Christophe Claro's Blog, page 53

July 4, 2017

FilmS n°11 et 12 (Festival du Film de La Rochelle)

Mr Gaga, sur les pas d'Ohad Naharin, de Tomer Heymann, documentaire, 2015
Fruit d'une dizaine d'années d'accompagnement filmique, ce documentaire suit la carrière passionnante du grand chorégraphe de la Batsheva Dance Company, depuis ses débuts (enfant, remuant) jusqu'à nos jours (son retour en Israël).Pour Naharin, la danse est à l'opposé du machisme et transcende les genres. Après être passé par l'enseignement de Martha Graham et Béjart, il finit par trouver et imposer sa voie (et sa voix). Spectacles, cours, entretiens, archives: le portrait est riche, dense, et privilégie l'approfondissement à la chronologie. Vibrant de bout en bout.Entre deux projos de Cacoyannis – Zorba et  Stella, femme libre – une nouvelle démonstration de la puissance de la danse, à laquelle fera écho, vue juste après, la fameuse scène du Tambour de Schlöndorff, où le petit Oscar perturbe un discours nazi en tapant sur son tambour, modifiant le rythme de l'orchestre, et embarquant tous les participants dans un grand bal dansant.

* * *


Stella, femme libre, de Michael Cacoyannis, 1955, noir et blanc, 1h30
Moins fort que Zorba le Grec, Stella, femme libre propose néanmoins un saisissant portrait de femme forte, incarnée par la très ardente Melina Mercouri, qui veut bien des machos si c'est elle qui les choisit, mais les jette quand ils veulent l'épouser. Stella vomit le mariage, elle danse comme Esmeralda et chante comme Mercouri. Evidemment, ça ne plaît pas à tout le monde – un peu comme c'était le cas pour la veuve à la chèvre dans Zorba. Chez Cacoyannis, l'homme éconduit ne supporte pas la liberté féminine et n'hésite pas sortir sortir sa lame quand la situation lui échappe. Il faut dire que Stella le plante le jour même du mariage, pour suivre un éphèbe qui porte (haut) le drapeau dans un défilé (de fête nationale) – elle dansera donc le jerk en boîte avec un jeunot puisque son promis lui a interdit de se trémousser au son du bouzouki. La tragédie grecque vécue de l'intérieur, face à un chœur impuissant, avec la femme en victime sacrificielle. 
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Published on July 04, 2017 15:21

Film n°10 (Festival du Film de la Rochelle) – Post Partum

Post Partum, documentaire israëlien de Silvina Landsmann, 2004, 1h06

Documentaire sur une maternité. Des femmes qui accouchent, des bébés qui naissent. Docu sans intérêt, sans point de vue, sans montage intéressant, globalement bâclé, qui montre la mécanique hospitalière et les doutes des mères (et les fleurs qu'apportent les pères) mais sans jamais parvenir à dire quoi que ce soit d'original. Sachez juste qu'il ne faut pas attendre qu'un bébé pleure pour l'allaiter. Cela dit, c'est pareil pour votre mec ou votre nana ou n'importe qui d'autre, d'ailleurs. Mais bon, on voit des bébés pendant près d'une heure, c'est pas moi qui me plaindrai.
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Published on July 04, 2017 06:44

July 3, 2017

Festival du film de La Rochelle, Film n° 9 – Rembrandt Fecit 1669

Rembrandt Fecit 1669, un film de Jos Sterling, Pays-Bas, fiction, 1977, 1h51

Parti pris radical, filmé à la bougie (et à la lampe), tout en intérieurs et costumes (et meubles). La vie de Rembrandt, ses commandes, ses femmes, et surtout son mutisme, puisque Sterling ne le fait quasiment pas parler, préférant filmer son regard sur les choses et les êtres, ses grimaces devant un miroir, mais surtout pas son pinceau. Chaque plan ou presque est traité comme un tableau, et le film ne cesse de laisser monter la toile derrière l'écran ou d'aspirer l'écran sur la toile. Il en résulte un étrange effet, assez risqué. Tout ce que voit Rembrandt est déjà ici du Rembrandt, le monde est définitivement clair-obscur. Si l'on voulait être sévère (et plaisanter), on dirait que Rembrandt n'avait aucun mérite puisque tout était déjà tel qu'il le peint. Mais la prouesse technique du film plonge le spectateur dans le rêve du pigment, de la pâte, de la trace. Nul bavardage, juste l'apparition de l'image dans l'image, et la maturation comme narration.
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Published on July 03, 2017 23:28

Festival du Film de La Rochelle, Film n°8 – Le Miroir, de Tarkovski

Film n°8 – Le Miroir, d'Andrei Tarkovski, 1974, 1h46Impossible ici bien sûr de revenir en détail sur la beauté de ce "Miroir", à la fois double et déformant, sur le brouillage quasi proustien auquel se livre le cinéaste malade sur son enfance puis sur son couple, sa condition de père. En revanche, attardons-nous sur la première scène, que la suite fait souvent oublier.
L'enfant allume la télé et le spectateur est alors transporté dans la scène diffusée : une femme hypnotise un jeune homme bègue et, par la suggestion, le débarrasse de son handicap. Commencer ainsi Le Miroir n'a bien sûr rien d'anodin. Avant d'en venir aux souvenirs, aux chassés-croisés entre passé et présent, Tarkovski nous place dans un monde intermédiaire, en noir et blanc, un écran dans l'écran, des limbes pour ainsi dire, où se déroule une scène cathartique.
Hypnose, suggestion, guérison. Ici, curieusement, il s'agit d'oublier (un blocage), alors que tout le film baignera dans le souvenir. Quelqu'un n'arrive pas à s'exprimer, n'arrive pas à parler sans piétiner dans la langue: il s'agit donc de convoquer chez lui les forces latentes de sa volonté subconsciente afin qu'il surmonte l'obstacle de sa diction entravée. Faut-il en conclure que, pour Tarkovski, la caméra se livre sur le sujet filmé également à un processus hypnotique? Paradoxalement, l'image du miroir, elle, renvoie, au dédoublement, qui semble faire écho au bégaiement. On pourrait donc en inférer une nuance structurelle entre les motifs du bégaiement et du dédoublement. Le premier est stérile, de l'ordre de l'empêchement, du statique – il nécessite l'oubli. L'autre est dynamique, il répète mais pour faire naître des différences – il convoque la mémoire. Mais tous deux, à leur façon, se reflètent aussi…
Faut-il dès lors s'étonner qu'au thème de l'hypnose, qui inaugure le film, réponde celui de la lévitation, quand la mère flotte dans les rêves de l'enfant ? Le souvenir, on le sent bien, est chez Tarkovski un acte magique, le sésame créatif permettant de traverser le miroir.
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Published on July 03, 2017 10:19

Festival du Film de La Rochelle / Film n°7 – Faute d'amour

Film n°7: Faute d'amour, d'Andreï Zviaguintsev, 2017, 2h08
Les premiers plans du film sont catégoriques: quelque chose est mort, a gelé, s'est fissuré au milieu, et seuls les reflets d'en bas témoignent de l'existence d'une surface. Des arbres enneigés, pliés, tordus, tendus vers l'eau en dessous de laquelle ils se répètent, ou s'annulent.
Nelyubov – littéralement: sans amour – de Zviaguintsev, c'est avant tout un cadre et une lumière: un cadre qui emprisonne mais également protège encore un temps de l'explosion (plans derrière une fenêtre, intérieurs structurés en grille), avec une caméra qui avance lentement, puis soudain s'arrête, et finalement repart ; une lumière basse, froide, pénombreuse, non pas transfigurée par la nuit mais interdite de jour, de couleurs vives. Dans cet entre-monde, deux êtres se déchirent sans prendre garde à l'enfant qui pleure. Qui pleure puis fugue.
La ligne de fuite – invisible, indétectable – de l'enfant, qui survient à la faveur des deux parallèles égoïstes des parents, chacun pris déjà dans une nouvelle figure du couple (un autre enfant/ plus jamais d'enfant), cette ligne de fuite va fissurer davantage le monde des adultes. Où est passé l'enfant? De quel puzzle déjà détruit est-il la pièce manquante? Quelle communauté pour le retrouver? Ça s'organise: taches orange des hommes et femmes partis à sa recherche qui avancent dans la forêt tels les premiers hommes aux torches fragiles. La disparition, signe avant-coureur de la dévoration. Comme la caméra, la musique enfle puis s'interrompt avant de reprendre. C'est un souffle, qui se nourrit d'apnée. 

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Published on July 03, 2017 00:07

July 2, 2017

Festival du Film de la Rochelle / Film n°6 / Claire Denis

Film n° 6, Un beau soleil intérieur, de Claire Denis, 2017, 1h34

Et si la meilleure façon de faire un portrait de femme, c'était de ne pas la raconter, et tant qu'à faire, de ne pas se la raconter? De la laisser conter. Et déchanter. Le film de Claire Denis – co-écrit avec Christine Angot – débute de près, de très près, par une scène de chair et de souffle, d'endurance, presque, où l'ardeur se mue peu à peu en impatience.
Pesanteur des hommes – celle, gavé d'assurance, du banquier; celle, tergiversante, de l'acteur de théâtre; celle, inconsistante, de l'ex-mari; celle du tendeur de perches, etc —et face à eux, malgré la précarité des affects et la soif de tendresse, une femme légère, trop légère peut-être à force de ne plus savoir où poser son cœur. Le désarroi filmé en mode souvent comique – conversations piégées par l'attente des corps, gestes arrêtés par les mots de trop. Au centre des valses-regrets et des hésitations-remords, donc, une peintre qui perd pied mais rebondit d'autant, Isabelle, jouée par une Juliette Binoche sismographique, dont le visage enregistre imperceptiblement les moindres écarts de température sentimentale, ses yeux captant autant qu'émettant au milieu du grand bavardages des mâles.
La narration s'éclipse au profit des scènes, les paroles recouvrent les paroles, et la magie se réfugie dans le geste. Nombreux plans des pieds d'Isabelle, qu'on voit peindre en marchant sur sa toile ou ôter ses bottes comme on met bas un masque. Oscillant entre le carpe diem et le magno amore, une femme solaire qui veut la lune ou rien.
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Published on July 02, 2017 07:46

Festival du Film à La Rochelle (Film 5) – Une femme fantastique, de Sebastian Lelio

Film n°5, samedi 1er juillet, à 22h…
Une femme fantastique, de Sebastian Lelio, 2017, 1h44.
Les métamorphoses dérangent surtout ceux qui ne changent pas.
En devenant Marina, Daniel s'épanouit dans l'amour, mais aussi le chant, un monde où la voix transcende les frontières du genre, où le corps n'est plus que vibrations. Une femme fantastique raconte l'histoire d'un deuil empêché après celui d'une renaissance réussie. La mort d'Orlando, l'amant de Marina, contraint cette dernière à affronter le regard univoque d'autrui. En l'écartant du processus du deuil, la famille d'Orlando – son ex-femme, son fils… – cherche à faire de Marina un monstre. Tu es une "chimère", lui dit l'ex-femme d'Orlando. Un être composite, indécidable, flou. Marina devait aller voir avec Orlando les chutes d'Iguazzu, lieu où des cataractes déchaînées convergent – au lieu de cela, elle est prise dans la tempête des différences.
Confrontée à ce qu'elle perçoit comme une scandaleuse indétermination, la famille du défunt se sclérose dans une normalité frustrée –  et c'est contre cette cécité que doit se battre Marina, elle qui a pourtant remporté le plus dur combat en changeant d'identité sexuelle. Le cinéaste chilien Sebastian Lelio filme Marina de façon claire et frontale, en cadrant subtilement sa détermination pour mieux souligner sa trajectoire. Scène magnifique où Marina affronte, en pleine rue, un vent violent, qu'elle pénètre en diagonal malgré tout, à contre-courant de tous les débris que celui-ci charrie. Daniela Vega, qui incarne Marina, offre en permanence son visage entier à la caméra, tandis que les autres ne semblent avoir qu'une obsession: savoir de quel sexe elle se chauffe. Ils veulent voir "le bas", alors que ce sont eux qui habitent le "bas", et sont incapables d'envol – là encore,  en contrepoint, scène magique où Marina devient légère et multiple, filmée dans un carnaval de paillettes, changée en phénix.
Libérée des cendres de son identité imposée, Marina traverse chaque plan avec la force d'une évidence, en affrontant les pires chimères, celles pour qui il n'est d'autre mythologie que la norme. Oyez la bonne nouvelle: Wonder Woman est trans – et transcendante.
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Published on July 02, 2017 02:11

July 1, 2017

Festival du Film de La Rochelle (film 4) — Nadav Lapid

FILM 4 – Journal d'un photographe de mariage, de Nadav Lapid, 2016, fiction, 40 mn, couleur (Israël). Après deux longs métrages, l'israëlien Lapid s'attaque, en quarante minutes, à un autre objectif: celui d'un photographe de mariage. Filmer l'instant de la photo, non pour travailler le figé, mais au contraire pour insuffler de la turbulence dans cet instant qui préfigure, doublement, la fixation: celle de la pose, celle de l'institution. Le narrateur shoote autant qu'il bouscule. Il exige des couples une chorégraphie cathartique, les incitant à revivre leur rencontre, à revenir aux sources de leur coup de foudre, distillant ainsi, par cet artefact, le doute – ici, ce sont les femmes qui doutent, ne veulent plus se marier, cherchent à se défiler.

Comme le dit au début le narrateur: tout ce que je devais filmer, je ne le filmais pas; tout ce que je ne devais pas filmer, je le filmais, faisant ici allusion au sol et au plafond lors des mariages qu'il filme à ses débuts. En grandissant, c'est autre chose qu'il ne devrait pas filmer qu'il capture – un tristesse chez la mariée, un minaret en arrière-plan. L'objectif, censé réifier, va précisément jouer le rôle inverse: prévenir le sujet du danger de la réification. 
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Published on July 01, 2017 15:42

Festival du Film de La Rochelle (2)

FILM 3 Happy End , de Michael Haneke, travaille, une fois de plus, mais pour ainsi dire en chœur cette fois-ci, mes motifs de la torsion, de l'effondrement, du glissement.L'image est la première touchée, avec en guise de premier plan une scène filmée au portable, accompagnée de la saisie d'un texte. La voix off a été remplacée par l'immédiateté descriptive du commentaire, le film est en train de se faire, à l'insu de la personne filmée. On verra ensuite, toujours dans ce cadrage-cercueil que favorise l'écran de portable, un hamster défoncé au lexomil, puis un autre mammifère plus évoluée sur un canapé… L'homme est cobaye? Avec Haneke, en tout cas, les valeurs bourgeoises ne sont qu'une cage abritant une roue dans laquelle tournent les lâchetés et les faiblesses.Autres scènes"rapportées", celle d'une caméra de chantier, montrant l'effondrement soudain d'une structure; celle d'un fil de discussion révélant un adultère… La question ici traversée est peut-être celle de la passation. Que transmettre quand les relais sont pourris? A la fin du film, le personnage jouée par Trintignant, comme exfiltré du précédent Hanecke, Amour, montre à une fillette suicidaire un album de photos — l'exhibition de ce médium ancien précèdera de peu un "fondu à l'eau".On retiendra surtout la scène du restaurant, une scène en "noir et blanc", où pour une fois, plutôt de que tordre ou dérouter, Haneke laisse parler le contraste social dans sa plus simple expression. 
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Published on July 01, 2017 15:23

Festival du Film de La Rochelle (1)


FILM 1Hier soir, projection de Barbara (FILM 1), le film de Mathieu Amalric. Film au parfum orphelin, fracturé dans sa quête-oiseau autour du spécimen-Barbara, film perclus de grâces, composant un habit d'Harlequin pour les disjecta membra de la diva dé-divinisée par Balibar, à la fois pythie insaisissable et ombre-fumée, tout en vires et voltes — un film qui se cherche, se perd, nous perd dans ses plis pour mieux s'évader dans sa mise en abyme. Jeux des doubles, des surimpositions, permettant l'apparition d'une forme-revenente, sans que jamais la métaphore spectrale ne bascule dans le funèbre. En prime, il pleuvait sur La Rochelle ce soir-là…

FILM 2
Day One. 10h du matin, hop, direction Cinéma Le Dragon, pour voir  Zorba le Grec.  Dans la file d'attente, une dame explique que le sirtaki que danse Quinn dans le film… vient du film. Une chorégraphie créée spécialement pour l'acteur qui n'arrivait pas à retenir d'autres pas. On vérifie, c'est effectivement la true story.
Histoire d'une association qui vire à l'amitié, Zorba le Grec est une étrange danse à sa façon, où tout fonctionne sur le contre-pied. Collusion improbable entre un Anglais coincé et un Grec truculent. Une Crète noyée sous la pluie. Zorba est un détraqueur qui permet aux choses d'arriver, un électron libre qui préfère la turbulence au calme. Il est la singularité faite homme et, face à lui, tout n'est que meute: meute des mâles frustrés lapidant la veuve qui s'est refusée à eux, meute des vieilles femmes qui pillent la maison de Madame Hortense… Mais Zorba danse, et sa danse est en rebonds et en écarts, comme sa vie. Les femmes libres, les singulières, meurent, livrées aux hommes-rapaces, aux hommes-indifférenciés. Zorba, lui, n'a rien à apprendre à ceux qui vivent dans le ressentiment, et courent tous dans le même sens. Il ne craint ni la mine qui s'effondre ni le cœur qui s'emballe. Il préfère les belles catastrophes – mieux: il est une belle catastrophe. Le suivre, c'est déjà l'aimer.
à suivre…
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Published on July 01, 2017 08:36

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Christophe Claro
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