Christophe Claro's Blog, page 37
June 17, 2019
LA SOUILLURE EN PARTAGE – Jours d'inceste
« Lorsqu’un animal a peur, il retourne à son foyer, si terrifiant soit-il. » Ce syndrome, l’auteure anonyme de Jours d’inceste ne le connaît que trop, et ce depuis l’âge de trois ans, depuis la toute petite enfance, quand il est impossible de dire non, de s’échapper, d’échapper au monstre dans le placard. Une fois la brèche forcée, il est trop tard, un pacte hideux et vorace a été conclu – sauf que ce pacte n’en est pas un, la réciprocité n’existe pas, la soumission ici n’est pas une approbation, juste sa contrefaçon fantasmée par le père, entretenue par ses menaces et ses chantages, sculptée par son autorité, sa force. L’homme incestueux recherche dans l’impuissance de sa victime l’absolution de son abjection. La souillure, il l’offre en partage, pour y voir autre chose qu’une lâcheté. « Mon père me regardait avec voracité », écrit l’auteure anonyme de Jours d’inceste, abusée jusqu’à l’âge de vingt et un ans par cet homme dont elle est la viande permanente, la poupée poignardée, contrainte de vivre avec un désir-dégoût du père qu’elle doit garder pour elle — et quand, souvent brutalement, elle s’ouvre à quelqu’un d’autre de ce qui se passe, c’est comme si sa parole était une pierre qui tombe dans un puits, et tombe encore.Codifié en rite par le quotidien, travesti en devoir par l’ascendance, paré des loques du « plaisir », le viol que subit jour après jour l’auteure, et qu’elle décrit dans toute l’horreur de sa répétition et la perversité de ses conditions, n’est pas seulement une violence devenue l’autre nom de l’existence, mais également une bombe à retardement, qui fait du corps, de la sexualité, du désir, un territoire à jamais dévasté. « Mon père est mon secret. Mon secret, c’est qu’il me violait. Mais le secret sous le secret, c’est que parfois j’aimais ça ». Lisant ces mots, on perçoit à quel point la machinerie de l’inceste est une machine à brouiller/broyer. « Le plaisir comme moyen de survie. Mon père est mon plaisir sexuel. Je suis ligotée et il me fait avaler sa semence à même la main. » Le plaisir comme moyen de survie : en écrivant ceci, l’auteure sait qu’elle met à vif la chair même de l’inceste. Le père l’attache, le père la libère. Il menace de la tuer, il l’épargne – la sauve. Toujours la lame tranchante du salut, qui feint de couper le nœud du servage, mais entaille, entaille inexorablement.
Jours d’inceste raconte également les stratégies mises au point par une enfant, puis une adolescente, pour évoluer dans le monde hors l’inceste. Il y a la mère, qui bien sûr sait, qui bien sûr ne dit rien, et traite sa fille « de pute, de salope, de petite salope et de petite merde ». Il y a le frère, qui sait lui aussi, mais à qui il faut dire qu’il n’est rien arrivé pour qu’il s’en sorte. Il y aura d’autres hommes dans la vie de l’auteure, mais à chaque fois elle comprendra qu’ils s’inscrivent en résonance du père, en rival ou remplaçant. D’autres hommes : l’un plus âgé que son père, et un autre qui la violera. « J’ai une faiblesse qu’il avait sentie. Il n’aurait peut-être pas fait ça à une autre femme, mais il l’avait fait à moi ». Puis un mari, vague répit asexué, et enfin Carl, qui jouit de sa domination. Enfin, il y a ces pages presque sereines où l’auteure décrit le quotidien de la famille chilienne chez qui elle passe quelque temps lors d’un séjour en Amérique latine : « Les cousines et les tantes et les nièces qui préparaient à manger dans la grande cuisine ouverte. Qui faisaient griller les tomates, égoussaient l’ail, découpaient les pâtes à la main et les mettaient à sécher toute la nuit sur les étendoirs en bois. Qui fouettaient la crème pour la mousse de fruits. Qui coupaient en petits morceaux les chérimoles, les lucumas, les fraises blanches, et les disposaient sur de grandes assiettes. Qui traçaient des croisillons à la fourchette dans la purée du hachis parmentier. » Images d’un monde semblable à une « grande cuisine ouverte », à l’antipode du placard où le père enferme la fille, du lit où le père prend la fille.
Parenthèses dans sa vie déchirée, ces échappées interrompent pendant quelques pages l’atmosphère éminemment strangulatoire qui sature chaque phrase, mais le plus perturbant demeure bien sûr le désir écœurant (elle en vomit) qu’éprouve l’auteure pour son père-amant-bourreau. Pourtant, cette dernière ne pouvait pas ne pas faire état de ce « désir », car le nier reviendrait à taire la spécificité de l’inceste, où le coupable se pose en amant primitif, en grand initiateur, voire en victime, il se veut celui par qui le plaisir arrive, le sien bien sûr mais aussi celui qu’il veut extirper de la chair de sa proie. Il est celui qui maquille la menace en promesse, la violence en jouissance, la mort en survie. Forcer à désirer : telle est, au final, l’obsession crue du père-violeur, qui cherche à coups de pénétrations, d’éjaculations et d’écorchements à soutirer une parodie de consentement à sa victime.
« Je suis glacée, je n’ai pas d’esprit, pas de corps, et je ne suis qu’esprit et que corps », nous dit l’auteure vers la fin du livre. De ce paradoxe-déchirure qui l’a façonnée autant que ravagée est né ce texte brutal, à contre-courant de l’indicible, au plus près de la plaie première.
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Anonyme, Jours d’inceste, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty, éd. Payot, 18 €
Published on June 17, 2019 06:42
June 13, 2019
LA SOUILLURE EN PARTAGE
«Lorsqu’un animal a peur, il retourne à son foyer, si terrifiant soit-il. » Ce syndrome, l’auteure anonyme de Jours d’inceste ne le connaît que trop, et ce depuis l’âge de trois ans, depuis la toute petite enfance, quand il est impossible de dire non, de s’échapper, d’échapper au monstre dans le placard. Une fois la brèche forcée, il est trop tard, un pacte hideux et vorace a été conclu – sauf que ce pacte n’en est pas un, la réciprocité n’existe pas, la soumission ici n’est pas une approbation, juste sa contrefaçon fantasmée par le père, entretenue par ses menaces et ses chantages, sculptée par son autorité, sa force. L’homme incestueux recherche dans l’impuissance de sa victime l’absolution de son abjection. La souillure, il l’offre en partage, pour y voir autre chose qu’une lâcheté. « Mon père me regardait avec voracité », écrit l’auteure anonyme de Jours d’inceste, abusée jusqu’à l’âge de vingt et un ans par cet homme dont elle est la viande permanente, la poupée poignardée, contrainte de vivre avec un désir-dégoût du père qu’elle doit garder pour elle — et quand, souvent brutalement, elle s’ouvre à quelqu’un d’autre de ce qui se passe, c’est comme si sa parole était une pierre qui tombe dans un puits, et tombe encore.Codifié en rite par le quotidien, travesti en devoir par l’ascendance, paré des loques du « plaisir », le viol que subit jour après jour l’auteure, et qu’elle décrit dans toute l’horreur de sa répétition et la perversité de ses conditions, n’est pas seulement une violence devenue l’autre nom de l’existence, mais également une bombe à retardement, qui fait du corps, de la sexualité, du désir, un territoire à jamais dévasté. « Mon père est mon secret. Mon secret, c’est qu’il me violait. Mais le secret sous le secret, c’est que parfois j’aimais ça ». Lisant ces mots, on perçoit à quel point la machinerie de l’inceste est une machine à brouiller/broyer. « Le plaisir comme moyen de survie. Mon père est mon plaisir sexuel. Je suis ligotée et il me fait avaler sa semence à même la main. » Le plaisir comme moyen de survie : en écrivant ceci, l’auteure sait qu’elle met à vif la chair même de l’inceste. Le père l’attache, le père la libère. Il menace de la tuer, il l’épargne – la sauve. Toujours la lame tranchante du salut, qui feint de couper le nœud du servage, mais entaille, entaille inexorablement.
Jours d’inceste raconte également les stratégies mises au point par une enfant, puis une adolescente, pour évoluer dans le monde hors l’inceste. Il y a la mère, qui bien sûr sait, qui bien sûr ne dit rien, et traite sa fille « de pute, de salope, de petite salope et de petite merde ». Il y a le frère, qui sait lui aussi, mais à qui il faut dire qu’il n’est rien arrivé pour qu’il s’en sorte. Il y aura d’autres hommes dans la vie de l’auteure, mais à chaque fois elle comprendra qu’ils s’inscrivent en résonance du père, en rival ou remplaçant. D’autres hommes : l’un plus âgé que son père, et un autre qui la violera. « J’ai une faiblesse qu’il avait sentie. Il n’aurait peut-être pas fait ça à une autre femme, mais il l’avait fait à moi ». Puis un mari, vague répit asexué, et enfin Carl, qui jouit de sa domination. Enfin, il y a ces pages presque sereines où l’auteure décrit le quotidien de la famille chilienne chez qui elle passe quelque temps lors d’un séjour en Amérique latine : « Les cousines et les tantes et les nièces qui préparaient à manger dans la grande cuisine ouverte. Qui faisaient griller les tomates, égoussaient l’ail, découpaient les pâtes à la main et les mettaient à sécher toute la nuit sur les étendoirs en bois. Qui fouettaient la crème pour la mousse de fruits. Qui coupaient en petits morceaux les chérimoles, les lucumas, les fraises blanches, et les disposaient sur de grandes assiettes. Qui traçaient des croisillons à la fourchette dans la purée du hachis parmentier. » Images d’un monde semblable à une « grande cuisine ouverte », à l’antipode du placard où le père enferme la fille, du lit où le père prend la fille.
Parenthèses dans sa vie déchirée, ces échappées interrompent pendant quelques pages l’atmosphère éminemment strangulatoire qui sature chaque phrase, mais le plus perturbant demeure bien sûr le désir écœurant (elle en vomit) qu’éprouve l’auteure pour son père-amant-bourreau. Pourtant, cette dernière ne pouvait pas ne pas faire état de ce « désir », car le nier reviendrait à taire la spécificité de l’inceste, où le coupable se pose en amant primitif, en grand initiateur, voire en victime, il se veut celui par qui le plaisir arrive, le sien bien sûr mais aussi celui qu’il veut extirper de la chair de sa proie. Il est celui qui maquille la menace en promesse, la violence en jouissance, la mort en survie. Forcer à désirer : telle est, au final, l’obsession crue du père-violeur, qui cherche à coups de pénétrations, d’éjaculations et d’écorchements à soutirer une parodie de consentement à sa victime.
« Je suis glacée, je n’ai pas d’esprit, pas de corps, et je ne suis qu’esprit et que corps », dit l’auteure vers la fin du livre. De ce paradoxe-déchirure qui l’a façonnée autant que ravagée est né ce texte brutal, à contre-courant de l’indicible, au plus près de la plaie première.
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Anonyme, Jours d’inceste, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty, éd. Payot, 18 €
Published on June 13, 2019 21:30
June 12, 2019
DANS LA BRUME HELVETIQUE AVEC UN CONFÉDÉRÉ — Max Frisch
Comment peut-on être suisse ? Telle est la question qu’aurait pu se poser Montesquieu si Guillaume Tell lui avait rendu visite, mais la flèche est déjà partie, la pomme déjà transpercée, et la seconde guerre mondiale à peine refermée quand un architecte né à Zürich décide, à l’âge de quarante-quatre ans, de troquer définitivement l’équerre pour la plume et se fait connaître par un roman intitulé Homo Faber. Il s’appelle Max Frisch, est suisse, écrit en allemand, meurt en 1991. De lui, le lecteur français dispose d’une vingtaine de titres traduits, parus entre 1957 et tout à l’heure. Rappelez-moi la question ? Ah oui. Comment peut-on être suisse ? Cette question, c’est celle que se pose, que nous pose Frisch dans Le Public comme partenaire, recueil de textes s’étalant sur une quinzaine d’années, abordant des thèmes assez variés mais qui tous questionnent les liens entre art et nationalité, politique et responsabilité, culture et subversion.Moins célébré qu’Elias Canetti, parce que sans doute plus humble, et moins acerbe que Thomas Bernhard, car habité par un doute socratique, Max Frisch partage avec ces deux écrivains un goût prononcé pour ce précieux mécanisme intellectuel qu’est la méfiance, et a par ailleurs toujours pris soin de dire ses quatre vérités à son pays, moins pour rabrouer ce dernier que pour se garder d’une trop facile neutralité. Car si on peut bien sûr être suisse comme d’autres furent persans, encore faut-il savoir comment l’être sans se tirer une flèche dans le pied. Or Frisch, que ce soit en 1949, 1952, 1957 ou même 1966, ne mâche pas ses mots. Ou plutôt si. Il les mâche. Il les rumine et les mâche. Car ce qu’il a à dire à ses concitoyens est moins tendre que l’herbe éternelle des verts pâturages.« Je crois que la Suisse a peur », écrit-il en 1957 lors d’un discours prononcé le 1er août à l’occasion de la fête nationale de la Confédération helvétique. Elle a peur, selon, lui parce « qu’elle se surestime » ; elle a peur « de tout ce qui est nouveau » et « vit dans l’imitation » parce qu’elle « a peur du risque ». Et non seulement la Suisse a peur mais elle est « arrogante ». Elle se gargarise de sa « culture » et voue un dédain particulier à l’Amérique, terre de pionniers et machine à produire du divertissement.
Pour Frisch, il y a deux inconnues à prendre en compte dans l’équation suisse à laquelle doit s’atteler l’écrivain dans la construction de son œuvre et l’élaboration de sa responsabilité – ou plutôt deux inconnus, deux « types » sans doute diamétralement opposés : l’émigrant et le lecteur. Concernant ce dernier, Frisch trouve d’emblée le bon angle, un angle de défense plutôt que d’attaque. « Le public », écrit-il, « est à la fois une fiction et une réalité ». Une réalité, changeante, certes, mais helvétiquement et indéniablement bourgeoise, dont on peut trouver un exemple monstrueux dans La Vieille Dame de Dürrenmatt. Ici, se méfier comme de la peste du lecteur « qui prend la littérature comme une aspirine contre la solitude ». Plutôt, donc, le lecteur fictif, puisque le « premier acte créatif que l’écrivain doit accomplir, c’est l’invention de son lecteur ». On ne peut considérer le public comme un « partenaire » qu’à condition d’en faire une « instance fictive, tout à la fois plus sévère et bienveillante qu’un ami ou qu’un adversaire, incorruptible même lorsque survient ce qu’on appelle le succès, dont elle tient aussi peu compte que des échecs ». Avis aux écrivains qui prennent la page pour un jeu de grattage et espèrent découvrir les bons chiffres du loto-lectorat.
Sur la question de l’émigrant, de la « surpopulation étrangère », Frisch a cette formule impeccable pour résumer l’inquiétude qui s’empare du local : « on avait appelé des bras, et voici qu’arrivent des hommes. » L’année où Frisch prononce son discours, 1966, qui plus est lors de la conférence annuelle de l’Association des chefs de police cantonale des étrangers dans la salle du Grand Conseil de Lucerne, le taux de travailleurs étrangers en Suisse est de 14%. 800 000 étrangers. Que redoute la Suisse ? s’interroge Frisch. De perdre sa particularité ? Mais le recours à la main d’œuvre étrangère masque en réalité la peur de l’inévitable automatisation : on préfère pour lors les bras aux machines, les galériens aux chaînes. Aurait-on peur que « les non-Suisses […] désuissifient nos décisions politiques, sans carte de vote par leurs discussions avec nous » ? Pour Frisch, ce risque est nul et non avenu. C’est plutôt à l’émigrant de redouter l’autochtone, lequel le considère uniquement comme porteur de bacille – là encore, la peur du nouveau. Büchner ? Pas de problème. Nabokov ? No problem. Idem pour Wedekind, Hugo Ball, Tzara, Musil, Brecht, Joyce – même si « la police des étrangers doit veiller à ce que ces gens arrivent si possible juste avant leur décès »… En revanche, les Calabrais, les Grecs, les Turcs, voilà qui est plus inquiétant aux yeux du « petit peuple souverain ». Là encore, Frisch a les mots justes : « ce qui intègre, c’est une actualité affrontée en commun, et non l’invocation du passé ».
Pour affronter l’actualité, donc, vous l’aurez compris : Max Frisch.
_________________________________________________________________________Max Frisch, Le public comme partenaire – interventions esthétiques et politiques (1949-1967),traduit de l’allemand et préfacé par Antonin Wiser,Editions d’en bas, 2017
Published on June 12, 2019 21:30
June 11, 2019
DU CHIENDENT DANS LE RAVIN – Mika Biermann
C’était à Turpidum, très loin des faubourgs de Carthage, à des milliers de lieues des jardins d’Hamilcar. Dans une Etrurie aux mille nuances, essentiellement peuplée d’Etrusques, tous très fiers et très remontés contre ces saligauds d’expansionnistes romains, lesquels en avaient ras le cimier de cette frange occidentale de l’Italie – en gros la Toscane actuelle –, ne supportaient plus son rayonnement, jalousaient ses arts et ses richesses (ô ses poteries ! ô sa métallurgie !) et avaient décidé de désétrusquer tout ça à coups de glaives et de légions. Peu importe en vérité que la ville de Turpidum n’existe pas sur la carte des froids historiens, puisque le nouveau roman de Mika Biermann, Roi. – roi-point, parce qu’après lui ciao, adieu l’Etrurie –, s’offre le luxe de remonter les siècles et, emboitant bravement la spartiate à Quo Vadis, Spartacus, Ben Hur, Salammbôet quelques autres, nous roule sans crier cavedans la (belle) farine de l’antique pour faire de ce qui n’aurait pu être qu’un plat et pénultième péplum une tragédie tantôt farce tantôt crépusculaire, riche en rebuffades et égorgeades, de songes et de visions, où la concupiscence des hommes prospère sur le fumier de la lâcheté tandis que les derniers dieux se tirent la bourre et qu’un roi, un certain Larth, envoie paître le sénateur qui exige sa soumission.Bienvenue à Turpidum, où « la civilisation va sombrer. Mais pas ce soir ». Non, ce soir, c’est plutôt calme, et tandis qu’agonise Branca, l’aride et ex-régente qui se momifie lentement mais sûrement, son fiston le roi Larth préfère s’empiffrer de raisins et de kakis plutôt que d’honorer sa chaude Ramtha, sous l’œil affligé de sa vieille servante Velka, qui, faute de chicots, ne mâche pas ses mots, et du wêzir, qui taquine l’haruspice comme d’autres le goujon. Non loin de là, de riches marchands, repus mais inquiets, discutent latrines et alliance avec Rome en faisant assaut d’adages ; un gladiateur sue sous son casque inamovible, avant d’aller découper du Romain dans l’arène.On sent parfois le souffle du Queneau des Fleurs bleues friser ces pages souvent satyriconesques : « Demain, c’est le grand jour des jeux aux arènes de Papa, pour honorer son souvenir, dit-il. –Je déteste ça [répond la reine]. Quelle barbe ! Des jongleurs bidons, et des coureurs maigres. Je n’y vais pas. – Va y avoir des boxeurs. Vous aimez les boxeurs. – Les boxeurs, ça va. – Va y avoir le combat d’un ours contre un taureau. La force contre la ruse ! – C’est qui, la ruse, là-dedans ? – Le taureau. La ruse, c’est le taureau. – N’importe quoi. » Mais ne nous abusons pas. Le sixième roman de Mika Biermann – dont le précédent livre, Un blanc, travaillait déjà le givré à rebrousse-poil – ne s’adonne pas à la seule déclinaison du décadent. Ce qui électrise avant tout l’auteur, ce sont les états – de la matière, de l’air, des humeurs, des paroles, des postures, des pensées, etc. – dont il travaille la pâte malléable par petite touches, forçant ici sur le pigment, rehaussant là un contraste, juxtaposant les notations jusqu’à ce qu’une ambiance, assurément crépusculaire, imprègne jusqu’à la fibre de sa page. Il ne cherche pas à faire étrusque, pas plus que Flaubert ne voulait noyer sa prose dans rage du décorum, mais à trousser le tangible, à sculpter le sensible, bref, à faire de sa fiction un présent encore en devenir, susceptible de surprendre nos sens et d’irriguer notre imagination. A faire apparaître, surgir, rougeoyer. « Dans le quartier des potiers, les tours, entraînés par les pieds calleux, couinent. Dans le quartier des forgerons on martèle à tout-va, bling bling. Dans le quartier des tanneurs tout sent le faisandé. Une grande foulonnerie dégage des odeurs de mouton, de soufre et de saponaire. La ruelle des teinturiers a pris des couleurs. Des artisans accroupis sur leurs seuils tressent et martèlent, la tête baissée sur leur ouvrage. Des enfants balayent. Un vendeur de vilaine vaisselle mâche un cure-dent. Un parfumeur vante son huile de sésame à la rose. […] Le gladiateur […] frappe à une porte. Un clapet s’ouvre. Deux yeux scrutent. Le clapet se ferme. Le verrou glisse et claque. La porte grince. » Choses vues, entendues, humées. Poids des corps, des parures, du temps. Odeur des galettes, des sueurs, des rêves. Etirement des corps, coups donnés et coups reçus. Pensées fluides, vaporeuses, poreuses. Colères, haleines, pulpes, prières, ripailles : non pas simplement les convoquer mais dire de quoi elles sont faites, si elles sont liquides, brûlantes, fluides, rêches, amères. Biermann s’avance en conteur mais opère en peintre. Il agite la toge, certes, mais c’est pour que ce taureau de lecteur entende, dans chaque grain de l’arène, le sang ; voie, dans chaque divinité de plomb, le dieu-acrotère ; goûte le miel gaulois et le poivre de Syrie ; soulève « le drap troué de la nuit ».
On associe souvent péplum et kitsch, comme si l’antique n’était que toc. Comme s’il suffisait de changer un nuage en cumulus pour que le Romain passe en italique. Mais gageons que, comparé à Roi., nombre de romans de la rentrée, à l’heure de la parade, seront tout juste bons à décorer l’atrium des librairies et jouer les pleureuses crétoises.
_____________________________________Mika Biermann, Roi., éd. Anarchasis, 17€
Published on June 11, 2019 21:30
June 10, 2019
IMPRESSIONS ET JETS D’ENCRE – Marie Berne
J’ai trois cœurs, huit bras, et deux milles baisers en puissance qui attendent l’imprudent. A ce dernier, je réserve mon encre la plus noire – qui suis-je ? Ne cherchez pas parmi vos ex, pensez plutôt abysse, nuages laiteux, relisez Hugo, Jules Verne, Lautréamont, ou bien encore actionnez l’antique manivelle des frères Lumière et captez, à force de dilatation oculaire, ce qui, entre vase et eau, frémit, guette et palpite. Voyez la tentation se concrétiser, à force de souplesse, en tentacule. Sentez approcher son bec qui n’est pas d’un oiseau, onduler cette tête qui est peut-être un corps. Admirez sa « splendeur détraquée ». C’est elle, votre dissemblable, votre non-sœur : la pieuvre. Et si aujourd’hui Marie Berne s’en empare dans un livre, ou plutôt la laisse s’emparer d’un livre, puisqu’ici la narratrice n’est autre que cet animal « aux suçoirs exigeants », ce n’est pas pour nous offrir une héroïne d’un genre nouveau ou lovecraftien, mais pour arracher aux flots oublieux de l’histoire la figure du cinéaste Jean Painlevé, ce fils de mathématicien (Paul Painlevé lui-même, également ministre de la Guerre) qui consacra son existence à la mise en boîte, si je puis dire, des oursins, crevettes, épinoches, mais aussi daphnies, galatées, caprelles, pantopodes, hyas et sténorinques, faisant entrer la poésie dans la biologie et le documentaire dans le cinéma.Bon, Marie Berne aurait pu se contenter de prendre appui sur la pieuvre pour exhausser l’homme, au risque de faire boire la tasse à la première et de statufier le second, mais l’anthropomorphisme n’est pas sa came, et elle a préféré laisser la fable à ses falbalas et mettre au point un dispositif plus approprié à son projet, plus sensuel aussi. Certes, sa pieuvre est une chimère, elle vit enfermée dans un bocal comme une agitée des mers condamnée à l’isolement et l’observation, profitant des quarante jours et quelques que dure son existence pour relater, comme depuis le hublot de sa conscience, la vie de Painlevé. Mais Berne ne la contraint pas dans l’exosquelette de la narration, car elle garde en ligne de mire cet avertissement : « Non, on ne parle pas d’une bête pour parler d’un homme. On parle d’une bête pour parler d’une bête. » Et tel est le drame auquel fut confronté, dès ses débuts, notre Godard des aquariums : filmer la bête sans lui prêter un excédent d’âme. On s’en doute, la chose n’est pas aisée, surtout quand ladite bestiole est exposée aux feux de la rampe et voit son décor réduit à un cube transparent. Mais pour Painlevé, « faire parler une bête, aquatique ou non, équivaut à tuer la vérité à coups de couteau ». Il en fait quasi les frais quand, à la demande de Franju, il s’est fendu d’un commentaire pour accompagner Le sang des bêtes.
Mais laissons Franju à ses abattoirs et revenons à l’ami Jean et ses mollusques. Berne fait de la rencontre entre le céphalopode aux mœurs sexuelles vaguement cannibales et le jeune bourgeois amateur de pellicule une idylle évidemment impossible – on n’est pas, on l’a dit, chez Lovecraft, ici nulle répulsion – qui lui permet de progresser, chapitre-ventouse après chapitre-ventouse, dans la vie de Painlevé, de s’attarder sur l’union de ses parents qui fit scandale, lui bourgeois de gauche, elle aristocrate (« les tourteaux se méfient des étrilles »), de rappeler combien la mort marqua le cinéaste, que ce soit celle de sa mère, Marguerite, celle du capitaine Scott, qui périt frigorifié au pôle Sud (héros documentaire de Painlevé), ou celle encore de Jules Bonnot, anarchiste dont les idées, plus que l’encre de la pieuvre, se répandent vite dans le sang ô combien chaud du jeune Jean. Hanté par ces trois spectres, l’homme qui fera des fonds marins une scène primitive où célébrer les noces d’un muet bestiaire, tente de rendre au spectacle de la nature sa pureté prétendument originelle, esquivant la psychologie facile et les commentaires superfétatoires.
D’emblée, donc la pieuvre est, grâce à Marie Berne, son miroir, et Painlevé y contemple son âme dans le déroulement quasi infini (près de deux cents films) de sa lame en celluloïd. « Il fallait se mettre avec une pieuvre, évidemment. Pour chuter avec moi, monarque femelle du royaume d’en dessous, qui dirige sa cour humide, enroule ses prétendants dans l’alluvion de la marée basse, la merde des bigorneaux, l’intérieur sombre des coquilles. »
Le grand amour de la pieuvre n’est pas une simple fantaisie aquatique, prétexte à la redécouverte d’un pionnier du documentaire animalier, c’est avant tout un chant subtil, une ode sensuelle, où non seulement est vivement dévidée une vie vouée aux visions voraces qui vivotent sous la vase (et vlan !) mais où la langue épouse, comme par capillarité, les mystérieuses gesticulations de celle que Painlevé, passant outre sa réticence à humaniser mollusques et consorts, appelait néanmoins, une « jouisseuse avertie » : « Votre attention va de la bête à vous, de vous à la bête, de la bête à vous, bête à vous, vous à bête, vous bête vous, qui tournez, qui tournez sur vous-même, mille temps. » Livre-valse, donc, sur un énervé et sa proie, à placer entre toutes les ventouses, à lire du bout des tentacules, écrit qui plus est à l’encre hypnotique.
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Marie Berne, Le grand amour de la pieuvre, illustrations de François Ayroles, éd. L’Arbre Vengeur, 14 €
Published on June 10, 2019 21:30
L’ORGASME AU-DESSUS DE LA CEINTURE – Grégoire Bouillier
Avec Le Dossier M, Grégoire Bouillier forme une entreprise qui n’a pas eu beaucoup d’exemples et dont l’exécution n’aura sans doute guère d’imitateurs. Pour rendre compte du Dossier M, je vous propose un terme : transport. C’est un mot qui évoque tout d’abord un véhicule, un déplacement, le bus arrive, hop, on roule, ça secoue, affluence, contacts, heurts, promiscuité, mais aussi destination, songeries, rencontres, paysages. Mais bien sûr, « transport » dit aussi l’extase, l’épiphanie, l’éblouissement, l’élan, quelque chose qui nous arrache à nous-même – « l’effarement est ma boussole », dixit l’auteur. Eh bien c’est tout cela, Le Dossier M : un moyen de transport, au sens littéral comme au sens figuré, et la première erreur consisterait à voir en ces « confessions » – où Rousseau s’avance en Zorro sous l’égide d’Ulysse (avec la moustache de Proust) – une entreprise narcissique, un énième et monstrueux avatar de cette vieille auto-tamponneuse qu’est l’autofiction. Certes, Bouillier parle de lui, mais attention, ce « de » veut dire ici « à partir de », il ne s’agit pas d’un repli, Bouillier ne fait pas de l’air-ego, il pollinise, travaille l’angle large, exporte son faisceau : « La projection de soi est ce qui se fait passer le plus universellement pour le souci de l’autre et voici pourquoi parler de soi m’apparaît, à la réflexion, l’attitude la moins narcissique qui se puisse être, celle qui, à la réflexion, lui nuit le moins. C’est seulement lorsqu’on s’est vu soi-même qu’on peut espérer voir l’autre. » Bouillier, juge de Grégoire ? Possible. Mais un juge blessé, un Quichotte sans casque, heureusement doté d’un redoutable esprit d’escalier, ce dont témoigne par ailleurs la construction de son livre en « niveaux ».Avant de grimper (ou dévaler) les innombrables degrés par lesquels l’auteur s’évertue à « reprendre ses esprits », il faut partir d’un fait brut, de ce qui chassa l’homme Bouillier hors du bois du silence (son dernier livre remonte à dix ans) : le suicide d’un homme, Julien, qui s’est pendu avec une ceinture à la poignée d’une fenêtre, après avoir appris la liaison de l’auteur avec sa femme. Cette mort, précisément datée (2005), est la pierre de taille et d’achoppement à partir de laquelle Bouillier tente de réécrire le nouveau monde qui est alors le sien. Et si tout semble chevillé à ce suicide, il ne s’agit pas pour autant d’un long travail de deuil, mais de la re-visitationquasi exhaustive des pensées et sensations qui ont façonné celui qui s’expose aujourd’hui. Ebranlé – au sens de « mis en branle » – par la violence de cette mort, l’écrivain s’abandonne alors à une dynamique confessionnelle que plus rien ne semble pouvoir endiguer. D’autant que la mort du dénommé Julien est inextricablement lié à la passion monumentale qu’éprouve l’auteur pour la « M » du titre. Toutefois, c’est moins en acteur et témoin d’un drame qu’en sismographe des dits et actes de ses contemporains qu’il réexamine ses expériences.
Le lien secret qui unit le suicide de Julien à la passion du narrateur pour M, ce lien secret va exiger de tout dire. De tout rapporter, disséquer, analyser. De tout écrire – et tant pis si cela signifier « déboiser des forêts ». Pourquoi Bouillier écrit-il ? Pour « se démentir », pour « échapper à ses propres affects », « atteindre des orgasmes au-dessus de la ceinture », « entrer dans les détails où se cache le diable ». Dès lors, tout y passe, comme aspiré dans la spirale critique et digressive de l’auteur. Tout bois fait feu : telle est sa devise. Que ce soit les années 80 qu’il réévalue de façon exemplaire à l’aune du JR de Dallas, de sa propre éthique revue et approuvée par Zorro, des scènes fondatrices de film (dont Le Miroir de Tarkovski), des lois de l’attraction hétéro, du secret de l’émail jaspé, de la grotte de Chauvet, de l’actrice Ali MacGraw, Mesrine et Sza Sza Gabor, de l’Ircam, du tome 1 de l’Histoire de la sexualité de Foucault, du camp de Falkenau, de la mort de sa mère qu’il apprend en écoutant une émission sur Wagner à la radio (grand moment !), mais aussi de l’année 1976, d’un match de handball féminin, du crash d’un Airbus évité, de l’argent, des séries télé, etc. La Passion selon Bouillier est vorace, elle exige la vérité et toute la vérité. S’il la beauté est convulsive et l’amour fou, alors il faut y aller franchement, et tant pis (non : tant mieux !) si ça veut dire recourir au « narratus interruptus », et affronter de plein fouet des lieux dits communs. Parti pris de Bouillier : ne jamais tourner autour du pot, y enfoncer le bras puis tout le corps, travailler la langue sans l’enjoliver, en la forçant plutôt à rendre gorge. Mais l’on n’aura rien dit du Dossier M tant qu’on n’aura pas louer sa drôlerie, héritée de Proust, Kafka, Nabokov, Gombrowicz, l’énergie libératrice avec laquelle l’auteur essore son lecteur en même temps que lui-même.
Un dossier, dit-il ? Un maelstrom, plutôt. Une corne d’abondance, mais aussi de taureau, façon Leiris. Une folie, au sens architectural. Une forme d’expiation, aussi, peut-être. M comme magistral. M comme misons déjà que Bouillier saura relancer la donne dans le Livre 2, à paraître en janvier. M comme mais on n’en doute pas.
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Grégoire Bouillier, Le Dossier M, livre 1, éditions Flammarion, 24,50€
Published on June 10, 2019 00:18
June 6, 2019
LE LABYRINTHE DES VIES NOUÉES - Marie-Hélène Lafon
Le temps du conditionnel est peut-être le temps des enfermés. C’est donc le temps des possibles, quand l’imagination s’insinue entre les failles, déplie le réel, pan à pan, conçoit ce qui n’est pas mais aurait pu être, pourrait être. Il se peut, après tout, que chaque écrivain écrive, dans le secret de son gueuloir, des romans à l’encre conditionnelle, avant de les faire jeûner au passé ou de les gaver de présent. Prenez Régis Jauffret, qui utilise le temps du conditionnel pour faire rendre gorge au réel et lui donner l’allure d’un « heurt indescriptibles d’avortements » – pour citer Artaud et donner une idée de l’effet recherché. Chez Marie-Hélène Lafon, qui laisse essaimer ce temps dans son nouveau roman, Nos vies, ce mode quasi dystopique n’a pas pour fonction de mener au drame mais pour ainsi dire de feuilleter le spectre du récit. De faire trembler « les plaques tectoniques de nos vies ».Deux personnages en quête de hauteur : ainsi pourrait-on résumer l’argument du livre – si les livres avaient besoin d’arguments et de résumés, ce qui est loin d’être prouvé (et souhaitable) – puisqu’il est question d’une narratrice qui, à force d’observer Gordana, caissière chez Franprix, et un client qui en pince pour elle, invente à ces deux citadins non seulement des vies propres, mais également toutes sortes de vivants destins, des familles, des peines et des joies, des envols et des échappées, comme si, en ouvrageant ces deux lignes parallèles, en jouant mille airs différents, elle rêvait de faire entendre, en contrepoint à sa solitude, quelque chose de l’ordre de l’harmonie.
Un Franprix ? Oui, qui plus à Paris, puisqu’avec Nos viesMarie-Hélène Lafon fait retour sur la ville, après plusieurs textes racinés en rugueuse campagne. Roman-béton ? Pas sûr. Si le cadre du roman, nous dit-on, est le XIIèmearrondissement, c’est moins un quartier de la capitale qu’une caisse de résonance, aux contours suffisamment indifférenciés pour que s’y jouent d’autres échos. Mais attardons-nous un instant sur ce décor-supérette : la littérature s’y aventure peu en général, même si l’on peut d’emblée citer deux contre-exemples éloquents, tels que Regarde les lumières mon amour d’Annie Ernaux ou, plus récemment, à sa façon, Je paie d’Emmanuel Adely. Il n’est certes pas innocent que surgisse ici le nom de Ernaux, non seulement parce que ses écrits dialoguent souterrainement avec l’œuvre de Lafon, mais également parce que leurs textes signalent, dans le passage de l’épicerie à la grande surface, un événement qui n’est pas seulement de nature spatiale ou mercantile. De fait, ce « remplacement » est emblématique de la césure entre le temps figé et intime de l’avant-guerre (pour faire court) et celui, anonyme et flou, de la consommation de masse qui l’a suivi. Or, en cherchant à doter ses deux personnages de vies diffractées, la narratrice se lance dans une spirale de conjectures, et voilà le fil de vies de province soudain dévidé par la bobine urbaine.
On pourrait sans doute déceler chez Marie-Hélène Lafon, à première lecture, un penchant passéiste, un goût pour l’obsolète, voire une certaine préciosité agrémentée de nostalgie. Ce serait, à mon avis, se méprendre. Chez l’auteur, l’art du détail, dès lors qu’il s’attache à des pratiques et tournures délaissées, ne vise jamais leur célébration, mais insiste plutôt sur leur résistance, leur survie, nous rappelant combien certains us imprègnent encore nos mémoires, mentales comme physiques. Bien qu’évoluant dans le présent, les personnages de Lafon charrient souvent à leur corps défendant la magique quincaillerie des gestes et paroles qui constituaient leur ordinaire d’enfance. La transmission persiste dans l’oubli, elle connaît de discrètes mais poignantes résurgences dans « nos vies » – plus d’une fois, la narratrice insiste sur une « tournure », qu’employait sa mère ou son père. La tournure : langue apparemment figée mais qui est comme l’absente de tout bouquet, en ce qu’elle permet à l’Autre d’apparaître à nouveau.
La caissière qu’observe et multiplie la narratrice est affligée d’un pied-bot, et ce pied-bot est comme un secret, il dit la course impossible mais également la singularité, c’est un trou noir où ont été engloutis mille aspirations. Qu’aurait fait Gordana la boiteuse si, moins pauvres, mieux informés, ses parents l’avaient fait opérer ? Et Lafon d’égrener une litanie de possibles sur laquelle plane, soudain, l’ombre de Flaubert, écrivain cher à l’auteure. Car si l’Hyppolite opéré par Charles dans Madame Bovaryétait garçon d’écurie, Gordana, elle, aurait pu être « cavalière racée, et vétérinaire pour les chevaux, dans un haras les premières années, ensuite elle aurait voyagé dans le monde entier, on l’aurait appelée pour sauver des chevaux de grands prix atteints de maladies rares et mystérieuses (…). » Le monde qu’explore ici Lafon semble certes immobile (caissière assise, client en attente…), et pourtant sa phrase piaffe et rue, animée d’une cadence versatile qui procède par d’infimes vertiges syntaxiques, une cadence dont il émane, pour reprendre une expression de la narratrice, « une grâce tenace ». Ainsi va la prose chez Lafon : proche de la terre, mais le pied léger.
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Marie-Hélène Lafon, Nos vies, éd. Buchet-Chastel, 15€
Published on June 06, 2019 22:27
Ben Lerner
[A partir d'aujourd'hui et durant tout l'été, retrouvez sur Le Clavier Cannibale mes feuilletons parus dans Le Monde des Livres depuis deux ans – gratuitement et sans engagement de votre part.]
PRENDS L’ECHEC ET TORDS-LUI LE COU
Pas de panique : la poésie sera toujours inadmissible. Galvaudée, ravaudée, édulcorée, rouée, elle n’en a pas moins son centre partout et sa périphérie nulle part. Le roman l’enrôle telle une Mère Courage dont seule la soupe intéresse. Elle est le cauchemar dont la prose ne cesse de se réveiller, tantôt alibi aux babils débilitants, tantôt béquille lyricoquette pour récit boiteux. Certains romanciers la picorent pour enfienter de petites pacotilles ciselées, pendant que les poètes, eux, n’en finissent pas de lui tourner et rompre le dos. Elle ardait chez Rimbaud, hop, la voilà qui gagate chez Bobin ! Pas vu pas pris. On la croyait crucifiée chez Artaud, pensez donc ! elle joue de la vinaigrette chez Moix. A croire qu’elle est tout à la fois la tarte, la crème, et la face de carême qui la reçoit. Astre inaccessible et vieille lune. Mais surtout, elle est l’objet d’une haine tenace, et c’est précisément cette détestation que l’écrivain américain Ben Lerner a décidé d’ausculter.
Bon, chez nous, cet écrivain est connu comme romancier, avec deux titres déjà parus à L’Olivier, mais là-bas, à Trump-Land, il s’est d’abord imposé comme poète, avec trois recueils très remarqués, dont le premier, The Lichtenberg Figures, est paru il y a dix-sept ans. La poésie de Lerner est à la fois intellectuelle, déclarative, autoréflexive (« Je voulais rejeter tout dogmatisme en théorie et toute sclérose en organisation »), et n’hésite pas à muer en prose, comme dans Angle of Yaw (« le roman jeté par terre se brise en vers et accomplit une synthèse parfaite »). Bref, poète etromancier. Et désormais essayiste, puisque paraît ces jours-ci un texte de lui intitulé La haine de la poésie. Quoi ?! La poésie, haïssable ? Comme le moi pascalien ? Les lauriers coupés ? Ah, pire encore ! Car c’est là, nous dit Lerner, un « art détesté du dehors comme du dedans ». En gros, l’inverse du roman, creuset de mille mamours et complaisances.
Il y aurait en effet un écart plus ou moins béant, plus ou moins tangible, entre le « Poème virtuel » (dit aussi « Poème idéal »), tel que le conçoit et le rêve le poète, et le poème réel, celui qui, n’étant pas grive, fait la caille sur le papier. Les poètes eux-mêmes le concèdent : ils convoitent les allées Parnasse mais titubent bien souvent dans les rues de Paris ou Brooklyn. Qu’il s’agisse de l’euphonie chère à Keats ou des discordances orchestrées par Emily Dickinson, le résultat vacille toujours en deçà de l’ambition – Emily Dickinson n’écrivait-elle pas d’ailleurs : « J’habite en Possibilité. »
L’auteur de La haine de la poésie s’attache donc dans cet essai à répertorier les divers types de méfiances et d’aversions qui entachent la pratique du luth. Sa méthode, à la fois pédagogique (les exemples abondent) et sincère (il se répète un chouïa, mais c’est pour la bonne cause), est assez réjouissante, surtout quand il cite un poème d’un certain William Topaz McGonagall, « largement plébiscité comme le pire poète de l’histoire » et auteur de l’avis général d’un « des poèmes les plus résolument catastrophiques de tous les temps ». Qu’est-ce qui dans ce poème est « raté » ? En quoi rate-t-il, que rate-t-il, que nous dit son ratage ? Peut-on imaginer ledit poème réussi ? De quel soleil a-t-il gaspillé l’ombre ? Lerner le reconnaît lui-même : il est plus facile de s’accorder sur un poème raté que sur un poème réussi. Soit le poème est hermétique et ne concerne que l’élite, soit il brasse du cliché, et « fait honte », soit il se prend pour une arme, fait bang !, puis pschuit !– il « tire à blanc ». Vous l’avez compris : la poésie appelle la haine comme l’académicien le ridicule. Pour les uns, elle n’atteint pas ses buts ; pour les autres, elle se trompe de cible. Mais qu’est-ce qu’un poème réussi, puisque, selon l’auteur et la gaie confrérie des aèdes, toute réussite est impossible, comme si la Muse raccrochait dès qu’on arrive à la joindre ?
A cette question, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement au centre de son essai, Lerner apporte quelques esquisses de réponse qui ressortent d’ailleurs plutôt, et fort heureusement, de l’esquive. Peut-être ne faut-il pas chercher la poésie là où elle prétend loger. Et le poète-romancier de citer des passages en prose de Claudia Rankine, auteure de Si toi aussi tu m’abandonnes (publié par l’éditeur José Corti), pour démontrer que le « mot ‘Poésie’ finit par désigner cette possibilité dont on ressent l’absence dans les poèmes ». Possibilité : décidément, on en revient sans cesse à ce concept qui s’ouvre et se ferme comme une rose made in Ronsard mais reste fuyant comme le Loire gaulois de Du Bellay ? Plus sérieusement, ce que Ben Lerner réaffirme après d’autres (disons, après Beckett ?), c’est qu’écrire de la poésie revient à tenter de transformer l’échec en possible, ce qu’il appelle travailler « l’instabilité linguistique des premiers âges » pour en éprouver « la force créatrice et destructrice » – et là, on a envie d’en profiter pour adresser mille petites pensées apitoyées aux écrivains qui croient avoir « réussi » leur coup mais n’explorent, hélas, que la possibilité du succès. Peut-être est-ce la poésie qui hait ces derniers ? Allez : choyons mieux, et qui lira vivra.
_________________Ben Lerner, La haine de la poésie, traduit de l’anglais (Etats-Unis), par Violaine Huisman, éditions Allia, 7€
PRENDS L’ECHEC ET TORDS-LUI LE COU
Pas de panique : la poésie sera toujours inadmissible. Galvaudée, ravaudée, édulcorée, rouée, elle n’en a pas moins son centre partout et sa périphérie nulle part. Le roman l’enrôle telle une Mère Courage dont seule la soupe intéresse. Elle est le cauchemar dont la prose ne cesse de se réveiller, tantôt alibi aux babils débilitants, tantôt béquille lyricoquette pour récit boiteux. Certains romanciers la picorent pour enfienter de petites pacotilles ciselées, pendant que les poètes, eux, n’en finissent pas de lui tourner et rompre le dos. Elle ardait chez Rimbaud, hop, la voilà qui gagate chez Bobin ! Pas vu pas pris. On la croyait crucifiée chez Artaud, pensez donc ! elle joue de la vinaigrette chez Moix. A croire qu’elle est tout à la fois la tarte, la crème, et la face de carême qui la reçoit. Astre inaccessible et vieille lune. Mais surtout, elle est l’objet d’une haine tenace, et c’est précisément cette détestation que l’écrivain américain Ben Lerner a décidé d’ausculter.Bon, chez nous, cet écrivain est connu comme romancier, avec deux titres déjà parus à L’Olivier, mais là-bas, à Trump-Land, il s’est d’abord imposé comme poète, avec trois recueils très remarqués, dont le premier, The Lichtenberg Figures, est paru il y a dix-sept ans. La poésie de Lerner est à la fois intellectuelle, déclarative, autoréflexive (« Je voulais rejeter tout dogmatisme en théorie et toute sclérose en organisation »), et n’hésite pas à muer en prose, comme dans Angle of Yaw (« le roman jeté par terre se brise en vers et accomplit une synthèse parfaite »). Bref, poète etromancier. Et désormais essayiste, puisque paraît ces jours-ci un texte de lui intitulé La haine de la poésie. Quoi ?! La poésie, haïssable ? Comme le moi pascalien ? Les lauriers coupés ? Ah, pire encore ! Car c’est là, nous dit Lerner, un « art détesté du dehors comme du dedans ». En gros, l’inverse du roman, creuset de mille mamours et complaisances.
Il y aurait en effet un écart plus ou moins béant, plus ou moins tangible, entre le « Poème virtuel » (dit aussi « Poème idéal »), tel que le conçoit et le rêve le poète, et le poème réel, celui qui, n’étant pas grive, fait la caille sur le papier. Les poètes eux-mêmes le concèdent : ils convoitent les allées Parnasse mais titubent bien souvent dans les rues de Paris ou Brooklyn. Qu’il s’agisse de l’euphonie chère à Keats ou des discordances orchestrées par Emily Dickinson, le résultat vacille toujours en deçà de l’ambition – Emily Dickinson n’écrivait-elle pas d’ailleurs : « J’habite en Possibilité. »
L’auteur de La haine de la poésie s’attache donc dans cet essai à répertorier les divers types de méfiances et d’aversions qui entachent la pratique du luth. Sa méthode, à la fois pédagogique (les exemples abondent) et sincère (il se répète un chouïa, mais c’est pour la bonne cause), est assez réjouissante, surtout quand il cite un poème d’un certain William Topaz McGonagall, « largement plébiscité comme le pire poète de l’histoire » et auteur de l’avis général d’un « des poèmes les plus résolument catastrophiques de tous les temps ». Qu’est-ce qui dans ce poème est « raté » ? En quoi rate-t-il, que rate-t-il, que nous dit son ratage ? Peut-on imaginer ledit poème réussi ? De quel soleil a-t-il gaspillé l’ombre ? Lerner le reconnaît lui-même : il est plus facile de s’accorder sur un poème raté que sur un poème réussi. Soit le poème est hermétique et ne concerne que l’élite, soit il brasse du cliché, et « fait honte », soit il se prend pour une arme, fait bang !, puis pschuit !– il « tire à blanc ». Vous l’avez compris : la poésie appelle la haine comme l’académicien le ridicule. Pour les uns, elle n’atteint pas ses buts ; pour les autres, elle se trompe de cible. Mais qu’est-ce qu’un poème réussi, puisque, selon l’auteur et la gaie confrérie des aèdes, toute réussite est impossible, comme si la Muse raccrochait dès qu’on arrive à la joindre ?
A cette question, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement au centre de son essai, Lerner apporte quelques esquisses de réponse qui ressortent d’ailleurs plutôt, et fort heureusement, de l’esquive. Peut-être ne faut-il pas chercher la poésie là où elle prétend loger. Et le poète-romancier de citer des passages en prose de Claudia Rankine, auteure de Si toi aussi tu m’abandonnes (publié par l’éditeur José Corti), pour démontrer que le « mot ‘Poésie’ finit par désigner cette possibilité dont on ressent l’absence dans les poèmes ». Possibilité : décidément, on en revient sans cesse à ce concept qui s’ouvre et se ferme comme une rose made in Ronsard mais reste fuyant comme le Loire gaulois de Du Bellay ? Plus sérieusement, ce que Ben Lerner réaffirme après d’autres (disons, après Beckett ?), c’est qu’écrire de la poésie revient à tenter de transformer l’échec en possible, ce qu’il appelle travailler « l’instabilité linguistique des premiers âges » pour en éprouver « la force créatrice et destructrice » – et là, on a envie d’en profiter pour adresser mille petites pensées apitoyées aux écrivains qui croient avoir « réussi » leur coup mais n’explorent, hélas, que la possibilité du succès. Peut-être est-ce la poésie qui hait ces derniers ? Allez : choyons mieux, et qui lira vivra.
_________________Ben Lerner, La haine de la poésie, traduit de l’anglais (Etats-Unis), par Violaine Huisman, éditions Allia, 7€
Published on June 06, 2019 02:50
May 21, 2019
Lupano, vraie honte contre faux honneur
Le ministre de la "Culture" a voulu décerner la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres au scénariste Wilfrid Lupano, auteur des Vieux fourneaux. Mais Lupano a une notion un peu plus élevée de l'honneur que ceux qui médaillent à tout-va, comme on pince l'oreille d'un grognard. Flaubert disait: "Les honneurs déshonorent." Lupano préfère citer Desproges – "les décorations, c'est la libido des vieux" –, mais l'idée est la même. A la prétention d'honorer de certains, le scénariste répond par la rage d'avoir honte. Voici la lettre adressée qu'il a adressé à ce ministre un peu naïf qui prend les gens pour des sapins – en espérant que d'autres suivront son exemple."Monsieur le ministre,À ma très grande surprise, vous m’avez adressé la semaine dernière un courrier pour m’annoncer que vous me décerniez le grade de chevalier des arts et lettres.
Je vous remercie de cette délicate attention, mais j’ai bien peur de devoir refuser cet « honneur ».Déjà, spontanément, je n’ai jamais été très excité par les médailles. Pierre Desproges disait « les décorations, c’est la libido des vieux ». Je me plais à penser que je n’en suis pas encore là. Il y a cependant des distinctions plus réjouissantes que d’autres, et celle-ci a l’inconvénient, monsieur le ministre, d’être remise par un représentant politique.
Or, comment accepter la moindre distinction de la part d’un gouvernement qui, en tout point, me fait honte ?Car oui, il s’agit bien de honte.J’ai honte de ce que votre gouvernement fait des services publics, au nom du refus dogmatique de faire payer aux grandes entreprises et aux plus grosses fortunes les impôts dont elles devraient s’acquitter. « il n’y a pas d’argent magique » martèle votre leader. Il y a en revanche un argent légal que monsieur Macron refuse d’aller chercher pour ne pas déplaire à ceux qui ont financé sa campagne.J’ai honte, lorsque j’entends monsieur Castaner s’indigner que l’on puisse « s’attaquer à un hôpital », comme il l’a fait récemment, alors que c’est bien votre gouvernement qui fait le plus de mal aux services de santé, et pas trois gilets jaunes qui cherchent à se mettre à l’abri au mauvais endroit. J’ai honte de ce gouvernement qui en supprimant l’ISF, a divisé par deux les ressources des associations qui prennent à leur charge les plus faibles, les plus démunis, les laissés pour compte, à la place de l’état.J’ai honte lorsque votre gouvernement refuse d’accueillir l’Aquarius et ses 160 réfugiés qui demandent de l’aide, et encore plus honte lorsque monsieur Castaner, encore lui, accuse les ONG qui tentent par tous les moyens de sauver des vies d’être « complices » des passeurs.
J’ai honte lorsque je vois la police « escorter » les militants de Génération Identitaire après leur coup de com’ au col de Briançon pour les « protéger » contre les militants favorables à l’accueil des réfugiés. Certains de ces derniers furent d’ailleurs interpelés, alors que tous les membres de Génération Identitaire sont rentrés chez eux fêter leur coup de publicité.J’ai honte de votre politique indigne d’accueil des migrants, et en particulier des mineurs isolés. Le gouvernement auquel vous appartenez a accéléré le rythme des expulsions, voté l’allongement à 90 jours de la période de rétention pour les étrangers en situation irrégulière. De la prison, donc, pour des personnes n’ayant commis aucun crime, hommes, femmes, enfants, nouveaux-nés. Pendant ce temps, des préfets plusieurs fois condamnés pour non respect du droit d’asile sont maintenus en poste.Pour de sordides calculs électoraux, le gouvernement auquel vous appartenez foule aux pieds tous les principes philosophiques et moraux qui sont à la base de la constitution et de l’histoire de ce pays, et passe à côté du sens de l’Histoire. Soyez certain que l’Histoire s’en souviendra.J’ai honte de l’incapacité de ce gouvernement à prendre en compte l’urgence écologique, qui devrait pourtant être le seul sujet à vous préoccuper vraiment. En dehors d’effets d’annonce, rien dans les mesures prises depuis deux ans n’est à la hauteur des enjeux de notre époque. Ni sur la sortie des énergies fossiles, ni sur le développement du bio, des énergies renouvelables ou la condition animale. Votre gouvernement reste le loyal service après-vente des lobbies, de l’industrie agroalimentaire, des laboratoires, des marchands d’armes…J’ai honte, monsieur le ministre, de ce gouvernement mal élu ( le plus mal de la l’histoire de la cinquième république) qui ne tient plus que par sa police ultra violente.J’ai honte de voir, depuis des mois, partout en France, éclater des yeux, exploser des mains ou des visages sous les coups de la police, de Notre Dame des Landes aux Champs-Elysées, à Toulouse, Biarritz, Nantes. Le monde entier s’alarme de la dérive sécuritaire de votre gouvernement, de l’utilisation abusive d’armes de guerre dans le maintien de l’ordre, mais vous, vous trouvez que tout va bien.Je pense à Maxime Peugeot, 21 ans, et à sa main arrachée par une grenade dans un champ de Notre Dame des Landes. Qu’est-ce qui pouvait bien menacer à ce point la sécurité de la France, dans ce champ à vache du bocage breton, pour qu’on en arrive à faire usage d’une telle violence ? 2500 gendarmes, une opération de guerre à plusieurs millions d’euros menée pour détruire une trentaine de cabanes en bois (« il n’y a pas d’argent magique »…) et procéder à une dizaine d’expulsions… Je pense à Lola Villabriga, 19 ans, défigurée à Biarritz par un tir de LBD que rien ne justifiait et qui vit désormais avec des plaques d’acier dans la mâchoire, alors que c’était sa première manifestation. Je cite deux noms, mais vous le savez sûrement, ils sont aujourd’hui des centaines. Suivez le travail de David Dufresne si le sujet vous intéresse.Comme vous le voyez, nous avons peu de points communs, politiquement. Et dans un monde où les distinctions culturelles seraient remises par le milieu culturel lui-même, sans intervention du politique, j’aurais accepté celle-ci avec honneur et plaisir. Mais il n’y a pas de geste politique qui ne soit aussi symbolique, et je sais déjà que si un jour j’atteins l’âge avancé où on prend son pied à exhiber ses breloques, j’aurais bien peu de plaisir à me rappeler que celle-ci me fut remise par le représentant d’un gouvernement dont j’aurais si ardemment souhaité la chute et la disgrâce.Passons malgré tout une bonne journée,Wilfrid Lupano"
Published on May 21, 2019 05:32
April 26, 2019
SUBSTANCE: A PARAÎTRE LE 21 AOÛT CHEZ ACTES SUD
Published on April 26, 2019 04:54
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