Christophe Claro's Blog, page 57
March 12, 2017
De l'effet d'ombre possible qu'est la lecture (et de l'imminence du charnier)
Jeudi 16 mars, à 18h30, je serai présent à la librairie L'Arbre à Lettres (62 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012) pour une rencontre autour de mon dernier livre paru, Hors du charnier natal (éditions Inculte). Le soleil se couchera ce soir-là à 18h57, ce qui signifie que lorsque vous sortirez de la librairie, à supposer bien sûr que vous y pénétrassiez, vous entrerez dans la nuit, ce qui, comme vous en conviendrez aisément, constitue une métaphore assez éloquente et palpable du rapport qu'entretient à son insu la littérature avec le réel.Une façon de méditer, même brièvement, sur ce phénomène relevant de l'illusion qu'est le rayonnement, aussi ténu soit-il, d'une lecture, rayonnement qu'on pourrait, je crois, qualifier plus simplement d'effet d'ombre, et là prenons le temps de nous pencher sur le mécanisme assez pertinent de l'ombre. Car, à bien y réfléchir, si l'ombre tremble, nous tremblons aussi – puisque n’être que nous-mêmes ne fait pas de nous, nécessairement, une chose unique. L’ombre est cet écho devenu lac où ne jamais vraiment nous noyer. Il nous suffit de l'ignorer, d'ailleurs, pour qu’elle nous pousse de l’avant, mais vers quoi, nous ne l'apprenons toujours que trop tard. Dotée de parole, l'ombre serait sans doute une mère furieuse, elle nous écorcherait jusqu’à ce que nous lui ressemblions. Nous y coucher n’est pas impossible, mais cela requiert un abandon dont le secret nous a été depuis longtemps dérobé. C'est donc la tête légèrement penchée vers l'autre que nous abordons la lecture, comme si, en feignant d'imiter l'ombre, nous cherchions à retrouver le secret de la lumière.
A jeudi soir, par conséquent. Sur ce, je vous laisse méditer cette phrase d'Arlette Laguiller:
"La lecture, une bonne façon de s'enrichir sans voler personne."
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Published on March 12, 2017 23:52
March 8, 2017
Vie des traductrices illustres: Anya Berger
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Anna (ou Anya) Zissermann naît en 1923 en Mandchourie. Affectée très jeune d'un bégaiement, elle consulte Freud qui lui conseille de ne parler que le russe dans un premier temps. Plus tard, elle apprend d'autres langues, l'allemand, le français, l'anglais, un peu de polonais et de serbo-croate. Quand sa famille retourne vivre à Vienne dans les années 30, c'est pour entendre l'annonce de la réunification de l'Autriche avec l'Allemagne, prononcée par Goebbels. Anna se rend alors seule en Angleterre, où elle finit par décrocher une bourse à Oxford.
Elle écrit dans les journaux, est une des premières à louer le travail de Beckett. Elle s'est lancée entretemps dans la traduction, s'attaquant aussi bien à l'œuvre d'Ilya Ehrenburg qu'à un manuel de design écrit par Le Corbusier, aux œuvres de Trotsky, Reich, Benjamin, Lénine, Marx…
Sa rencontre avec l'écrivain John Berger marque un tournant dans sa carrière (Berger l'a remerciée au début de son roman Un peintre de notre temps, 1958). Ensemble, ils traduisent des textes de l'actrice Helene Weigel (du Berliner Ensemble) et de son époux, le dramaturge Bertold Brecht. Avec Berger, ils vont s'installer à Genève, où Anna espère pouvoir travailler comme interprète pour l'ONU. En 1972, Anya concocte une émission de radio pour la BBC intitulée "Women's Liberation", dans lequel elle explique que
Anya Berger a aujourd'hui 94 ans et demeure à Genève, dans une maison de retraite.
(Note: Ce post s'inspire de l'article de Tom Overton, Life in the Margins, paru le 27 février dernier sur le site frieze.com, que vous pouvez consulter ici.)
Anna (ou Anya) Zissermann naît en 1923 en Mandchourie. Affectée très jeune d'un bégaiement, elle consulte Freud qui lui conseille de ne parler que le russe dans un premier temps. Plus tard, elle apprend d'autres langues, l'allemand, le français, l'anglais, un peu de polonais et de serbo-croate. Quand sa famille retourne vivre à Vienne dans les années 30, c'est pour entendre l'annonce de la réunification de l'Autriche avec l'Allemagne, prononcée par Goebbels. Anna se rend alors seule en Angleterre, où elle finit par décrocher une bourse à Oxford.Elle écrit dans les journaux, est une des premières à louer le travail de Beckett. Elle s'est lancée entretemps dans la traduction, s'attaquant aussi bien à l'œuvre d'Ilya Ehrenburg qu'à un manuel de design écrit par Le Corbusier, aux œuvres de Trotsky, Reich, Benjamin, Lénine, Marx…
Sa rencontre avec l'écrivain John Berger marque un tournant dans sa carrière (Berger l'a remerciée au début de son roman Un peintre de notre temps, 1958). Ensemble, ils traduisent des textes de l'actrice Helene Weigel (du Berliner Ensemble) et de son époux, le dramaturge Bertold Brecht. Avec Berger, ils vont s'installer à Genève, où Anna espère pouvoir travailler comme interprète pour l'ONU. En 1972, Anya concocte une émission de radio pour la BBC intitulée "Women's Liberation", dans lequel elle explique que
"le monde tel que nous le connaissons est le fait des hommes et est dirigé par les hommes, avec la connivence plus ou moins tacite des femmes. Nous n'aimons pas ce monde. Nous n'aimons pas la violence, l'exploitation et la manipulation des esprits; nous n'aimons pas la société de consommation qui nous impose ses critères arbitraires de beauté et d'élégance, de même qu'elle impose aux hommes avec lesquels nous vivons de fausses notions de statut. Et surtout, nous n'aimons pas l'énorme gaspillage de potentiel humain que nous voyons partout autour de nous."Elle publie, avec Berger, une traduction de Retour au pays natal, d'Aimé Césaire. Après sa séparation d'avec Berger, Anya Berger écrit pour le journal féministe Spare Rib, se rend à Alger pour le quatrième sommet du Mouvement des Non-Alignés, continue de traduire et de militer en faveur de la libération des femmes. Sa dernière traduction en date est l'essai de Leroi-Gourhan, Le geste et la parole.
Anya Berger a aujourd'hui 94 ans et demeure à Genève, dans une maison de retraite.
(Note: Ce post s'inspire de l'article de Tom Overton, Life in the Margins, paru le 27 février dernier sur le site frieze.com, que vous pouvez consulter ici.)
Published on March 08, 2017 21:30
Les vrais hommes de Christine Boutin
Christine Boutin réussit l'exploit assez faramineux d'être encore plus conne qu'un homme en matière d'arriération mentale machiste. On devrait lui élever une statue (et l'enfermer dedans, ça va de soi). Récemment, à l'occasion de la Journée des droits de la femme, elle nous a affligés (sur son compte tweeter) de la profonde pensée suivante:
Oui, vous avez bien lu. De vrais hommes. Ma foi, cela pose un problème. Qu'est-ce qu'un "vrai" homme? Admirons au passage l'habile façon qu'a cette demeurée profonde de contourner l'épineux problème des 140 signes sur Tweeter. On appréciera le "que" (prononcez "queue") raccourci en "q" (prononcez "cul") ainsi que le "des" abrégé en "d", outre le fait que non, Christine, ce n'est pas la journée de la femme, mais de ses droits, hein.
Donc, Christine veut des hommes, des vrais! Parce que le rouge à lèvres, appliqué sur un homme, fait de lui un "faux" homme. Bien sûr. Heureusement que certaines femmes se sont battues pour avoir le droit de mettre des pantalons, sans quoi cette abrutie de Christine serait encore à parader en majorette ou à rester coudre chez elle. (Je n'ai rien d'ailleurs contre les majorettes, et j'espère qu'un jour on aura des majorets.) Il y aurait long à dire sur ce fantasme du "vrai homme". Mais pour ça il faudrait peut-être que les hommes se bougent, et plutôt que de faire semblant pour la plupart d'être féministes à temps partiel, qu'ils manifestent massivement et durablement contre l'image viriliste (sic) qui leur est imposée par leurs pairs/pères (et mères, tant qu'à faire). Car on ne naît pas homme, on le devient. Hélas.
Oui, le machisme, ça s'apprend (et s'enseigne, visiblement). Quand un mec reluque une fille dans la rue, il ne fait pas que la reluquer, il use d'un droit implicite transmis à force d'images, d'anecdotes, d'absences de réprimandes, d'injonctions à une soi-disante décomplexion, il teste son droit à la domination à travers l'exercice (plus ou moins) furtif de l'objectivation. Ajouter en toile de fond des millions de viols autorisés, voire ordonnés, par des officiers de sexe masculin en temps de guerre ou de simples représailles, des millions de violences conjugales adoubées par de sémillants juges de sexe masculin, des millions d'humiliations quotidiennes qui font se gondoler des milliards de mecs dans les couloirs infinis de l'entreprise – et vous aurez à tous les coups de "vrais" hommes se trimballant avec un permis de chasse gardée.
Tout ça pour dire à cette débile de Christine Boutin que non, franchement, on n'a pas envie de la copier. Parce que si on voulait la copier, on ne se mettrait pas du rouge à lèvres, on s'offrirait une petite lobotomie.
Oui, vous avez bien lu. De vrais hommes. Ma foi, cela pose un problème. Qu'est-ce qu'un "vrai" homme? Admirons au passage l'habile façon qu'a cette demeurée profonde de contourner l'épineux problème des 140 signes sur Tweeter. On appréciera le "que" (prononcez "queue") raccourci en "q" (prononcez "cul") ainsi que le "des" abrégé en "d", outre le fait que non, Christine, ce n'est pas la journée de la femme, mais de ses droits, hein.
Donc, Christine veut des hommes, des vrais! Parce que le rouge à lèvres, appliqué sur un homme, fait de lui un "faux" homme. Bien sûr. Heureusement que certaines femmes se sont battues pour avoir le droit de mettre des pantalons, sans quoi cette abrutie de Christine serait encore à parader en majorette ou à rester coudre chez elle. (Je n'ai rien d'ailleurs contre les majorettes, et j'espère qu'un jour on aura des majorets.) Il y aurait long à dire sur ce fantasme du "vrai homme". Mais pour ça il faudrait peut-être que les hommes se bougent, et plutôt que de faire semblant pour la plupart d'être féministes à temps partiel, qu'ils manifestent massivement et durablement contre l'image viriliste (sic) qui leur est imposée par leurs pairs/pères (et mères, tant qu'à faire). Car on ne naît pas homme, on le devient. Hélas.
Oui, le machisme, ça s'apprend (et s'enseigne, visiblement). Quand un mec reluque une fille dans la rue, il ne fait pas que la reluquer, il use d'un droit implicite transmis à force d'images, d'anecdotes, d'absences de réprimandes, d'injonctions à une soi-disante décomplexion, il teste son droit à la domination à travers l'exercice (plus ou moins) furtif de l'objectivation. Ajouter en toile de fond des millions de viols autorisés, voire ordonnés, par des officiers de sexe masculin en temps de guerre ou de simples représailles, des millions de violences conjugales adoubées par de sémillants juges de sexe masculin, des millions d'humiliations quotidiennes qui font se gondoler des milliards de mecs dans les couloirs infinis de l'entreprise – et vous aurez à tous les coups de "vrais" hommes se trimballant avec un permis de chasse gardée.
Tout ça pour dire à cette débile de Christine Boutin que non, franchement, on n'a pas envie de la copier. Parce que si on voulait la copier, on ne se mettrait pas du rouge à lèvres, on s'offrirait une petite lobotomie.
Published on March 08, 2017 09:28
도요 위하여
Prenez une bonne poignée d'algues mortes, genre dulse + laitue de mer + nori, laissez-les se prélasser langoureusement dans une cuillerée d'huile d'avocat, agrémentés d'un trait de citron et de trois grains de sel de Guérande.Faites cuire des petits pois frais dans de l'eau bouillante, au préalable salée (vous remarquerez que dans les recettes l'expression "au préalable" arrive toujours en fin de phrase…), puis égouttez-les sans vous brûler, plongez-les dans un saladier d'eau glacée, égouttez à nouveau (plaisir de la répétition), et mélangez-les à un pesto à la truffe blanche (ou aux champignons, hein), bricolez vite fait une petite fondue d'aubergine (sans oublier l'ail broyé, et en donnant un petit coup de girafe (oui, je sais)), puis découpez de translucides tranches dans un chou rave (exercice qui exige plus de doigté que si vous tentiez de décoller deux pages de Pléiade qui en fait n'en font qu'une), arrosez-les prudemment d'huile de sésame, et parsemez-les de grains de sésame tant qu'à faire.
Disposez alors comme suit: un disque d'algues doucement aplati avec le dos de la cuiller, un cube parallèle et pédique de petits pois (ça devrait tenir en place si vous n'avez pas emprunté la tremblante de votre mouton), nappez le tout délicatement avec votre auberginade et, enfin, décorez, que dis-je? concluez dignement avec vos éclats translucides et chouraviens.
Surtout, ne me remerciez pas. De toute façon, j'ai le copyright de cette recette, alors ne vous attirez pas bêtement les foudres d'un procès pour contrefaçon.
[Note: Le titre de ce poste est en coréen. Ça signifie "bon appétit". Ou peut-être: Moins fort les missiles, oh!]
Published on March 08, 2017 08:06
March 7, 2017
Culture du viol ou viol de la culture ?
S. : Lors de l’étude des Liaisons Dangereuses en Terminale ma professeure a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un viol -je me la rappelle dire- “nous sommes bien d’accord qu’il s’agit d’un viol, n’est-ce pas?”; je réalise aujourd’hui que c’était sûrement par peur que certains ne s’en soient pas aperçu, et il y avait d’ailleurs eu une discussion.
p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 16.0px Helvetica; color: #404040; -webkit-text-stroke: #404040} span.s1 {font-kerning: none}
P. : La prof de français de la prépa dans laquelle je fais passer des colles leur fait étudier Les Liaisons dangereuses. La semaine dernière, je l’ai trouvée complètement dépitée, choquée et énervée en salle des profs. Elle sortait de cours et venait de passer 2h à essayer de CONVAINCRE ses étudiants de 1ère année, surtout les garçons, que oui, Cécile est bien violée dans cette lettre, et que quoi qu’il se passe après, même si après elle a l’air « d’aimer ça », c’est bien une scène de viol (très brutale, en plus). Eux préféraient parler de « victime consentante » et d’« initiation »…
Ces témoignages sont extraits d'un passionnant article intitulé "Le viol en littérature, perspectives d'enseignement", publié par le site Woman and fiction blog. L'auteure y étudie la difficulté rencontrée dès lors qu'on cherche à sensibiliser les jeunes, dans l'enseignement, aux inégalités hommes/femmes et en particulier et à les faire réagir à la "culture du viol". Les résistances sont nombreuses. Certains craignent que ces "mises en garde" s'accompagnent de réactions de dégoût envers une certaine littérature, comme par exemple Violaine Morin qui écrivait (sérieusement, apparemment) dans Le Monde ceci: p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 16.0px Helvetica; color: #404040; -webkit-text-stroke: #404040} span.s1 {font-kerning: none}
"Signaler tous les contenus violents, racistes, antisémites ou sexistes des programmes de littérature à l’université, ce serait donner aux étudiants la possibilité de refuser de lire, au bas mot: Homère, Ovide, Virgile, Chrétien de Troyes, Rabelais, Corneille, Racine, La Fontaine, Voltaire, Hugo, Claudel, Céline, Genet et même Proust…"Il est intéressant de noter que, dans cette perspective, c'est l'esprit critique et éthique qui semble menacer la littérature, et non l'inverse. Mais pour l'auteure de l'article intitulé "Le viol en littérature, perspectives d'enseignement", cette crainte repose sur une erreur de jugement. Et de préciser:
"[…] la réduction de cette question à l’outil “trigger warning” présuppose que l’identification d’un contenu problématique va de soi et que la nature du problème posé par ce contenu est toujours la même. Or ce n’est pas le cas: loin d’être un sujet annexe susceptible de nous éloigner des œuvres en introduisant des considérations psychologiques ou politiques, la question de l’enseignement de textes représentant des violences sexuelles implique un véritable travail littéraire, exigeant et inconfortable, au cœur des textes."Il s'agit donc pour l'enseignant d'aider avant tout l'élève à identifier la violence représentée, à le caractériser, puis à élargir sa réflexion en fonction des modalités de représentation. Un travail de fond, patient, à contre-courant d'une certaine doxa qui voudrait placer les œuvres littéraires en dehors du champ pragmatique. Il ne s'agit pas, bien sûr, de prouver par a + b que Valmont est un violeur ou que Laclos minimise la gravité de son acte, mais de s'assurer que, par exemple, les lecteurs des Liaisons – les jeunes lecteurs, en l'occurrence – comprennent pleinement ce qui leur est donné à lire. Après tout, le lecteur n'a pas vocation d'être, à son tour, une "victime consentante", pour reprendre cette hideuse expression qui semble à elle seule caractériser l'histoire de l'humanité vue et imposée par le sexe masculin.
Oui, nous sommes le 8 mars 2017, et, non, le premier et dernier combat est loin d'être gagné…p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 16.0px Helvetica; color: #404040; -webkit-text-stroke: #404040} span.s1 {font-kerning: none}
Published on March 07, 2017 23:32
March 6, 2017
Le quotidien dépassé (ou l'art de périmer): la leçon de survie de Fanny Chiarello
Bon, le livre dont je vais vous parler (par écrit) est sorti en février de l'an dernier, but excuse me, pour moi qui l'ai lu la semaine dernière c'est encore une nouveauté, et de toute façon ici nous ne sommes pas très à cheval et encore moins à califourchon sur le protocole, de toute façon si votre libraire ne n'a pas, il le commandera, c'est pas difficile de commander, vous verrez, il faut juste amorcer la pompe de la conversation avec votre libraire, or les les libraires adorent ça, commander, c'est tellement plus cool que de donner des ordres. (Merci, dans la foulée, à Benoît, des éditions de la Contre-allée, qui m'a envoyé le livre sur, comme on dit, simple mais intriguée demande.)Bref, aujourd'hui, on va essayer de faire reluire un tombeau. Le Tombeau de Pamela Sauvage, qu'a écrit Fanny Chiarella. Un livre qui raconte une histoire, ou plutôt vingt-trois histoires, mais en fait il s'agit d'une seule histoire, celle d'ici et aujourd'hui telle que vue plus tard pas un autre que nous qui sommes morts et périmés. Qui est, me demandez-vous, cette sémillante Pamela Sauvage? C'est vous, c'est madame Bovary 2.0, une personnage dans la tourmente, la toupie d'un cercle dans lequel vous feriez mieux de sauter à pieds joints en croisant les doigts et les destins.
Pamela cherche sa nécro dans le journal, comme nous le ferons plus tard dès que Google sera mort, elle cherche aussi des films à regarder dans un livre écrit par un certain Jean-Bertrand Coursier, l'auteur d'un book sur les 1001 films à voir avant de crever, un livre dont le cent millième lecteur est, figurez-vous, une lectrice répondant illico au nom d'Angelina Feccia, laquelle enquête dans les magasins sous le nom de Sandrine Poteau, un nom que porte également une autre Sandrine Poteau qui —
Ok, vous avez sans doute deviné que ce livre est manigancé en course de relais, mais le plus important, le plus bas de page, le plus pertinent/impertinent, c'est que la vie de tous ces gens (il y en aura 23, comme les heures de la journée quand une vous manque et que tout est dépeuplé) est annotée par quelqu'un.e, quelqun.e qui vit à une époque ultérieure, une époque grave aseptisée, qui a renoncé à tout ce qui contrecarrait l'hygiène, mais qui à la fois se contrebranle du bien-pensant, une époque étrange et hybride où le cauchemar en plus d'être climatisé est devenu la courante monnaie – genre, demain si on y fait pas gaffe. Une époque aux yeux de qui pas mal de détails exigent éclaircissements… D'où, dans ce roman-divan profond comme un Tombeau où tous nous asseoir, une floraison de notes en bas de pages, où sont élucidées, explicitées, commentées ces choses, concepts, idées, étrangetés qui font notre quotidien. Parce que, dans ce roman, comme dans tous les romans, il y a détail, décor, décorum, détresse.
Qu'est-ce qui aura encore du sens dans "plusieurs" années? Qui saura ce qu'est un "open space", des "talons hauts", un "horoscope", le "spiritisme", — ou encore "l'humour" (note 120)"?
"120 Obscur. Apparemment une référence à un type de fluide corporel."Qui saura dans quelques années ce qu'est une fiction, le Titanic, une VHS, Georges Bizet, les cigarettes, un hôtel, un diplomate, des bougainvillées, du gibier? Lecteur, saurais-tu définir ce qu'est un album, une boîte à gants? Voter? Un mauvais vin? Toi? Vous?
Ce faisant, l'auteur se livre un exercice doublement périlleux: non seulement parvenir à définir ce qui est évident au lecteur, et ce en très peu de mots, mais le définir de façon à ce que lecteur s'interroge lui-même sur la façon dont il est possible (et douteux) de définir les choses du quotidien. Elle pousse le lecteur, tant qu'à faire, à s'interroger sur la fragile pérennité de nos accesssoires vitaux. Il est des subtilités sociales qui exigent un certain doigté dans la définition, non? Diriez-vous que
"la mobilisation professionnelle était si faible que le licenciement passait pour une stratégie personnelle et sociale"? Pas sûr. En travaillant la soi-disant syntaxe et la grippée grammaire du sournois social, Fanny Chiarella s'aventure sur des terrains qu'on croyait fixes mais qui soudain bougent. La tectonique du dire est un art fissible. Dès qu'on définit, on prend du recul, et la perspective vous rappelle votre propre péremption. (Comme disait l'autre: "Celui qui se rappelle des années soixante ne les a pas connues.") Corollaire: N'aurions-nous pas conçu notre obsolescence avant même de d'imaginer oser durer? Gloups.
En jouant les lexicographes en bas de page, Fanny Chiarello parvient l'air de rien, sur le mode digresso-ludique, à faire tranquillement imploser tous les éléments implicites de la narration (le lecteur est censé savoir de quoi on parle, quels sont les objets décrits, les us exposés, les rites respectés, les boissons bues et les médias ingurgités. Sous couvert d'une papillonnante narration à tiroirs, l'auteur travaille le récit dans sa plus troublante péremption, imaginant le lecteur du futur en proie à la cryptique énonciation de notre quotidienMine de rien, Fanny Chiarello a peut être écrit le premier et dernier roman du vingt et unième siècle susceptible d'être lu d'ici… d'ici… combien d'années? Bon, autrefois une année durait 365 jours et des poussières. Mais sans doute durera-t-elle, demain, des poussières et quelques années…
_____________________________Fanny Chiarello, Tombeau de Pamela Sauvage, éditions la contre-allée, 17 €
Published on March 06, 2017 21:30
D'une hypnose l'autre: le spectacle selon Bouvet
Avec sa Petite histoire du spectacle industriel, l'écrivain Patrick Bouvet suit à la trace – obscure et lumineuse – les chemins conjoints du spéculaire et du spectaculaire, en procédant par diapo-textes, surimpressions d'impressions, brefs instantanés descriptifs et sensoriels, avec pour fil rouge le spectateur, changeant-inchangé, sans cesse plongé dans une sidération amniotique qui fait de lui un somnambule à jamais errant dans la caverne de Platon. Tout commence (vous êtes prêts?), pour Bouvet, avec (attention, c'est parti!) les musées de cire, l'exhibition sensationnelle et figée d'acteurs historiques, un musée des horreurs menant à un autre, les têtes en cire faisant écho aux têtes tranchées, la guillotine agissant comme un obturateur à la fois cruel et pré-industriel. Puis voilà que les personnages de cire s'animent, voilà que viennent les automates, des androïdes de pacotille auxquels font bientôt concurrence les ectoplasmes tels que les saisit la photographie spirite, et ça continue, d'autres magiciens prennent le relais, d'autres agitateurs de lanternes infernales, oui, voici les bateleurs des rayons X, et les pionniers du cinématographe, qui semblent rejouer la scène primitive des hystériques de Charcot dreamachine autrement plus redoutable que celle Brion Gyson, pour n'en ressortir que pantelant, titubant, béat, définitivement domptés, et prêt désormais à errer en famille entre les cœurs monstrueux et les gigantesques ballons convulsés de Jeff Koons…
en décomposant non plus les corps mais le mouvement des corps (Marey, Muybridge…) et sans qu'on ait eu le temps de comprendre voilà qu'un hurlement traverse le ciel, les nouveaux amphithéâtres aux convulsés sont les tranchées de 14, avec leurs parterres et balcons de futurs mutilés, c'est le sanglant et boueux théâtre des opérations moderne, puis bien sûr ça continue, les corps exultent à leur insu, se tendent sous les coups de baguette magiques des poursuites lumineuses, voilà Olympie transfiguré par Riefenstahl sous le regard des dieux du stade de 1936, puis tout s'annihile dans un bûcher sans précédent, les spectateurs abasourdis et décimés, projetés sur les cendres des camps nazis ou dans les ombres du flash atomique, que va-t-il advenir, quelle scène prendra la relève, on le saura assez vite, car voici les parcs d'attractions, qui germent et s'étendent, voici les centres commerciaux qui pullulent et dévorent, la consommation succède à l'extermination, et l'on passe sans même s'en rendre compte de Disney World à Cap Canaveral, Saturn V achève la trajectoire des V2, mais les masses sont là, toujours au rendez-vous, de plus en plus hébétées, et la musique vient électrifier tout ça, vient faire danser au son du LSD les nouveaux prétendants au rêve somnambulique, mas déjà on quitte
Woodstock, déjà on renonce à l'air libre pour entrer dans le vaste garage des happenings, des clubs sataniques et saturés de projections, et l'ont peut alors se perdre à jamais ou presque dans une Oui, c'est à cette saisissante fantasmagorie que nous convie Patrick Bouvet, qui brasse ainsi plus d'un siècle de société du spectacle et de mécanisation du corps, et ce en 175 pages impeccables de sobriété, d'équilibre et scansion, qui disent chacune à leur manière l'impensé du visible:
"le visiteur découvre l'histoire infernaleContrepoint indispensable aux essais de Paul Virilio ou aux récits de Bruce Bégout (je pense en particulier au ParK, éd. Allia), le texte de Bouvet ausculte le paysage optique avec la rigueur staccato d'un praxinoscope et la précision clairvoyante d'un saboteur.________________Patrick Bouvet, Petite histoire du spectacle industriel, éditions de l'Olivier, 15 €
du vivant
le récit est sans limites
il retrouve son corps animal
dans la chaîne du récit
il retrouve les corps imbriqués
inextricables
des jumeaux siamois
Adam-squelette et Ève-serpent
freaks chassés du paradis
qui ont trouvé refuge
dans l'industrie de la monstration"
Published on March 06, 2017 06:55
March 2, 2017
Céline Minard, libraire d'un soir
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© Joel Saget / AFPLe jeudi 2 mars, qui selon des sources extrêmement fiables tombe précisément aujourd'hui,la librairie Charybde,qui d'après nos renseignements se trouve au 129 rue de Charenton dans le douzième arrondissement,renouvelle l'exercice périlleux mais stimulant (et stimulant parce que périlleux) du "libraire d'un soir" – le dernier en date était l'excellent Pierre Senges.
Le concept? Inviter un écrivain, ou un libraire, un éditeur, etc., bref, un lecteur au carré qui ne tourne pas en rond, et lui demander de nous présenter une modeste tripotée de livres qui lui parlent à l'oreille du cerveau et des sens.
Et ce soir, qui coup de bol tombe un jeudi 2 mars, les manitous aguerris du repaire Charybde ont convoqué l'écrivaine Céline Minard afin qu'elle sorte le grand jeu et relève le gant de velours de ce défi de fer. C'est ça ou faillir être flingué. Au programme: sept textes, dont on ne sait encore rien à l'heure actuelle, sinon qu'ils nous aideront à supporter le dernier monde où nous vivons à partir de 19h30.
Voilà. Si vous aviez l'intention d'acheter des livres aujourd'hui, vous savez maintenant où aller.
© Joel Saget / AFPLe jeudi 2 mars, qui selon des sources extrêmement fiables tombe précisément aujourd'hui,la librairie Charybde,qui d'après nos renseignements se trouve au 129 rue de Charenton dans le douzième arrondissement,renouvelle l'exercice périlleux mais stimulant (et stimulant parce que périlleux) du "libraire d'un soir" – le dernier en date était l'excellent Pierre Senges.Le concept? Inviter un écrivain, ou un libraire, un éditeur, etc., bref, un lecteur au carré qui ne tourne pas en rond, et lui demander de nous présenter une modeste tripotée de livres qui lui parlent à l'oreille du cerveau et des sens.
Et ce soir, qui coup de bol tombe un jeudi 2 mars, les manitous aguerris du repaire Charybde ont convoqué l'écrivaine Céline Minard afin qu'elle sorte le grand jeu et relève le gant de velours de ce défi de fer. C'est ça ou faillir être flingué. Au programme: sept textes, dont on ne sait encore rien à l'heure actuelle, sinon qu'ils nous aideront à supporter le dernier monde où nous vivons à partir de 19h30.
Voilà. Si vous aviez l'intention d'acheter des livres aujourd'hui, vous savez maintenant où aller.
Published on March 02, 2017 00:44
February 28, 2017
La nuance sémantique du jour
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Selon le tribunal correctionnel de Paris, le terme "fasciste" est
Selon le tribunal correctionnel de Paris, le terme "fasciste" est
"dépourvu de caractère injurieux lorsqu'il est employé entre adversaires politiques sur un sujet politique".Il faudra donc désormais dire "ordure fasciste", si l'on veut ne pas se contenter de caractériser politiquement une personne entretenant la haine raciale mais lui signifier très clairement qu'on la méprise.
Published on February 28, 2017 23:21
Sang froid (sur le métier)
Comme tout le monde, vous vous doutiez qu'avant d'être célèbres, les écrivains célèbres étaient inconnus. Et comme tout le monde, vous vous doutiez également qu'avant de gagner leur vie à la force de leur clavier, les écrivains célèbres exerçaient un métier comme tous les gens inconnus, même si, on est bien d'accord, écrivain est un métier.Ces soupçons ne relèvent en rien d'une curiosité malsaine, ils indiquent tout au plus une forme d'intérêt sociologique. En outre, ça peut aider à en faire rêver certains. Le petit côté "american dream". Bref, tout ça pour dire que la revue professionnelle Livres Hebdo vient de publier un topo sur les écrivains à succès, en s'appuyant sur de sérieuses data fournie pas la magazine Capital et le quotidien Le Figaro.
On y apprend que les cinq ténors de l'Azertyuiop sont par ordre décroissant de cartonnage, Guillaume Musso, Marc Levy, Michel Bussi, Laurent Gounelle et Françoise Bourdin. On y apprend également les métiers qu'ils faisaient avant d'être abductés par la Muse. Françoise Bourdin était… jockey! Laurent Gounelle était… coach en entreprise! Michel Bussi était prof de géo (il l'est peut-être encore, qui sait?). Mais hélas l'article ne nous dit rien sur les jobs des deux premiers de la classe. Réparons donc cet oubli. Marc Lévy a été secouriste et entrepreneur; Musso, lui, a été vendeur de glaces et prof de sciences économiques.
Voilà. Je m'étais promis d'écrire un jour sur le Clavier Cannibale un article absolument dénué d'intérêt et je crois y être parvenu. Mais au moment de conclure, je me souviens, avec un pincement de cœur assez douloureux, que, dans ma folle jeunesse, je suis monté une ou deux fois à cheval et que j'ai, l'espace d'une après-midi ensoleillée, vendu des glaces sur la côte d'Azur. J'ai même, un soir, caressé l'espoir un peu fou d'être prof et me suis passionné plusieurs jours durant pour l'architecture. En repensant aujourd'hui à tous ces rêves brisés, ma gorge se serre. Quel taon m'a piqué de me lancer si tôt et si vite dans l'écriture? N'aurais-je pas dû persévérer dans mes velléités professionnelles? Ai-je raté quelque coche? Que n'ai-je pris des cours de secourisme au lieu de me gâter les yeux à déchiffrer Guyotat?
En fait, le plus simple, l'idéal, ce serait de commencer par être auteur de best-sellers, puis, une fois le succès bien établi, de faire du poney ou vendre des Mars glacés. Mais la vie, hélas, sépare ceux qui sèment de ceux qui récoltent.
Published on February 28, 2017 22:37
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