Une Odyssée peu commune, de Vienne à Menton
A la faveur de la reprise des trains de nuit entre Paris et Vienne, jâai pu lire dâune traite, la nuit dernière, la biographie dâHerbert Traube, Une Odyssée peu commune, de Vienne à Menton (Musée dâhistoire et des sciences de lâHomme, 2015). Né à Vienne en 1924, câest à 15 ans que le jeune Herbert a dû fuir le deuxième arrondissement de sa ville natale pour la Belgique, dâabord avec sa mère et sa sÅur, avant dâêtre rejoint bien plus tard par son père. Fuyant lâoccupation allemande, la famille se réfugie dans le sud de la France et le jeune Hebert est interné dans trois camps : ceux de Gurs et Rivesaltes mais aussi le camp dâAix-les-Milles. Sa mère meurt dâépuisement au camp et son père est déporté à Auschwitz (ce quâil nâapprendra quâà la fin de la guerre). Herbert parvient, lui, à sâévader acrobatiquement dâun autre train de déportation, à nouveau vers le camp de Riveslates⦠Engagé de la première heure dans la Résistance à Marseille, il signe pour cinq ans à la Légion étrangère.
Participant au débarquement en Provence (août/septembre 1944), il poursuit avec son unité de légionnaires en Alsace, en Allemagne⦠libère Stuttgart puis se retrouve au Vorarlberg en Autriche. A lâété 1945, les combats ne sont pas finis pour lui puisquâil est envoyé en Indochine et témoigne dâatrocités commises par lâarmée française. Câest le seul moment du livre où il y a quelques mots en lettres capitales : « Ce nâétait plus MA GUERRE » (p. 215). Il ose dâailleurs cette question ô combien pertinente au regard des mouvements de décolonisation : « Nâétions-nous pas aux yeux des Vietnamiens ce que les Allemands avaient été aux yeux des Français juste quelques années auparavant ? ».
Aujourdâhui âgé de 97 ans, « français non par le sans reçu mais par le sang versé » â selon la devise du centre de la Légion à Aubagne â Herbert continue de servir son pays dâadoption, intervenant encore dans les écoles, collèges et lycées, et travaillant au sein de lâassociation « Devoir de mémoire » dont il est président dâhonneur. Son livre se dévore : la narration est fluide, les descriptions passionnantes et jamais trop longues, on le « voit » cacher des pépites dâor dans des pralines en chocolat, risquer de se faire lyncher par des Belges en raison de son accent allemand, sauter dâun train en marche, improviser un échange en patois luxembourgeois, toiser un haut gradé de la Wehrmacht qui ignore ses origines lorsque, par erreur de pilotage, il se retrouve seul dans les lignes allemandes, faire preuve dâinventionâ¦et de culot aussi parfois (sâimprovisant par exemple dentiste pour arracher la dent dâun autre légionnaire).
Dans les dernières pages, Herbert Traube revient sur sa judéïté. Il se sent juif « non pas par la religion qu[âil] ne pratique plus depuis longtemps , mais par la consciences dâappartenir à cette longue lignée de gens qui ont véhiculé à travers les âges, et avec les difficultés que lâon connaît, une façon de penser, une éthique dont est issue notre civilisation gréco-judéo-chrétienne occidentale. » (p. 254)
A titre personnel, ce parcours mâa bien sûr passionné car il fait écho à celui de mon grand-père Heinrich/Henri, parti lui aussi de Vienne, dâabord engagé à la Légion étrangère puis Résistant et faisant le choix, comme Herbert, de devenir français et de rester en France (Voir chap. 6 de mon livre LâArmoire).
PS/
Das Buch gibt es auf Deutsch : Eine ungewöhnliche Odyssee von Wien nach Paris und Menton. Erinnerungen. Wien: Verlag der Theodor Kramer Gesellschaft 2021. 226 S.
Clara Laurent est en train de réaliser un film documentaire sur le destin dâHerbert Traube⦠dont voici un aperçu.
Voir aussi cette petite vidéo de 2015 sur le site de franceinfo.
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