté à l’unanimité. Halnev, le Premier Guide Communiant, qui en tant que membre prépondérant des Réfractaires assistait à la réunion, fut chargé de demander officiellement à Grendchko le rétablissement de l’ancienne tradition dite de Minute de Sengré avant toute communion.
Avant même la fin de la journée, les soutes du vaisseau-cargo de Belganov avaient été vidées. Les containers équipés de leur champ de modification cellulaire dissimulant leur véritable nature avaient été répartis entre plusieurs équipes. Ils rejoindraient les cités les plus peuplées de la planète par des moyens différents, dans la plus grande discrétion.
Belganov s’enquit des événements depuis son départ. A son soulagement, Grendchko n’avait plus cherché à lancer d’assaut dans les Cavernes d’Ambre. Devant le risque de nouvelles perturbations des systèmes d’assistance gravitationnelle de la cité d’Argea, il avait reculé. Il déployait à présent toute son énergie dans les préparatifs de sa guerre interstellaire. Sa machine propagandiste marchait à plein régime, et tous ceux qui osaient contredire les médias officiels se voyaient attribuer le qualificatif d’« agent d’Oblan » et encouraient des peines d’emprisonnement.
Belganov savait faire partie désormais des individus les plus recherchés de la planète. En conséquence, il était pour l’instant contraint de se terrer dans ses Cavernes, ce qui, il faut bien le dire, ne le changeait guère de sa routine habituelle — si l’on exceptait son récent voyage pour Quantor. Les Cavernes possédaient cependant un réseau de communication ultra-sécurisé, et c’est ce qui permit au professeur de se déplacer virtuellement, le lendemain, jusqu’à l’usine de Bulaseng. Située à une dizaine de kilomètres des Cavernes d’Argea, l’usine était celle qui produisait le plus de boulettes de sengré de la planète. L’une de ces boulettes correspondait à une dose de sengré appelée à se consumer dans un ballon-tube.
A l’heure convenue en milieu d’après-midi, l’hologramme de Belganov se matérialisa en même temps que celui de Halnev devant l’un de leurs plus fidèles alliés, l’édile de l’usine Bulaseng. Un drone-cam permettait à Belganov et au Premier Guide Communiant d’observer les alentours à 360 degrés. L’engin se déplaça aux côtés de l’édile le long des cuves de séchage des feuilles de sengré tout en continuant à diffuser la projection des images de Belganov et Halnev. Ils dépassèrent ensuite les gigantesques machines transformant les énormes cubes de sengré en boulettes, pour atteindre la partie stérilisée où se pratiquaient les scans vérifiant la qualité des produits. D’immenses tapis roulants faisaient avancer en rythme les boulettes devant les scanners situés à la verticale. Ce jour-là, les dispositifs d’analyse n’étaient pas seuls. Des mini-drones en nombre conséquent, ceux-là mêmes qui avaient fait le voyage dans leurs containers sécurisés, dans les entrailles du vaisseau-cargo de Belganov, stationnaient en surplomb des tapis. A l’œil nu, on ne pouvait rien voir d’autre, bien évidemment. Mais l’augmentation située dans le cerveau de Belganov, reliée à la tablette de gestion des mini-drones fournie avec ces derniers, et que tenait l’édile de l’usine entre ses mains, apprit à Belganov ce qu’il voulait savoir. Les nanites AE, pour anti-ektrim, étaient bien largués les uns après les autres sur les boulettes au fur et à mesure que celles-ci se présentaient sous les mini-drones, à chaque arrêt des tapis roulants. Lucinda Vels, Hina Meili, Kaylee Moco et leurs équipes avaient participé à la conception des nanites, mais c’était Belganov lui-même qui avait eu l’idée de leur introduction dans le cerveau des sujets.
Contrairement aux cerveaux humains, qui nécessitaient de sophistiquées calottes neuronales afin d’y implanter des nanites, les cerveaux primaires des Nadariens étaient plus accessibles. En tant que professeur de biologie, Belganov savait que l’unique narine de ceux de son espèce serait un point d’entrée viable pour cette technologie. Il avait donc été décidé de faire littéralement respirer l’outil de leur salut à ses compatriotes. Etait-ce ainsi que procédaient les Ektrims ? Il resterait impossible de le confirmer tant que les nanites parasites n’auraient pas livré tous leurs secrets.
« Qui a accès à cette zone ? demanda Belganov.
– Uniquement mes collaborateurs les plus fidèles, répondit Ugbok, l’édile de l’usine. Ils me sont entièrement dévoués.
– Vous devrez malgré tout organiser une réception à destination des employés de l’usine, dit Belganov. Ils devront fumer vos dernières productions.
– Entendu, dit Ugbok.
– En plus des drones épandeurs, poursuivit le professeur, vous allez bientôt recevoir des drones aspirateurs à nanites. Vous les utiliserez après la petite fête, en toute discrétion bien entendu. Ils serviront à récupérer les nanites AE qui ne seraient pas restés dans le cerveau de vos employés. »
Ugbok prit un air perplexe. Halnev, qui avait assisté à la réunion du Haut conseil des Réfractaires de la veille, se chargea de lui fournir les explications. « Tous nos semblables ne sont heureusement pas infectés par les parasites ektrim. Si un nanite AE ne trouve aucune cible dans un cerveau, il redescend par la narine et retombe au sol. De la même manière, si un AE s’aperçoit de la présence d’un autre nanite AE déjà actif dans le cerveau primaire, il regagnera le sol.
– Ils sont trop petits pour pouvoir être détectés à l’œil nu ou écrasés, précisa Belganov. Vous allez aussi recevoir des caissettes spéciales pour ces nanites. Les propriétaires de fumoirs dans notre camp vous feront parvenir leurs propres caissettes une fois remplies, puisqu’eux-mêmes auront recours aux drones-aspirateurs.
– Est-ce que ça ne risque pas de créer trop de remue-ménage ? s’inquiéta Ugbok.
– Les caissettes, comme les mini-drones, peuvent contenir des millions de nanites. Je ne m’attends pas à ce que beaucoup de nos compatriotes ne soient pas infectés, hélas. Il faudra en réalité des mois, et sans doute des années pour que les patrons des fumoirs vous livrent leurs caissettes.
– Il faudra juste faire passer les mini-drones pour des agents de propreté si on pose des questions », ajouta le Premier Guide Communiant.Ugbok regarda l’hologramme de Belganov droit dans les yeux. « Vous êtes vraiment sûr qu’il n’y aura aucun danger pour la santé de mes employés, professeur ?
– J’en suis aussi sûr qu’il est possible de l’être. Voyez-vous, les drones anti-ektrim ont pour fonction principale de repérer la présence de ces parasites corticaux, de les endormir à l’aide d’ondes thêta puis de les envelopper.
– Ils ne détruisent pas les nanites des ektrims ? s’étonna Ugbok. Ils ne les enlèvent pas des cerveaux ?
– Ni l’un ni l’autre. Nous craignons que les Fengirs s’en aperçoivent si nous retirons ces nanites — chercher à les détruire serait de toute façon trop risqué pour les sujets. Nous préférons donc les neutraliser en toute discrétion et sans faire courir aucun danger à nos compatriotes. »
L’édile prouva sa sagacité par sa question suivante. « Vous avez parlé de fonction principale. Quelle est la secondaire ? »
Belganov acquiesça de la tête. « Les nanites AE sont programmés pour déclencher une compulsion chez ceux de nos semblables qui ont accès à l’argelen. Une envie irrépressible d’en savoir plus sur le passé ancien.
– Ils voudront se connecter à l’argelen et aller dans la matrice rechercher précisément les informations historiques qui leur étaient interdites par le nanite ektrim.
– Comme ce sont des nœuds très spécifiques de la matrice qui contiennent ces informations, nous les faisons à présent surveiller en permanence, ajouta Belganov. Les gens qui cherchent à en apprendre davantage sur cette partie de notre Histoire seront contactés au travers de l’argelen par des membres de notre réseau.
– Ils seront très désorientés au départ, dit Halnev. Très surpris de leur liberté de pensée nouvellement acquise au sujet des Fengirs. Des révélations prodigieuses leur seront soumises. Mais très vite, ils renforceront nos rangs. Et ils le feront en toute liberté de conscience. »
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February 10, 2025
L'Essence des Sens : chapitre 33
A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le trente-troisième.
33. L’Histoire des Nadariens
Le Tirinium était un vaisseau minier de taille restreinte, possédant toutes les accréditations requises. Naldeia avait vérifié elle-même les données d’identification, s’assurant que les équipes de la commandante McGinnis avaient bien fait leur travail. Cela n’allégeait toutefois que partiellement son anxiété, au moment où elle franchissait le Relais d’Accélération menant au système Altanis.
La Griffe Férale était toujours à son poste. Au moment où le destroyer fengirien scanna le Tirinium, Naldeia retint son souffle. Les scanners étaient si puissants qu’ils étaient capables de détecter l’identité de Naldeia au niveau moléculaire. Heureusement pour sa passagère, le poste de pilotage projetait autour d’elle un champ de modification cellulaire dernier cri. Du moment qu’elle ne quittait pas son siège gravimétrique, le champ enverrait en retour des données concernant Naldeia correspondant aux accréditations du vaisseau. Le système, nettement plus perfectionné que ce dont disposait le Stelrec, se trouvait dupliqué dans la cargaison, si bien que le vaisseau, en théorie, pouvait passer n’importe quel produit en contrebande. Jaynak comme Belganov reviendraient de leur côté chacun avec leur vaisseau civil équipé de la même manière, fourni par la Confédération des Planètes Unies.
Naldeia contempla par le hublot le redoutable profil de la Griffe Férale, capable d’atomiser son appareil en une fraction de seconde. Ce n’était pourtant pas la puissance de feu du destroyer qu’elle craignait le plus — à aucun prix, Naldeia ne voulait retomber entre les mains de Grendchko et de ses alliés.
Elle ne réalisa qu’elle avait surmonté l’épreuve de l’inspection qu’au moins quinze secondes après la fin du scan. Alors, elle poussa un long soupir de soulagement, avant de mettre le cap sur Nadar. A mesure qu’elle se rapprochait, un plus grand nombre d’informations lui parvenait au travers du réseau social, la Ruche. Grendchko avait accéléré la formation de ses Fervents, et nombre d’entre eux étaient devenus des pilotes ou des soldats. Les usines et chantiers spatiaux tournaient à plein régime. Certains sur les réseaux prétendaient que d’ici à peine trois mois, sa flotte aurait atteint une taille suffisante pour qu’il puisse lancer l’invasion de la planète qu’il avait désignée pour cible, Oblan.
Naldeia ne se rendit compte à quel point Nadar lui avait manqué qu’en se rapprochant du globe émeraude, et en sentant son cœur se serrer. La proue de son vaisseau pointa sur les titans de basalte qui abritaient la cité perchée d’Argea. Les boucliers magnétiques du Tirinium le protégèrent au moment de l’entrée dans l’atmosphère.
Utilisant une fréquence sécurisée, Naldeia joignit son contact du spatioport chargé de l’enregistrement de la cargaison. Celui-ci répondit positivement, et elle dirigea l’approche finale sur Eglev tout en se conformant au protocole habituel.
Depuis qu’ils existaient, les Réfractaires s’étaient assurés d’occuper peu à peu différents postes stratégiques sans faire de vague. Dans les jours à venir, la résistance nadarienne allait être sollicitée comme jamais auparavant. Le plan conçu par Shaella Mc Ginnis et Belganov reposait sur leur loyauté, et notamment sur ceux des agents des spatioports acquis à leur cause.
Pendant l’approche finale, Naldeia revêtit sa combinaison spéciale. Sa visière projetterait l’image d’un Circanien à la peau jaune et rugueuse, et sa combinaison le même champ de modification cellulaire dont elle avait bénéficié dans le vaisseau, qui la prémunirait contre tout scan intempestif. Les Circaniens, très peu nombreux sur Nadar, se rencontraient surtout aux alentours des astroports. Leur organisme inadapté à l’atmosphère de la planète les contraignait à porter casque et combinaison. Selon le contre-espionnage des Réfractaires, Naldeia, Jaynak et Belganov faisaient partie des cibles prioritaires du moment — elle ne pouvait donc pas se permettre le moindre faux pas.
Naldeia, qui ne s’était jamais embarrassée de vêtements, trouva la combinaison très inconfortable. Elle se sentait engoncée, et ne comprenait pas comment l’on pouvait supporter cette sorte de prison permanente. Elle effectua plusieurs mouvements, puis une série d’enjambées et de génuflexions pour s’accoutumer.
Le vaisseau se posa sur sa plate-forme et bientôt, l’agent portuaire se présenta, flanqué de quatre droïdes. Ces derniers prirent en charge une partie de la cargaison, des conteneurs censés receler du tirinium — rien que de penser à la valeur de leur contenu réel faisait froid dans le dos. L’agent accompagna Naldeia jusqu’au hall d’entrée du spatioport. Il connaissait déjà les instructions, ce qui lui évita d’aborder le sujet. Une fois accomplies les formalités, portant un sac en bandoulière, elle longea les couloirs à destination du Fumoir de Transit. Son pas était remarquablement ferme compte tenu de ses émotions. Elle replongeait à corps perdu dans un univers d’intrigues. Si l’homme du spatioport était un agent double, par exemple, elle n’en avait peut-être que pour quelques instants encore à profiter de sa liberté si chèrement acquise.
C’était ainsi. Elle devait tout miser de nouveau pour espérer gagner plus gros, bien plus gros pour tout son peuple.
Le Fumoir de Transit se trouvait au milieu de l’une des allées commerçantes du spatioport. Les échoppes s’adressaient à une clientèle éclectique, venue de différents systèmes. C’est en longeant l’une de ces boutiques exhibant ses équipements hétéroclites que Naldeia aperçut le Fengir. La dominant du haut de son double mètre, tout en muscles, le pelage blanc, l’individu se dirigeait droit sur elle.
Naldeia baissa la tête, se coulant dans son rôle d’humble Circanien vaquant à ses affaires. Pendant un instant d’horrible incertitude, elle se demanda si le Fengir n’était pas en train de la renifler. S’il ne recherchait pas son odeur de Circanien sans la trouver, ce qui lui indiquerait la supercherie.
Le Fengir la dépassa sans s’arrêter. Naldeia redressa la tête, inspirant profondément et lâchant un soupir. Un peu plus loin, la porte d’entrée du fumoir s’ouvrit devant elle. A l’intérieur, les vapeurs épaississaient l’atmosphère. Protégée par sa combinaison, elle ne pouvait percevoir l’effluve attrayant du sengré ni aucun autre. Le barman lui lança un regard perçant. Comme elle l’ignorait pour s’avancer, sûre d’elle, vers la rangée d’alcôves du fond de la salle, il se désintéressa de son cas. Les tenanciers de ce genre d’établissements savaient qu’il valait mieux se montrer tolérants envers les aliens venus faire des affaires avec leurs clients.
« Je serai dans l’une des alcôves quand tu arrives sur la droite », lui avait dit son contact. Naldeia jetait des regards furtifs à l’intérieur de chacune. Au bout de la troisième, elle aperçut enfin Xelnev. Il n’avait pas changé depuis l’époque où ils se côtoyaient à la Jaxan, la société de traitement des données qui travaillait étroitement avec les Fengirs. C’était sur cette collaboration proche que comptaient les Réfractaires et Shaella Mac Ginnis. Nul n’avait le droit de pénétrer dans les centres névralgiques de traitement des données fengiriens, mais les liens entre la Jaxan et ces complexes répartis dans toute la planète devraient suffire.
Naldeia s’avança vers son ancien collègue, qui ouvrit la bouche, ébahi.
« Tu ne mentais pas en me disant que tu viendrais en tant que Circanien. C’est très réussi. »
Elle lui fit signe de se taire, et désactiva pendant à peine quelques secondes le champ modificateur de sa combinaison. Le visage de Naldeia apparut dans sa visière, avant d’être remplacé peu après par celui du Circanien. Elle posa son sac sur la table et fit sa proposition selon le script convenu à l’avance. « J’ai quelque chose qui devrait vous intéresser. Un merveilleux cristal mémoriel, regardez. »
En fait de cristal, elle sortit de son sac une demi-sphère de tirinium, qu’elle plaça à son tour sur la table. L’objet n’avait rien de très remarquable, si ce n’est que lorsqu’elle appuya dessus, il disparut. Ses mains se positionnèrent là où il s’était trouvé, et elle fit le geste de le soulever, sans succès. Elle indiqua à Xelnev de faire de même, et il n’y parvint pas. En appuyant une nouvelle fois au centre de l’endroit où se situait la demi-sphère, celle-ci réapparut. Sa fonction magnétique désactivée, on pouvait de nouveau la soulever.
« Tu la plaques sur ta cuisse et tu appuies dessus, chuchota Naldeia. Au bureau, tu attends qu’il n’y ait personne aux alentours, et tu réappuies dessus. Tu la fixes sous ta console et tu la laisses toute une semaine. La semaine écoulée, tu la récupères et la remets à ton contact du réseau. Compris ?
– Très intéressant, fit Xelnev, jouant sa part de leur petite comédie. Voyons… 150 crédits, cela convient ?
– Cela convient. »
Xelnev exhiba une tablette et fit mine de la régler. Puis, il saisit la demi-sphère et la colla comme prévu sur sa cuisse — l’objet disparut aussitôt.
Naldeia lui fit signe de la tête et se leva avant de se diriger vers la sortie. Sa tournée planétaire était encore loin d’être achevée.
***
Cela faisait plusieurs jours déjà que Belganov, Naldeia et Jaynak, chacun aux commandes de son vaisseau, et à des horaires différents, avaient mis le cap sur Nadar. C’était l’une des premières missions pour lesquelles Shaella devait s’en remettre à ce point à une alliance avec des agents étrangers. C’était assurément celle pour laquelle elle ne participait pas directement sur le terrain où les enjeux étaient les plus élevés — et pas seulement parce que la cargaison transportée par les trois vaisseaux était estimée à plusieurs centaines de milliards de crédits.
L’absence d’action pesait sur les épaules de Shaella, mais c’était ainsi. Même à l’aide de la technologie, les forces de gravitation fluctuantes auraient été pénibles à supporter pour un humain sur Nadar — à moins de se cantonner aux seuls spatioports et leurs alentours immédiats, comme le faisait Naldeia.
La veille, le module de piratage avait envoyé son premier signal. Il avait été fixé sur un être semi-organique et minéral — un Nadarien. Le moment de vérité approchait donc, et en s’installant dans le modulosiège de son poste sur le Rapier, Shaella se connecta avec avidité par le biais de son augmentation cérébrale.
Ça y était. Le module était toujours en mode occulté, mais cette fois sous un terminal de commande. Après vérification, le terminal en question était bien situé dans la cité d’Argea, dans l’un des bureaux de la société Jaxan comme l’avait spécifié Naldeia.
Mentalement, Shaella sélectionna les icônes affichant le rapport d’activité du module. Oui ! Le terminal avait bien transmis un paquet de données en direction de l’un des complexes fengiriens qui étaient leur cible. Une partie du code pirate quantique autogénérant l’y avait suivi. Cela prendrait du temps, plusieurs de ces transferts pour que la totalité du code de piratage soit envoyée et s’assemble en toute discrétion.
D’après Belganov, les complexes fengiriens de traitement de données existaient depuis les débuts de l’alliance entre les Fengirs et les Nadariens, soit trois siècles auparavant. Chargés de monitorer l’activité des nanites, ces complexes signalaient aux Fengirs toutes les déviances éventuelles parmi les Nadariens, et le moyen d’y remédier. Trop sûrs de leur supériorité, les Fengirs avaient fini par faire appel à des sociétés de prestataires nadariens pour canaliser les immenses flux de données.
L’histoire véritable des Nadariens ne pouvait être connue dans le détail que des Réfractaires, les nanites ektrim dissuadant la plupart des habitants de la planète d’utiliser l’argelen pour remonter trop loin dans le temps. Ceux qui avaient bravé l’interdit par le passé s’étaient retrouvés avec de terribles maux de tête. S’ils persistaient dans leur erreur, ils devenaient fous ou bien sombraient dans la dépression et étaient acculés au suicide. Ce que les Fengirs décrivaient comme la période héroïque de l’alliance entre les deux civilisations correspondait en fait à un âge sombre, durant lequel les Fengirs avaient identifié des blocs d’argelen contenant des événements moins signifiants du passé des Nadariens, et avaient fortement suggéré aux Guides Communiants d’y cantonner l’apprentissage historique. Une bonne partie de la population avait connu des souffrances mentales terribles, jusqu’à ployer l’échine et se soumettre à la domination de leurs nouveaux maîtres.
Belganov avait jugé l’hypothèse de Shaella valable. Selon elle, passés les ajustements nécessaires les premières années, le logiciel de contrôle des nanites n’avait pas évolué. Comme la technologie parasite ektrim n’avait jamais été découverte, comme nulle tentative de piratage n’avait jamais été lancée sur les complexes fengiriens, la sécurité avait dû se relâcher peu à peu. En utilisant des modules de piratage dernier cri, Shaella comptait bien infiltrer les centres de surveillance et de traitement des données issues des nanites ektrim.
D’autres approches auraient été possibles, en théorie. Si les équipes de Kaylee, Hina et Lucinda avaient été capables de percer à jour les secrets du nanite conçu par les ektrims, il aurait peut-être été envisageable de le modifier pour l’asservir, et faire en sorte qu’il envoie de fausses informations. Malheureusement, il était issu d’une technologie si différente qu’il faudrait sans doute des années avant d’en percer tous les mystères.
Dans l’hypothèse où l’opération principale menée par Belganov et Jaynak connaissait des ratés, si les nanites devaient envoyer des messages d’alerte aux Fengirs, le fait de s’emparer des centres de réception et de contrôle des données permettrait d’éviter la catastrophe — du moins, Shaella l’espérait-elle. Restait malgré tout l’éventualité que des milliards de nanites explosent dans les cerveaux d’autant de Nadariens, éradiquant une population entière. Si cela devait se produire, l’Expansion s’en trouverait considérablement affaiblie, mais ce serait une victoire au goût terriblement amer pour Shaella.
Il fallait que Belganov et Jaynak réussissent.
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