Alan Spade's Blog, page 4

December 9, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 24

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le vingt-quatrième.

24. Le flux miraculeux 

Jaynak se tourna vers Naldeia, une expression horrifiée sur le visage. La main auparavant placée sur le cubar se dirigea vers son front, lequel ne l’irritait pourtant plus. Puis revint le long du corps. Naldeia était plus proche de lui qu’il ne s’en souvenait. Ses yeux reflétaient confiance et sérénité. A cause de cela, quand elle lui prit la main qui ne tenait pas l’orbar et la redisposa sur le cube d’argelen, Jaynak se laissa faire. Naldeia posa sa propre paume sur le bloc. Jaynak hésita. Devait-il entraîner Naldeia sur Nprim, le nœud de communication primaire ? 

Ce fut elle qui prit la décision. D’autorité, elle se connecta sur un nœud inconnu de Jaynak, et comme c’était elle qui avait l’initiative, elle devint son guide et il se retrouva cantonné au rôle de suiveur. Il aurait pu enlever sa main du cubar pour rompre la communication, mais sa curiosité l’emporta. Autour d’eux, dans l’argelen tout était calme. Ce nœud était privé et, semblait-il, inviolable. Il ne devait guère être fréquenté, car Jaynak ne percevait pas de signature résiduelle. Il ressentait l’essence toute proche de Naldeia. Quand elle s’exprima, ce fut avec la clarté et la force caractéristique de l’argelen d’ambre. 

« Nous pouvons parler ici. Personne ne peut nous entendre ni intercepter nos échanges. 

– Tu savais comment me rendre ma mémoire. Tu connais donc Belganov. 

– Il ne va pas tarder à nous rejoindre. » 

S’il ne permettait pas de capter les expressions du visage, l’argelen communiquait malgré tout l’humeur de son interlocuteur. Jaynak avait conscience que ses paroles s’accompagnaient des picotements de la peur et de l’incertitude. Celles de Naldeia, à l’inverse, étaient comme une douce brise vous invitant à vous relaxer. 

« Tu fais donc partie du réseau que nous traquons. Tu es une Réfractaire. » L’accusation fut cette fois suivie d’un souffle desséchant. 

« Est-ce que tu te considères vraiment comme un Fervent de Grendchko ? Au plus profond de toi-même ? Si oui, tu es libre d’interrompre cette conversation, et d’utiliser ton p-com pour me dénoncer à l’ORG. » 

Les questions furent posées sur un ton neutre, mais un vent glacial accompagna le reste. La partie de Jaynak située dans le monde réel contempla sa main sur le bloc d’argelen à côté de celle, plus frêle et délicate, de Naldeia. La jeune femme demeurait dans une position d’attente. 

« J’ai eu droit au paralyseur, la première fois. Me feras-tu goûter à ton disrupteur dès que j’aurais le dos tourné ? » 

Une sorte de frôlement insistant se fit ressentir. Une tierce personne souhaitait les rejoindre dans ce nœud d’argelen. Non sans une certaine irritation, Jaynak se concentra sur la sensation. « Je suis Belganov », lui communiqua le frôlement. Jaynak grimaça intérieurement, mais émit le message de bienvenue traditionnel. En conjonction avec celui de Naldeia, il permettait à Belganov de les rejoindre dans le nœud privé. 

Une vibration particulière dans l’argelen indiqua la présence du nouveau venu. Les souvenirs de leur première rencontre revinrent à Jaynak d’un point de vue modifié, comme s’il s’était vu dans un miroir, et il sut que c’était bien Belganov qui se trouvait parmi eux. « Vous m’avez trahi, accusa-t-il. Vous m’avez paralysé avant de m’ôter le souvenir de notre rendez-vous. Puis vous m’avez abandonné à l’extérieur de votre tanière, pour que les commandos de Grendchko me retrouvent. 

– J’ai respecté votre choix, corrigea Belganov, et Jaynak reconnut en pensée les inflexions de voix du vieil homme. Vous avez choisi de ne pas rester parmi nous, et je vous avais prévenu que la neutralité n’était pas possible. Vous auriez de toute façon été intercepté par les sbires de Grendchko, qui vous auraient interrogé à mon sujet. Il était impératif que je demeure dans l’ombre, je n’ai donc pas eu d’autre recours que d’utiliser un orbar d’effacement mémoriel de courte période. Vous devez reconnaître la sagesse de mes propos d’alors. La neutralité n’était pas possible, puisque pour survivre, vous avez dû devenir un Fervent de Grendchko. 

 – Et vous, de votre côté, pour m’espionner, vous m’avez envoyé Naldeia. 

– Je n’y suis pour rien. La malchance a voulu qu’elle n’ait pu échapper à cette rafle. Elle n’a repris contact que récemment, une fois que vous avez été affecté à l’ORG. 

– Je ne suis pas sûre que j’aurais pu survivre au Stage de Remise sur la Voie si tu n’avais pas été là, Jaynak. » 

Jaynak manqua retirer sa main du cubar, tant la révélation le prit au dépourvu. La partie non immergée de son esprit observa le visage de la jeune femme, et il lui sembla lire la tendresse dans son regard. « Tu essaies de me manipuler, protesta-t-il. 

– L’argelen d’ambre ne ment pas. Je suis prête à faire cocon de mon esprit pour toi. Joins-toi à moi dans la matrice, et tu sauras. » 

Le visage de Jaynak devint plus foncé, et il frissonna. La formule employée par Naldeia, « faire cocon de son esprit » était celle utilisée pour vérifier la correspondance avec l’être aimé par le biais de l’argelen d’ambre. C’était une connexion intime qui révélait les émotions profondes de l’autre, et permettait même de capter quelques pensées. Jaynak savait être à la croisée des chemins. Lui aussi n’était pas certain qu’il aurait pu avoir les ressources pour surmonter les épreuves du stage sans le soutien moral qu’elle lui avait procuré. La simple idée de continuer à travailler pour l’ORG alors qu’elle n’en ferait plus partie équivalait à plonger dans un précipice. 

Jaynak prit une inspiration, et appliqua l’enseignement des Guides Communiants. Il visualisa un cocon et sut que Naldeia en faisait autant. Leurs esprits se mélangèrent. Bien que Naldeia se soit concentrée sur leurs souvenirs communs du Stage, Jaynak eut l’impression de la percevoir de manière plus intime que jamais, dans son intégralité. Les émotions de la jeune femme étaient aussi poignantes que les siennes en revivant les derniers moments aux côtés des infortunés Glenk et Lorkcho. Lendev lui avait inspiré un certain désir, à son désarroi, et Pechko, principalement de la curiosité. Ils revisitèrent en accéléré les épreuves qui leur avaient été imposées. Très souvent, les émotions de la jeune femme faisaient écho aux siennes propres. Il y avait eu une volonté de dissimulation chez elle plus puissante que la sienne — elle savait faire partie des Réfractaires, alors que lui ne masquait son ressenti et ses pensées à l’époque que par instinct de survie. Naldeia avait éprouvé de l’intérêt pour lui, et ce sentiment avait peu à peu gagné en force, à ce qu’il pouvait en juger. Il percevait chez elle la peur de le perdre, qui là encore, faisait écho à un sentiment similaire chez lui. 

S’efforçait-elle de le convaincre de rejoindre les Réfractaires ? C’était une évidence, mais du moins était-elle persuadée que c’était la meilleure chose à faire, pour lui aussi bien que pour leur éventuel futur commun. Après une si longue période d’ambiguïtés et de faux semblants, les révélations de l’argelen faisaient à Jaynak l’effet de se retrouver sous une cascade d’eau limpide qui l’aurait débarrassé de la boue lui recouvrant le corps et le visage. Enfin il pouvait y voir clair. En s’efforçant de lire les motivations de Naldeia, il ne fut pas étonné de découvrir sa ferveur envers l’argelen et les anciennes manières de faire. Il y avait en elle une volonté de justice, de rétablissement des droits des citoyens, et, par-dessus tout, de la vérité. 

De temps à autre, Jaynak recevait en écho des idées et sentiments intimement familiers, qui n’étaient pas ceux de Naldeia — elle aussi sondait son esprit, et cherchait à savoir ce qui faisait sens pour lui. Parmi les principes qu’elle exhumait de manière si indiscrète, il y avait certes le besoin identique de justice et de vérité, mais également le respect de l’autorité en place et la quête d’une certaine tranquillité. Des impératifs qui faisaient souvent opter Jaynak pour le statu quo, même dans une situation dégradée, avec une baisse de sa qualité de vie. 

Se percevoir ainsi par le prisme d’une personnalité extérieure comme celle de Naldeia, dont il admirait la force de caractère, le rendit honteux de celui qu’il était. Oui, lui aussi éprouvait de la colère rentrée envers Grendchko et un sentiment de révolte, mais contrairement à Naldeia, il était capable d’accepter la domination du leader de manière passive pendant toute son existence. Il avait permis à son fatalisme de prendre le pas et de gérer sa vie, c’est-à-dire qu’il était à peu près aussi maître de son destin qu’en laissant dériver sa barque au gré du courant. Le fait qu’une bonne partie des Nadariens se comportent comme lui n’était pas pour autant une excuse. 

Peu à peu, les cocons se refermèrent, et chacun regagna sa sphère propre. 

« Tu dis vrai, émit Jaynak dans la direction de Naldeia. Quelque chose est réellement né entre nous, qui nous a rendus plus forts. 

– Mais ça ne suffit pas pour que tu rejoignes nos rangs ? 

– Au contraire. Moi aussi, je veux sortir du mensonge. L’argelen n’est pas corrompu comme le prétend Grendchko. C’est lui qui est corrompu. Je l’ai toujours su, sans oser vraiment le dire tout haut. 

– Tu es prêt à assumer toutes les conséquences de cette décision ? 

– Je le crois. Je vois notre fusion mentale comme une dernière chance qui m’est offerte. 

– Dans ce cas, intervint Belganov, vous allez devoir accomplir un ultime saut de la foi. Vous allez devoir me laisser vous hypnotiser. » 

Des vibrations discordantes entouraient à présent Jaynak. C’était lui qui les émettait, et elles représentaient sa surprise. 

« Je sais que vous ne me croyez pas au sujet des nanites qui seraient présents dans au moins l’un des deux cerveaux de nos concitoyens — et dans le vôtre. Si vous souhaitez nous rejoindre, vous allez pourtant devoir admettre à titre provisoire ma théorie. Nous sommes capables de tenir cette conversation en toute liberté, et sans que l’ennemi ne puisse l’apprendre, parce que nous utilisons l’argelen. Comme vous le savez, celui de nos deux cerveaux que nous appelons secondaire est dédié à l’argelen. Idées et connaissances y résident un certain temps, sauf si nous avons un besoin immédiat d’agir à partir de ces idées. Alors, le transfert se fait sur notre cerveau primaire. Le nanite, produit par les Fengirs mais dont je soupçonne qu’il est issu de la technologie avancée des Ektrims, ne parvient pas à opérer dans notre cerveau secondaire. Par ailleurs, notre biologie permet à celui-ci de reprendre les contrôles moteurs si le primaire est endommagé. De la même manière, il peut exercer cette fonction si j’applique une séquence hypnotique qui endormira le cerveau primaire, et communiquera une série d’instructions au secondaire. 

– Quelles seront les conséquences de cette hypnose ? 

– Vous serez capable d’user de vos cinq sens, mais sans avoir la maîtrise de vos actes. 

– Si je comprends bien, je deviendrai en quelque sorte votre avatar dont vous aurez pris le contrôle, et je me retrouverais en mode spectateur. N’avez-vous pas l’impression d’emprunter à vos ennemis les méthodes que vous prétendez dénoncer ? 

– Ce “contrôle”, comme vous dites, n’est pas aussi poussé que dans les simulations en salle holo. Celui que j’obtiendrai sera très rudimentaire, et très provisoire. » 

Jaynak lâcha un soupir, puis s’efforça de faire le point. « Pour résumer, vous craignez qu’une fois notre conversation terminée, si j’agis par moi-même, à l’aide de mon cerveau primaire, le nanite ne se mette à communiquer mes actes à l’ennemi ? 

– C’est votre intention de devenir un Réfractaire qui sera aussitôt identifiée. Vous serez alors en danger. 

– Je ne sais pas si cette idée de me faire hypnotiser me plaît... Pourquoi, au lieu de ça, n’utilisez-vous pas la même technique que lors de notre première rencontre ? Vous n’aviez eu qu’à poser votre doigt sur mon front, si je me souviens bien. Vous m’aviez dit alors que “je me sentirais plus libre”. Vous aviez donc neutralisé le supposé nanite, sans pour autant me priver du contrôle de mon corps. 

– Je salue votre perspicacité, Jaynak. » L’intéressé se sentit traversé par des ondes de chaleur émises par Belganov, qui étaient la manifestation psychique de son admiration. « Cette manière de faire n’est hélas possible que si je me trouve à proximité physique. Naldeia ne dispose pas de l’outil adéquat. 

– Et nous devons faire vite, compléta la jeune femme. Yrkel et Nejb ne sont peut-être pas très brillants, mais je me méfie de Beyl. 

– Et toi ? demanda Jaynak en invoquant l’image de Naldeia. Tu n’as pas eu droit à ton propre nanite ? 

– Je fais partie des Réfractaires historiques, c’est-à-dire que ceux qui m’ont élevée m’ont tenue à l’écart la plupart du temps de la vie en société, et en particulier des grandes communions. Sans savoir comment l’ennemi opérait, les premiers Réfractaires ont appris, en interrogeant l’argelen, que c’était au moment des communions sacrées que la plupart des nôtres se retrouvaient, en quelque sorte, transformés — ou infectés, si tu préfères. Malheureusement, ils ne sont pas parvenus à convaincre la majorité des gens. On les prenait pour des complotistes, ou juste pour des particuliers qui cherchaient à se rendre intéressants. 

– Nous n’avons pas le temps d’entrer dans les détails, pointa Belganov. Etes-vous prêt, Jaynak ? » 

Jaynak redressa la tête. Aussi insensé qu’il puisse paraître, le récit des Réfractaires était cohérent. Il n’arrivait pas à mettre le doigt sur une faille de raisonnement. Et le temps pressait, évidemment. Le moment était venu d’écouter son instinct, et de faire ce dont il avait été incapable jusqu’à présent — se lancer tête baissée dans cette aventure. « Je suis prêt. 

– Alors, ouvrez-vous à moi. Abaissez vos défenses mentales. » 

Jaynak fit de son mieux pour lâcher prise. Tout d’abord, il crut que rien n’avait changé. Il était toujours en contact avec Naldeia dans l’argelen, libre de ses pensées et paroles. C’est en revenant dans la caverne où tous deux se trouvaient que les premiers signaux alarmants se manifestèrent. Non seulement tout était devenu flou, mais des odeurs fortes de pierre l’assaillaient par moments, pour aussitôt disparaître. Sa main se crispa sur l’argelen, mais il perçut la pensée de Naldeia. 

« Ne résiste pas. » 

Belganov n’avait pas menti, c’était là un vrai saut dans l’inconnu. Jaynak laissa aller sa main. Le décor et les traits de Naldeia à ses côtés se précisèrent, sans pour autant atteindre le même degré d’exactitude dont il était familier. Le monde avait pris une teinte orangée, les couleurs étaient devenues saturées. 

« Nous avons terminé la reconnaissance d’une première caverne périphérique, indiqua Naldeia. Nous passons à la suivante. 

– Vous avez donc déjà eu le temps de vous assurer que les cibles ne se trouvaient pas dans la caverne principale ? » 

Les voix résonnaient de façon tout à fait inhabituelle, mais Jaynak décela une certaine incrédulité dans le ton de Beyl. 

« Affirmatif, fit Naldeia de manière peut-être un peu trop catégorique. Nous revérifierons bien sûr dans quelques minutes. » 

Elle se mit en mouvement, et Jaynak voulut pousser un cri quand ses membres s’animèrent de leur propre chef. 

Aucun son ne sortit — Belganov avait donc bien pris les commandes. A l’en croire, le contrôle sur son corps ne serait que temporaire, ce qui ne laissait à Naldeia qu’une marge de manœuvre restreinte. Quel que fût le plan, il fallait le lancer maintenant. Voir son corps progresser à la suite de Naldeia sans pouvoir bouger la tête ni agir de quelque façon que ce fut était une expérience extraordinairement frustrante. 

Ils repassèrent dans la caverne principale, et Naldeia se dirigea d’un pas décidé vers un corridor qui s’enfonçait dans la roche. Avant d’y parvenir, toutefois, elle se retourna et Jaynak vit son expression se faire soucieuse. « Nejb ? Pourquoi ne restes-tu pas à ton poste ? 

– Désolé, rétorqua celui-ci. Tu n’es pas mon n+1. » 

Naldeia fit volte-face, et décolla de son corps un petit appareil que Jaynak n’avait pas remarqué jusque là. L’objet sphérique était doté d’un bouton sur lequel elle appuya. Jaynak ressentit quelque chose de diffus au niveau d’une oreille. L’objet devait servir à neutraliser les dispositifs de traçage, ce qui comprenait son oreillette. Naldeia s’élança vers l’avant, et le corps de Jaynak s’évertua à suivre la cadence. 

Il ne pouvait y avoir qu’une explication, réalisa ce dernier. Nejb, et sans doute Yrkel avaient reçu un ordre direct et confidentiel de Beyl. Et si l’androïde avait jugé nécessaire de les couper tous deux des directives données aux autres, c’est qu’il soupçonnait une traîtrise de la part de Naldeia. Jaynak s’entendait respirer d’une manière étrange, et eut confirmation que Belganov n’avait qu’une maîtrise imparfaite de son corps. Il courait en bougeant bizarrement les bras et même les jambes. 

Par deux fois, le couloir se subdivisa, mais les bruits de pas dans le dos de Jaynak se rapprochaient, tandis que Naldeia prenait quant à elle une avance irrésistible. Elle disparut derrière une colonne de pierre, et Jaynak sut qu’il allait être repris. Cette fois, il n’y aurait pas de Stage de Remise sur la Voie pour lui. 

Il rejoignit à son tour la colonne, qu’il dépassa. Son avance était à présent très courte. Il avait cru entrapercevoir une ombre tapie dans un recoin, et sentit un mouvement. Puis le claquement sec inimitable — la décharge d’un disrupteur. 

Belganov le fit se retourner, juste à temps pour voir Nejb, le visage décomposé s’écrouler. Naldeia surgit à ses côtés, son disrupteur encore en main, et lui empoigna le bras. La sensation de toucher était également affectée, dans le sens d’un amenuisement. Naldeia opéra tours et détours jusqu’à une section apparemment lisse de la paroi rocheuse, qui s’ouvrit pourtant devant eux. Ils s’y engouffrèrent, Jaynak vacillant sur ses jambes. 

Un Belganov au visage lui aussi étrangement orange accourut. Il tenait entre ses mains un casque argenté, dont il coiffa Jaynak. Tout se mit à tournoyer autour de celui-ci au moment où ses jambes se dérobaient. Il se retrouva rudement assis à même le sol. A la douleur qu’il éprouva, il prit conscience d’être en train de regagner le contrôle sur son corps. 

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Retrouvez les cinq premiers chapitres en cliquant sur ce lien .

 

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Published on December 09, 2024 09:46

December 3, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 23

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le vingt-troisième.

23. Ironie cosmique

Les jours qui suivirent l’opération, l’équipe de l’ORG fut chargée de surveiller les retombées médiatiques. Bien que la plus grande discrétion ait été d’usage, des individus dont le fils, la fille, le frère ou la sœur se retrouvaient inculpés sous le chef d’accusation d’incitation à la sédition pouvaient être tentés de réagir de manière contraire aux intérêts du Premier Coordonnateur. Il fallait donc exercer des pressions sous le couvert de l’anonymat, ou même déclencher des campagnes de haine et de dénigrement des proches dans la Ruche. Intimider. Montrer que le jeu n’en valait pas la chandelle. La peur de déplaire, et en particulier de contrevenir à la volonté des associés des Fengirs, était heureusement une alliée très puissante. Jaynak s’acquittait des différentes tâches sans dévoiler aucun état d’âme. Il le savait, c’était au moment où il pouvait être le plus tenté de critiquer Grendchko qu’Ymeo, Nejb et Yrkel l’attendaient au tournant. Dans ces instants, il devait prouver aux yeux de tous la vraie signification du mot Fervent. Peu importaient la qualité de ses nuits ou ces images qui revenaient le hanter. Ce rêve dans lequel son oncle Irkouk lui reprochait, par son travail au sein de l’ORG, de détruire la vie de gens bien ? Mieux valait l’oublier au plus vite. Son activité en tant que Fervent était la condition même de sa survie. La remettre en cause, c’était s’interroger sur l’utilité de son existence. Il n’avait clairement pas besoin de ça. 

Pour le moment, la surveillance des Nœuds de la matrice en passant par l’argelen n’était pas nécessaire — Jaynak pouvait enfin souffler. Si Naldeia n’était pas intervenue providentiellement avec ce message sur la tablette… Jaynak bénissait sa chance, et redoutait le jour où on lui demanderait de nouveau de travailler avec le cubar de l’agence. Sa position était si fragile ! 

Le lendemain de leur petite opération, ils avaient eu droit aux félicitations de leur Adepte. « Encore une ou deux missions aussi brillamment réussies, et je pourrais passer Guide Communiante, avait déclaré Ymeo. Et le plus méritant d’entre vous pourra passer Adepte. » Elle l’avait alors regardé, les yeux pétillants. L’ironie de la situation était si cosmique que Jaynak avait du mal à l’assimiler. Devenir Adepte, au moment où il avait perdu tout contact avec l’argelen ! C’était tellement absurde, mais en même temps, aux côtés de Grendchko, tout était inversé. Les plus grandes insanités allaient de soi. C’était donc qu’il devait y avoir une forme de logique là-dedans... Quand Jaynak vit approcher Ymeo dans le couloir en ce début d’après-midi, elle avait les yeux brillants. Elle sortait de son bureau et se dirigeait vers le centre de commandement. « Le Maître me demande, annonça-t-elle à la cantonade, je compte sur vous pour tenir la boutique ! » 

Etant donné l’enthousiasme dont elle faisait preuve, le caractère non professionnel de sa rencontre avec Grendchko ne faisait guère de doute. Jaynak se retint de lever les yeux au ciel avant de passer en salle holo pour son entraînement. Le programme du jour, la traque sur Helgash 7 d’un Slyvnin, une créature ailée particulièrement retorse qui pratiquait l’espionnage sur la planète native des Fengirs, l’avait maintenu en haleine pendant une heure quand une convocation urgente en salle de commande vint interrompre la projection. Jaynak se dépêcha d’aller rejoindre Beyl, Naldeia et les autres. Il s’agissait d’un code rouge et tout le monde était sur la brèche. Naldeia indiqua de s’approcher d’elle. « Mes recherches au sujet de l’un des assistants de Dentchenev ont porté leurs fruits », annonça-t-elle. 

Jaynak, Yrkel et Nejb dressèrent l’oreille. Dentchenev était l’un des rivaux de Grendchko, un Guide Communiant qui avait été disqualifié de la course aux élections en raison de fichiers retrouvés dans ses données personnelles où il remettait en cause l’alliance avec les Fengirs. A l’époque où l’affaire avait éclaté, Jaynak avait fortement soupçonné Grendchko d’avoir fait placer de fausses preuves compromettant son rival — rien n’avait pu être démontré, bien sûr. Le personnage restait néanmoins prioritaire parmi ceux à surveiller. 

« Alicha, l’une des assistantes de Dentchenev, va entrer en relation avec plusieurs de ses mystérieux collaborateurs dans les Cavernes d’Ambre d’ici une demi-heure. Je propose de lancer une mission de surveillance. Jaynak et moi devrions suffire pour cette mission — il nous faut un spécialiste de l’argelen, et nous ne devons pas être trop nombreux pour ne pas attirer l’attention. 

– Je viens avec vous, annonça Beyl. 

– Sauf votre respect, vous êtes trop voyant. La présence d’un androïde dans les Cavernes ne manquera pas d’éveiller les soupçons. 

– Dans ce cas, dit Beyl, Yrkel et Nejb vous accompagnent. »Naldeia le fixa, et chacun put lire l’irritation dans son regard. « J’ai l’habilitation pour ce type de mission. Ymeo m’a transmis les codes. 

– Vous avez l’habilitation. J’ai le dernier mot sur les moyens employés. Yrkel et Nejb vous accompagnent. 

– Entendu, soupira Naldeia. Mais pour plus de discrétion, vous entrerez trois minutes après nous. » 

Yrkel et Nejb acquiescèrent. 

« Cette fois, vous prendrez vos disrupteurs, ordonna Beyl. Vous les dissimulerez à l’aide de vos ceintures de camouflage. » 

Naldeia parut sur le point de faire une remarque, mais se contenta de hausser les épaules. 

Ils utilisèrent deux flotteurs pour se rendre sur place. Jaynak se retrouva dans celui de Naldeia. Celle-ci enclencha le pilote automatique, et l’appareil perdit rapidement de l’altitude, contournant avec efficacité les noyaux, passerelles, et le trafic — un code spécial le rendait prioritaire par rapport à la plupart des véhicules civils. Naldeia eut un sourire en coin et se tourna vers Jaynak. « On dirait que tu as la cote auprès d’Ymeo. S’il n’y avait pas Grendchko, elle t’aurait déjà amené dans son appartement — ou dans un coin tranquille. » 

Le teint de Jaynak devint plus foncé. « Dans ce cas, j’imagine que je dois remercier Grendchko. » 

Naldeia gloussa. Jaynak, quant à lui reprit son sérieux. « Tu réalises, j’espère, que je cours à la catastrophe ? Yrkel et... » 

Elle lui fit aussitôt signe de se taire. « Aie confiance. Ce cubar où tu vas te connecter est spécial. Il va nous permettre de réussir la mission avec grande efficacité. Tu auras juste à suivre les instructions. » 

Jaynak la scruta, ne sachant sur quel pied danser. Depuis leur dernier succès, il y avait eu davantage de repas en commun avec toute l’équipe, et Jaynak et Naldeia n’avaient pas osé se singulariser en cherchant à déjeuner à part. De ce fait, ils n’avaient pu faire le point sur la situation ni sur les mesures à mettre en place pour pallier la lacune de Jaynak. Ce cubar si spécial des Cavernes d’Ambre était un élément nouveau. Jaynak brûlait d’interroger son équipière à ce sujet. Il se retint pourtant, percevant la réticence de la jeune femme. Savoir qu’ils étaient sans doute espionnés à chaque instant était si frustrant ! Sans compter qu’ils allaient bientôt se poser sur l’une des plates-formes d’accueil des Cavernes, et que le temps était venu de connecter les oreillettes les reliant aux autres. Naldeia en profita pour signaler à Beyl qu’ils étaient arrivés sur place. 

Jaynak effleura le bouton sur sa ceinture, et son disrupteur disparut à sa propre vue. Lui et Naldeia rejoignirent l’entrée principale des Cavernes. Des Adeptes surveillaient ostensiblement les lieux. En réaction à l’opération militaire menée par Grendchko, le pouvoir civil traditionaliste entendait ainsi préserver toute intrusion armée en cet endroit consacré. 

Jaynak ressentit une pointe de culpabilité en franchissant le seuil sans encombre. Amener un disrupteur ici, c’était aller directement à l’encontre de la volonté des Guides Communiants. Ces mêmes Guides que Grendchko s’efforçait de discréditer dans ses discours officiels, et, sans doute à terme, de remplacer par ses propres Fervents — les fameuses « grandes réformes » qu’avait évoquées Ymeo. 

Les Cavernes possédaient des puits de lumière naturels, éclairage partiel que les Nadariens avaient complété avec des cristaux spécialement choisis pour leur faculté à émettre une lueur ambrée similaire à la couleur des cubars d’argelen qui faisaient la spécificité des lieux. Jaynak glissa un regard vers Naldeia, et vit qu’elle partageait son émotion. Tous deux savaient avoir été arrêtés à proximité des Cavernes d’Ambre, même si Jaynak, pour sa part, n’en conservait aucun souvenir. Revenir ici était comme un défi jeté au sort, et Jaynak ne pouvait se défaire de l’idée qu’ils risquaient d’être de nouveau appréhendés et privés de liberté. 

C’était ridicule. Ils étaient à présent ceux qui dépouillaient leurs concitoyens de leur liberté, Jaynak ne devait pas l’oublier. Le but de leur mission était justement d’identifier d’autres séditieux dans le but d’une intervention ultérieure. 

« Par ici », fit Naldeia en secouant Jaynak par le poignet. Ils parcoururent à pas rapides la vaste caverne principale, animée de subtils courants d’air. Les citoyens venus communier n’étaient pas nombreux, mais ce devaient être les plus convaincus des traditionalistes. Ces Cavernes étaient devenues un enjeu politique, et les gens les savaient susceptibles de se transformer derechef en un terrain de bataille. Même la présence des Adeptes à l’entrée ne suffisait pas à rassurer ceux qui avaient vu débarquer ici soldats et drones il n’y avait pas si longtemps. 

Naldeia et Jaynak pénétrèrent dans une salle intermédiaire où stalagmites et stalactites se rejoignaient parfois en minces colonnes. 

« Nous sommes arrivés, fit Nejb dans l’oreillette. 

– Positionne-toi à l’extrémité sud-ouest de la caverne principale, et Yrkel au nord-ouest. On vous fera signe dès que les suspects auront été identifiés grâce à l’argelen. » 

Jaynak renvoya un regard interloqué à Naldeia. Comment pourraient-ils visualiser les suspects alors qu’ils se trouvaient dans une salle à l’écart des autres ? L’argelen pouvait permettre d’obtenir des noms ou des données à distance, mais pas de découvrir des visages inconnus. A moins bien sûr que les suspects ne soient connectés à des cubars non loin les uns des autres, et qu’ils se regardent. Mais pourquoi prendraient-ils un tel risque, quand le but de la communication au travers de l’argelen était justement le secret ? 

Naldeia posa l’index devant sa bouche, lui intimant une nouvelle fois de ravaler ses questions. Elle désigna un cube d’argelen ambré intégré à l’une des parois de la grotte. Jaynak secoua la tête, mais se dirigea vers le cubar. Il y apposa la paume. Aucune connexion, si ce n’est une démangeaison au niveau du front plus vive encore que toutes les précédentes. Jaynak lâcha un grognement, retira sa main du cubar et la porta à son front. 

La plaque sous laquelle provenait l’irritation était comme poussée de l’intérieur par une force autonome irrésistible. L’espace devint suffisant pour que Jaynak y glisse un index. Il y avait quelque chose de rond, qu’il fit rouler. Il finit par déloger la chose, qu’il saisit entre le pouce et l’index — sa plaque se remit en place. L’objet entre ses doigts ressemblait à un cristal de données ovale, mais en plus mou. Sa couleur ambrée était semblable à celle du cubar. Jaynak ne se souvenait pas avoir jamais vu un tel objet. Il ressentit l’impulsion irrésistible de remettre sa paume sur l’argelen — ce qu’il fit, sans lâcher l’objet de l’autre main. Tout à sa fièvre, il n’aperçut pas Naldeia sourire. 

Une falaise abrupte lui faisait face. Jaynak en contempla les aspérités. Par automatisme, il se demanda où poser ses mains s’il devait l’escalader. Son regard s’élevait vers les sommets lorsqu’un chuintement se fit entendre. Une ouverture venait d’apparaître à même la roche. Comme il pénétrait d’un pas résolu dans la cavité, Jaynak constata que la porte faisait bien ses trois mètres d’épaisseur. Le couloir dans lequel il s’avança était nimbé d’une lueur mauve. La porte se réintégra parfaitement. Impossible, d’où il se trouvait, d’en déceler le moindre contour. Quand il se retourna, Jaynak vit un drone flotter devant lui. « Suivez-moi » fit la voix métallique. Le trajet s’avéra sinueux, compliqué, et bientôt Jaynak perdit tout sens de l’orientation. Enfin, une porte de tirinium glissa en face de lui. Installé dans un modulofauteuil, Belganov tourna vers lui son visage empreint de sagesse et de perspicacité. 

Au moment où les autres souvenirs de Belganov, dont leur première rencontre dans un fumoir, affluèrent, la partie de l’esprit de Jaynak qui n’était pas immergée dans l’argelen réalisa qu’il était en train de revivre une scène de son passé. Ces fragments disparus dans l’intervalle où il s’était rendu dans les Cavernes d’Ambre lui revenaient enfin. 

« Bienvenue dans notre humble repère, dit Belganov. Ne soyez pas timide, entrez donc. » 

Jaynak s’exécuta et la porte de tirinium se referma derrière lui. Le professeur en biotechnologie affichait un visage affable. Le drone restait cependant au-dessus de l’épaule du savant, et Jaynak supposa qu’il était chargé d’assurer la sécurité du vieil homme. « Vous avez eu le courage d’honorer notre rendez-vous, et vous allez en être récompensé. Si vous en êtes d’accord, je vais vous dévoiler certains pans de notre passé auxquels peu d’individus ont accès. » 

Jaynak hocha la tête. 

« C’est aujourd’hui que vos yeux vont se déciller, dit Belganov. Veuillez placer votre paume sur ce bloc d’argelen. » 

A proximité d’une console de dernière technologie, il y avait un large cubar ambré intégré à la roche formant le bureau du professeur. Jaynak posa la main dessus, et Belganov fit de même. Jaynak ne reconnut pas tout d’abord le frêle individu à la démarche altière dont l’image s’imposa à lui. Sa peau grise était incroyablement fine et nervurée. Surtout, elle était parcourue par intermittence de fascinants courants électriques bleutés, comme si un orage avait été prisonnier de son organisme. Ce fut la forme oblongue de son crâne qui lui remit en mémoire un documentaire holo que Jaynak avait vu plusieurs années auparavant. L’individu était un Ektrim. D’après la rumeur, l’influence des Ektrims au sein de l’Expansion était inversement proportionnelle à leur discrétion. 

Grand fut l’étonnement de Jaynak en observant au premier plan les bras d’un Nadarien entouré de personnes dont il percevait qu’ils étaient de hauts dignitaires d’une époque plus ancienne. Il réalisa alors qu’il revivait là des souvenirs que l’un de ses ancêtres ayant assisté à la scène avait gravés dans l’argelen. Aucun doute n’était possible, ces édiles faisaient visiter à l’Ektrim les Cavernes d’Ambre d’Argea tandis que le peuple communiait. 

Deux autres scènes se succédèrent, quasiment identiques. Des édiles escortaient un second, puis un troisième Ektrim dans les Cavernes d’Ambre de deux autres cités de la planète. L’événement devait avoir été d’une grande rareté, car Jaynak n’avait pas connaissance d’Ektrims ayant mis les pieds sur Nadar de son vivant. 

« Ces Ektrims ont été conviés à visiter les Cavernes des cités principales de Nadar, commenta Belganov. Une faveur incommensurable. A l’époque, une guerre avait éclaté entre les Fengirs et un peuple de la galaxie aujourd’hui oublié, disparu à jamais. Nous n’avions jamais été en contact avec les Fengirs, et leur flotte menaçait la nôtre. Leur puissance nous était inconnue, et nous étions très inquiets. Les Ektrims se sont alors dévoilés à nous. Leur technologie avancée a permis d’obtenir rapidement des protocoles de communication. Dès qu’une compréhension mutuelle s’est installée, ils ont proposé de jouer les médiateurs avec les Fengirs. La seule condition était que nous laissions quelques-uns de leurs savants visiter notre planète. Après de houleux débats entre les Coordonnateurs de l’époque et les Guides Communiants, nous avons accepté. Ce compromis, inédit dans toute notre histoire, était à la hauteur de l’inquiétude qui régnait à ce moment. » 

Belganov se tut et une autre image se forma, plus familière. Jaynak reconnut le Coordonnateur Dalnev, célèbre pour avoir inauguré, trois siècles auparavant, l’alliance avec les Fengirs, puis, plusieurs années après, l’entrée de Nadar au sein de l’Expansion. Dalnev utilisait l’argelen pour communiquer avec ses compatriotes. Il leur expliquait les avantages des technologies novatrices qu’allaient apporter les Fengirs, et leur suggérait de leur faire bon accueil. 

Nouvelles images, celles de délégations fengiriennes débarquant en grande pompe. Puis, la construction et l’assemblage par des robots d’importantes usines au sein des noyaux des cités principales. 

Jaynak sentit qu’on lui tirait le coude et interrompit son contact avec le cubar. 

« Nous avons essayé à de nombreuses reprises de nous infiltrer dans les parties des usines des Fengirs interdites aux visiteurs sans jamais y réussir, dit Belganov. Nous avons perdu nombre des nôtres au cours de ces tentatives. 

– Pourquoi cette obstination ? 

– Nous pensons que les Fengirs produisent des nanites qu’ils parviennent à faire passer dans le cerveau de nos concitoyens. L’hypothèse est qu’ils le font au moment où les nôtres sont les plus vulnérables, au cours de séances de communion avec l’argelen. Pour tout dire, nous sommes persuadés qu’ils influencent la pensée de nos semblables à l’aide de ces nanites. » 

Jaynak eut un mouvement de recul. 

« Vous ne me croyez pas ? » 

Jaynak considéra son interlocuteur quelques instants. « Vous voulez le fond de ma pensée ? finit-il par demander. Je crois que vous êtes resté trop longtemps dans ces Cavernes. Ça a donné un coup de turboboost à votre paranoïa. 

– Et pourtant, fit le professeur d’un ton grinçant, selon vos propres termes, vous avez la nette impression que quelque chose vous force la main au moment du vote, n’est-ce pas ? Comment l’expliquez-vous ? Comment expliquez-vous que vous ne puissiez penser à nos alliés Fengirs que de manière positive ? 

– Ce n’est pas parce qu’on n’a pas la réponse à certaines questions qu’il faut inventer n’importe quoi. »Un signal sonore retentit. Belganov effleura sa console et une image holo d’un Nadarien apparut. « Professeur, plusieurs groupes de commandos armés dirigés par des Guides Communiants convergent vers les Cavernes. Nous devons appliquer le plan B3 immédiatement. 

– Entendu. Application du plan. » Belganov se tourna vers Jaynak. « Nous allons devoir reporter cette conversation à plus tard. En attendant, je vous propose de vous mettre à l’abri avec moi un peu plus profondément sous la roche. 

– Il n’en est pas question, dit Jaynak. Vous m’avez promis la liberté de choix. Je ne suis pas un Réfractaire, moi. Je n’ai rien à voir avec vos histoires. 

– Vous êtes sûr ? J’ai bien peur que la neutralité ne soit impossible à ce stade. 

– Vous devez tenir parole ! 

– C’est ce que je vais faire. » Belganov plongea la main dans une alcôve et saisit un paralyseur qu’il pointa sur Jaynak. « Je suis désolé, mais vous devez tout oublier de notre petite entrevue — il en va de la sécurité de notre réseau. » Tout en continuant à mettre Jaynak en joue, Belganov sortit autre chose de l’alcôve. « Vous voyez cet objet ? » 

Le Jaynak du passé ignorait quelle était cette chose ovale que lui présentait le savant. Le Jaynak du présent reconnut l’objet qui avait été logé dans son crâne. 

« C’est un orbar. Un orbe indétectable par la technologie fengirienne, en symbiose avec l’argelen. En se reliant à votre lobe frontal, il va vous faire oublier notre rencontre. Vos souvenirs du jour présent ne vous seront rendus qu’en vous connectant à un cubar bien précis situé dans ces Cavernes, et à condition que vous teniez au même moment l’orbar dans votre main. Nous attendrons que la poussière retombe avant de vous rendre votre mémoire. » 

La dernière chose que vit Jaynak fut la lueur émanant du paralyseur.

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Published on December 03, 2024 07:51

November 26, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 22

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le vingt-deuxième.

22. L’ORG en action 

A l’instar de ses collègues, Jaynak avait surveillé sa tablette pendant tout le reste de la journée qui avait suivi l’arrivée de Grendchko à l’agence, s’attendant à être rappelé — en vain. Il en avait conclu que c’était une manière très personnelle à son maître de lui signifier l’attribution d’un jour de congé exceptionnel. A moins bien sûr, que lui et toute l’équipe n’aient été virés. 

Mais non. A la Transpulsion, Grendchko avait eu la réputation d’éprouver une véritable délectation à renvoyer employés ou édiles. S’il pouvait en plus les humilier en public, par exemple par le truchement du réseau, il ne s’en privait pas. Dans leur cas, cependant, le Premier Coordonnateur se serait contenté de s’essuyer les pieds sur leur ego en privé, l’ORG n’ayant pas d’existence légale pour des raisons de confidentialité. Il n’aurait jamais renoncé à ce plaisir. Rassuré, Jaynak put s’endormir plus paisiblement cette nuit-là qu’il ne l’avait fait ces derniers temps. 

Naldeia et Jaynak avaient quelque peu modifié leur routine. Chaque matin, Jaynak explorait une partie des pistes suggérées par les découvertes de Naldeia dans la matrice de la veille. Naldeia, quant à elle, en plus de sa surveillance permanente, se réservait de prospecter dans d’autres directions, en fonction du reste des indices. Bien évidemment, Jaynak continuait de donner le change en passant du temps dans la salle du cubar, mais du moins ses recherches avaient-elles gagné en substance. Il se trouvait devant une console de la salle de commande quand il perçut derrière lui le pas d’Ymeo. 

« Nous allons avoir une réunion pour faire un point exhaustif sur vos avancées des derniers jours, annonça-t-elle à la cantonade. Je veux que vous me prépariez un compte-rendu sans omettre le moindre détail. Mais tout d’abord, poursuivit-elle en posant sa main sur l’épaule de Jaynak, vous allez venir avec moi. » 

L’intéressé se tourna vers elle. Ymeo tenait entre ses mains un cube marron luisant. « A la demande de notre maître Grendchko, j’ai apporté mon propre cubar. Nous allons nous connecter en simultané, ce sera le moyen efficace de faire le point sans attendre. » 

Les yeux de Jaynak s’agrandirent d’horreur, néanmoins il parvint à contrôler sa voix. « C’est un très bon moyen en effet », lâcha-t-il. 

Elle eut un mouvement sec du menton, et Jaynak se leva. Ymeo se dirigea vers l’entrée. Jaynak allait lui emboîter le pas quand Naldeia l’arrêta en lui présentant sa tablette. « Lis », murmura-t-elle. Sans attendre sa réponse, l’analyste apostropha Ymeo. « Si vous me permettez, Adepte, lança-t-elle, j’ai vérifié les données que mon collègue a récupérées dans la matrice hier. Cela devrait nous faire gagner du temps. » 

Ymeo pivota dans sa direction et l’interrogea du regard. 

« Les données que m’a communiquées Jaynak hier soir sont exactes. Cela signifie que nous devrions pouvoir mettre au point une opération si vous le jugez nécessaire. » 

Jaynak était stupéfait du message sur la tablette. Il se reprit cependant, comprenant qu’il y avait peut-être là de quoi faire reculer l’inévitable découverte de son incompétence. « Je… je ne voulais pas vous en parler avant que notre collègue n’interroge différentes sources pour vérifier ma trouvaille. Vous savez à quel point il peut être difficile de se connecter à l’argelen en même temps que la cible pour intercepter ses communications. 

– Va droit au fait. 

– Eh bien j’ai essayé une nouvelle fois hier soir, et le résultat a dépassé toutes mes espérances. 

– Hier soir ? De chez toi ? » 

Jaynak prit un air contrit. « La sécurité de notre maître, et de notre planète, ne doit pas reposer uniquement sur notre travail pendant les heures de bureau. 

– Remarquable dévouement, le complimenta-t-elle. C’est ce que j’attends d’un Fervent. Qu’as-tu découvert ? 

– L’une de nos cibles, Zeldev, organise une réunion avec d’autres étudiants suspects dès ce soir. Dans le noyau Dirkov — j’ai l’adresse. 

– Excellent, fit Ymeo. Dans ce cas, inutile d’avoir recours à l’argelen. Nous allons tenir la réunion sur-le-champ. Rassemblez-moi tous les éléments sur ce Zeldev et ses contacts. » Elle alla poser son cubar sur un bureau, saisit sa tablette et en effleura la surface. Une fente qui s’élargit en un disque parfait apparut au milieu du centre de commandement, et à cet endroit, le sol s’abaissa. Le disque opéra un mouvement de rotation qui le déroba aux regards. Lorsqu’il réapparut, il contenait une table ovale entourée de huit sièges. Le disque se remit au niveau du reste de la pièce. 

Ymeo invita chacun des membres de l’équipe à prendre place. A tour de rôle, les intervenants détaillèrent ce qu’ils savaient de Zeldev, de ses projets, ses aspirations, sa personnalité, ses habitudes… Le profil des gens qui gravitaient autour de lui fut également évoqué. Il s’agissait d’un groupe de jeunes militants qui n’avaient à la bouche que les droits fondamentaux des Nadariens, prêchaient les vertus du traditionalisme et de l’argelen, et rejetaient sans ambiguïté la politique du Premier Coordonnateur. Ils diffusaient des messages de propagande dans la Ruche, et étaient soupçonnés de manœuvres subversives, peut-être en lien avec les Réfractaires. 

Ymeo prit la parole une fois que le tableau eut été minutieusement détaillé. « Vous avez été formé non seulement au renseignement, mais également à l’intervention sur le terrain. Notre maître Grendchko s’impatiente, c’est pourquoi ces nouvelles informations tombent à pic. Le Premier Coordonnateur tient à ce que vous démontriez vos capacités de manière spectaculaire. Je vais donc maintenant vous soumettre toutes les précisions au sujet du plan d’action pour ce soir, qui sera filmé par un drone-cam. Beyl interviendra si quelque chose n’est pas faisable du point de vue juridique ou opérationnel, ou pour affiner les détails. » 

 

Les étudiants rebelles avaient posté deux guetteurs, l’un à chaque extrémité du couloir communiquant avec la chambre où avait lieu la réunion clandestine. Chacun était équipé d’une tablette, chargé de prévenir le groupe en cas de danger. Ils ignoraient que Beyl commandait à distance un drone de type Surveillance Répression doté de vision électromagnétique. Celui-ci flottait à l’extérieur de l’immeuble, positionné de manière à ne pouvoir être vu des fenêtres de cet étage. Capables de traverser les murs, ses caméras étaient en relation directe avec le cortex cérébral de Beyl, lequel était à même de comparer avec une précision minutieuse la démarche des différents participants avec les modèles stockés dans sa banque mémorielle. Un par un, les étudiants avaient rejoint le lieu de rendez-vous. 

« Les oiseaux sont tous dans le nid », murmura Beyl. 

C’était le signal. Naldeia et Jaynak s’engagèrent dans le canal modgrav et indiquèrent le 24e étage. Se laissant emporter par le courant ascensionnel, Jaynak sentit un afflux d’adrénaline lui parcourir les veines. Pour la première fois, ils franchissaient le stade de la simulation virtuelle ou de l’exercice grandeur nature pour opérer dans la vraie vie. Ils activèrent les ceintures de camouflage partiel dont ils étaient équipés, puis suivirent l’itinéraire préalablement étudié tout en débattant des dernières trouvailles archéologiques. Chacun semblait déterminé à prouver que les artefacts qui faisaient l’objet de son mémoire étaient plus anciens, et d’un plus grand intérêt pour le monde scientifique que ceux de l’autre. Chaque pas les rapprochait de leur guetteur, et Jaynak se rappela les consignes. Il fallait feindre de ne pas même remarquer la présence de l’individu. Ymeo et Nejb, quant à eux, suivaient un protocole similaire, mais venaient de l’extrémité opposée du bâtiment. 

« Equipe deux, ralentissez un peu », murmura Beyl dans l’oreillette. 

Naldeia et Jaynak obéirent. Synchroniser leur approche avec celle d’Ymeo et Nejb était vital. L’ennemi devrait être pris par surprise, sans aucune possibilité de réaction. 

Jaynak jeta à peine un coup d’œil à sa proie, laquelle était apparue au détour d’un couloir. « Tu devrais pourtant savoir que le sceptre de Kujuln a été authentifié comme datant de la 25e strate, dit-il avec ferveur. C’est quand même autre chose que tes vestiges de mobilier de la 53e strate ! » 

Tandis que Naldeia lui répondait vertement, Jaynak calculait son nombre de pas. Sa main glissa en direction de la matraque qu’il décolla de sa cuisse, et dont il activa le mécanisme. Dès que le nombre de pas correspondit, il pointa sa matraque sur le front du guetteur. Pour l’individu, l’arme parut se matérialiser juste devant lui, le champ de camouflage l’ayant jusqu’alors dissimulé à sa vue. Jaynak lui heurta le front, et l’homme fut tout à coup saisi de convulsions. Jaynak ne garda le contact que les deux secondes prescrites, et Naldeia se précipita pour accompagner la chute de la victime. Jaynak l’aida à étendre le corps le long du mur. A l’extrémité opposée du couloir, Ymeo et Nejb s’appliquaient à la même tâche, avec leur propre guetteur. Jaynak leur fit un signe d’approbation. 

« C’est la 8e porte sur la droite pour l’équipe une, la 5e sur la gauche pour l’équipe deux, murmura Beyl. 

– Entendu. Avant-dernière phase de l’opération enclenchée », dit Ymeo. 

Ils commencèrent à avancer à pas feutrés. A l’autre bout du couloir, Yrkel venait de rejoindre Ymeo et Nejb. Un drone-cam flottait au-dessus de l’Adepte. L’appareil prit de la vitesse, vint survoler Jaynak et Naldeia, alla filmer le guetteur neutralisé, puis se mit en position en face de la porte de l’appartement où se tenait la réunion clandestine. Un fil s’inséra dans une fente. Ce type de drone était capable de lancer des micros ultras miniaturisés, indétectables dans une pièce qui n’aurait pas été spécifiquement sécurisée. Beyl connecta l’équipe, et chacun put écouter les conversations à l’intérieur du « nid ». Il était question de démontrer comment les informations sur la grandeur passée de Naldar issues des canaux officiels étaient déformées, de communiquer des tronçons de message codé aux sympathisants par la Ruche, et d’organiser des rencontres dans les Cavernes d’Ambre pour que chacun apprenne à reconnaître la signature psychique de ses alliés via l’argelen. Lorsque l’un des intervenants proposa de préparer en secret un débat sur le caractère antidémocratique de l’élection de Grendchko afin de toucher d’autres étudiants, Ymeo se permit un sourire. « On les tient, dit-elle. 

– Les cibles sont au nombre de huit, indiqua Beyl. 

– Intervention immédiate, dit Ymeo. Ouverture de la porte. 

– Equipe une et deux, vous pouvez y aller, vous êtes filmés. » 

La porte, actionnée à distance par Beyl qui en avait pris le contrôle, s’ouvrit silencieusement. Yrkel et Nejb furent les premiers à s’élancer, suivis d’Ymeo. Jaynak et Naldeia pénétrèrent à leur tour à l’intérieur. Des cris de confusion retentirent. 

« Vous êtes tous en état d’arrestation, lança Ymeo. Ne résistez pas, et tout se passera bien. » 

Nejb et Yrkel, cependant, avaient leurs propres idées. Ils distribuaient des coups de matraque au cri de « Gloire à Grendchko ! », et les étudiants s’effondraient. La plupart avaient un physique assez frêle et n’avaient jamais été confrontés à la violence. Trois d’entre eux gisaient déjà au sol. Deux jeunes femmes se reculèrent devant l’expression d’Yrkel et Nejb. Leurs dos rencontrèrent bientôt le mur. Yrkel et Nejb lâchèrent leur arme et se jetèrent sur leur proie. 

L’un des étudiants voulut s’interposer. Ymeo lui délivra un coup de matraque, et le choc électrique lui fit perdre conscience. C’est alors qu’un individu grand et leste profita de la confusion pour s’emparer de l’une des matraques abandonnées au sol. Il l’abattit sur Ymeo. Totalement surprise, celle-ci poussa un cri et ses yeux s’agrandirent. Avant que la main n’ait tout à fait accompli son arc de cercle, la matraque de Jaynak l’intercepta au niveau du poignet. L’homme lâcha son arme en grognant. Jaynak enchaîna d’un coup de genou qui plia son adversaire en deux et le fit reculer. Une nouvelle décharge électrique acheva de neutraliser Zeldev — Jaynak venait de reconnaître l’étudiant rebelle qui était leur cible principale. 

Le son d’un autre corps tombant au sol attira l’attention de Jaynak, qui pivota pour découvrir un individu recroquevillé aux pieds de Naldeia. Nul de leurs opposants n’était plus en état de combattre, mais le silence ne s’était pas fait pour autant. Des halètements, des gémissements et des pleurs retentissaient au fond de la pièce. Jaynak resserra le poing sur sa matraque. Les quatre appendices rigides de Nejb étaient sortis, de même que ceux d’Yrkel. Bien plus puissants que leurs proies, ils n’avaient aucun mal à maintenir leurs mains tandis qu’ils violaient les jeunes étudiantes. Jaynak s’avança d’un pas. Une main derrière lui le retint. 

« Laisse-les faire, commanda Ymeo d’un ton sec. Elles l’ont bien mérité. » 

Jaynak n’en croyait pas ses oreilles. L’Adepte lui caressa la joue et lui sourit d’un air mutin. « Je te remercierais bien personnellement pour ton intervention, lui susurra-t-elle. Mais notre maître n’est pas partageur. » 

Ne sachant comment réagir, Jaynak se tourna vers Naldeia. Elle le contemplait, le visage triste, et secoua lentement la tête. 

« Beyl, repositionne le drone-cam, ordonna Ymeo. Notre vénéré Maître ne doit pas en manquer une miette. »

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Published on November 26, 2024 12:37

November 18, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 21

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le vingt-et-unième.

21. L’impasse 

L’appartement était tel que Jaynak l’avait laissé. Sa sœur avait eu recours à un service de nettoyage robotisé, qui était intervenu la veille pour enlever la poussière accumulée. C’est en passant d’une pièce à l’autre que Jaynak se demanda une fois de plus comment sa vie avait pu basculer à ce point. A chaque fois qu’il se posait la question, il était confronté à son trou de mémoire. Celui-ci partageait son existence en deux — chercher à faire appel à ses souvenirs ne faisait qu’augmenter sa frustration. Il ne pouvait que s’en tenir à son hypothèse selon laquelle le simple hasard avait été cause de sa capture. Car si Grendchko avait obtenu la preuve concrète d’une éventuelle implication auprès des Réfractaires, par exemple en fouillant son appartement ou ses données, il ne se serait pas contenté de lui infliger ce Stage de Remise sur la Voie. 

Jaynak balaya le mobilier du regard. Où les sbires de Grendchko pouvaient-ils avoir caché un micro ? La question était évidemment futile — la miniaturisation avait atteint un tel degré que seuls des appareils de contre-mesure calibrés au niveau quantique pouvaient déceler une quelconque surveillance. Et le fait de s’équiper de ce type d’outil, ou d’un brouilleur, serait bien sûr vu comme un signe de défiance, voire de trahison vis-à-vis du Premier Coordonnateur. 

Comme il pénétrait dans sa chambre, Jaynak se figea. Le cube marron sur sa table de nuit semblait l’attendre patiemment. La connexion avec un cubar personnel se faisait plus facilement qu’avec de l’argelen indifférencié. Ce cubar, en particulier, recelait les données mémorielles de Jaynak. Lui seul pouvait accéder à son contenu. Il allait peut-être enfin savoir ce qui s’était passé avant ce moment crucial où il avait été capturé. Sa main tremblante s’approcha du cube d’argelen. Sa paume s’y colla. Sensation de picotement. 

L’espace d’un instant, il crut que l’image familière indiquant une connexion allait s’imprimer dans son esprit. La sensation s’évanouit aussitôt. Seule la réalité extérieure était présente, et l’enserrait comme dans un carcan. Jaynak cria de frustration. Le voile rouge de la colère recouvrit tout, lui faisant perdre le contact avec son environnement. Son cœur battait tumultueusement, son souffle était court, le monde tournoyait. Son épaule lui renvoya une onde de douleur en percutant un mur, ce qui interrompit ses déplacements aléatoires. Il s’aperçut qu’il avait la main posée sur son front, à l’endroit où il ressentait de temps en temps une démangeaison depuis qu’il avait été capturé. 

Depuis qu’il avait été capturé… Que lui avait donc fait Grendchko ? 

Jaynak s’efforça de glisser son doigt sous sa plaque pour atteindre l’origine précise de la démangeaison. Peine perdue — c’était trop étroit. Il n’osait essayer avec une aiguille. D’après ses cours d’anatomie, les terminaisons nerveuses étaient trop fragiles à cet endroit. 

En admettant qu’on lui ait implanté un dispositif de contrôle, celui-ci l’empêchait probablement de se connecter à la matrice. Mais dans ce cas, pourquoi vouloir mettre à profit son aptitude avec l’argelen ? Cela n’avait aucun sens. 

A moins bien sûr que cet outil de contrôle n’ait pour conséquence secondaire imprévue d’interdire l’accès à la matrice. Cela n’aurait rien d’étonnant. Comme Jaynak avait pu le constater, les stagiaires étaient considérés comme des sortes de cobayes sur lesquels on pouvait tout se permettre. Les autres avaient dû bénéficier du même traitement, et s’il ne les avait jamais vus se gratter le front, c’est tout simplement que leur corps réagissait différemment à l’implant. Si seulement il pouvait aborder le sujet avec Naldeia… Mais non, c’était trop risqué. Non seulement il n’était pas sûr de lui faire confiance, mais en plus, le dispositif de contrôle donnerait l’alerte. 

Jaynak secoua la tête. Pendant quelques instants, il s’efforça de trouver une solution à son problème, avant de se rendre à l’évidence. Il était coincé. Sa seule option était de continuer comme si de rien n’était, jusqu’au moment où son incompétence avec le cubar éclaterait au grand jour. Ce qui ne saurait tarder. 

Les trois jours suivants donnèrent tort aux inquiétudes de Jaynak. En dehors de délivrer des instructions, Ymeo n’exerçait pas de surveillance spécifique. Il passait donc l’essentiel de ses journées à se morfondre dans le bureau du cubar, rongé par la crainte du moment où on lui demanderait de rendre des comptes. L’entraînement physique et aux armes diverses se poursuivait en salle holo, mais c’était un dérivatif qui se terminait toujours trop vite. A partir de la deuxième journée, Jaynak prétexta le besoin de « recouper des informations » pour gagner de temps à autre le centre d’opération, la pièce ovale à la vaste baie de vitriglass partagée par l’androïde Beyl et Naldeia. Quand sa compagne de stage posait sur lui ses yeux si expressifs, il avait l’impression qu’elle pénétrait le masque de son impassibilité et de sa concentration pour mettre à nu son impuissance, son désarroi et le sentiment de son inutilité absolue. Dans ces moments où il avait accès aux consoles développées par les Fengirs, il rassemblait pourtant tout ce qu’il pouvait au sujet des mouvements et conversations de Zeldev. Jaynak espérait contre tout espoir que l’étudiant en archéologie qu’il traquait commettrait une erreur en laissant échapper une information cruciale par les réseaux de communication non traditionnels. 

Dans les premiers temps, toute l’équipe partageait sa poudre primordiale dans une pièce dédiée. Dès le quatrième jour après leur prise de fonction, Yrkel et Nejb allèrent se restaurer à l’extérieur — Jaynak ne les regretta pas, lui qui n’appréciait guère leurs centres d’intérêt, et en particulier leur addiction aux sports de combat violents. Lui-même s’était remis à pratiquer l’escalade en soirée, et c’était comme s’il s’était réapproprié une partie de sa personnalité dont il n’aurait jamais cru qu’elle lui avait autant manqué. Il se retrouva à s’alimenter en compagnie de Naldeia dans la cafétéria de l’ORG. Sa compagnie lui fut agréable, malgré les banalités qu’ils échangèrent. Le lendemain, elle l’invita à déjeuner dans un établissement du noyau d’Eglev. Intrigué, il accepta. Les murs du restaurant figuraient des tableaux avec pour sujet la colonisation d’Oblan. Les images ne s’animaient que lorsqu’on les regardait directement. Les colons Naldariens étaient représentés dans toute leur majesté, dominant les Oblanites à la peau blafarde sans pour autant les écraser, leur apportant leur sagesse immémoriale. « Qu’est-ce qui est vrai là-dedans, on se le demande, commenta Naldeia. 

– Ma sœur pourrait te renseigner. Elle est historienne. 

– Tiens donc. Intéressant. » 

Ils se mirent à absorber leur poudre, qui avait une saveur plus subtile que Jaynak ne s’y serait attendu dans un établissement du noyau dédié aux industries. 

« Tu as dû deviner pourquoi j’avais été affectée à l’ORG, dit Naldeia au bout d’un moment. 

– Tu es douée pour le renseignement, je suppose. 

– J’étais gestionnaire de données avant notre fameux stage. J’ai une mémoire instantanée qui me permet de jongler avec des millions d’informations. Je ne suis peut-être pas aussi performante que Beyl, mais on se complète bien. 

– Félicitations. » 

Naldeia accepta le compliment en hochant la tête. Son visage était plus grave qu’à l’accoutumée. « Je me suis permis de passer en revue ton travail, quand tu viens nous rejoindre. Toutes les données auxquelles tu as accédé avaient déjà été analysées par Beyl ou moi-même. Ton travail est parfaitement redondant. Et donc inutile, j’en ai peur. » 

Jaynak la fixa, sentant le sang lui monter à la figure. Il n’y avait aucune trace de satisfaction ni de mépris chez Naldeia. Au contraire, son regard paraissait s’efforcer d’atténuer la dureté de ses paroles. « C’est… c’est juste que j’essaie d’obtenir confirmation de ce que m’apprend l’argelen, bredouilla-t-il. 

 – Ah bon ? Et que t’as donc appris la matrice exactement ? » 

Devant l’intensité du regard de la jeune femme, Jaynak détourna les yeux. Son silence était pire qu’un aveu, mais en cet instant, rien ne lui venait. Il sentit un contact — elle avait posé ses doigts sur le dos de sa main. 

« Ecoute, dit Naldeia. Je crois savoir ce qui t’arrive. C’est ce stage qui nous a fait ça. Moi-même, je n’avais plus aucun lien avec la matrice à notre retour. Mais je suis allé voir un Guide Communiant qui m’a aidé à réapprivoiser l’argelen. Tu devrais en faire autant. » 

Jaynak pâlit. Elle savait. Elle avait percé à jour son point le plus vulnérable, ce qui la mettait en position de toute puissance à son égard. Si elle révélait ce qu’elle savait à Ymeo…« Je ne peux pas faire ça, répondit-il. Je suis censé être un spécialiste des cubars. Si je suis surveillé, s’ils apprennent que je vois un Guide Communiant… Tu sais ce qu’Ymeo pense de ces gens-là. Qui sait si on ne nous espionne pas en ce moment même, d’ailleurs. Dans ce cas... » 

Elle lui posa l’index sur ses lèvres. « On va te demander des résultats tôt ou tard, tu le sais. Tu ne pourras pas toujours esquiver. 

– Je sais. 

– Laisse-moi t’aider. J’ai un cubar, chez moi. Je vais essayer de récupérer les informations qui nous manquent, chaque soir. 

– C’est la même chose. Ils en concluront qu’ils n’ont pas besoin de moi. 

– Non ! J’enregistrerai tout sur ma tablette. On continuera de déjeuner à l’extérieur, et tu apprendras le contenu sous hypnose à chaque fois. On peut donner le change, tous les deux. Jusqu’à ce que ça aille mieux pour toi. » 

Naldeia n’avait pas retiré sa main, mais lui pressait à présent les doigts. Il se sentit terriblement troublé. Pouvait-il se raccrocher ainsi à elle comme il l’aurait fait à une prise particulièrement ténue ? Au risque de l’entraîner dans sa chute... Mais avait-il vraiment le choix ? Ce qu’il vit dans les yeux à l’éclat ardent finit par le convaincre. Il y avait là davantage que de la compassion — une ferveur qui n’était pas destinée à Grendchko, il en était persuadé. « D’accord », lâcha-t-il. Il pressa à son tour sa main, et le sourire qu’elle lui adressa le fit tout à coup se sentir beaucoup plus léger. 

Naldeia tint parole. Ils se voyaient pour déjeuner, et elle lui remettait alors les données qu’il mémorisait grâce à un logiciel d’hypnose. La jeune femme était de toute évidence aussi douée avec un cubar qu’avec les consoles de la base. « Comment as-tu fait pour retrouver sa trace si rapidement ? s’étonna-t-il. 

– J’étais un peu frustrée par la lenteur de nos progrès, admit-elle. C’est pour ça que j’ai fait appel à un Guide Communiant. J’utilise en fait le cubar depuis deux jours déjà, et comme je passe toutes mes journées à traquer notre cible, mon esprit est parfaitement concentré sur le sujet. 

– Tu n’as pas demandé au Guide de t’aider, quand même ? 

– Pour qui me prends-tu ? Non, bien sûr. Je n’ai réussi à localiser Zeldev dans Nlendr qu’hier. » 

Ils parlaient tout bas, mais Jaynak n’en jeta pas moins un coup d’œil nerveux aux alentours. Tout était calme. La faible fréquentation de l’établissement, et leur emplacement dans une table du fond étaient des garanties de discrétion. « Il n’y a pas grand-chose de très intéressant pour le moment. On va devoir se montrer patients. Maintenant que j’ai pu l’identifier dans l’argelen, ça sera plus facile de recommencer. 

– Il ne risque pas de te repérer ? 

– Ce serait surprenant. On ne s’attend pas à être espionné quand on utilise nos cubars. 

– Fais attention, quand même. » Cette fois, ce fut à son tour de lui prendre la main. Elle eut un sourire incertain, mais ne chercha pas à esquiver le contact. Il eut envie d’aller plus loin avec elle. Malgré tout, il secoua la tête, résigné, et retira sa main. Ils ne pouvaient pas se permettre de laisser naître quelque chose entre eux en étant des Fervents de Grendchko. Et Jaynak était sûr de ne pouvoir nouer une relation superficielle avec Naldeia — ils avaient vécu trop de choses intenses ensemble. Il soupira. 

Elle parut un peu surprise, mais hocha la tête. 

Plusieurs jours s’écoulèrent encore sans événement notable. Jaynak venait de sortir de la douche sonique, l’entraînement en salle holo s’étant montré éprouvant. Il vit Beyl se diriger vers l’entrée avec une concentration si intense sur le visage que, sur une impulsion, il le suivit. La double porte du hall n’était opaque que de l’extérieur. Ce Naldarien corpulent qui se trouvait derrière, ses lèvres boudinées pincées en l’expression intransigeante dont il avait le secret ne pouvait être que Grendchko. La double porte n’avait pas fini de glisser que déjà, Beyl s’inclinait profondément. Jaynak l’imita avec plus de raideur. 

« Bienvenue dans les locaux de l’ORG, Maître. Puis-je me permettre d’être votre guide ? 

– Dégage, le synthé. Je ne veux pas voir ta sale gueule aujourd’hui. » 

Beyl s’inclina encore un peu plus, puis tourna rapidement les talons. Si la réponse de son maître l’avait blessé, il n’en montrait rien. 

« Toi, fit Grendchko, conduis-moi auprès d’Ymeo. » Rien dans l’expression du Premier Coordonnateur n’indiquait qu’il reconnaissait Jaynak, mais rien n’indiquait non plus le contraire. La dureté sur ses traits était le signe indiscutable qu’il se considérait chez lui et ne tolérerait pas la moindre hésitation. 

 Jaynak fit un geste du bras, invitant le Premier Coordonnateur à le suivre. Ils traversaient l’embranchement menant au centre de commande, quand Jaynak aperçut Ymeo sortir de son bureau à l’extrémité du couloir. 

Elle s’immobilisa, et c’est à peine s’il la reconnut. La jeune femme en temps normal si autoritaire se tenait la tête inclinée et les paupières baissées, dans une position d’une telle humilité et vulnérabilité qu’on pouvait croire qu’elle venait d’être battue. Jaynak eut le réflexe de s’effacer en percevant le pas de Grendchko s’accélérer. Le Premier coordonnateur fondit sur sa proie et la plaqua si fort contre la paroi que le crâne d’Ymeo rebondit dessus en produisant un son mat. Elle poussa un petit cri qui provoqua un gloussement de l’agresseur. 

Jaynak fit un pas en direction de l’homme qu’il était censé vénérer, mais se figea en réalisant que Grendchko venait de coller sa bouche contre celle de l’Adepte. Ymeo acceptait ses baisers et les lui rendait. Jaynak eut un mouvement de recul. Il s’efforça d’effacer l’expression de répulsion de son visage. Le plus difficile était de faire semblant de ne pas voir les palpations obscènes de l’individu.

 « Fais-moi faire le tour, dit Grendchko d’une voix rauque. 

– Par ici, Maître », dit-elle d’une petite voix. 

Il lui administra une claque retentissante sur le fessier. « J’ai toujours rêvé de visiter l’intérieur de mes oreilles ! » 

Son rire tonitruant avait quelque chose d’aussi sinistre que grotesque. Ne sachant quelle attitude adopter, Jaynak se décida à les suivre à quelques pas. Il avait déjà joué le rôle de garde du corps de Grendchko, l’exercice lui était donc familier. Grendchko pénétrait dans chacune des pièces, écoutait les explications d’Ymeo puis hochait la tête. Une fois dans la salle de commande où se trouvaient Beyl, Naldeia, Nejb et Yrkel, le maître des lieux demanda à tout le monde de quitter les locaux de l’ORG. « Sauf toi, dit-il en se tournant vers Ymeo, en s’emparant de sa main et en la lui écrabouillant. Et toi. » Il pointait le doigt sur Naldeia. Celle-ci avait jusqu’à présent fait la preuve de son sang-froid en ne laissant rien paraître de ses émotions. Jaynak eut un regain d’admiration pour la jeune femme en entendant sa réponse. 

« Heureuse de pouvoir vous honorer, Premier Coordonnateur. » Elle y avait mis un ton si solennel en bombant la poitrine qu’on aurait pu croire que c’était là le devoir le plus sacré qu’elle pouvait accomplir. Ce n’était pourtant pas l’attitude qu’avait dû espérer Grendchko, car il s’adressa à elle en serrant les mâchoires. « Toi, la pimbêche, tu es trop sérieuse, tu dégages. » 

Jaynak fit volte-face pour masquer sa satisfaction, mais se permit tout de même un sourire un instant plus tard, en se retournant en direction de Naldeia dans le couloir — qui le lui rendit.

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Published on November 18, 2024 07:57

November 15, 2024

Comment Elon Musk est passé du côté obscur

L'expression "passer du côté obscur", ou "basculer du côté obscur de la Force" est l'une des plus galvaudées et stéréotypée que l'on puisse utiliser de nos jours. Et pourtant, elle va comme un gant à Elon Musk.


Dans l'Empire contre-attaque de George Lucas, réalisé par Irvin Kershner, Dark Vador (Darth Vader) révèle à Luke Skywalker qu'il est son père et s'efforce de l'attirer du côté obscur de la Force.
Imaginons que Dark Vador ait réussi dans son entreprise. 

Eh bien, dans la vraie vie, c'est ce qui s'est produit avec Elon Musk. J'irais même plus loin: à l'instar de Luke qui combat Dark Vador dans la grotte de Dagobah, Elon Musk est devenu son père. 

Oui, vous avez compris. Il m'est impossible de parler du passage du côté obscur d'Elon Musk sans parler de l'intime et du familial à son sujet. Voire de l'aspect psychanalytique. C'est la seule manière, à mon sens, d'aborder le pourquoi et le comment, en allant un peu plus loin qu'une simple discussion de comptoir. 

Cela étant, si vous êtes un ancien employé d'Elon Musk, vous allez peut-être déclarer : "il a toujours été du côté obscur". Et quelque part, ça se tient. Musk a toujours eu des méthodes brutales de management à l'égard de ses employés. Je veux dire, relisez juste mon article sur la biographie d'Elon Musk par Ashlee Vance, et la manière dont Elon a traité une certaine Marie Beth Brown.

Il est tout à fait possible d'envisager l'idée que Musk, en bon manipulateur, n'ait voté Obama et Biden que pour mieux masquer son jeu. Qu'il ne se soit marié avec une romancière de Fantasy progressiste, Justine Wilson, en l'an 2000, que pour donner le change. Même si à ce stade, reconnaissez que ça paraît un peu tiré par les cheveux. 

On peut aussi estimer que l'engagement climatique de Musk n'est pas réel. Qu'il n'a décidé de remettre en jeu sa fortune d'une centaine de millions de dollars dans les voitures électriques (en 2008) et dans Space X que parce qu'il percevait là, en excellent entrepreneur, des opportunités futures de marché, et non pour réaliser ses rêves d'enfance. Qu'il ne s'est servi des aspirations et rêves des gens progressistes autour de lui que pour mieux les piéger. Parce que son but à lui, depuis le début, ce n'était que le pouvoir. Pouvoir de l'argent et de la célébrité.

Bref, il est sans doute possible de brosser un tableau d'Elon Musk encore plus noir qu'il ne l'est réellement.

Mais cela signifierait oublier un élément crucial nommé Errol Musk. Le père d'Elon. Errol Musk est lui-même un entrepreneur et un ingénieur. Un grand partisan de Donald Trump. 

Ce qui devrait vous mettre la puce à l'oreille, cela dit, c'est qu'Errol Musk dit que celui de ses fils qui a vraiment réussi dans la vie est Kimbal et non Elon. 

Elon n'était pas le fils préféré, et c'est sans doute un euphémisme. On sait qu'il est parti de manière précoce du nid familial en Afrique du Sud pour migrer au Canada, puis aux Etats-Unis. Le fils a donc mis un océan entre lui et son père.

Dans les interviews de Musk où il relate son enfance et adolescence, on comprend qu'il détestait son père et a cherché à s'en éloigner. Ce qui me fait dire qu'Elon Musk n'a pas toujours été du côté obscur, et que ses élans progressistes n'étaient pas seulement des façades, c'est qu'il a été capable de reconnaître le côté malsain de son père et de le combattre, dans une certaine mesure.

Mais, à l'instar de Luke Skywalker dans sa grotte, tout en combattant son père, comme il en adoptait toutes les méthodes, Elon est devenu son père.

Le fait, par exemple, qu'il ait choisi le même métier qu'Errol et qu'il ait été attiré par le management montre l'aspect ambivalent du jeune Elon. Pour son métier, il a choisi de marcher dans les pas de son père. Tout en faisant preuve de résilience dans son jeune âge en s'éloignant de ce père peu aimant, il en a repris les méthodes de management et les valeurs... ou l'absence de valeurs, puisqu'il ne faut pas oublier qu'une société comme Tesla a eu à faire face à un procès pour racisme, que l'entreprise a perdu. 

Elon Musk s'est mis à répéter le schéma familial, avec le même attrait pour le pouvoir et la richesse que son père. 

Et c'est allé plus loin que ces méthodes de management ultra brutales. C'est allé plus loin que l'hyper agressivité que je décrivais déjà dans cet article de 2019, et qui est l'un des moteurs d'Elon Musk. 

Le moment où le manager aux multiples casquettes a commencé à basculer "officiellement" du côté obscur a sans doute correspondu à la pandémie de covid 19 en 2020. La maladie a déboussolé pas mal de monde, dont Elon. Mais l'esprit analytique de Musk a par la suite perçu qu'il y avait de véritables bénéfices politiques à retirer de cette perte soudaine de repères des gens. Les gens devenaient d'un seul coup beaucoup plus vulnérables aux fake news.

Le bond technologique auquel participe pleinement Musk, avec l'accélération folle de l'informatique et des sciences, est secondé de modifications profondes au niveau sociologique. Une bien plus grande importance accordée aux femmes dans la société. La reconnaissance des minorités sexuelles aussi bien qu'ethniques, qui a pris le nom de wokisme aux Etats-Unis, a elle-même été propulsée par le phénomène metoo.

Le wokisme, pour moi, c'est le droit du plus faible. Un descendant des droits de l'homme d'essentiel pour la société. Le fait que ce terme n'ait été forgé qu'au XXème siècle par Martin Luther King en dit long sur l'espèce humaine. Mais le wokisme existe depuis toujours, et n'est propre ni aux Etats-Unis ni au communautarisme. Il fallait juste mettre un nom sur le concept.

La lutte des minorités est bien sûr une lutte des pouvoirs. Elle peut entraîner des excès, des travers, et notamment une manière absolument détestable de vouloir policer le langage, et d'instruire une sorte de police de la pensée, de "politiquement correct" permanent. 

Ces excès ont donné une teinte très négative au wokisme chez la plupart des Américains. C'est une partie de ce qui a porté en germe la défaite de Kamala Harris contre Donald Trump en cette année 2024. Mais entendons-nous bien, seulement une partie. Pour moi, les gens qui ont voté Trump l'ont d'abord fait de manière égoïste, pour que l'on baisse leurs taxes et impôts. Ils l'ont ensuite fait pour rejeter l'immigration de masse. Troisièmement, ils l'ont fait par dégagisme du précédent gouvernement, et seulement à un quatrième niveau par rejet du wokisme et des évolutions sociétales. 

La perte de repères généralisée, aussi bien sociologique que technologique, a bien sûr favorisé un élan conservateur.

Il est donc très fortement ironique que l'un des plus grands propagateurs du changement, Elon Musk lui-même, après le rachat de Twitter en 2022, le transforme en X l'année suivante avant, en 2024, d'en faire un instrument de propagande au service de son nouveau maître, l'empereur du conservatisme Trump. Musk a posté des centaines de tweets par jour en faveur de Trump pour sa campagne, et a donné 100 millions de dollars.

Celui que nombre de ses employés surnomment sans doute Dark Vador, Musk, est allé jusqu'à faire modifier les algorithmes de l'ex Twitter pour favoriser les discours pro-Trump.Le PDG a sans doute conçu une jubilation malsaine à transformer Twitter, un instrument anciennement progressiste et modéré, en un gros virus informatique disséminateur de fake news et de propagande. Souvenez-vous : la même jubilation de sociopathe qu'il éprouvait en se baladant dans les locaux de Twitter en transportant un évier.

Pour prendre une autre métaphore, si Trump est le joueur de flûte maléfique qui entraîne son peuple dans l'abîme, la flûte, c'est X.

L'anti-wokisme d'Elon n'est pas seulement politique. Au contraire, il est fortement rattaché à sa famille. A la détestation du lycée dans lequel a évolué son fils Xavier, où il aurait contracté "le virus woke". Pour moi, le jour où Elon a signé du sang familial son passage du côté obscur a été celui où il a dit que le virus woke avait tué son fils Xavier, en 2022. Le jour où il a rejeté son propre fils en raison de sa transition vers le sexe féminin. Le jour où il a rejeté définitivement Vivian Jenna Wilson. 

C'est à ce moment-là qu'Elon Musk a fusionné avec son père Errol.

Et Vivian Jenna Wilson a réagi, en 2024, de la même manière que son géniteur à l'époque où il avait quitté le nid familial pour migrer vers un autre pays. A la suite de l'élection de Donald Trump, Vivian a en effet annoncé sa décision de quitter les Etats-Unis. 

Vous commencez à me croire, quand je parle de schémas familiaux? 

Il faut savoir que les personnes qui effectuent en toute bonne foi des transitions vers le sexe opposé, et vont au bout, physiquement, de la démarche, sont souvent des personnes autistes. 

Elon Musk est lui-même autiste Asperger. Il y a fort à parier que Vivian Jenna Wilson soit aussi dans le spectre du trouble autistique. Ce qui signifie que Musk a peut-être rejeté celui des membres de sa famille qui était le plus proche de lui. Par ignorance. Par folie.

Et voilà qu'en 2024, Elon Musk et son père Errol s'unissent pour chanter les louanges d'un homme, Donald Trump. Donald Trump, qui va bénéficier des bons conseils d'Elon, puisqu'il se lance dans le business des cryptomonnaies. Un business d'autant plus juteux quand on devient président des Etats-Unis. Non, non, pas de conflit d'intérêt bien sûr... 

Trump n'est pas, bien sûr, qu'un père de substitution pour Musk. Le fait de se rallier à lui va lui permettre de bénéficier d'exemption de taxes à partir de 2025. Son ralliement, c'est avant tout du business, comme l'a montré le bond des entreprises muskiennes à la bourse une fois "Dumpy Trumpy" élu.

J'avais évoqué Donald Trump dans mon article sur les maladies mentales, au sujet des sociopathes. Mais j'y parlais aussi des mères fusionnelles possessives et des mères peu aimantes. 

En examinant le cas de la famille d'Elon Musk, je pense pouvoir dire qu'il y a un aspect fusionnel de type "père peu aimant", aussi bien dans la relation d'Errol avec son fils, que dans la relation d'Elon avec Vivian Jenna Wilson. 

Mon hypothèse est que le gène de la schizophrénie a des dérivés parmi lesquels l'autisme, et notamment l'autisme de type Asperger. L'autisme et la schizophrénie paranoïde sont évidemment des affections très différentes. Mais à mon sens, ce qui les relie, c'est l'aspect fusionnel. Dans ce cas, le passage du côté obscur d'Elon Musk signifierait une régression sur le plan mental dans laquelle l'individualité psychique d'Elon se confondrait avec celle de son père. 

Le père d'Elon, Errol, a 81 ans. Le moyen de vérifier ma théorie serait d'examiner dans quel état se retrouve Elon à la mort de son père. S'il se retrouve entièrement dévasté, dans un état de dépression profonde, ce sera le signe que mon hypothèse est correcte. 

Je n'ai bien sûr aucune compétence de psy, mais de par mon passé familial, je m'intéresse à des affections comme la schizophrénie et à ses gènes dérivés (je précise, je n'ai moi-même jamais été atteint de schizophrénie. Mais interrogez les auteurs autour de vous, et je suis sûr que vous retrouverez des cas de schizophrénie dans leur famille). 

Alors, maintenant, me direz-vous, que faut-il penser de Space X et de Tesla? Faut-il boycotter les entreprises de Musk comme on boycotterait Elon lui-même?

Ma réponse est non. Si j'avais à choisir aujourd'hui un nouveau véhicule en 2024, et non en 2020 comme je l'ai fait, il est probable que je ne voudrais pas mettre de l'argent dans la poche d'Elon Musk en achetant l'une de ses voitures. Je me tournerai sans doute vers la concurrence, vers une autre voiture électrique. Mais ce serait une réponse avant tout émotionnelle, parce que le meilleur réseau de recharge reste celui de Tesla. 

Et il faut bien le reconnaître, ma Tesla reste une voiture fantastique à mes yeux, même si les entreprises de Musk portent sa signature de manière indélébile, et même si mon opinion sur l'individu a fortement évolué. Comme vous pourrez vous en rendre compte en lisant les articles ci-dessous. 

Les employés de Tesla et de Space X restent à mon avis en grande majorité des progressistes. Ils veulent faire évoluer l'humanité dans le bon sens et non dans celui de la dictature trumpiste, dont on ne sait si les Etats-Unis se relèveront. 

Au sujet de Space X, le fait de vouloir industrialiser l'espace me semble toujours indispensable à la conquête de Mars. Mais il y aura des retombées écologiques qui peuvent être très lourdes au niveau de la couche d'ozone, et qu'il faut surveiller de très près. 

Le fait que les organismes de surveillance comme la FAA ou la FDA soient soumis, sous l'administration Trump à partir de 2025, au contrôle d'Elon Musk lui-même fait froid dans le dos. En revanche, le comité théodule décrété par Trump que coprésidera Elon Musk ressemble fort, d'ores et déjà, à une pantalonnade. Un comité chargé de tailler dans les dépenses publiques qui va rémunérer non pas un mais deux directeurs, cela ne me semble ni porter en son sein des valeurs de bonne gestion économique ni des valeurs d'efficacité.

Voilà donc pour mon très modeste éclairage sur les dernières évolutions du nouveau résident de Mar-a-Lago, Elon Musk. En espérant que vous en retirerez un peu plus de profit que d'une simple discussion de comptoir. 

Autres articles sur le même sujet: 

- Elon Musk sans langue de bois

- Elon Musk et l'hyper agressivité

- Elon groks the fullness? 

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Published on November 15, 2024 08:27

How Elon Musk turned to the dark side

The expression “going over to the dark side”, or “turning to the dark side of the Force”, is one of the most overused and stereotyped we hear these days. And yet, it fits Elon Musk like a glove.


In George Lucas' The Empire Strikes Back, directed by Irvin Kershner, Darth Vader reveals to Luke Skywalker that he is his father, and sets out to lure him to the dark side of the Force.
Let's imagine Darth Vader had succeeded in his endeavor.

Well, in real life, that's what happened with Elon Musk. I'd go even further: like Luke fighting Darth Vader in the cave of Dagobah, Elon Musk has become his father. 

Yes, you've got it. It's impossible for me to talk about Elon Musk's transition to the dark side without mentioning the intimate and familial aspects of his life. Even the psychoanalytical aspect. It's the only way, in my opinion, to tackle the whys and wherefores, going a little further than a simple counter discussion. 

That said, if you're a former employee of Elon Musk, you might say: “He's always been on the dark side”. And in a way, it makes sense. Musk has always had brutal management methods towards his employees. I mean, just reread my article on Ashlee Vance's biography of Elon Musk, and the way Elon treated a certain Marie Beth Brown.

It's quite possible to imagine that Musk, as a good manipulator, only voted for Obama and Biden to hide his game. That he married a progressive fantasy novelist, Justine Wilson, in the year 2000, just to keep up appearances. Although at this stage, you have to admit it sounds a bit far-fetched. 

It could also be argued that Musk's commitment to climate change is not real. That he only decided to put his fortune of a hundred million dollars on the line in electric cars (in 2008) and Space X because, as an excellent entrepreneur, he saw future market opportunities there, and not to realize his childhood dreams. That he only used the aspirations and dreams of the progressive people around him to trap them. Because his goal, right from the start, was power. The power of money and fame.

In short, it's probably possible to paint an even darker picture of Elon Musk than he really is.

But that would mean forgetting a crucial element named Errol Musk. Elon's father. Errol Musk is himself an entrepreneur and an engineer. A big supporter of Donald Trump. 

What should tip you off, though, is that Errol Musk says that the one of his sons who has really made it in life is Kimbal, not Elon. 

Elon was not the favorite son, to put it mildly. We know that he left the family nest in South Africa at an early age to migrate to Canada and then the United States. The son thus put an ocean between him and his father.

In Musk's interviews about his childhood and adolescence, we understand that he hated his father and sought to distance himself from him. What makes me think that Elon Musk wasn't always on the dark side, and that his progressive impulses weren't just facades, is that he was able to recognize his father's unhealthy side and fight it, to a certain extent.

But, like Luke Skywalker in his cave, while fighting his father, as he adopted all his father's methods, Elon became his father. 

The fact, for example, that he chose the same profession as Errol and was attracted to management shows the ambivalent aspect of young Elon. In his profession, he has chosen to follow in his father's footsteps. While he showed resilience at a young age by distancing himself from this unloving father, he took on his father's management methods and values... or lack of values, since we shouldn't forget that a company like Tesla had to face a racism lawsuit, which the company lost. 

Elon Musk began to repeat the family pattern, with the same drive for power and wealth as his father. 

And it's gone further than those ultra brutal management methods. It's gone further than the hyper-aggressiveness I already described in this 2019 article, and which is one of Elon Musk's driving forces. 

The moment when the multi-hatted manager began to “officially” switch to the dark side was undoubtedly the covid 19 pandemic in 2020. The disease confused a lot of people, including Elon. But Musk's analytical mind subsequently perceived that there were real political benefits to be gained from this sudden loss of people's bearings. People were suddenly much more vulnerable to fake news.

The technological leap in which Musk is fully involved, with the insane acceleration of computing and science, is accompanied by profound changes on the sociological level. A much greater emphasis on women in society. The recognition of sexual as well as ethnic minorities, which has taken the name of wokism in the USA, has itself been propelled by the metoo phenomenon.

For me, wokism is the right of the weakest. A descendant of the human rights essential to society. The fact that this term was only coined in the 20th century by Martin Luther King speaks volumes about the human species. But wokism has always existed, and is not peculiar to the United States or to communitarianism. We just had to put a name to the concept.

The struggle of minorities is, of course, a struggle for power. It can lead to excesses and shortcomings, and in particular to an absolutely detestable attempt to police language, and to instruct a kind of thought police, of permanent “political correctness”. 

These excesses have given a very negative tinge to wokism among most Americans. It's part of what sowed the seeds of Kamala Harris's defeat of Donald Trump in the year 2024. But let's be clear, only part of it. As I see it, the people who voted for Trump did so first of all selfishly, to have their taxes lowered. Second, they did it to reject mass immigration. Thirdly, they did it out of disgust with the previous government, and only on a fourth level out of rejection of wokism and societal evolutions. 

The widespread loss of reference points, both sociological and technological, has naturally encouraged a conservative impulse.

So it's highly ironic that one of the greatest propagators of change, Elon Musk himself, after buying Twitter in 2022, turned it into X the following year before, in 2024, turning it into a propaganda tool in the service of his new master, the emperor of conservatism Trump. Musk posted hundreds of tweets a day in support of Trump's campaign, and donated $100 million.

The man many of his employees no doubt nickname Darth Vader, Musk, has gone so far as to have the algorithms of the former Twitter modified to favor pro-Trump rhetoric. The CEO undoubtedly conceived an unhealthy glee in transforming Twitter, a formerly progressive and moderate instrument, into a big computer virus disseminating fake news and propaganda. Remember: the same sociopathic glee he used to feel when walking around Twitter's premises carrying a sink.

To take another metaphor, if Trump is the evil Pied Piper dragging his people into the abyss, the flute is X. 

Elon's anti-Wokism isn't just political. On the contrary, it's strongly linked to his family. A detestation of the high school his son Xavier attended, where he is said to have contracted “the woke virus”. For me, the day Elon signed his passage to the dark side with his family's blood was the day he said that the woke virus had killed his son Xavier, in 2022. The day he rejected his own son because of his transition to female. The day he rejected Vivian Jenna Wilson for good.

That's when Elon Musk merged with his father Errol. 

And Vivian Jenna Wilson reacted, in 2024, in the same way as her progenitor did when he left the family nest to migrate to another country. Following the election of Donald Trump, Vivian in fact announced her decision to leave the United States.

Are you starting to believe me when I talk about family patterns?

It's worth noting that people who make transitions to the opposite sex in good faith, and go through with it physically, are often autistic. 

Elon Musk himself has Asperger's autism. It's a safe bet that Vivian Jenna Wilson is also on the autism spectrum. Which means Musk may have rejected the family member closest to him. Out of ignorance. Out of insanity. 

And now, in 2024, Elon Musk and his father Errol are joining forces to sing the praises of one man, Donald Trump. Donald Trump, who will benefit from Elon's good advice, as he enters the cryptocurrency business. A business all the more juicy when you become President of the United States. No, no, no conflict of interest, of course... 

Trump is not, of course, just a surrogate father to Musk. Rallying behind him will allow him to benefit from tax exemptions from 2025 onwards. His rallying is first and foremost about business, as demonstrated by the surge in Musk companies on the stock market once “Dumpy Trumpy” was elected. 

I mentioned Donald Trump in my article on mental illness, about sociopaths. But I also talked about possessive mothers and unloving mothers.

Looking at the case of Elon Musk's family, I think it's fair to say that there's an “unloving father” fusion aspect to both Errol's relationship with his son, and Elon's relationship with Vivian Jenna Wilson.

My hypothesis is that the schizophrenia gene has derivatives, including autism, and in particular Asperger's autism. Autism and paranoid schizophrenia are obviously very different conditions. But to my mind, what links them is the fusional aspect. In this case, Elon Musk's passage to the dark side would mean a mental regression in which his psychic individuality would merge with that of his father. 

Elon's father, Errol, is 81. The way to test my theory would be to examine the state Elon finds himself in when his father dies. If he finds himself completely devastated, in a state of deep depression, that would be a sign that my hypothesis is correct. 

I'm not a qualified psychologist, of course, but because of my family background, I'm interested in conditions such as schizophrenia and its gene derivatives (to be clear, I've never suffered from schizophrenia myself. But ask the authors around you, and I'm sure you'll find cases of schizophrenia in their families).

So now, you may ask, what are we to think of Space X and Tesla? Should we boycott Musk's companies as we would boycott Elon himself? 

My answer is no. If I had to choose a new vehicle today in 2024, and not in 2020 as I did, I probably wouldn't want to put money in Elon Musk's pocket by buying one of his cars. I'd probably turn to the competition, to another electric car. But that would be an emotional response above all, because the best charging network is still Tesla's. 

And let's face it, my Tesla is still a fantastic car in my eyes, even if Musk's ventures bear his signature indelibly, and even if my opinion of the individual has greatly evolved. As you can see from the articles below. 

In my opinion, the vast majority of Tesla and Space X employees are still progressives. They want humanity to evolve in the right direction, not in the direction of the Trumpist dictatorship, from which we don't know if the United States will recover. 

On the subject of Space X, the desire to industrialize space still seems essential to the conquest of Mars. But there will be ecological repercussions that could have a serious impact on the ozone layer, and which we need to monitor very closely. 

The fact that oversight bodies such as the FAA and FDA will be subject to the control of Elon Musk himself from 2025 under the Trump administration is chilling. On the other hand, the theodule committee decreed by Trump, which Elon Musk will co-chair, already looks like a pantalonnade. A committee tasked with slashing public spending that is going to pay not one but two directors doesn't seem to me to embody the values of sound economic management or efficiency.

The fact that oversight bodies such as the FAA and FDA will be subject to the control of Elon Musk himself from 2025 under the Trump administration is chilling. On the other hand, the theodule committee decreed by Trump, which Elon Musk will co-chair, already looks like a farce. A committee tasked with slashing public spending that is going to pay not one but two directors doesn't seem to me to embody the values of sound economic management or efficiency.

So much for my very modest insight into the latest developments from Mar-a-Lago's new resident, Elon Musk. Hopefully, you'll get a bit more out of it than just a chat over the counter.

Other articles on the same subject:

- Elon Musk's straight to the point

- Elon Musk and hyper-aggressiveness

- Elon groks the fullness?

 

 


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Published on November 15, 2024 08:23

November 12, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 20

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le vingtième.

20. Une mauvaise surprise 

Le retour en jetbus à Argea fut l’un de ces moments hors du temps. Par la suite, Jaynak ne put s’en souvenir sans avoir la gorge serrée. Le sol s’éloignait et avec lui, les bâtiments oblongs de la base. Pendant un instant, on put encore apercevoir quelques Fervents en compétition sur l’un des parcours du combattant. Une puissante accélération se fit ressentir. Alors même qu’ils laissaient derrière eux l’île maudite qui avait vu périr Glenk et où la personnalité de Lorkcho s’était dissoute dans les vapeurs de sengré, Jaynak devait se composer un visage de marbre. En plus de Naldeia, Ymeo l’accompagnait en effet dans le jetbus. Les deux autres, Yrkel et Nejb, étaient les Fervents qui les avaient précédés dans le bureau d’affectation, des gaillards bien bâtis. L’absence de drone SR aux côtés d’Ymeo était l’exemple le plus frappant de la confiance accordée aux Fervents. Naldeia et lui auraient pu se jeter sur elle pour exercer leur vengeance, lui faire payer les épreuves subies. Si leur ancienne guide-instructrice se tenait là si nonchalamment, c’est que Naldeia et lui-même avaient donné mille preuves de leur dévouement à la cause de son maître. Sauraient-ils briser leur conditionnement s’il le fallait ? Jaynak avait quelques doutes. Ymeo s’était certes montrée parfois impitoyable envers ses stagiaires. Elle ne s’était pourtant pas rendue coupable de cruauté gratuite à leur encontre, se contentant, d’après ce que Jaynak avait pu en juger, d’exécuter les ordres. Les yeux de la jeune femme s’enfiévraient dès qu’il était question de Grendhcko, il ne fallait pas attendre d’elle une once de rationalité à son sujet. Pour le reste, cependant, elle était assez prévisible. 

Jaynak réprima un sourire amer. Le fait de se retrouver choisi par elle dans son service, puis invité à monter dans le même jetbus, pouvait être vu comme une distinction honorifique. Bien décidé à survivre, il en avait peut-être trop fait pour montrer sa valeur. A moins que ses prédispositions avec l’argelen soient réellement la cause de sa sélection, comme l’avait laissé entendre la jeune femme. Dans ce cas, il devait y avoir une raison bien précise pour que Naldeia ait également été prise. Il l’interrogerait peut-être plus tard à ce sujet. 

L’intéressée ne lui avait pas adressé un regard depuis qu’ils étaient montés dans le jetbus. Jaynak aurait pu croire avoir rêvé ce moment où elle lui avait exprimé sa satisfaction de se voir transférée au même endroit que lui. C’était là un rappel utile. Jaynak ne devait pas sortir de ce rôle qu’il s’était choisi, dont il se demandait parfois si c’en était bien un tant la déférence envers ses maîtres lui venait facilement. Afficher une approbation sans réserve pour les idées de ses supérieurs, guetter ce qu’on attendait de lui et s’exécuter au maximum de ses capacités sans une arrière-pensée, tel avait été son quotidien ces derniers mois. Lorsqu’on se transformait à ce point en instrument de la volonté des autres, pouvait-on encore faire preuve d’esprit critique ? 

Jaynak reporta son attention vers le hublot à polarisation adaptative du jetbus. Comme ils s’élevaient graduellement, son regard se fit plus avide. Ils traversèrent plusieurs couches nuageuses avant que ne se profilent les silhouettes des titans de basalte. Bientôt, Jaynak fut en mesure de discerner la forme particulière et la disposition des noyaux et superstructures des immenses arbres minéraux. Aucun doute, c’était bien Argea, l’orgueilleuse cité qu’il avait cru ne jamais revoir. Conscient de l’émotion qui lui étreignait la poitrine et menaçait de le faire chavirer, Jaynak maintint obstinément le regard rivé au travers du hublot. Le secteur duquel ils s’approchaient se signalait par le nombre de ses bâtiments issus de l’architecture fengirienne. Ces derniers faisaient figure de pièces rapportées, mais leur caractère ostentatoire et leur importance désignaient bien le noyau des nouveaux riches, Megeal. 

Le jetbus se posa. Naldeia avait le visage neutre. Jaynak s’efforça de copier la détermination qu’il lisait sur les traits d’Yrkel et Nejb. Ymeo le scruta un instant avant de hocher la tête et de sortir la première. « Je vais vous montrer vos bureaux, dit-elle quand chacun l’eut rejointe sur la plate-forme. Suivez-moi. » 

L’entrée se constituait d’une arche de vitriglass dont la polarisation ne laissait rien deviner de l’intérieur. La large porte à double battant se confondait dans le même matériau, elle glissa silencieusement devant eux. « Bienvenue au sein de l’ORG, dit Ymeo — les Oreilles de Grendchko. » 

Les locaux étaient aseptisés mais confortables, et équipés de terminaux dernier cri. Il y avait même une salle holo, et dans l’une des pièces Jaynak eut la surprise de découvrir une paire de cubars. Un androïde nommé Beyl leur détailla les multiples instruments. « Nous avons bien sûr des Intelligences Synthétiques pour tout ce qui concerne le renseignement, dit l’androïde, mais notre maître Grendchko pense que des individus dotés d’intuition peuvent recouper des informations selon des paramètres différents. 

– Vous allez donc devoir prouver votre utilité, dit Ymeo. Beyl va déjà vous initier à certaines de vos tâches, et à la fin de la journée, vous serez libres de retourner chez vous. Vous serez convoqués chaque matin par votre système domotique, et vous arriverez à l’heure. Ne croyez pas qu’il s’agisse d’une activité comme une autre. Les enjeux sont beaucoup plus élevés ici, et la punition en cas de faute ou de manquement, immédiate. Elle peut frapper autant vous-même que vos familles. Vous devez vous montrer hermétiques au sujet de votre travail ici. Rien ne doit sortir. Je me fais bien comprendre ? 

 – Oui, Adepte Ymeo, répondirent les quatre Fervents. 

– Qui dit exigences élevées dit aussi récompenses à la hauteur. Je ne le mentionne d’ailleurs qu’en passant. Je sais que vous n’êtes pas ici pour les récompenses, mais pour servir notre maître. 

– Gloire à Grendchko ! » clamèrent en chœur les nouvelles recrues. 

Jaynak passa le restant de la journée à s’efforcer d’absorber des dossiers concernant les activités suspectes de différents groupes de Nadariens sur Argea. Il avait pour tâche de mémoriser le profil de certains individus, puis d’utiliser le cubar pour tenter de repérer leur trace dans l’argelen. De la même manière que par le passé, il se connectait au nœud de partage et de connaissance du savoir des anciens, Nelder, pour y obtenir des intuitions sur les technologies à développer, il devait parcourir différents points de rencontre des connexions neuro-télépathiques — les nœuds — pour y retrouver l’empreinte des suspects et y surveiller leurs faits et gestes. Nprim, le plus vaste centre de communication, était l’un des plus accessibles mais pas le seul, loin de là. En fait, il y avait de quoi se sentir submergé par l’ampleur de la tâche. Il fallait resserrer le maillage en tenant compte des caractéristiques du sujet, de ses besoins et aspirations. Même ainsi, le travail était presque insurmontable. Un Guide Communiant aurait sans doute été beaucoup plus compétent en la matière que Jaynak, mais ces Guides étaient précisément le type de personnes qui ne risquaient pas de faire partie des Fervents de Grendchko. 

Jaynak approcha la main du cubar en gardant à l’esprit le visage de sa cible, un étudiant ayant tenu des propos déviants sur un forum de la Ruche. L’individu avait pour spécialité l’archéologie, et Jaynak espérait pouvoir se connecter à Nlendr, le nœud dédié à ce champ de connaissance. 

La surface demeura lisse et froide sous la paume — la connexion ne se faisait pas. Jaynak redoubla de concentration, se remémora les techniques qu’on lui avait enseignées, enfant, et fit preuve de patience. Rien n’y fit. Il fut pris d’un frisson. C’était à croire que sa transformation en Fervent l’avait pour de bon coupé du lien primitif avec l’argelen, dont il avait été si fier autrefois. Chacune de ses tentatives était une pelletée de terre de plus sur le cercueil de ses espoirs. Comment pourrait-il être utile dans ces conditions ? Et qu’allait-on faire de lui si l’on découvrait ses échecs ? 

Il inspira profondément et leva les yeux au plafond. Paniquer était pire que contre-productif. Ses employeurs devaient bien se douter de la difficulté de la tâche. Ils ne pourraient constater son inaptitude que si l’un d’eux se connectait au cubar simultanément avec Jaynak, en parallèle. En attendant, il n’avait d’autre choix que de gagner du temps. Pour cela, il devait passer sous silence sa déconfiture. Et surtout, ne rien laisser paraître. 

Il revint vers son bureau en prenant garde à ne pas traîner des pieds. Nejb se dirigeait en compagnie d’autres employés vers la sortie. C’était la fin de la journée. Jaynak utilisa un terminal pour contacter sa sœur et lui demander de venir le chercher. A son tour, il sortit du bâtiment, s’étonnant de cette liberté incroyable, s’attendant à tout moment à se voir interpellé et de nouveau emprisonné. Adossé au parapet de la passerelle communiquant avec les plates-formes des flotteurs, il fut rejoint par Naldeia. « Tu as l’air bien pâle, lui glissa-t-elle. Est-ce que ça va ? 

– L’émotion de retrouver ma sœur, dit-il. Et mon chez-moi. 

– Je connais ça. Moi aussi je croyais avoir tout perdu. » Elle dirigea vers lui les paumes de ses mains.

Les yeux de Jaynak s’arrondirent. Passée la première stupeur, il avança ses propres paumes et établit le contact. Joie, douleur, nostalgie, apaisement. La communion était la première depuis des mois, et des larmes lui montèrent aux yeux. 

Naldeia le dévisageait avec intensité, et paraissait sur le point de lui poser une question. Avait-elle deviné sa terrible déconvenue avec l’argelen ? Peut-être lut-elle la crainte sur le visage de Jaynak, car elle se détourna en fin de compte. Ils partagèrent un moment de quiétude, le vent balayant leurs plaques. Ce fut elle qui rompit le silence. « Comment vois-tu ce travail ? demanda-t-elle. 

– Comme le prolongement de notre stage de Remise sur la Voie. 

– Je suis d’accord. Avec plus de liberté. Ce qui veut dire plus d’opportunités, mais aussi plus de dangers. 

– Plus d’opportunités de servir notre maître Grendchko, bien sûr, pointa Jaynak. 

– Absolument. Et donc, de faire carrière à son service. » 

Jaynak la considéra un instant. Elle se tenait droite et fière en observant l’horizon, et une fois de plus, il ne put s’empêcher de l’admirer. Il y avait entre eux cette complicité de ceux qui ont traversé des épreuves et triomphé de l’adversité ensemble. Ce lien étroit pouvait lui-même être source de danger, s’il était vu comme susceptible de faire concurrence à la dévotion envers Grendchko. Ils avaient déjà été testés à ce sujet, et peut-être le seraient-ils de nouveau à l’avenir. Les convictions pouvaient-elles se dresser contre l’élan naturel entre deux êtres ? 

Mais pouvait-on parler de réelles convictions là où il y avait eu endoctrinement ? C’était là un terrain trop glissant pour Jaynak. Il préférait repousser toute pensée qui aurait pu être interprétée comme séditieuse. Quelques instants passèrent encore avant que le chuintement d’un flotteur ne se fasse entendre. Jaynak se tourna vers l’appareil, et son cœur fit un bond en reconnaissant Niducia. « Je dois y aller, dit-il à Naldeia. A demain. 

– A demain. » 

Les retrouvailles furent chaleureuses, le contact entre leurs paumes bien plus prolongé que le bref échange avec Naldeia. La sœur de Jaynak enclencha la conduite automatique à destination de son domicile, et ils se mirent à discuter à bâtons rompus. Jaynak prit des nouvelles plus détaillées de chacun des membres de sa famille qu’il ne l’avait fait jusqu’à présent, et Naldeia lui raconta tout ce qu’il avait manqué. 

Son frère Merek allait bien, mais ses missions l’emmenaient de plus en plus loin dans l’espace oblanite. Ses parents avaient mené des démarches officielles pour retrouver Jaynak, mais n’avaient pu aller jusqu’au bout, sous peine d’être mis eux-mêmes sur la sellette. Des Guides Communiants s’étaient fait l’écho des protestations des familles qui avaient vu ceux de leurs membres arrêtés et séquestrés au moment de la rafle des Cavernes d’Ambre. Ils avaient utilisé l’ensemble des moyens légaux à leur disposition. Grendchko s’était montré sourd à toutes les requêtes, et comme il bénéficiait de l’appui des Fengirs, nul n’osait questionner son pouvoir. Niducia elle-même avait dû dissuader son oncle Irkouk de franchir les limites en faisant appel à des réseaux parallèles proches des Réfractaires. 

Jaynak eut un frisson en se disant que son boulot au sein du service de renseignement consistait précisément à surveiller des gens comme son oncle, puis à obtenir le minimum de preuves nécessaires pour les faire incarcérer. 

« J’ai vu que les bureaux où tu travaillais avaient l’air très classe, commenta Niducia en dévisageant son frère. Qu’est-ce que tu fais exactement pour notre Premier Coordonnateur ? 

– Désolé. Pas le droit d’en parler. Juste… si tu apprends certaines choses au sujet des activités d’Irkouk, il vaudra mieux que tu évites de m’en faire part. » 

Niducia abaissa lentement les paupières. Après cela, la conversation retomba, et ce fut dans un morne silence qu’ils se séparèrent. 


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Retrouvez les cinq premiers chapitres en cliquant sur ce lien

 

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Published on November 12, 2024 13:53

November 4, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 19

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le dix-neuvième.

19. L’affectation 

Ymeo signifia à Jaynak, Naldeia, Lendev et Pechko leur changement de quartiers. « Vous occuperez dorénavant le dortoir de la Vème brigade des Fervents. Vous aurez accès aux mêmes endroits comme le centre de loisirs, aux mêmes équipements d’entraînement, et vous avez la possibilité de joindre vos familles et vos proches. Vous ne pourrez en revanche pas rejoindre vos domiciles jusqu’à nouvel ordre. » 

C’était une nouvelle étape décisive après le retrait du bandeau. Les quatre anciens stagiaires avaient cependant subi trop de tests pour se réjouir de manière démonstrative. Instinctivement, ils considérèrent ce regain de liberté comme une épreuve supplémentaire. De la même manière qu’ils n’avaient pas cru en l’absence de surveillance après le retrait des bandeaux et en ne voyant plus l’ombre des drones planer sur eux, de façon similaire ils tâtèrent le terrain avec précaution. Ils continuèrent ainsi à limiter leurs conversations aux aspects purement pragmatiques, sans jamais se confier sur leurs états d’âme et sentiments, et réfléchirent à deux fois avant d’appeler des membres de leur famille. Quand ils s’y décidèrent, ils n’hésitèrent pas à mentir, louant les conditions de leur accueil, allant jusqu’à faire l’éloge de ce Stage de Remise sur la Voie qui leur avait permis d’apprécier la vie sous un autre angle. 

« Donc, tu ne regrettes pas ton métier de responsable technique des réacteurs à la Transpulsion ? demanda Niducia sans chercher à dissimuler son incrédulité. Tu trouves que Grendchko a bien agi en faisant de toi l’un de ses Fervents ? » 

Jaynak s’était mentalement préparé à ce genre de question. Il savait qu’il ne devait laisser passer aucun blanc, et répondit avec assurance. « Notre premier Coordonnateur est un grand homme. Je l’ai vu en personne, tu sais. Il m’a montré de quelle manière je pouvais me rendre réellement utile. Tu vois, il a une vision, et en l’aidant à l’accomplir, je fais bien plus pour notre société qu’avec mon boulot quotidien à la Transpulsion. 

– J’ai du mal à en croire mes oreilles. Donc, tu es heureux ? 

– Je ne pourrais l’être davantage. 

– Tu as quand même maigri. Fais bien attention à toi, petit frère. Et maintenant que tu en as la possibilité, donne de tes nouvelles plus souvent. » 

Quand l’image holo de sa sœur s’estompa avant de s’évanouir complètement, Jaynak se fit l’effet d’être devenu un sacré menteur — une dangereuse idée, qu’il étouffa aussitôt. Ses échanges avec ses proches revêtaient l’apparence de l’une de ces holosims qui s’efforçaient de le prendre au piège afin de tester son conditionnement. Parler, penser, agir comme un Fervent lui était à présent une seconde nature, un costume toujours plus facile à endosser. Après tout, qui lui disait qu’il avait affaire à sa véritable sœur ? Ou à son oncle Irkouk ? Il avait conscience que la remise en cause systématique de la réalité autour de lui était un chemin dangereux, qui menait probablement droit à la folie. A cela, il devait bien exister une alternative, ou un refuge. 

Ce ne pouvait pas être le sengré, en tout cas. A grand renfort de volonté, il avait réussi à en repousser l’attrait. Glenk et Lorkcho étaient toujours présents dans un recoin de son esprit, gardiens vigilants ne demandant qu’à corriger sa trajectoire au moindre écart. Les Fervents de la base n’y étaient de toute façon pas aussi exposés que les stagiaires l’avaient été, et d’après l’odeur, leurs feuilles de sengré n’étaient pas trafiquées. L’attitude des nouveaux camarades de Jaynak qui en fumaient confirmait que leur sengré était beaucoup moins addictif. 

Les pensées de Jaynak, en revanche, revenaient se fixer avec insistance sur l’argelen. La communion lui manquait tant ! L’argelen ne mentait pas, il faisait partie d’une portion de réalité issue de la tradition, ne pouvant être manipulée par la technologie. Les Fervents la prétendaient corrompue, pourtant Jaynak avait un avis bien différent. Hélas, il n’y avait pas d’argelen sur la base. Et à chaque fois que l’idée lui venait de mettre la paume de sa main sur un cubar, cela lui renouvelait les irritations au niveau du front. Il n’avait pas trouvé la cause de ces démangeaisons. Plutôt que d’en parler à quiconque et d’éveiller des soupçons, il gardait cela secret, comme l’une de ses faiblesses inavouables. Comme tant d’autres choses qu’il fallait taire aussi longtemps qu’il aurait l’impression de se sentir vulnérable. 

Deux mois passèrent. Jaynak expérimenta les exercices à bord des CMA, les chars modulaires antigrav. Très versatiles, les engins pouvaient se transformer en pièces d’artillerie à courte, moyenne ou longue portée le cas échéant. Il eut également accès aux salles de loisirs où étaient diffusés les flashs infos des médias comme Nadaria, l’un des principaux groupes de la planète. Visionner ces flashs ne laissait aucune trace sur les réseaux. Cela se faisait à plusieurs en général, dans une pièce dédiée. En revanche, hors de question pour Jaynak d’utiliser l’un des terminaux de connexion à la Ruche mis à disposition dans la salle de loisirs. Il ne voulait pas le moindre indice d’une activité personnelle qu’on aurait pu interpréter dans un sens ou dans l’autre. 

C’est ainsi que Jaynak connut le dénouement des circonstances ayant mené à son emprisonnement. Grendchko avait tout simplement été contraint de lever le siège des Cavernes d’Ambre. Ce n’étaient pas les pertes, pourtant nombreuses, qui avaient précipité la décision mais la pression grandissante du peuple et des notables. Les Argéens n’ayant plus accès aux Cavernes d’Ambre avaient protesté en masse. Grendchko s’était d’abord montré sourd aux revendications. Puis il avait contre-attaqué, accusant ses concitoyens de ringardise. Devant la multiplication des dysfonctionnements, et notamment les perturbations dans la gestion si complexe des systèmes d’assistance gravitationnelle de la capitale planétaire, il n’avait eu d’autre option que d’interrompre l’assaut, et de retirer ses forces. 

Lorsqu’il prit connaissance de l’information, Jaynak eut le sentiment d’avoir manqué un épisode important de l’histoire récente de sa planète. En élisant Grendchko, ses concitoyens avaient donné le signal qu’ils étaient prêts, sinon à faire table rase du passé, du moins à remettre celui-ci sérieusement en question. L’alliance avec les Fengirs permettait d’envisager un développement technologique très différent de ce que les Nadariens avaient connu jusqu’alors. Or, avec cette sorte de soulèvement passif d’une partie de la population d’Argea, l’importance de l’accès à l’argelen d’ambre, et donc à la tradition, sautait aux yeux. Une vraie contradiction, qui révélait des courants souterrains de la société nadarienne — aussi labyrinthiques que les endroits où se terraient les Réfractaires. 

Quoiqu’il en fût, c’était la première fois que l’ascension irrésistible du Premier Coordonnateur avait été contrariée. Jaynak devina à quel point l’ego fragile du nouveau leader suprême avait dû en pâtir. En conséquence, Grendchko avait jeté son dévolu sur la conquête d’Oblan, planète dont il présentait l’occupation historique comme un jalon de l’âge d’or de Nadar. Il exhortait son peuple à s’engager dans la marine interstellaire ou l’armée, et multipliait les exercices militaires. Dans la base, Oblan était un sujet de conversation récurrent. 

Ce matin-là, c’était jour de répartition des affectations pour ceux des Fervents ayant terminé le socle de formation commune. Les apprentissages accélérés et les techniques avancées de détection des aptitudes individuelles permettaient en effet une initiation restreinte dans le temps, menant à une première spécialisation qui se verrait sans doute affinée dans le futur. Jaynak eut la surprise d’être appelé par le chef de strate. Dans les rangs des sélectionnés, aux côtés d’autres Fervents, il repéra Naldeia, Pechkov et Lendev. Il eut un pincement au cœur. Depuis qu’ils avaient intégré la Vème brigade, il n’avait eu que très peu d’échanges avec ses camarades. Et eux aussi avaient pris leurs distances les uns avec les autres, comme si leur vécu commun était une tare qu’il fallait au plus tôt ensevelir dans l’oubli. Seules les performances d’ordinaire supérieures à leurs concurrents de la Vème avaient eu tendance à rapprocher les quatre ex-stagiaires au cours des différents parcours et exercices. Mais une fois au repos, ils prenaient bien soin de rester séparés. 

On fit emprunter aux sélectionnés différents couloirs, et on les mena dans un hall où on leur demanda de patienter. Des portes étaient surmontées des initiales A à J. Les noms des Fervents apparaissaient les uns après les autres, associés à l’initiale de leur porte et un numéro correspondant à un bureau. Ils furent quatre à être appelés au F8, parmi lesquels Jaynak et, à sa surprise, Naldeia. Dans un silence religieux, ils franchirent la porte et s’avancèrent jusqu’à la salle d’attente. Les deux Fervents aux côtés de Naldeia et Jaynak, qu’ils connaissaient vaguement, furent convoqués les premiers, à tour de rôle. 

Pour la première fois depuis qu’il l’avait rencontrée, Naldeia sourit franchement à son camarade. L’éclat d’Altanis sembla traverser les plaques de Jaynak pour l’atteindre jusqu’au cœur, tant ce sourire était inhabituel. Les paroles qui suivirent le furent tout autant. « Je suis contente que nous soyons affectés au même endroit. » 

Devant la bouche ouverte de son compagnon et ses yeux écarquillés, elle eut un petit rire. Là encore, une nouveauté. La terre se serait-elle entrouverte devant Jaynak qu’il n’aurait sans doute pas été aussi surpris. Un courant lui parcourait le corps et réveillait chacune de ses cellules en le traversant. Même l’idée qu’il puisse s’agir d’un piège de plus qu’on lui tendait ne parvenait pas à diminuer l’intensité des émotions qu’il ressentait en cet instant. Tous deux s’étaient jusque là interdit tout attachement synonyme pour eux de faiblesse, et voilà que Naldeia entrebâillait une porte qui aurait dû rester close. Une ouverture vers un avenir si lumineux, cependant, que l’éclat en était à peine soutenable. En sondant la lueur bleue des yeux de l’ancienne stagiaire, il n’arrivait pas à douter de la sincérité de la jeune femme. Se détacher de ce regard pour surveiller l’inscription qui pouvait apparaître à tout moment sur la porte lui était pénible. 

Il n’avait pas encore tout à fait repris ses esprits lorsqu’il eut l’idée de lui demander où ils allaient être affectés. Heureusement, il se retint à temps. Comment aurait-elle eu l’information ? Elle avait simplement déduit de leur présence dans un même bureau qu’ils seraient envoyés au même endroit. Cela faisait sens, en y réfléchissant. Pourquoi, sinon, les Fervents auraient-ils été triés, regroupés et convoqués dans des bureaux différents ? 

Naldeia avait repris son sérieux. Jaynak lui répondit du ton le plus neutre possible. « On verra bien où on nous enverra. 

– C’est toute la question, en effet », dit-elle en hochant la tête. 

L’attente se prolongea. Jaynak jetait encore parfois un coup d’œil en direction de Naldeia, mais ses pensées s’assombrissaient. Il savait avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas se retrouver dans les mines d’Ulicron. Son avenir — leur avenir — allait se jouer d’un instant à l’autre. Une fois de plus, il ne serait qu’un pion allant là où on le transporterait. Durant les deux derniers mois, il était parvenu à se mentir de temps à autre, à se faire croire qu’il se trouvait sur cette base de sa propre volonté avec les autres Fervents. C’était à présent impossible. 

Il avait baissé la tête et voûté les épaules sans s’en apercevoir. Quand il entendit le glissement de porte, il réalisa que Naldeia avait été appelée la première — l’image holo de son nom était apparue devant l’ouverture, et la jeune femme la traversa pour entrer. Jaynak ne distingua rien par l’embrasure, sinon l’extrémité d’un bureau. Il demeura seul à ruminer ses pensées. Par réflexe, il redressa les épaules et fit de son mieux pour évacuer toute trace d’angoisse de sa figure. Un Fervent ne pouvait douter de l’avenir glorieux que lui réservaient son maître, ou ceux qui le servaient. Il revit les visages de ses collègues de travail à la Transpulsion, et son cœur se serra. Très vite, toutefois, il se reprocha cet élan nostalgique. Les dés avaient roulé, et il suivait un chemin radicalement différent. Regarder en arrière était une autre faiblesse. 

Son nom apparut enfin, et Jaynak bondit sur ses pieds. La porte glissa, et il s’avança. Au bout de quelques pas, la pièce s’élargissait. Il y avait une seconde porte, par laquelle devaient sortir les Fervents après leur entretien. En tournant la tête, il reconnut un visage familier. 

« Heureuse de vous voir, Fervent Jaynak, fit Ymeo. 

– Guide-instructrice. 

– Vous pouvez m’appeler du nom d’Adepte Ymeo, à présent. Je viens d’en recevoir le titre. » 

Jaynak ne cacha pas sa surprise. « Vous suivez donc la voie de l’argelen. 

– Disons plutôt que je m’en sers comme d’un outil. Et vous allez m’aider dans ma tâche. Vous verrez que les Adeptes nommés par notre Premier Coordonnateur n’ont plus grand-chose à voir avec les Adeptes à l’ancienne mode. De grandes réformes sont en cours. » 

Jaynak se contenta d’opiner, ne sachant que dire. Les Adeptes constituaient le rang inférieur par rapport à celui de Guide Communiant. Cependant, le fait pour un Nadarien d’être nommé Adepte impliquait qu’il deviendrait tôt ou tard Guide Communiant. Que cette fonction puisse un jour échoir à Ymeo était pour le moins incongru. La jeune femme n’avait jamais montré beaucoup de respect pour la tradition. Toute sa dévotion allait à son maître, Grendchko. 

« Votre dossier à la Transpulsion indique que vous vous serviez de l’argelen pour formuler des suggestions d’amélioration des moteurs ? » 

En quelques mots, Ymeo venait de réimprimer dans l’esprit de Jaynak un passé issu d’une autre vie. Sa lèvre trembla un instant, avant qu’il ne se reprenne. « C’est exact. 

– Vous avez donc une maîtrise de l’argelen supérieure à de nombreux collègues. 

– J’ai quelques facilités, on va dire. 

– C’est exactement ce qu’il nous faut. Je vous confirme votre affectation sous ma direction au service Renseignements-Intervention d’Argea. En plus de quelques autres Fervents, vous y retrouverez votre camarade Naldeia. Vous vous entendez bien avec elle ? 

– Son dévouement à notre maître est sans faille. 

– Ce n’est pas ce que je vous demande, dit Ymeo. 

– Nous travaillons bien ensemble. 

– C’est ce qu’il me semblait. Vous allez très bientôt avoir l’occasion de nous prouver votre efficacité. »

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Published on November 04, 2024 07:12

October 28, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 18

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le dix-huitième.


18. La voie des Fervents 

« Veuillez sortir de la salle », fit une voix métallique. Jaynak savait que les ondes sonores seraient dispersées avant de pouvoir atteindre ses compagnons toujours dans leur simulation, et qu’il était donc le seul concerné. La porte glissa devant lui et il se retrouva dans le corridor. Bientôt se présenta la silhouette de taille moyenne d’Ymeo. Elle lui sourit, et l’éclat bleu de ses yeux lui apparut moins glacial qu’à l’accoutumée. « Je sors d’une communication avec le maître. Il tient à vous faire savoir qu’il est très satisfait de votre prestation dans la salle holo. Il ne vous en veut pas d’avoir bousculé son avatar. 

– Vous m’en voyez ravi. » Jaynak essaya de mettre de la conviction dans sa voix, sans guère de succès à son goût. Ymeo ne parut pas s’apercevoir de son manque d’enthousiasme. 

« Vous pouvez l’être. C’est une étape importante que vous venez de franchir. Il était primordial pour nous d’apprendre que votre sens du sacrifice s’appliquait pour le bien de notre maître. 

– C’est la voie des Fervents. 

– Je ne vous le fais pas dire. C’est un moment que vous ne devez pas oublier, et qui vous soutiendra dans les épreuves à venir. » 

Elle n’ajouta rien, et Jaynak s’abstint de lui poser des questions. Tout cela ne présageait pas grand-chose de bon. En même temps, y avait-il eu un seul fait positif depuis qu’il avait intégré ce foutu stage ?

Ses compagnons ne tardèrent pas à sortir chacun à leur tour. Naldeia avait peut-être le teint un peu plus pâle que les autres, mais ne montrait rien. Jaynak admira le courage dont elle faisait preuve. Sur le trajet du retour vers leur cellule, il lui fit un petit signe de tête pour lui témoigner son soutien. Elle ne sembla pas le remarquer. 

Les ballons-tubes emplis de sengré les attendaient dans leur dortoir. Lorkcho, cependant, n’était quant à lui pas présent. « Ils ont dû lui imposer une autre épreuve, déclara Pechko lorsqu’ils discutèrent de son absence. S’ils ne lui ont pas remplacé son ballon-tube, c’est juste qu’ils veulent le sevrer quelque temps. » 

Jaynak lut sur le visage de Naldeia le reflet de ses propres doutes. Nul n’éleva d’objection, pourtant. En observant la jeune femme, Jaynak maudit le bandeau qu’ils portaient, et l’incessante surveillance dont ils faisaient l’objet. Elle devait avoir besoin de s’épancher, de se livrer. Parler à une oreille amie était toujours le début de la solution. L’espoir, en tout cas, de pouvoir rendre une expérience traumatisante un peu moins empoisonnante. Le partage du fardeau… Elle se tenait pourtant droite, sans fléchir malgré son expression de dégoût profond, et Jaynak perçut en elle l’étoffe de la résilience. Son respect pour elle ne fit que s’accroître. 

Lorkcho ne reparut pas au repas du soir, et pas davantage le lendemain. C’est en évoquant son image et celle de Glenk que Jaynak parvenait à repousser les élans de son corps vers le ballon-tube. Le sengré, ce sengré en particulier, c’était l’oubli de la douleur, mais aussi celui de sa dignité de Nadarien. La souffrance ne pouvait vous rendre plus fort que si vous l’affrontiez les yeux dans les yeux. 

L’absence de Lorkcho lui pesait, bien sûr. Elle planait également telle une ombre sinistre sur ses compagnons. Aussi ce matin-là, au moment où ils rejoignaient le parcours du combattant de l’avant-veille, Jaynak aborda-t-il ouvertement la question. Il avait le sentiment d’avoir gagné suffisamment de crédit auprès d’Ymeo pour pouvoir se le permettre. 

« Votre camarade a été appelé sur une autre voie, plus adaptée à ses capacités, répondit leur instructrice. 

 – Ailleurs qu’ici ? demanda Jaynak. Nous ne l’avons pas vu sur la base. 

– Cela dépasse mon niveau d’habilitation. Et clairement le vôtre. » 

Le ton était aussi menaçant que l’attitude. Jaynak aurait voulu étrangler la jeune femme pour lui faire cracher le morceau — lui faire avouer que sa pire crainte s’était réalisée, que Lorkcho avait bien été transféré sur Ulicron. Il baissa la tête tout en se fustigeant pour sa lâcheté. Nul de ses compagnons ne chercha à en savoir davantage. Jaynak avait-il eu dès le début le pressentiment du destin funeste de son camarade, ce qui expliquait qu’il avait tenté de le prendre sous son aile ? Ou bien se montait-il la tête, victime du stress du quotidien ? A ses yeux, la réponse était évidente. 

Après cela, ce fut comme un long tunnel où les épreuves se succédaient sans fin. La plus difficile de toutes fut de repousser les attraits du sengré jour après jour, mais le visage de ses compagnons était à présent gravé en lettres de feu sur son ballon-tube. Il puisait suffisamment de force dans ce souvenir pour rejeter la tentation, malgré l’épuisement à chaque fin de journée. L’amélioration progressive dans les épreuves de force, d’endurance ou d’habileté aux différentes armes ne procurait à Jaynak qu’une amère satisfaction. Certes, il pouvait désormais dégainer un disrupteur et tirer avec de raisonnables chances de succès, même sans viseur, et plus vite que la moyenne. Mais les simulations de chasse avec les Fengirs, de même que les expériences en salle holo au service de Grendchko étaient autant de tentatives de conditionnement. Il fallait subir et faire semblant de ne pas s’en apercevoir. 

Un jour, dans une salle holo, Naldeia et lui furent séparés des autres. Ils avaient pour mission de repérer les premiers un haut dignitaire naldarien susceptible d’être agressé par des Réfractaires. Nadeia reçut l’ordre dans son oreillette de grimper sur un arbre afin de signaler le point d’observation le plus discret et propice. Jaynak devait quant à lui vérifier la présence de traces possiblement laissées par les Réfractaires dans la végétation. Cela lui prit un moment avant que ne reparaisse Naldeia. Elle l’amena vers un champ sur un coteau en altitude, où poussaient de hautes herbes. Tous deux s’y allongèrent. Lendev et Pechko avaient leurs propres objectifs, dont ils ignoraient tout. Elle se tourna vers lui et le fixa avec une gravité et une intensité inhabituelle. « Nous pouvons cesser de jouer la comédie à présent que nous sommes seuls », commença-t-elle. 

Jaynak écarquilla les yeux. 

« On sait tous les deux comment ils ont eu Glenk et Lorkcho. Et toi, toi tu es bien placé pour savoir ce que Grendchko m’a fait. On doit trouver le moyen de sortir d’ici, ou au moins de faire parvenir un message à l’extérieur. » 

Jaynak ne dit rien tout d’abord. Il prit une inspiration, puis empoigna son disrupteur, se leva et le pointa sur Naldeia. « Arrêt du programme en raison de propos séditieux. Je répète, propos séditieux de Naldeia. Je souhaite signaler une grave traîtrise envers notre maître Grendchko. » 

Les hautes herbes disparurent aussitôt, ainsi que le personnage de Naldeia et le disrupteur dans sa main. Jaynak hocha la tête, puis s’avança de lui-même vers la sortie. Il se demanda s’il serait tombé dans le panneau s’il avait été un vrai traditionaliste, peu au fait des technologies importées. Si sa pratique des salles holos, en particulier avec un programme inconnu, ne lui avait pas fait expérimenter à quel point on pouvait avoir affaire à un jeu de dupes — de faux semblants et d’illusions. D’après son hypothèse, la véritable Naldeia s’était bien dirigée vers l’arbre hors de sa vue où elle avait accompli ce qu’on lui demandait. Mais en redescendant, elle avait dû trouver au pied du tronc un faux Jaynak. Elle lui avait indiqué un autre lieu que les hautes herbes comme point d’observation. Pendant ce temps, une fausse Naldeia, en tout point identique à l’originale, réapparaissait auprès de Jaynak pour s’apprêter à tendre son traquenard. Il supposait que la vraie avait elle aussi subi un test de loyauté similaire, et espéra qu’elle avait également su le réussir. 

Oui, il fallait à tout prix qu’elle ait pu déjouer le piège. S’il devait accomplir la suite du stage en sachant que la jeune femme avait été envoyée dans les mines d’Ulicron... 

La confirmation de sa théorie lui fut apportée un peu plus tard dans la journée, quand il la revit et qu’elle fit un signe du menton dans sa direction. Si on n’avait pas tenu rigueur à Naldeia des propos soi-disant prononcés par elle dans la salle holo, c’est bien que ces phrases étaient issues du programme lui-même. Il manqua défaillir de soulagement, et eut un pâle sourire. 

Sur le point de s’endormir ce soir-là, une nouvelle éventualité lui vint à l’esprit. Naldeia pouvait travailler pour Grendchko depuis le début. Jouer le rôle d’une prisonnière lui permettait d’espionner les autres stagiaires. Dans ce cas, elle devait envoyer ses rapports à sa hiérarchie dès qu’elle était séparée du reste du groupe. 

Un frisson le traversa. Mais si c’était le cas, pourquoi aurait-elle attendu de se trouver dans une salle holo pour lui tenir ce genre de propos ? Pourquoi ne pas faire comme Glenk, profiter de la nuit, moment où ils ne portaient plus de bandeau, pour lui parler ?Non. Cela ne cadrait pas avec le personnage. Depuis le début, Naldeia avait été la discrétion même. Elle n’aurait pas pris un tel risque. C’était d’ailleurs ce qui avait alerté Jaynak dans la salle holo, le fait qu’elle franchisse ainsi le pas et se dévoile. Et sa réaction après ses instants d’intimité forcée avec Grendchko… Aurait-elle pu simuler aussi brillamment son aversion ? Jaynak en doutait. Il porta la main à son front pour se gratter avant de la retirer avec irritation. 

Les jours suivants, le silence entre les stagiaires fut plus pesant que jamais. Quand ils prenaient la parole, ils n’abordaient que des sujets frivoles ou purement utilitaires. Chacun visait à se dévoiler le moins possible, Jaynak le sentait bien. Ces tests de loyauté étaient un stress supplémentaire qu’on leur infligeait. Pourtant, sur le terrain, certaines épreuves imposaient de coopérer et de se connaître, voire de se faire confiance un minimum. Il y avait en outre une solidarité instinctive liée au fait d’avoir survécu jusque là. Même Lendev, le plus individualiste d’entre eux, avait parfois des gestes d’assistance. Il fallait donc se fier aux gestes, aux expressions et aux actes pour mieux se connaître. D’une certaine manière, devoir se passer de mots permettait aussi de se rapprocher d’une forme de vérité qui serait peut-être restée inaccessible sinon. Nul n’était prêt, cependant, à joindre la paume de ses mains avec l’un des autres. Trop intime, cette communion aurait témoigné d’une vulnérabilité à proscrire à tout prix dans ces conditions. Le pire pouvait toujours survenir pour n’importe lequel d’entre eux, et il fallait s’y préparer. 

Combien de jours passèrent ? Jaynak en avait perdu le compte. Quand Ymeo, un matin en salle de réunion, leur annonça que dorénavant, ils allaient être intégrés à un groupe de Fervents de Grendchko, la surprise fut totale. 

Au début, ils eurent à endurer le mépris du reste du détachement pour ces Jaunes qu’on leur imposait. Mais Jaynak s’aperçut que les épreuves soumises aux Fervents étaient moins difficiles que celles qu’ils avaient eux-mêmes dû surmonter. Très vite, moqueries et quolibets cessèrent, car Lendev et Jaynak notamment rivalisaient avec les leaders du groupe. Nombre des Nadariens à leurs côtés ne s’étaient enrôlés que pour témoigner leur soutien à Grendchko tout en touchant une paie, mais n’avaient pas de qualités physiques particulières, ni de réelle motivation à triompher des épreuves. Il n’y avait plus de drones pour monitorer et punir. 

Jaynak restait prudent toutefois, et ne manquait pas une occasion de prouver sa loyauté à Grendchko. L’un des Fervents se plaignit ainsi un jour devant lui des conditions de confort et des horaires de travail. Il le rabroua fermement. « Tu devrais te sentir honoré d’être ici, et de travailler pour le maître. Ce que nous faisons ici nous dépasse tous, souviens t’en. 

– Tu ne peux pas dire autre chose. Tu es un Jaune.

 – Personne ne t’a forcé à devenir un Fervent. A quoi bon venir ici, si ce n’est pour honorer Grendchko ? » 

Comparés à la plupart des autres, les quatre stagiaires donnèrent, par leur attitude aussi bien que par leurs résultats, l’impression d’être une élite et non des individus sur le chemin du redressement. Au bout du premier mois, on alla jusqu’à retirer à Jaynak et ses compagnons leur bandeau. Ils devenaient des Fervents à part entière, et cela changeait tout. 

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Published on October 28, 2024 07:22

October 21, 2024

L'Essence des Sens : chapitre 17

A titre expérimental, j'ai décidé de faire paraître un nouveau chapitre de mon dernier roman, L'Essence des Sens (Science-Fiction), sur ce blog chaque semaine. Voici le dix-septième. A vous de voir si j'ai été doué de prescience en écrivant ces lignes...

17. Héroïsme

Jaynak reposait sur sa couche, les yeux au plafond. Il eut envie de se gratter le front, mais y renonça rapidement. Les cuisantes douleurs de la matinée avaient beau n’être que souvenirs, il avait encore l’impression de les ressentir. Le parcours dans la ville factice s’était avéré nettement plus long et tortueux que prévu. La satisfaction de pouvoir abattre certains des droïdes sans être touché par eux avait très vite été tempérée. Il arrivait que plusieurs adversaires surgissent en même temps. Si on se contentait d’en descendre un en restant immobile, on subissait invariablement la morsure de la décharge électrique du second. Parfois, le tir venait dans votre dos. Faute d’ignorer la douleur, se retourner et viser l’ennemi dans les deux secondes suivantes, celui-ci vous alignait une deuxième fois. Lorsque, informé par l’expérience, on faisait volte-face à temps, souvent il n’y avait plus personne, le droïde s’étant mis à couvert. Pour avoir entendu les nombreux cris de Lorkcho, Jaynak était certain d’avoir été beaucoup moins touché que lui. Les décharges au niveau du crâne venaient d’adversaires positionnés en hauteur, qui prenaient un malin plaisir à profiter du moindre moment d’inattention. Un voile rouge devant les yeux, Jaynak s’était efforcé de courir la plupart du temps en zigzag, courbé afin d’offrir une cible moins évidente. Apprendre à discerner les véritables endroits où l’on ne risquait rien — en tout cas provisoirement — se faisait fréquemment au prix de ces punitions qu’Ymeo qualifiait de motivationnelles. Jamais Jaynak ne s’était aussi souvent senti gibier qu’au cours de l’interminable séance de la matinée. 

Il jeta un coup d’œil sur le lit à sa droite, celui de Lorkcho. Son compagnon inhalait avec son avidité déjà trop coutumière le sengré. Il n’avait pas même voulu passer à la douche sonique. Vers la fin de l’exercice, Jaynak avait aperçu Naldeia lui tendre son pistolet qu’il avait laissé tomber dans une rue, et l’encourager à continuer. Le binôme de Lorkcho, Lendev, l’avait quant à lui abandonné, le trouvant trop lent. Naldeia et Pechko avaient donc dû jouer les gardes du corps, flanquant le gros homme et le protégeant de leur mieux. Jaynak avait pourtant espéré que la séance serait moins catastrophique, car un peu moins physique que le parcours du combattant de la veille. 

Son regard se posa sur Naldeia. Il eut un hochement de tête de connivence. Elle non plus ne touchait pas à son ballon-tube. Ce n’était pas comme si chaque cellule du corps de Jaynak n’exigeait pas le sengré, cependant. Le rituel du passage vers la strate de Glenk lui avait rappelé l’importance capitale de la dignité de chaque Nadarien, et en particulier la sienne. Il devait à la mémoire de leur compagnon d’affronter sa cruelle disparition en toute conscience, sans chercher à atténuer la douleur. Glenk lui-même, la nuit précédente, l’avait mis en garde contre le sengré. Ce n’était pas seulement leurs conditions de détention et d’isolement qui rendait le produit si fort. Jaynak le percevait à présent clairement, jamais du simple sengré n’avait eu un effet aussi addictif sur lui. Accepter d’en inhaler aurait été une nouvelle fuite en avant. Autant laisser l’ennemi prendre possession de vous, à l’intérieur comme à l’extérieur. Son corps devait être son rempart, sa forteresse, et non l’allié de l’ennemi. Pour l’avoir prévenu, pour l’avoir mis en garde, Glenk avait trouvé la mort. Son sacrifice devait servir à quelque chose. Mais Lorkcho… Lorkcho… 

Jaynak se recroquevilla sur sa couche, se tourna du côté opposé à son compagnon et ses volutes. Il avait essayé de l’avertir au moment du retour. Mais quand il lui avait murmuré de ne pas toucher au sengré, il n’avait eu droit qu’à un regard vide, effrayant. Jaynak ferma les yeux, s’efforça de chasser ses pensées. Il avait les membres moulus, et ignorait ce qu’on leur réservait pour l’après-midi. Il devait tirer parti de chaque minute de repos, apaiser son âme pour détendre son corps. 

En dépit de sa volonté, ses pensées se fixèrent de nouveau sur Glenk. Il n’avait rien su du passé de son camarade avant sa disparition. Il ne savait rien non plus du passé de Lendev, Naldeia ou Pechko. Le refus de forger des liens… Une manière de se protéger, de faire en sorte de pouvoir continuer à vivre en cas de coup dur comme celui de ce matin. Parler, communiquer avec les autres, c’était se dévoiler, non seulement aux stagiaires, mais aussi à toutes les oreilles indiscrètes et hostiles. D’où venaient donc ses compagnons ? 

Quand il l’avait interrogé, Grendchko avait mentionné la présence de Jaynak dans les Cavernes d’argelen ambré. Le Fengir Shinaen lui avait même révélé qu’il avait choisi de ne pas rejoindre les Réfractaires. Et Ymeo, au cours de son premier discours, avait évoqué le fait que ses compagnons et lui se soient retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. On les soupçonnait donc d’être des rebelles. Etait-ce réellement le cas de certains d’entre eux ? Etant donné l’erreur dramatique commise à son égard, étant donné aussi l’incompétence dont il savait Grendchko capable, Jaynak n’aurait pas été surpris qu’ils ne soient tous que des boucs émissaires. Ils avaient été victimes d’une rafle, et n’avaient pour utilité que de masquer l’impuissance du nouveau Premier Coordonnateur à lutter contre les vrais Réfractaires. C’était aussi stupide que ça. 

La porte du dortoir coulissa sur leur instructrice, Ymeo. « L’heure est venue, les Jaunes. Suivez-moi. » 

Lendev, Naldeia et Jaynak obéirent. Pechko parut furieux de devoir laisser son ballon-tube, mais s’exécuta à son tour. Lorkcho s’agrippa quant à lui à son verre comme à la dernière bouée de sauvetage dans un océan. La tension imprimée par l’un des deux drones à l’aide de son champ de force pour l’arracher de ses serres fut tellement forte que le ballon-tube explosa. 

Lorkcho contempla ses mains, incrédule. Quand Ymeo lui ordonna de la suivre, il refusa de bouger. Le drone commença à le traîner, mais Ymeo lui commanda de stopper. « Votre compagnon n’est pas en état de participer à la séance, déclara-t-elle. Trop de stress. Je lui accorde l’après-midi. Les autres, suivez-moi. » 

Comme il se dirigeait vers la sortie, Jaynak jeta un dernier regard derrière lui, espérant établir le contact visuel avec Lorkcho. Les yeux de celui-ci, entièrement jaunes, passèrent à travers lui sans le voir. Lorkcho tituba vers la tête du lit de Jaynak, là où se trouvait son ballon-tube. 

Jaynak retint un haut-le-cœur. Déjà, Ymeo les conduisait vers une nouvelle salle. Il s’agissait comme la veille de simulation virtuelle, mais cette fois, plus moderne — une véritable salle holo. « Dirigez-vous vers le centre, indiqua Ymeo, et laissez-vous guider. » 

La pièce était plongée dans une semi-pénombre, si bien que les stagiaires ne percevaient que les contours de leurs camarades. Ils obéirent à pas prudents. Une fois au centre, l’obscurité devint totale. Lorsque la lumière revint, ils se retrouvèrent dans un couloir aux parois de métal. L’éclairage blanc provenait de panneaux rectangulaires dans les murs. Un disrupteur était collé magnétiquement à l’épiderme du haut de leur cuisse, et ils sentaient également la présence d’oreillettes, et d’un minuscule micro sous leurs lèvres inférieures. « Vous êtes des agents de protection rapprochée, déclara une voix dépourvue d’inflexions, et votre mission va consister à veiller sur l’existence d’une personnalité de premier plan. » 

Ils s’avancèrent vers une porte de titane qui leur faisait face. Elle glissa pour leur livrer le passage. Un Nadarien aux larges épaules, de haute stature, leur tournait le dos. Il répondait d’un ton tranchant et laconique à des subalternes, donnant des ordres. Il pivota vers eux. 

Ce large front, ces petits yeux vipérins, ce nez épais surmontant une bouche arrogante et une mâchoire carrée… Jaynak cilla en reconnaissant Grendchko. Ils n’allaient tout de même pas devoir protéger l’individu auquel ils devaient leur infortune ? 

« Ah ! Mon équipe de sécurité ! » 

Jaynak se trouvait juste derrière Lendev. Quand ses yeux se posèrent sur ses mains transformées en poing, il s’empressa de les desserrer, formant un vœu pour que son camarade ait fait écran. Il ignorait quelle attitude adopter, alors en voyant Lendev se courber, il se hâta de faire de même, se pliant en deux avec un zèle exagéré. Du coin de l’œil, il aperçut Pechko et Naldeia suivre le mouvement. Impossible de savoir si le Premier Coordonnateur était une simulation numérique contrôlée par une Intelligence Synthétique ou s’il s’agissait de l’original qui participait au programme à partir de sa propre salle holo. A la rigueur, peu importait. Toutes leurs réactions seraient observées au microscope pour être disséquées. Le but de ce stage de Remise sur la Voie était de faire d’eux des Fervents de Grendchko, leur soumission à ce dernier devait donc être absolue. 

« Joli spécimen, fit-il en mettant sa main sur l’épaule de Lendev, mais qu’est-ce que ça vaut à la lutte ? » 

Il prit Lendev par les épaules et commença à le faire tourner sur lui-même. Comme le jeune stagiaire faisait face à Jaynak, ce dernier vit toute l’incertitude peinte sur le visage de son camarade. Devait-il oser résister au Premier Coordonnateur, ou le laisser faire ? Quelle était la meilleure manière de prouver sa loyauté ? 

Grendchko ne manqua pas une telle opportunité. D’une torsion violente, il projeta son adversaire au sol, et mit tout son poids sur son genou, qu’il appuya sur le torse de Lendev. Les lèvres boudinées du leader de leur peuple prirent la moue cruelle que Jaynak ne lui connaissait que trop. 

« Pas encore tout à fait au point, mes agents, mais qui pourrait rivaliser avec le grand Grendchko ? » Son ricanement lugubre évoquait celui d’un charognard. 

Jaynak avait l’impression de participer à une bouffonnerie. Il savait pourtant que laisser transparaître ses sentiments serait une grave erreur, et hocha la tête en ouvrant la bouche d’un air éberlué, comme si la performance du Premier Coordonnateur l’avait subjugué. 

« Bien, fit Grendchko en se redressant. En tant qu’équipe spéciale de sécurité, vous devrez veiller à ce que rien ne vienne perturber le bon déroulement de mes meetings de campagne. Vos armes sont réglées pour tuer, donc si vous descendez quelqu’un, vous aurez intérêt à ce que ce soit la bonne personne. Sinon, vous aurez affaire à moi. Mon prochain meeting a lieu à Nemreg. Je vous laisse entre les mains de mon androïde Ayto, qui va vous expliquer les détails. » 

Jaynak savait à présent dans quel genre d’holosim ils étaient plongés. Celle-ci simulait des événements du passé pour les distordre quelque peu, en incluant notamment les nouveaux participants — une sorte d’uchronie, donc. Grendchko en était bien entendu l’acteur principal. Jaynak repoussa dans les confins de son esprit les pulsions destructrices à l’encontre du Premier Coordonnateur. Ce test de loyauté serait sans doute le plus éprouvant au niveau du mental. 

La pièce se vida de ses occupants, à l’exception d’un nouveau venu. Il ressemblait à un Nadarien, si ce n’est ses plaques plus claires, qui le désignaient comme un androïde. Ses yeux n’émettaient pas une lueur bleutée mais grise. Après s’être avancé dans leur direction, il s’inclina légèrement. Il toucha l’une de ses plaques au niveau du torse. Une holoprojection apparut alors au centre de la pièce. « Ce bâtiment se situe dans le noyau le plus important de Nemreg, dit l’androïde. C’est là qu’aura lieu le meeting. Deux d’entre vous précéderont notre vénéré Grendchko pendant le trajet jusqu’à la salle, et deux d’entre vous le suivront — protection rapprochée. Vous pouvez voir votre itinéraire, c’est le couloir vert clair. Les zones de vigilance, d’où un danger peut surgir, sont représentées en rouge. » 

La vision du bâtiment avait en effet été remplacée par un plan de coupe en 3D où apparaissait distinctement le trajet prévu jusqu’à la salle de meeting. Ayto leur livra les différents détails de leur mission au fur et à mesure qu’ils avançaient. Des drones Surveillance-Répression de type caméléon flotteraient au plafond de la salle de conférence tout en surveillant chaque spectateur. Quasiment invisibles, dotés d’algorithmes analytiques et prédictifs, ils étaient capables d’une grande promptitude de réaction. En liaison audio avec chacun des stagiaires, ils leur communiqueraient le moindre mouvement suspect. Jaynak enregistra avec soin les instructions de l’androïde. 

L’avantage des holosims est leur capacité à abolir les contingences matérielles que sont le temps et l’espace. De manière ultra classique, le programme utilisa pour cela un fondu enchaîné. La pièce s’assombrit totalement, et quand la lumière revint, le lieu se révéla bien différent. Le vent soufflait en bourrasques. A gauche comme à droite, la vue plongeante sur le complexe urbain était vertigineuse. Le son de pas pressés résonnait en cadence. Les quatre stagiaires encadraient Grendchko sur la passerelle d’accès menant au bâtiment qui abritait la salle de conférence, non loin de la plate-forme d’accueil des flotteurs. Devant et derrière eux se tenaient des assistants du candidat au poste de Premier Coordonnateur. Jaynak vérifia la présence de son arme sur sa cuisse et accéléra pour ne pas se laisser distancer par le groupe. Au moindre signe de danger, il lui faudrait identifier la menace, et si possible l’abattre sans commettre de bavure. Ce drone-cam qui venait d’apparaître par exemple, l’objectif pointé sur Grendchko, était-il juste là pour retransmettre l’arrivée du candidat dans les médias ? Ou dissimulait-il un disrupteur ? La paranoïa était un atout dans cette nouvelle activité professionnelle. Jaynak garda la main sur son arme. 

Différents animateurs de la Ruche ainsi que des représentants des médias officiels se tenaient au pied du bâtiment de forme ovale abritant la salle des congrès accompagnés d’autres drones-cam, ces derniers aussi aptes à récupérer et diffuser du son que des images. Grendchko fit un salut de la main, mais lorsque les individus s’avancèrent, se mit à les balayer d’un geste. Jaynak s’interposa pour empêcher deux des journalistes de s’approcher de trop, et vit Lendev faire de même de son côté. 

Comme ils pénétraient dans le centre et arpentaient le couloir principal, Jaynak surveilla les issues de son côté ainsi qu’on le lui avait appris. 

Les portes demeurèrent closes, nul ne se précipita pour agresser le plus polémiste des candidats. 

Peu après, ils arrivèrent à l’entrée du corridor desservant les loges. Grendchko se tourna dans le sens opposé à Jaynak. « Agent Naldeia, dit-il, vous venez avec moi pour sécuriser ma loge. Les autres, restez ici et ne laissez passer personne. » 

Naldeia parut déconcertée par la requête mais se ressaisit et acquiesça du menton. Alors qu’elle entrait devant Grendchko, Jaynak eut un mauvais pressentiment. Sur le point de demander de se joindre à eux, il se retint au dernier moment. Les ordres avaient été clairs, suggérer autre chose pouvait facilement être considéré comme un acte d’insubordination. 

Pechko avait sur le visage un sourire grivois comme il se tournait vers eux après avoir fixé un instant la porte fermée. Des bruits confus, parmi lesquels Jaynak distingua la voix de Naldeia, retentirent. L’expression embarrassée de Lendev ne fit que s’accroître. Chacun de ses compagnons connaissait la réputation sulfureuse de Grendchko, et à chaque minute qui passait, il devenait plus incongru et difficile de le laisser seul avec leur camarade. La loge ne devait pas être si grande que ça, la sécuriser ne pouvait prendre autant de temps. 

Depuis que Naldeia lui avait fait signe du regard de ne pas toucher au sengré, Jaynak avait l’impression que la jeune femme veillait sur lui. Ne lui devait-il pas la réciprocité ? De quoi lui et ses compagnons se rendaient-ils complices, en la laissant seule avec Grendchko ? Des murmures étouffés leur parvenaient, assortis du raclement du mobilier. Puis la voix plus rauque qu’à l’accoutumée de Grendchko qui formulait quelque chose d’inintelligible. 

N’y tenant plus, Jaynak s’avança vers la porte. Aussitôt, Lendev se glissa devant lui et lui barra le passage, bras croisés. Secouant la tête. Il fixa Jaynak et articula exagérément sans produire un son. Ce dernier lut « c’est un piège » sur ses lèvres. Il recula, comme victime d’un uppercut. 

Lendev avait raison. Grendchko était réputé pour se servir des relations charnelles afin de piéger ses adversaires. Ce n’était pas pour rien qu’il avait choisi le nom de Fervents pour son groupe de supporters. Ils n’étaient censés mettre personne au-dessus de lui, Grendchko. Les autres êtres sensibles n’étaient que des outils, ils ne lui étaient utiles qu’à condition de le valoriser au-delà de toute autre considération. Jaynak s’appuya de l’épaule sur le mur et regarda le plafond. Il ne parvint à grand-peine à surmonter son dégoût que peu après que le silence fût revenu dans la petite loge. Il adopta alors une posture plus classique et tâcha de ne rien montrer. 

Naldeia avait subi un choc, c’était visible comme elle sortait enfin de la pièce. Elle aussi essayait de passer outre. Les lèvres pincées, elle regardait droit devant elle, évitant tout contact visuel avec ses camarades. 

Grendchko n’avait pas réapparu que déjà, Jaynak lui tournait le dos. Le candidat au poste de Premier Coordonnateur ne vit donc pas le visage de l’un de ses gardes du corps se décomposer lorsqu’il clama d’une voix tonitruante : « Rien de tel que d’apaiser les tensions avant un show de cette importance ! Je suis prêt, maintenant, allons-y mes petits ! » 

La vision de Jaynak se rétrécit, et il marcha de manière automatique selon l’itinéraire étudié la veille. Naldeia était à ses côtés, regardant aussi droit devant elle. Le cœur de Jaynak battait à coups sourds dans sa poitrine. Il pria pour que Grendchko ne se fende pas d’une provocation supplémentaire, sans quoi il ne pourrait se retenir et tenterait de l’abattre sur place, séance tenante. 

Faire le vide. Evacuer toute émotion. Remettre de l’ordre dans ses pensées, et se focaliser sur sa mission. Une dernière porte à franchir. 

Ils pénétrèrent dans l’impressionnante salle de conférence, au niveau de l’estrade. Jaynak alla se poster de côté, à l’endroit qui lui avait été assigné, tandis que Grendchko faisait son entrée sous les clameurs de la foule et se dirigeait vers son pupitre. Beaucoup de gens parmi ceux qui l’applaudissaient ou hurlaient leur soutien devaient être comme leur favori, incapables de communier avec l’argelen. On les appelait des Hermétiques. Où était le respect des traditions quand il suffisait de fanfaronner et de titiller les plus bas instincts pour récolter les faveurs du public ? Jaynak chassa néanmoins ses pensées, qu’il savait d’autant plus dangereuses dans la situation où il se trouvait. Ses yeux s’étaient accoutumés à la lumière trop vive sur la scène. L’auditoire était plongé dans la pénombre, il ne discernait que les silhouettes assises sur leur siège. 

Grendchko entama son discours, et Jaynak serra les dents. De la vulgarité, de la xénophobie et du populisme — aucune surprise. En se focalisant sur la surveillance du public, il parvint à éloigner le son de la détestable voix, jusqu’à ne plus comprendre ce que le candidat exprimait. Ce fut un soulagement. Seul le temps, qui s’étirait interminablement, au point de donner l’impression aux agents de sécurité de prendre racine, risquait de menacer leur vigilance. Jaynak était cependant tellement concentré sur sa tâche que lorsqu’une voix métallique retentit dans son oreillette, il fut le premier à réagir. « Mouvement suspect dans la troisième rangée, siège 28 », signala le drone. 

Jaynak, se sachant malhabile avec une arme en l’absence d’une réelle formation, se rua vers le pupitre. Il vit Lendev dégainer son disrupteur. L’une des silhouettes s’était mise debout, et pointait quelque chose devant elle. Lendev fut le premier à tirer. 

Il manqua sa cible, et pourtant, quelqu’un hurla de douleur. 

Le blaster de l’homme dans le public, muni d’un viseur, se braqua sur Grendchko. De là où il était, impossible de foirer son coup. Jaynak sauta sur le candidat et le poussa de toutes ses forces. Il fut mortellement touché au moment où il faisait tomber Grendchko. 

Jaynak vit son cadavre s’effondrer. Il se retrouva en train de flotter tandis que la simulation holo se poursuivait, mais sans lui. Décorporé. Les holoprojecteurs invisibilisaient son véritable corps aux yeux de ses compagnons, tout en projetant l’hologramme de son cadavre transpercé d’un rayon énergétique au niveau du cou. Une petite mare de sang violet s’étendait peu à peu. Jaynak n’avait plus qu’à se retirer en périphérie de la salle holo et à attendre la suite — non sans anxiété.

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Published on October 21, 2024 10:15