Jérôme Segal's Blog, page 3

September 8, 2022

Vienne capitale européenne du véganisme ?

Fast-food 100% végane à Vienne

La capitale autrichienne déjà répertoriée comme la ville où il fait le mieux vivre dans le monde est aussi depuis cet été celle où le commerce végane explose. Le nombre de véganes était déjà en augmentation constante dans le pays. Selon un sondage réalisé en 2021, on comptait 106 000 véganes et 840 000 végétariens dans la république alpine de près de 9 millions d’habitants, soit des augmentations respectives de 32,5 et 9,5% en trois ans. Les effets économiques sont importants et de plus en plus de supermarchés proposent un large choix de produits végétariens ou véganes. La porte-parole du groupe Spar, très implanté en Autriche, Nicole Berkmann, estime, études à l’appui, que 80 % des produits végétariens sont achetés par des consommateurs qui mangent de la viande et que ce sont même 95 % des produits véganes qui sont achetés par des non-véganes.

Cet été, à la mi-juillet, une première filiale 100% végane d’une grande chaîne de fast-food a été inaugurée, une première en Europe. Plus intéressant, cette même chaîne (Burger King) a décidé que dans sa cinquantaine d’autres filiales, le burger végane serait la norme ! Si un client veut de la viande, il doit le préciser, par défaut on coincera dans son pain un burger végétal.

La filiale 100% végane ouverte en juillet 2022 :

Le 8 septembre, c’est une des grandes chaînes de supermarché du pays, Billa, qui a ouvert sa première filiale 100% végane sous le nom de « Pflanzilla » en référence à ‘Gorilla’ (le puissant primate herbivore en allemand, partant de ‘Pflanze’ qui signifie ‘plante’). Sur 200 m², ce seront bientôt 2500 produits qui seront proposés mais le choix est déjà conséquent. Verena Wiederkehr, en charge du « Plant-Based Business Developement » de la marque, explique : « On sait depuis longtemps que la consommation d’aliments végétaux n’est plus une simple tendance mais reflète bien un développement durable dans la société. »

Cet engouement pour la nourriture végétalienne s’accompagne aussi d’une campagne en faveur de l’écologie et des animaux, à l’intérieur même du supermarché. Un graphique explique ainsi qu’alors que 30% des émissions nationales de CO2 sont dues à l’alimentation, une personne végane en émet trois fois moins qu’une personne qui mange de la viande. Une autre affiche rappelle qu’on peut être fort en s’alimentant à base de plantes, comme un gorille de deux tonnes ou un éléphant de 6 tonnes, tout en mentionnant que le rhinocéros, lui aussi végétalien, reste capable de courir à 50 km/h ! Enfin, une dernière affiche informe sur les teneurs en protéines de différents aliments, rappelant que la consommation d’un peu de légumineuse suffit à ne pas être carencé en protéines. À différents endroits du magasin, un petit texte intitulé « Good Food Â» répète ce mantra : « Bon pour moi et pour nous tous. Bon pour le climat et l’environnement. Bon pour les animaux. Manger ça fait du bien. Â».

Pour l’aspect écologique, on trouve une presse à noisettes et chocolat pour se faire soi-même sa pâte à tartiner, un large choix de produits en vrac et même de quoi remplir soi-même ses bouteilles de bière avec la célèbre marque viennoise, Ottakringer.  Les autres chaînes de magasins scrutent avec intérêt le développement de cette filiale ouverte au cœur de Vienne. Le véganisme semble bien s’accorder avec les préoccupations écologiques du moment, pour le bonheur des consommateurs… et bien sûr de quelques entreprises.

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Published on September 08, 2022 06:17

June 1, 2022

Homo Austriacus et ses poubelles

Les Autrichiens ne rigolent pas avec leurs poubelles. Déjà, ils pratiquent un tri assez poussé par rapport à ce qu’on rencontre dans d’autres pays comme la France, mais, en outre, il n’est pas question que des étrangers aillent remplir des poubelles qui ne leur appartiennent pas !Ainsi, à Hietzing, un quartier plutôt huppé de Vienne, proche de la nature avec l’immense Lainzer Tiergarten (24,5 km², soit un quart de la superficie de Paris), on trouve des poubelles enfermées derrière des grilles, protégées par un beau petit toit en tôle…

Photo prise de l'intérieur de la cage à poubelles 🙂Voir l'ensemble des billets sur Homo Austriacus.
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Published on June 01, 2022 14:36

May 15, 2022

Le mépris des animaux et des femmes condensé dans un calendrier

En Autriche, « l’Alliance des jeunes paysans Â», très proche du parti conservateur ÖVP, joue un rôle de couveuse pour former des lobbyistes du monde agricole, et plus précisément pour défendre les intérêts des éleveurs. Ils organisent chaque année une grande « fête des moissons Â» sur la Heldenplatz, la place emblématique de Vienne.  Depuis 2001, ils éditent également un calendrier censé mettre en valeur leurs activités. Nommé le 10 mai dernier nouveau ministre de l’agriculture, Norbert Totschnig n’est d’ailleurs autre que l’inventeur de ce calendrier.

Dans l’édition 2023, ils présentent des femmes dévêtues dans des situations propres à l’élevage intensif avec pour idée de présenter « l’attractivité » du métier. Rarement le parallèle entre le sexisme et le spécisme, entendu comme discrimination fondée sur l’appartenance à l’espèce, n’aura été aussi lisible. Sur le sujet, la lecture du livre de Carol J. Adams s’impose (La politique sexuelle de la viande: une théorie critique féministe végétarienne, L’âge d’homme, 2106) !

Le commentaire sur Twitter de Georg Prinz (de la VGT, Association contre les usines animales) à propos de l’image ci-dessous est éloquent : « D’abord on t’arrache à ta mère, après tu reçois du lait d’un réservoir et dans deux semaines on t’envoie en Espagne » (Zuerst entreißen wir dich deiner Mutter, dann bekommst du Milch aus dem Tank und in zwei Wochen schicken wir dich nach Spanien).

Compléments

Sur ce blog, « Homo Austriacus rusticus »Dans la revue L’Amorce, « La solidarité féministe à l’égard des animaux », 18 mai 2020
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Published on May 15, 2022 09:48

March 18, 2022

A nouveau des réfugiés de l’Est à Vienne : comment aider ?

Dans son édition du 18 septembre 1914, le quotidien social-démocrate Arbeiter Zeitung (« journal des ouvriers ») fait état de 70 000 réfugiés venus, en raison de la guerre, des provinces de l’empire austro-hongrois correspondant en parties aux frontières de l’actuelle Ukraine, la Galicie et la Bucovine. Parmi eux, quatre cinquièmes de Juifs. L’édition du 26 octobre 1915 mentionne un “comité d’aide pour les réfugiés ukrainiens”…

Comment aider aujourd’hui les familles ukrainiennes qui arrivent ? Il y a essentiellement trois sites : http://www.trainofhope.at/ (Vienne), https://where2help.wien/ (idem), https://fuereinand.at/ (dans toute l’Autriche) mais aussi, au niveau international, https://www.ukrainetakeshelter.com/

Deux annonces :

Vous pouvez aider à la gare centrale (Hauptbahnhof) et au Ernst-Happel-Stadion. Contacter
Gregor et l’équipe de füreinand’ mitmachen@fuereinand.at

et

Vous pouvez préparer des petits sacs de « piquenique » avec sandwich, snack, boissons. Et les apporter au stand Caritas de la gare Hauptbahnhof (au milieu de la gare vers les quais 7-8)
Il y a beaucoup de familles et les sandwich partent en quelques secondes.
Il y a aussi possibilité de leur apporter d’autres produits type hygiéniques.

Pour communiquer, dans le cas où vous hébergez des Ukrainien.ne.s qui ne parlent pas de langues que vous connaissez, l’appli Google translate offre un mode « conversation » excellent. Vous parlez en français, votre téléphone traduit en ukrainien (et prononce), et vice-versa.

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Published on March 18, 2022 01:52

December 15, 2021

Une Odyssée peu commune, de Vienne à Menton

A la faveur de la reprise des trains de nuit entre Paris et Vienne, j’ai pu lire d’une traite, la nuit dernière, la biographie d’Herbert Traube, Une Odyssée peu commune, de Vienne à Menton (Musée d’histoire et des sciences de l’Homme, 2015). Né à Vienne en 1924, c’est à 15 ans que le jeune Herbert a dû fuir le deuxième arrondissement de sa ville natale pour la Belgique, d’abord avec sa mère et sa sœur, avant d’être rejoint bien plus tard par son père. Fuyant l’occupation allemande, la famille se réfugie dans le sud de la France et le jeune Hebert est interné dans trois camps : ceux de Gurs et Rivesaltes mais aussi le camp d’Aix-les-Milles. Sa mère meurt d’épuisement au camp et son père est déporté à Auschwitz (ce qu’il n’apprendra qu’à la fin de la guerre). Herbert parvient, lui, à s’évader acrobatiquement d’un autre train de déportation, à nouveau vers le camp de Riveslates… Engagé de la première heure dans la Résistance à Marseille, il signe pour cinq ans à la Légion étrangère.

Participant au débarquement en Provence (août/septembre 1944), il poursuit avec son unité de légionnaires en Alsace, en Allemagne… libère Stuttgart puis se retrouve au Vorarlberg en Autriche. A l’été 1945, les combats ne sont pas finis pour lui puisqu’il est envoyé en Indochine et témoigne d’atrocités commises par l’armée française. C’est le seul moment du livre où il y a quelques mots en lettres capitales : « Ce n’était plus MA GUERRE Â» (p. 215). Il ose d’ailleurs cette question Ã´ combien pertinente au regard des mouvements de décolonisation : « N’étions-nous pas aux yeux des Vietnamiens ce que les Allemands avaient été aux yeux des Français juste quelques années auparavant ? Â».

Aujourd’hui âgé de 97 ans, « français non par le sans reçu mais par le sang versé Â» – selon la devise du centre de la Légion à Aubagne – Herbert continue de servir son pays d’adoption, intervenant encore dans les écoles, collèges et lycées, et travaillant au sein de l’association « Devoir de mémoire Â» dont il est président d’honneur. Son livre se dévore : la narration est fluide, les descriptions passionnantes et jamais trop longues, on le « voit Â» cacher des pépites d’or dans des pralines en chocolat, risquer de se faire lyncher par des Belges en raison de son accent allemand, sauter d’un train en marche, improviser un échange en patois luxembourgeois, toiser un haut gradé de la Wehrmacht qui ignore ses origines lorsque, par erreur de pilotage, il se retrouve seul dans les lignes allemandes, faire preuve d’invention…et de culot aussi parfois (s’improvisant par exemple dentiste pour arracher la dent d’un autre légionnaire).

Dans les dernières pages, Herbert Traube revient sur sa judéïté. Il se sent juif « non pas par la religion qu[’il] ne pratique plus depuis longtemps , mais par la consciences d’appartenir à cette longue lignée de gens qui ont véhiculé à travers les âges, et avec les difficultés que l’on connaît, une façon de penser, une éthique dont est issue notre civilisation gréco-judéo-chrétienne occidentale. Â» (p. 254)

A titre personnel, ce parcours m’a bien sûr passionné car il fait écho à celui de mon grand-père Heinrich/Henri, parti lui aussi de Vienne, d’abord engagé à la Légion étrangère puis Résistant et faisant le choix, comme Herbert, de devenir français et de rester en France (Voir chap. 6 de mon livre L’Armoire).

PS/

Das Buch gibt es auf Deutsch : Eine ungewöhnliche Odyssee von Wien nach Paris und Menton. Erinnerungen. Wien: Verlag der Theodor Kramer Gesellschaft 2021. 226 S.

Clara Laurent est en train de réaliser un film documentaire sur le destin d’Herbert Traube… dont voici un aperçu.

Voir aussi cette petite vidéo de 2015 sur le site de franceinfo.

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Published on December 15, 2021 06:46

November 24, 2021

Pourquoi si peu de vaccinations en Autriche ?

Le taux de vaccination en Autriche est « honteusement bas Â», c’est le nouveau chancelier Alexander Schallenberg lui-même qui l’a reconnu avant d’annoncer précipitamment, vendredi 19 novembre, un quatrième confinement pour une durée de 20 jours à compter du lundi 22 novembre. La communication du gouvernement a été pour le moins erratique. Le 25 juin dernier, le chancelier Sebastian Kurz (pas encore démissionnaire) lançait une nouvelle campagne d’affichage à la gloire de son action, annonçant « Nous avons maîtrisé la pandémie Â». Pendant l’été, la campagne de vaccination n’a pas été très médiatisée et, fin octobre, A. Schallenberg promettait qu’il n’y aurait pas de confinement pour les vaccinés, espérant sans doute ainsi relancer le taux de vaccination. Effectivement, un mois plus tard, un confinement était décidé pour les non-vaccinés en Haute-Autriche et dans le Land de Salzbourg, mais au cinquième jour de ce confinement particulier, c’est tout le pays qui allait passer sous cloche.

Aujourd’hui si 23% des Français ne sont pas vaccinés, ce sont 31% des Autrichiens qui sont dans ce cas. Une infographie en date du 9 novembre concernant la population des plus de 12 ans, susceptible donc d’être vaccinée, était plus explicite encore :

Les trois pays germanophones présentent des similarités et le cas de l’Italie le confirme : c’est la région du Tyrol du Sud, en partie germanophone, qui est la moins vaccinée du pays. Comment expliquer cela ?

Le poids du libéralisme et de l’individualisme

En Autriche comme en Allemagne, l’individu prime souvent sur le collectif. La fiscalité, par exemple, est individuelle, alors qu’en France c’est le « foyer fiscal Â» qui est considéré. On peut vivre avec une personne sans revenu, ne pas avoir d’enfants ou nourrir une famille nombreuse, on paye le même impôt sur le revenu. Les droits des personnes sont souvent mis en exergue. Ainsi, lors de la manifestation du 20 novembre contre les mesures sanitaires décidées par le gouvernement, la police annonçait toutes les deux minutes à l’aide de puissants haut-parleurs qu’ils utilisaient la photo et la vidéo pour documenter la manifestation en cas de trouble, précisant que cela était possible en vertu d’une loi pour la sécurité publique qui, exceptionnellement, l’emportait sur le droit à l’image.

Sur le plan économique, le pays est fortement marqué par le libéralisme et l’un des fondateurs de ce courant, Friedrich Hayek (1899-1992), était d’ailleurs viennois, de nationalité autrichienne jusqu’en 1938. Spécialiste de la pensée de cet économiste également philosophe, Thierry Aimar estime que selon Hayek, « tout individu est un être singulier, personnalisé, dont l’épanouissement exige un effort spirituel (…) pour s’exprimer et se découvrir lui-même Â». Dans ce cadre, l’entreprenariat reposerait sur une « mobilisation des connaissances subjectives de chacun. Â»

Plusieurs articles de ce blog témoignent d’une forme exacerbée de libéralisme – le néolibéralisme –, très ancrée dans le pays. Il est très facile de créer une entreprise et l’État n’intervient que très peu dans le monde économique. Aussi, pour beaucoup d’Autrichiens, ce n’est pas à l’État de dicter les mesures sanitaires à appliquer au niveau individuel. Les citoyens entendent eux-mêmes décider si la vaccination leur conviendra et si elle sera utile à leurs enfants. Certains déclarent, sans se soucier de la solidarité élémentaire qui préside à toute campagne de vaccination, que leur choix est fait : la balance avantage/risque, à leur niveau, ne les incite pas à la vaccination. Inspiré par cette mentalité individualiste, le gouverneur de la région du Burgenland n’a pas hésité à proposer par tirage au sort une voiture de type Golf-GTI à celles et ceux qui se feraient vacciner. Les jeunes accepteraient alors de se faire vacciner pour gagner une voiture, et non pour vaincre la pandémie.

Pas de vaccination obligatoire en Autriche

Ce type d’incitation à se faire vacciner risque toutefois fort de ne pas suffire. Depuis 1981, il n’y a aucune vaccination obligatoire dans le pays. La seule vaccination obligatoire fut contre la variole, de 1948 à 1980, lorsque l’OMS a annoncé – grâce, justement, à la vaccination – l’éradication de cette maladie.

(Merci à l’historien Kurt Bauer d’avoir retrouvé cette loi)

Ceci dit, depuis 1974, toute femme enceinte se voit remettre un « pass mère-enfant Â» (« Mutter-Kind-Pass Â») et le versement des allocations familiales est conditionné au respect des cinq visites médicales prévues, lors desquelles des « recommandations Â» sont faites par le médecin au sujet des vaccinations. Pour certaines professions, des vaccinations sont exigées, par exemple contre l’hépatite B pour les personnes qui travaillent auprès des toxicomanes. De même, les Autrichiens aimant autant voyager que les Allemands, et étant souvent dotés de patrimoines financiers conséquents, ils n’hésitent pas à se faire vacciner contre la fièvre jaune ou les infections invasives à méningocoque. Ils estiment cependant que cela relève de leur choix et pas d’une injonction venue d’en haut.

L’ignorance volontaire des faits scientifiques

A côté de cet individualisme, il y a aussi une défiance envers la science. Dans une vision holistique de l’individu, sa réalisation doit se faire « naturellement Â», sans les apports de la science et des techniques jugées artificielles. Un jeune coach pour la santé rencontré récemment m’expliquait que « le corps est un temple contenant en son sein une âme Â» et que l’alimentation et le sport permettait de faire face aux principales maladies (cf. fin de ce sujet pour le JT de TF1 diffusé le 22 novembre). La plupart des Autrichiens n’ont d’ailleurs pas de trousse de pharmacie avec des médicaments chez eux et il est vrai qu’en matière de consommation d’antibiotique ou d’antidépresseur, la France et l’Autriche sont dans les pôles opposés au niveau européen.

Comparés en Europe aux autres pays occidentaux, les Autrichiens se caractérisent par une certaine défiance face aux sciences. L’Eurobaromètre sur les connaissances des Européens et leur attitude face aux sciences dévoile peu d’appétence pour les sciences dans la république alpine. Historiquement, le catholicisme, encore très présent dans ce pays concordataire, peut en partie expliquer cet état d’ignorance volontaire (le vaccin est vu comme une violation de l’intégrité du corps tel que dieu l’a créé). Cette ignorance réelle est d’ailleurs corrélée par la faible part des étudiants dans le pays. Parmi les 30-34 ans, en 2021, le taux de personnes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur n’est que de 41,6% en Autriche, contre 48,8% en France.

Rappelons que le grand héros du Tyrol, Andreas Hofer (1767-1810), farouche opposant à Napoléon, appelait à refuser les premières vaccinations contre la variole en expliquant que le vaccin promu par les occupants bavarois allait inoculer le luthéranisme. Les fake news ne datent pas d’hier…

Un rapport particulier à la nature

En Autriche, plus on est en bonne santé, plus on a tendance à refuser le vaccin contre le covid. Un montagnard de culture autrichienne, cité dans un article sur la mentalité des habitants du Tyrol du Sud expliquait : « Ici on se connaît tous, on est immergé dans la nature, il ne nous arrivera rien Â». Les journalistes Beniamino Morante et Marie Daoudal expliquaient alors : « Le sentiment général dans ces terres est de vivre en autonomie, dans une région où on se gouverne soi-même avec des lois qui sont meilleures que celles de Rome. Â»

Peut-être faut-il remonter dans l’espace germanique jusqu’à Kant qui dans sa Métaphysique des mœurs, en 1797, tenait ces propos sur la  vaccination


« Celui qui se résout à se faire vacciner met sa vie en danger, quoiqu’il agisse ainsi afin de la conserver, et il se met, vis-à-vis de la loi du devoir, dans un cas beaucoup plus embarrassant que le navigateur, qui du moins ne fait pas la tempête à laquelle il s’expose, tandis que lui, il s’attire lui-même la maladie qui le met en danger de mort. Â»

(Doctrine de la vertu, Questions casuistiques, fin de l’article premier)

Un autre courant contribue à privilégier la « nature Â», supposée bonne, sur la vaccination, c’est l’anthroposophie. Fondée là encore par un sujet de l’Empire austro-hongrois, Rudolf Steiner (1861-1925), l’anthroposophie est une doctrine spirituelle ésotérique opposée aux sciences et refusant la vaccination. C’est d’ailleurs à cause d’une école Steiner Waldorf qu’en 2015 une épidémie de rougeole est apparue en Alsace (la moitié des élèves n’étaient pas vaccinés !). En Autriche, l’anthroposophie a pignon sur rue, on peut même évoquer, à ce sujet, un « Tapis rouge pour l’ésotérisme raciste Â» (sur ce blog)…

Phénomènes de récupération politique

Principal parti d’opposition après la chute du premier gouvernement Kurz fin mai 2019 après l’Ibizagate, le parti d’extrême droite FPÖ a fait dès le début le choix d’une critique pavlovienne de toutes les mesures sanitaires prises par le gouvernement, qu’il s’agisse du port du masque, des confinements ou des campagnes de vaccination. Herbert Kickl, le leader du parti, est allé jusqu’à produire les résultats d’un examen pour prouver qu’il n’était pas vacciné, suite à une rumeur circulant sur les réseaux sociaux et affirmant qu’il l’était alors qu’il avait prétendu le contraire. Il avait d’ailleurs expliqué qu’il y avait une corrélation entre les vaccinations et la croissance de tumeurs… Depuis, il a été atteint par la maladie et n’a pas pu participer à la manifestation organisée à l’initiative de son parti.

A cette manifestation, la mobilisation fut très conséquente, bien au-delà du cercle des sympathisants du FPÖ. L’appel à la nature et à l’intégrité physique réapparaissait dans le détournement d’un slogan féministe remontant aux luttes pour le droit à l’avortement (toujours menacé en Autriche) : « Mon corps, mon choix Â».

Vienne le 20 novembre 2021

Une femme plutôt âgée tenait un écriteau autour de son cou : « mon corps ne prend que les germes dont il a besoin » :

L’extrême droite était plutôt discrète : pas de drapeaux du FPÖ mais l’hymne du parti (« Immer wieder Österreich Â») était souvent lancé à un haut niveau sonore. Sur la place des héros, à l’endroit où se tenaient les discours on lisait « Protection de la patrie plutôt que protection de la bouche Â» (« Heimatschutz statt Mundschutz Â»)

C’est le parallèle avec les persécutions contre les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale qui pour beaucoup a été le plus choquant. Un homme portait une étoile jaune avec « non-vacciné Â».

A noter, le chapelet dans les mains…

Des « Stolpersteine », littéralement « pierre de trébuchement », ces pavés de métal signalant dans le sol, devant des habitations, l’ancienne présence de victimes, avaient été utilisées dans un montage laissant croire que des enfants avaient été tués par le vaccin

La police a compté plus de 40 000 manifestants à Vienne alors que 10 000 étaient attendus. Les organisateurs évoquent un chiffre de 100 000. Le lendemain des rassemblements similaires avaient lieu dans les capitales régionales.

Cette mobilisation traduit en partie une défiance face à l’État fédéral. En Haute-Autriche, un parti local a récemment été créé pour lutter contre les mesures sanitaires décidées à Vienne, même si c’est toujours après une réunion des neuf gouverneurs de Land. Ce parti, le MFG (Humains, liberté et droits fondamentaux) a obtenu en septembre dernier 6,23% des suffrages aux élections législatives de Haute-Autriche, ce qui lui a permis de bénéficier d’un financement fédéral à la hauteur de 1,15 million d’euros par an pendant cinq ans.

Selon le Berliner Zeitung, la moitié des opposants à la vaccination sont des électeurs de l’AfD, le principal parti d’extrême droite. En Suisse, on estime que 51% des adhérents du parti frère, l’Union démocratique du centre, ne sont pas vaccinés. La situation doit être analogue en Autriche… et on note un grand fossé entre Vienne, bastion social-démocrate, et les campagnes, à l’exception du Burgenland (à la frontière hongroise), également social-démocrate.

Au Tyrol, à Ischgl, alors que le pays est confiné, le domaine skiable va ouvrir le 3 décembre. Les restaurants et cafés seront bien sûr fermés mais les skieurs pourront aller se sustenter du côté suisse… ce qui risque de provoquer un nouveau cluster. Au printemps 2020, le cluster d’Ischgl a pourtant eu des effets désastreux dans toute l’Europe, jusqu’en Islande, car, négligeant les alertes, il fallait faire du chiffre avec les remontées mécaniques et les commerces.

Toute puissance du libéralisme, naturolâtrie à tendance ésotérique, récupérations politiques, incapacité à faire face dignement à son passé nazi, manque de confiance dans les sciences, voilà en somme ce qui explique le faible taux de vaccination en Autriche. Récemment, le quotidien Libération notait non sans malice : « Très peu de pays imposent la vaccination à toute leur population adulte. C’est le cas dans deux Etats autoritaires d’Asie centrale, le Tadjikistan et le Turkménistan, ce dernier étant l’un des rares pays à n’avoir déclaré aucun cas officiel de Covid. » L’Autriche a annoncé une vaccination obligatoire au premier février… D’ici-là, la république alpine n’a pas fini de faire parler d’elle.

PS/ Un dernier graphique sur la corrélation entre vaccination et nombre de morts (à gauche le nombre de morts par jour, lissé sur sept jours, à droite le taux de la population complètement vaccinée) : l’Autriche a plutôt beaucoup de morts (ramené à la population du pays bien sûr) et peu de vacciné.e.s (données du 17.11.2021).

SourcesJulia Anton, Lungenarzt Çelik im interview: „Hat man ein Recht auf eine Krankheit?“, Frankfurter Allgemeine, 21.11.2021Matthias Balmetzhofer, « NÖ Ärztekammer regt Pandemie-Abgabe für Ungeimpfte an Â», Der Standard, 23.11.2021Simone Gaul, « Warum impfen deutschsprachige Länder so wenig? Â», Die Zeit, 17.11.2021Julia Haak, « Impfen – nein, danke: Warum die deutschsprachigen Länder Probleme haben Â», Berliner Zeitung, 23.11.2021Sam Jones et Guy Chazan, « â€˜Nein Danke’: the resistance to Covid-19 vaccines in German-speaking Europe Â», The Financial Times, 11.11.2021Robert Jules, « Entretien avec Thierry Amar Â», La Tribune, 11.11.2019Katja Lehner, « Ã–sterreich Impfgeschichte: Zwischen Kirche, Kant und Kaiserin Â», orf.at, 19.2.2021Tobias Rapp, « Waldorfschule und Impfgegner – In Steiners Sekte Â», Der Spiegel, 15.11.2021

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Published on November 24, 2021 03:14

October 10, 2021

Corruption et manipulation mènent à la démission

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Une descente avant de remonter ?

Samedi 9 octobre au soir, le jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz a annoncé sa démission après trois journées mouvementées depuis la perquisition du siège de son parti, l’ÖVP (parti populaire autrichien), le mercredi 6 au petit matin, par le parquet anticorruption. Des documents saisis, il apparaît que dans le cadre d’un plan aussi ambitieux que détaillé visant à faire élire M. Kurz au poste de chancelier (bien décrit par l’hebdomadaire Falter), ses affidés ont mis en place une pratique régulière de corruption et manipulation avec le tabloïd Österreich.

Ce « Projekt Ballhausplatz » qui aurait en France pour équivalent un « projet Elysée », reposait en partie sur le placement d’encarts importants achetés dans ce journal, au nom des ministères dirigés par l’ÖVP (notamment celui de l’Intérieur), en échange de quoi ce quotidien devait publier des sondages biaisés en faveur de M. Kurz et se montrer très laudateur dans les commentaires sur ses déclarations (voir les SMS accablants reproduits dans le Standard). Rappelons ici que comme cela avait été signalé il y a huit ans sur ce blog, l’Autriche est véritablement « une démocratie gangrenée par les tabloïds ». Par habitant et par an, l’Etat autrichien dépense onze fois plus que son grand voisin du nord en encarts dans les journaux (3,15 €, contre 0,28 €).

Devant le scandale de ces révélations, le partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir, le parti des Verts, avait décidé d’attaquer après avoir dû avaler trop de couleuvres, notamment le refus catégorique du chancelier d’accueillir la moindre personne venant d’Afghanistan après la chute de Kaboul. Le vice-chancelier Werner Kogler n’avait pas hésité à déclarer que M. Kurz ne pouvait plus rester en poste…

Malgré cette démission, rien ne devrait changer dans la République alpine. De la même façon que Heinz-Christian Strache avait démissionné de son poste de vice-chancelier en mai 2019 pour que la coalition au pouvoir puisse d’abord être poursuivie, peu de changements sont attendus en Autriche. Comme on le lit ou l’entend dans Le Guépard, «Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout. »  Ainsi, M. Kurz est devenu président du groupe parlementaire de son parti et à ce poste, il pourra encore piloter la coalition. Editorialistes du Standard, Michael Völker et Fabian Schmid se demandent aujourd’hui si pour les Verts, ce « roque » échiquéen peut être considéré comme « un succès ou un cauchemar » car la vengeance des conservateurs risque d’être douloureuse, avec le blocage systématique des initiatives venant des Verts.

Le nouveau chancelier est Alexander Schallenberg, jusqu’alors ministre des affaires étrangères. Pour la première fois depuis l’abolition de la noblesse en 1919, après le chute de l’Empire austro-hongrois, l’Autriche est dirigée par un descendant d’une famille de nobles (l’interdiction de la particule « von » – comme la particule « de » en France, demeure en Autriche).

Tenant de rassurer les citoyens, le président Alexander Van der Bellen a déclaré le 8 octobre « ce n’est pas une crise d’Etat mais une crise de gouvernement ». Business as usual ?

PS/ Dommage collatéral du système démocratique autrichien, un groupe de personnes hostiles au vaccin contre la covid s’est constitué en parti politique en Haute-Autriche : « Menschen Freiheit Grundrechte » (Hommes, liberté et droits fondamentaux). Fort de 6,2 % aux élections régionales du 26 septembre dernier, ils ont obtenu 6,5 millions d’euros de financement public (plus d’un million par an pendant les six ans de la législature). La barre est à 4% pour obtenir ces subventions…

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Published on October 10, 2021 13:53

June 2, 2021

Leçons de l’exil de deux Viennois et une Pragoise

Trois destins extraordinaires sont au centre du livre d’Anne Saint Sauveur-Henn, Les forces de vie des exilés, témoignages historiques et thématiques intemporelles (Ed. Le Bord de l’eau, 2021). Un jeune Viennois, déporté à 13 ans, subit le pire que l’on puisse imaginer (à Auschwitz puis Dachau) et trouve la force de sauver une orpheline tout en lui cachant, pour la préserver, que ses parents sont morts en déportation et qu’il n’est pas le père biologique. A partir de 1949, il restera en Amérique du Sud. Autre Viennois, Fritz Kalmar, juriste de formation, prend conscience de sa judaïté à travers les persécutions et est contraint de quitter l’Autriche en 1938, s’installant en Bolivie où il fonda en 1941 la Fédération des Autrichiens libres. Lenka Reinerová, elle, est née à Prague mais dans une famille germanophone. Elle aussi se découvre juive en 1938 et échappe aux persécutions en s’exilant, d’abord à Paris. En septembre 1939, avec l’entrée en guerre de la France, elle est considérée comme suspecte, ressortissante d’une nation ennemie, et internée à la prison de la Roquette. Elle parvient à quitter l’Europe en 1941, en s’installant elle aussi aux Amériques, au Mexique où elle fait vivre la langue allemande et la culture tchèque (elle fonde Freies Deutschland, d’obédience communiste, avec Heinrich Mann, puis un journal tchèque en espagnol). Ces trois personnes vivent plus de 90 ans et surmontent les douleurs de l’exil, notamment par l’écriture et la transmission : Fritz Kalmar publie cinq livres entre 86 et 96 ans, Lenka Reinerová neuf livres entre 67 et 91 ans !

Anne Saint Sauveur-Henn propose un livre original en deux parties. Dans la première, elle a rédigé une lettre à chaque nonagénaire, citant parfois des courriels que ceux-ci lui ont adressés. Elle met en exergue la façon dont, chacun à sa manière, ils ont su non seulement faire face à des épisodes traumatisants, mais aussi développer des valeurs fortes qui les guideront tout le restant de leur vie. C’est ce qu’elle nomme les « forces de vie Â» et dans la seconde partie du livre, elle tente de tirer de ces destins quelques considérations sur ce qui fait la richesse d’une vie humaine. Pour cela elle reprend les écrits de Boris Cyrulnik sur la résilience et utilise la métaphore du métabolisme pour montrer comment ces périodes critiques (déportation, assassinat, expériences proches de la mort, exil, emprisonnements, trahisons…) sont « digérés Â» par les sujets.

Si parfois des passages sont discutables, l’ouvrage se lit avec beaucoup d’intérêt et parfois même d’émotion. Parmi les extraits détonants avec la qualité de l’ensemble, l’auteure évoque par exemple une « montée des extrêmes » (p. 124), comme si l’extrême droite et la gauche de la gauche avaient les mêmes propos sur les politiques d’asile, alors qu’elle relate avec bienveillance et admiration les actions entreprises par un Cédric Herrou à la frontière franco-italienne. Autre passage étonnant, entre Albert Einstein et Arnold Schönberg, cités pour illustrer la richesse de l’apport des exilés aux États-Unis, on trouve un troisième homme : Henry Kissinger, pourtant à la tête de l’opération Condor mettant l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud à feu et à sang, responsable des bombardements secrets au Viêt Nam et auteur, bien que juif, de propos relevant d’un antisémitisme crasse.

Le mérite du livre est d’abord de nous faire découvrir ces trois parcours de vie mais aussi de nous proposer ces réflexions sur les « héros ordinaires Â» que sont par exemple ces « justes Â» qui ont sauvé des Juifs. ll n’est pas certain que « solidarité »,  « adaptation » et « valeurs » soient des idées très originales pour faire face à la pandémie (le texte date d’ailleurs un peu car avec les tests nous ne sommes plus face à un « ennemi indétectable »), mais c’est autour des blessures et leur mémoire que le livre a le plus à offrir. On lit ainsi :

« Pour un individu comme pour une collectivité, rien ne permet d’oublier la blessure, on ne peut que la métaboliser et donc intégrer la souffrance dans son histoire en la transformant par l’usage de la pensée et de la parole, forces de vie. Globalement, la parole se fait témoignage, pour soi ou pour d’autres : l’identité humaine est essentiellement narrative. » (p. 133)

Les « forces de vie Â» des exilé.e.s pourraient nous aider à préparer un monde plus juste.

Anne Saint Sauveur-Henn, Les forces de vie des exilés, témoignages historiques et thématiques intemporelles (Ed. Le Bord de l’eau, 2021)

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Published on June 02, 2021 12:17

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Jérôme Segal
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