Christophe Claro's Blog, page 47
November 2, 2017
A chaque bord un peu plus lentement
© Masahisa FukaseIl y a deux ans paraissait Louis sous terre, de Sereine Berlottier, livre dont j'avais parlé ici-même dans le Clavier Cannibale. Il y était question du peintre Louis Soutter, des formes griffées de ses toiles, de son destin reclus. L'auteur publie aujourd'hui Au bord, un texte d'une soixantaine de pages qui revisite l'élégie afin de la rendre poreuse, d'en chasser les alluvions plaintifs, et de mieux "cerner" la distance en devenir entre celui qui demeure et celui qui part – c'est dire toute l'importance ici du mot "bord", non pas limite mais presque chemin de ronde de l'être, à arpenter, en vigilance. Tu n'apparais nettement que de te l'éloigner Non pas ensemble mais bord à bordC'est le distique, ici, qui prend souvent en charge la dernière approche, s'avance puis retient son geste, créant par la force de sa brièveté un souffle régulier, tantôt léger tantôt tension. Des notations, éparses, comme distillées, laissent entrevoir l'être en instance de disparition, sa bouche, ses cheveux, sa "joue vivante", la peau du bras, blason du corps fané où réside/résiste encore l'être entier.
Le poème, l'au bord que devient le poème, se veut visite, récit de la visite mais aussi visite du récit, puisqu'il faut inventer la façon de dire l'adieu dans sa fragmentation, l'appréhender sans qu'il s'émiette.
tu meurs et je te dis autre chose mais quoi j'invente ou bien c'est seulement avec l'autre face de la même main pour s'atteindreIl est question d'une "immobilité traversée", de la dérive à laquelle est vouée celle qui, néanmoins, "reste[s] jusqu'au bout" – et la phrase du poème, elle aussi, fait l'expérience de ce qui doit cesser, casser, elle aussi doit apprendre la séparation, se replier, faire ressort quitte à renoncer au bond, à ne dire plus que le suspens, la retenue. Bien sûr, l'apprentissage de la pudeur n'exclue pas le surgissement de la douleur, et le muscle du souvenir détient en lui la violence du regret.
midi l'épée au fond de ton cœur je veux te pleurer à vif comme si tu avais encore à mourir de mortLe "bord" qu'explore et respecte Sereine Berlottier, ce "au bord" qui dit à la fois la connaissance des gouffres et l'expérience des limites, n'est pas un seuil à franchir ni une barrière à contourner, c'est la réalité abstraite de cette distance qu'est le deuil lorsqu'il réunit encore deux corps. C'est dire combien est subtile l'approche de l'auteure, et combien son phrasé, qui s'efforce de faire à peine ployer la branche du vers, se nourrit d'envol. Et fait de la consolation un art.
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Sereine Berlottier, Au bord, éditions LansKine, 12 €On peut aussi voir/entendre Au bord dans le poème-vidéo réalisé par Sébastien Rongier.
Published on November 02, 2017 01:26
October 31, 2017
La nuance, une invention masculine
L'affaire Tariq Ramadan n'en finit pas de délier les langues, mais pas nécessairement les cerveaux. On a ainsi pu lire dans la presse ce témoignage de Bernard Godard, ancien fonctionnaire des RG, et expert de l'Islam. Ça se passe de commentaire, à défaut de coups de pied dans le cul…
Published on October 31, 2017 08:33
October 28, 2017
Les auteurs-artistes finalement entendus
On n'avait rien compris. On trouvait injuste cette hausse de la CSG qui allait diminuer notre pouvoir d'achat. Quand soudain, ça a fait tilt! Mais bien sûr! Le gouvernement, épris de culture, n'agissait pas à l'aveugle ni inconsidérément. Il cherchait à nous envoyer un message, confiant dans notre capacité à entendre l'inaudible, à voir l'invisible, à palper l'intangible. Oui, nous autres, auteurs-artistes, allons tirer profit de cette baisse de notre pouvoir d'achat! Qu'avons-nous besoin d'acquérir, de posséder, d'avoir, nous qui sommes entièrement voués à l'être? Moins nous pourrons acquérir, plus nous créerons. C'est d'une simplicité biblique. Après tout, nous ne sommes pas des acteurs sociaux, mais des saltimbanques marginaux. Pourtant, Dieu sait si on a essayé de s'intégrer, d'être bobo, de mettre un pied dans la mode ou la pub, d'écrire des scénarios, de devenir donneur d'opinions, de piger, de performer comme des pingouins, de réciter en publique façon cigale électrique. Mais le gouvernement nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes. Il sait qu'en nous épargnant des allocations chômages il nous évite le triste destin du chômeur. Contribuez socialement et généralement à la baisse de votre pouvoir d'achat, nous dit-il, et vous en sortirez grandis! Merci, donc, Macron et consorts, de nous avoir remis à notre place, sur ce confortable strapontin en bout de rangée. Heureusement, on nous promet des compensations, des petits gestes. Une petite résidence par ci, un petit prix littéraire par là. Francfort nous fête, la médiathèque de Poulignac-les-Soublettes nous invite. Oui, à nous la reconnaissance, les lauriers, avec le thym, va, tout s'en va. Qui sait? Peut-être finirons-nous par convaincre notre épicier de nous filer des raviolis en échange d'un sonnet ou d'un chapitre, façon Picasso ? Un pouvoir d'achat? Pour quoi faire? Pour acheter du pouvoir? Pas notre genre. Alors pourquoi nous plaindre? Nous touchons quand même parfois jusqu'à deux mille euros pour un livre qui nous a pris deux ans de travail. Nous percevons dix pour cent sur les ventes d'un livre qui ne se vend pas et deux pour cent sur une traduction qui passe inaperçue. Nous cotisons pour une retraite somptueuse qui nous permettra enfin de travailler au noir. Non, franchement, tout ça est pour le mieux. On est même prêt à payer un ISF spécial – un impôt sur le sens de la farce. C'est pour dire.
Published on October 28, 2017 00:19
October 27, 2017
Le doigt d'honneur du gouvernement aux auteurs-artistes
Quand Sabine Rubin (LFI) propose un amendement demandant à ce que la catégorie des auteurs-artistes ne subissent pas la hausse de la CSG, puisque celle-ci n'est pas compensée par une baisse des cotisations sociales, l'hémicycle se prélasse dans un somptueux mépris, et la voix froide du rapporteur lâche un "avis défavorable" sans appel. L'amendement est rejeté purement et simplement. Après tout, ces "auteurs-artistes" ne contribuant pas et ne bénéficient pas des allocations chômages, on ne peut pas dire qu'ils existent socialement parlant, non? Et puis, ils ont choisi de créer, hein, personne ne les a forcés…A défaut du président Macron, peut-être que la ministre de la Culture, Madame Françoise Nyssen, pourrait-elle expliquer aux auteurs-artistes en quoi ce mépris et cette indifférence sont des preuves de l'importance soi-disant accordée par le gouvernement à la culture. Mais peut-être sommes-nous sourds, et n'entendons pas que l'expression "en marche" sous-entende le verbe "piétiner"?
Published on October 27, 2017 03:25
Ecriture inclusive: quand tonnent les tricornes
Il n’est pas question ici d’aborder la question de l’écriture inclusive, mais plutôt de s’interroger sur la réaction « solennelle » des membres de l’Académie française, lesquels viennent de publier un communiqué, ou plutôt une « déclaration », afin de faire savoir tout le mal qu’ils (ou elles ?) pensaient de ladite écriture inclusive. On ne s’attardera pas sur les raisons invoquées pour mettre en garde contre son application. En revanche, on notera deux points intéressants. Tout d’abord, nos éclairé.es académicien.nes, bien qu’éclairé.es, « voient mal l’objectif poursuivi », et comment cet objectif – non précisé dans leur déclaration – pourrait faciliter l’apprentissage du français. En outre, on notera que dans leur texte on ne trouve à aucun moment un seul terme évoquant, même de façon purement lexicale ou périphérique, la question de l’égalité hommes/femmes. Pas une seule fois les mots égalité, parité, femme, féministe, genre, domination linguistique… Non, l’écriture inclusive dont il est fait ici mention semble se heurter à une pensée éminemment exclusive. La seule problématique envisagée par l’Académie est celle de l’acquisition d’une langue – comme si la langue était un bien, un produit – et de son usage – comme si etc. L’écriture inclusive est considérée comme cause d'un « redoublement de complexité » – ce qui au final servirait d’autres langues (l’anglais de Shakespeare ?) qui, n’ayant pas de problème de genre identique, en profiteront « pour prévaloir sur la planète ». My tailor is a bitch, quoi.Aveuglement, déni, paranoïa, étroitesse d’esprit ? Rien de tout cela. L’inquiétude des Académiciens est réelle, immense : selon eux (elles ?) la langue française est « en péril mortel ». Mortel ? Mortel, comme dans coup mortel ? comme dans violence conjugale ? comme dans viol ? Non, mortel comme dans ouh-là-la. Peu importe les raisons qui motivent l’émergence ou l’application de l’écriture inclusive. Peu importe que la langue, creuset de conscience, véhicule en son sein même le patron de la domination masculine. Non, le péril est mortel. La langue, aussi, donc. Une goutte de féminin et voilà l’océan linguistique pollué ! La langue serait alors « désunie ». Comme scindée. Fendue ? L’Académie rappelle par ailleurs sa mission : codifier les innovations de la langue. Le Larousse définit ainsi le verbe « codifier » : normaliser. Mais ici, normaliser une innovation revient en fait à la refuser et la nier en bloc. Alerte Jument de Troie!
La langue inclusive n’a pas fini de faire débat. Elle a pour l’instant le mérite d’obliger les gardiens du temple à se positionner clairement. Où va-t-on, se demandent ces derniers (dernières ?) si l’usage ajoute à la langue « des formes secondes et altérées » ? Le féminin pluriel de ces termes résonne péniblement, et nul doute pour que certains hommes les femmes sont, ni plus ni moins, des « formes secondes et altérées ».
Published on October 27, 2017 01:14
October 26, 2017
Doute, voracité, contrechamp, viscère et désamour
Et hop, c'est reparti comme en 17 ! Voici un petit rappel des derniers livres explorés dans mon Feuilleton du Monde des Livres depuis le 29 septembre — tous ces titres sont encore en librairie et à la vente moyennant des euros, vous pouvez également les commander à votre libraire adoré.e qui apprécie que vous preniez le temps d'attendre plutôt que one-clicker sur Amazon, bref, faites vos emplettes…
6/ Moins célébré qu’Elias Canetti, parce que sans doute plus humble, et moins acerbe que Thomas Bernhard, car habité par un doute socratique, Max Frisch partage avec ces deux écrivains un goût prononcé pour ce précieux mécanisme intellectuel qu’est la méfiance, et a par ailleurs toujours pris soin de dire ses quatre vérités à son pays, moins pour le rabrouer que pour se garder d’une trop facile neutralité.
7/ « Mon père me regardait avec voracité », écrit l’auteure anonyme de Jours d’inceste, abusée jusqu’à l’âge de 21 ans par cet homme dont elle est la viande permanente, la poupée poignardée, contrainte de vivre avec un désir-dégoût du père qu’elle doit garder pour elle –
8/ Jérôme Game a pris soin de placer une phrase de Godard en exergue de son livre: «Champ. Contrechamp. Imaginaire, certitude. Réel, incertitude.» On comprend mieux. Qu’estce qu’on voit exactement? Juste un texte? Non. Un texte juste.
9/ Dans ce roman autobiogreffé, ponctué de rêves éloquents, d’allers-retours entre la France et le Québec, se joue un drame secret, celui d’une femme, Béatrix Beck, profondément empêchée, éprise d’intangible, et qu’intimidait jusqu’au viscère du coeur.
10/ Jim Shepard a réussi ce petit miracle : feindre de traiter l’anecdotique et le pyrotechnique pour nous livrer une poignante et impeccable sonate d’automne, où le désamour paternel, l’insatisfaction conjugale et l’angoisse de la perte forment les coordonnées sismiques d’un drame personnel mais non moins ravageur.p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 8.5px Helvetica} p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 8.5px Helvetica; color: #261100} p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 8.5px Helvetica} p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 8.5px Helvetica; color: #261100} p.p1 {margin: 0.0px 0.0px 0.0px 0.0px; font: 8.5px Helvetica; color: #261100}
Published on October 26, 2017 05:08
October 24, 2017
La nature des choses
Le temps du presse-papierAyant pour ainsi dire contribué à la gloire du verbe « trôner », et semblant vouloir lutter à lui tout seul contre les vents de l’adversité, il incarne pourtant, à son acier ou son verre défendant, l’intolérable inertie que nous ont léguée nos aïeux, ces calmes bourreaux. Profondément inutile en toute logique mais hautement symbolique pour ce qui est de sa capacité à représenter le droit et sa pondérale puissance, le presse-papier a l’air de défier l’enfant : auras-tu la force, l’audace, l’idée de t’en emparer et de l’envoyer voler ? de l’envoyer fendre la stratosphère du bureau patriarcal dans l’espoir qu’il finisse sa course au beau milieu du lieu où ont germé les origines de son arrogance : sur le front, vite fendu, de l’éternel ministre assigné à ta croissance ?
Published on October 24, 2017 16:00
October 22, 2017
Moore, les zeugmas et le cirque danois
© angelartsSuite et fin du Galaxy Moore Tour 2017… Cette fois-ci, la caravane des Incultes s'arrête pour quelques heures à la libraire Zeugma à Montreuil pour présenter le énormonumental
Jérusalem
d'Alan Moore. La librairie Zeugme est toute récente, aussi nous vous demandons de l'applaudir très fort. On va même vous donner l'adresse, tiens: 5 bis avenue Walwein, 93100, Montreuil. Et l'heure, tant qu'à faire: 19h30. Ah oui, et le jour aussi, ça peut servir: ça sera jeudi 26 octobre. On espère que les personnes qui viendront seront là.J'en veux un peu quand mêmes aux libraires de Zeugma. Ils sont allés fouiller dans ma vie privée pour établir ma bio et se sont donc livrés à des révélations assez gênantes. Mais bon, maintenant que c'est sur internet, je n'y peux rien. Alors autant vous faire part de leurs recherches:
"Claro, est né pour la première fois en 1666, à la seconde où se déclencha le grand incendie de Londres, il fut donc considéré toute sa vie comme une figure démoniaque, un cannibale. Dans sa seconde vie exerça la dure profession de coupeur d’allumettes. Si la grande Histoire l’oublia bien vite, des traces résiduelles de son existence peuvent être retrouvée dans le folklore littéraire à travers notamment la figure de la petite fille aux allumettes. Il fut successivement, dans ses existences suivantes, dresseur de mouches pour un cirque danois, trieur de grains de sable aux Bahamas, et pousseur de balançoires dans le premier parc d’attraction américain. Sa dernière naissance date du 14 mai 1962. Il est aujourd’hui écrivain, traducteur et éditeur français. Même s’il ne garde que peu de souvenirs de ses vies précédentes, il garde de son passé une prolifique imagination et une connaissance toute instinctive des langues. Dans le supplément littéraire du journal Le Monde (12/10/2016) certains journalistes affirmèrent que Claro disparaitrait chaque nuit de pleine lune, des proches interviewés ont même avoué qu’ils ne seraient pas surpris d’apprendre que l’auteur serait en réalité un chat garou, mais aucune preuve n’a jusque-là pu confirmer ces propos si ce n’est son amour pour les pelotes de mots intraduisibles."
Published on October 22, 2017 05:56
October 18, 2017
Il s'agirait de se mettre d'accord
Published on October 18, 2017 07:34
October 17, 2017
Jérusalem à La Rochelle
(Salam en mode tabula rasa)La tournée
Jérusalem
continue! Après Paris, Liège, Singapour, Macao et Pergouillons-les-Fossés, nous ferons cette fois-ci une escale de choix à La Rochelle, dans la toute récente librairie Les Rebelles Ordinaires. Ça sera le vendredi 20 octobre, au 9 bis rue des Trois Fuseaux, à partir de 20h (vous pouvez donc prendre l'apéro tranquille avant, en plus c'est à côté du marché, il fera plus de vingt degrés, les tables seront dehors).(Le bruit court qu'il y aura même ce soir-là dans la librairie mais incognito un récipiendaire récent du prix Goncourt, mais si on peut éviter l'émeute, c'est mieux (je précise qu'il ne s'agit ni de Maurice Druon ni de Jean Cau, donc n'ayez pas peur de venir).)
On parlera donc une fois de plus du roman Jérusalem d'Alan Moore (éditions Inculte), qui connaît actuellement un beau succès en librairie, et si ça peut continuer encore un peu, ça serait parfait, merci, la fin du mois approche. Vous pourrez vous procurer l'édition de luxe toute noire et chère mais rare. En cadeau de bienvenue aux nouveaux lecteurs, un petit conseil de Mark Twain:
"Mettez tous vos œufs dans le même panier et surveillez le panier."
Published on October 17, 2017 07:08
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