Christophe Claro's Blog, page 45
December 27, 2017
Bilan 2017: le bilan
Cette année, qu’as-tu fait ? Qu’as-tu fait de cette année ? Cette année j’ai durci le contrôle des chômeurs en les plaçant en vigilance orange pour qu'ils se nourrissent de vents violents, j’ai impliqué un morceau de ministre dans un choc frontal à contresens de la démocratie, j’ai traqué un serf vêtu en vert jusque dans l’hémicycle et me suis constitué patrie civile (sic) et indébandable (tac), j’ai doublé mon salaire en plaçant ma fortune entre deux miroirs off-shore, j'ai promis de remplacer les barrières anti-SDF par des "barrières" "anti"-"SDF", j'ai pompé les fachos de service, je me suis octroyé quelques jours de détente pour mieux resserrer mes objectifs, j’ai chatouillé Apple en justice avec mon iPhone, j'ai effacé Kevin et engagé Spacey, je me suis exprimé en m'exportant, j'ai fermé la porte aux lettres ouvertes, j'ai inventé la polytisémique (polysémie + polémique + politique), recyclé les déchets de mes échéances, maté Star Wars du côté obscur de l'Air Force, changé Delahousse pour une meilleure literie, bidonné mon budget et cartonné grâce à des pubs payantes – bref, je vous ai bien baladé et maintenant je vais vous brader. Qui suis-je? (est la question que je ne vous pose même pas).
Published on December 27, 2017 00:51
December 22, 2017
Finir l'année
Le Clavier Cannibale vous laisse en carafe quelques semaines, histoire de. Mais comme c'est Noël, semble-t-il, voici un peu de lecture pour vous aider à supporter la dinde aux marrons et les lâchers de confetti…
Au commencement, juste avant le Sexe, était l’Accident – en l’occurrence : de voiture, et dont réchappa non sans de nombreuses séquelles la jeune Linda Boreman, qui s’en alla reposer quelque temps en Floride chez ses parents (même si sa mère l’avait souvent battue, et son père jamais soutenue), dans le jardin d’une maison dont la description n’est pas ici nécessaire car toutes les maisons là-bas se ressemblent et se valent, façonnées comme il se doit sur un modèle sans doute préexistant dans l’imaginaire américain. Oui, Linda était allongée sur une chaise longue, elle s’offrait un bain de soleil en bikini (malgré d’équinoxiales cicatrices sur son ventre) en attendant l’arrivée de cette foldingue de Betsy, qu’elle n’avait pas revue depuis quelques mois, quand soudain, dans l’allée qui luisait tel un ruisseau de céréales, se gara, souveraine et vulgaire, une Jaguar XKE couleur bordeaux, intérieur cuir noir, enjoliveurs miroirs, d’où sortit ou plutôt jaillit (non seulement Betsy mais) un grand type du nom de (déclina-t-il aussitôt son identité:) Chuck Traynor, blue-jeans, chemise à manches longues à demi roulées, col ouvert, et sans doute un court cigare mordillé entre les lèvres, le regard dissimulé par des lunettes de soleil, mais cet artefact ne changea rien à la donne, car ce regard de Chuck obligerait bientôt Linda Boreman à devenir Linda Lovelace, et à affronter d’autres regards, des millions de regards, comme si la terre entière était dotée de globes oculaires directement reliés à un géant scrotum, mais surtout, en premier lieu, à celui d’une caméra, or c’est ce qui se produisit quelques mois plus tard, après diverses péripéties qu’il ne nous appartient pas de relater ici, quand le clac du clap claqua (imaginez ce claquement, et ce qu’il signifie, ce qu’il valide et sacre) et qu’un réalisateur du nom de Gerard Damiano tourna la première prise de ce film au titre promu à un rauque avenir – « Deep Throat » : Gorge Profonde. Trente-cinq ans plus tard, le sort n’ayant plus que de l’ironie à revendre, Linda Lovelace, redevenue Boreman, succombait de ses blessures suite à un autre accident de voiture.La rencontrer fut relativement facile : il me suffit de me rendre dans l’ultime cercle de l’enfer, à savoir la glauque cafétéria d’un grand centre commercial de banlieue, un dimanche en fin de journée.Etonnamment sereine, en jeans et basket, avec aux lèvres ce sourire qui semble refuser à tout jamais l’introduction d’un certain sujet tabou, elle a posé sur la table devant laquelle j’étais assis une clé, qu’elle a ensuite fait glisser dans ma direction, comme on file un bifton à un informateur.« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je, sachant qu’en enfer les formalités ne vous valent que mépris.« C’est la clé qui ouvre l’homme », a-t-elle dit en feignant de ne pas voir, assis à quelques tables de nous, un gorille en treillis qui lisait le Wall Street Journal.« La clé qui… Hum. Je suis venu pour vous parler d’autre chose que la constriction du larynx. »Elle a allumé un cigarette d’un geste brusque qui avait valeur d’acquiescement.« D’après vous, pourquoi ce film, Gorge Profonde, a-t-il eu autant de succès ? Je veux dire, ce n’est pas un chef d’œuvre du genre, les situations sont plutôt ridicules, le montage est franchement désolant, et quant à cette histoire de clitoris niché dans la gorge, pardonnez-moi, mais… eh bien, comme prétexte, c’est mince, non ? »« Mince ? Ce n’est pas l’adjectif qui me vient à l’esprit en y repensant… Mais un prétexte, certainement. Mais parlons pornographie. C’est ce qui vous intéresse, non ? » Elle vit que je baissais les yeux et sourit. « La pornographie, vue des enfers en tout cas, n’est rien d’autre qu’un accident honteux. On dit ‘trash’, mais on a tort : c’est du crash, des tonneaux, des dérapages, des cris de tôles froissées, embouties. L’industrie de la destruction, mais sur fond de branlette. »On nous apporta deux frappacinos. Ils étaient épais, amers, chers. Autour de nous les gens déambulaient comme si on leur faisait passer un casting pour le bêtisier de Walking Dead.« Linda, vous avez expliqué, dans vos livres et dans les médias, comment Chuck vous avait violée, battue, prostituée, menacée de mort à plusieurs reprises. Mais ça n’explique pas le succès de Gorge Profonde, et c’est ça qui m’intéresse. Cette fascination planétaire pour une fellation un peu plus… poussée que les autres. »Elle a pris sa tasse et en a vidé le contenu dans la plante en pot sur sa droite. Les feuilles ont aussitôt jauni, puis bruni, puis chu.« Ce qui est pornographique, ce n’est pas l’acte, ce n’est pas la femme, ce ne sont pas les positions ni le désir et encore moins le plaisir qu’on prend à deux, ou trois – ça, j’espère que vous l’avez compris, monsieur-qui-êtes-vivant ? »« Oui, oui », ai-je dit, d’un ton faussement assuré, « c’est le regard, le point de vue, la façon dont est filmé, monté, présenté le rapport sexu —»« Vous n’y êtes pas du tout », a-t-elle dit, et aussitôt ses cheveux ont paru s’enflammer, mais c’était peut-être juste l’enseigne du glacier à côté, qui s’était allumée sans prévenir. « Le hic, ou plutôt le X, la véritable obscénité c’est ce petit mensonge qu’astique en ahanant le faux bourdon qu’est le mâle. » J’ai écarquillé les yeux pour qu’elle continue. « Et encore, mensonge n’est peut-être pas le bon mot. »Elle a mimé alors le va-et-vient d’un sexe imaginaire dans sa bouche, en poussant sa langue par à-coups contre l’intérieur de sa joue et en agitant son poing devant ses lèvres. Il manquait heureusement la bande-son.« Qu’est-ce que je viens de faire, là, selon vous ? »J’étais si mal à l’aise que je me voyais mal lui répondre l’évidence. « Vous pensez que j’ai mimé une fellation, c’est ça ? C’est vrai que mimer un viol, mimer l’absence de plaisir, mimer la soumission, c’est plus difficile… Non, ceci n’était pas une PIPE ! Mon poing c’est la violence, les coups, les menaces. Et ma joue qui se gonfle, c’est la langue qui essaie de s’enfuir, qui se débat, la parole qui suffoque, n’en peut plus. La fellation, c’est juste une métaphore. Ça veut dire : ‘Ferme ta gueule sinon je t’éclate.’ »« Mais enfin, ça ne se réduit pas à ça », dis-je, en repensant à la façon dont avait débuté ma journée avec M. « Vous voyez le mal partout, ce que je peux comprendre, vu ce que vous avez end—»« Il ne comprend décidément rien », a-t-elle dit en me pinçant le nez, et j’ai senti alors couler sur mon tee-shirt quelques gouttes de lait dont l’odeur m’a catapulté dans un passé possiblement post-placentaire. « Il ne veut pas comprendre. »« Linda, vous avez été sacrée reine du porno et vous avez fait rêver des millions d’hommes et peut-être aussi de femmes, grâce à vous l’industrie du cinéma porno a changé, les mœurs ont évolué, le monde a—»« Vous avez déjà violé une femme ? Ou un objet, une idée, un moment de la vie ? »« Pardon ? »« Vous voyez, plus les questions sont simples, plus les réponses sentent le caoutchouc brûlé. Le problème avec vous autres, les hommes, c’est que vous passez votre existence à essayer de nier ou dissimuler ce petit détail gênant, cette petite spécialité qui vous vaut les rênes du monde : le viol. Réel ou imaginaire. »Un groupe de touristes a déboulé dans la cafétéria. Ils ont pris des photos de tout et de rien, sans parler, sans échanger un regard, comme s’ils enquêtaient sur le réel mais avec un minimum de conviction. Linda a sorti un flingue de son sac à mains, l’a braqué sur moi et quand elle a pressé sur la détente, j’ai entendu un son ténu, un tout petit bruit, une simple syllabe, en fait – un mot, produit par le canon glacé : Non. Elle a jeté l’arme par terre et aussitôt un petit garçon s’en est emparé et s’est mis à courir dans tous les sens en imitant le bruit d’un Américain moyen qui jouit. « Mais la pornographie n’est pas réductible au viol ! » ai-je protesté, et j’ai eu alors l’impression de lire une réplique écrite par un singe.« On ne peut pas réduire des choses qui sont déjà réduites », a dit Linda en mordant dans un énorme beignet qu’un ange venait de lui apporter. Dès la première bouchée, le sucre glace s’est dispersé puis a formé comme une auréole au-dessus de sa tête. « Le sexe est un accident, comme vous le savez. Un accident agréable, mais à condition de ne pas vouloir être tout à la fois : la voiture, la vitesse, la route, les arbres, la flaque d’huile, le moteur qui gronde, le pare-brise qui éclate, la main qui tourne le volant, la carte routière – or vous les hommes vous croyez être tout ça en même temps. »« Je ne suis pas sûr de comprendre », ai-je articulé sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche. J’ai voulu répéter, mais elle m’a fait signe qu’elle avait compris ce que je disais. Le fait d’être morte lui donnait, enfin, certains avantages.« Je n’ai rien contre vous », a chantonné Linda dont l’ombre s’est mise à danser un peu partout, comme si l’impossibilité de vivre à nouveau lui avait appris le secret de la diffraction et de la légèreté. « Mais le porno, franchement, c’est humiliant. »J’ai voulu la rejoindre dans ce qui n’était déjà plus un dialogue mais une façon de me congédier :« Je suis d’accord en partie avec vous. C’est vrai que ça donne souvent une image dégradante de la femme et que —»Elle a éclaté de rire. Une cascade d’oiseaux a résonné au loin : un tintement d’arc-en-ciel. J’avais l’impression d’être vêtu de peaux de bêtes, ou l’inverse, même si je n’osais pas m’interroger sur ce que signifiait exactement cet « inverse ».« Une image dégradante de la femme ! Alors là, c’est la meilleure ! » Elle a lancé son sac à main en l’air et quand il est retombé, on aurait dit une tête d’homme tranchée, avec des tiges de persil rouge qui sortaient des narines. « Mais nous sommes dégradées de toute éternité. Vous nous avez dégradées. Jamais un grade, jamais ! Non, on n’humilie pas les humiliées, monsieur-peut-être-encore-en vie. En revanche, c’est humiliant pour vous, les hommes. »« Je ne suis pas sûr que les hommes qui regardent des films pornos se sentent humiliés », ai-je dit, avec les mains cette fois-ci, car ma bouche s’était changée en un animal écrasé.« C’est exactement ce que je voulais dire », a conclu Linda en se levant. « Bon, le bonheur éternel m’attend, je dois y aller. Adios ! »« Et la clé ? » ai-je demandé, abasourdi en regardant son dos s’incruster dans la grande fresque dorsale de la foule en partance. « J’en fais quoi de la clé ? »
« Mettez-la où je pense », a-t-elle dit sans se retourner. « Vous serez surpris de découvrir tout ce qu’elle n’ouvre pas. »
Au commencement, juste avant le Sexe, était l’Accident – en l’occurrence : de voiture, et dont réchappa non sans de nombreuses séquelles la jeune Linda Boreman, qui s’en alla reposer quelque temps en Floride chez ses parents (même si sa mère l’avait souvent battue, et son père jamais soutenue), dans le jardin d’une maison dont la description n’est pas ici nécessaire car toutes les maisons là-bas se ressemblent et se valent, façonnées comme il se doit sur un modèle sans doute préexistant dans l’imaginaire américain. Oui, Linda était allongée sur une chaise longue, elle s’offrait un bain de soleil en bikini (malgré d’équinoxiales cicatrices sur son ventre) en attendant l’arrivée de cette foldingue de Betsy, qu’elle n’avait pas revue depuis quelques mois, quand soudain, dans l’allée qui luisait tel un ruisseau de céréales, se gara, souveraine et vulgaire, une Jaguar XKE couleur bordeaux, intérieur cuir noir, enjoliveurs miroirs, d’où sortit ou plutôt jaillit (non seulement Betsy mais) un grand type du nom de (déclina-t-il aussitôt son identité:) Chuck Traynor, blue-jeans, chemise à manches longues à demi roulées, col ouvert, et sans doute un court cigare mordillé entre les lèvres, le regard dissimulé par des lunettes de soleil, mais cet artefact ne changea rien à la donne, car ce regard de Chuck obligerait bientôt Linda Boreman à devenir Linda Lovelace, et à affronter d’autres regards, des millions de regards, comme si la terre entière était dotée de globes oculaires directement reliés à un géant scrotum, mais surtout, en premier lieu, à celui d’une caméra, or c’est ce qui se produisit quelques mois plus tard, après diverses péripéties qu’il ne nous appartient pas de relater ici, quand le clac du clap claqua (imaginez ce claquement, et ce qu’il signifie, ce qu’il valide et sacre) et qu’un réalisateur du nom de Gerard Damiano tourna la première prise de ce film au titre promu à un rauque avenir – « Deep Throat » : Gorge Profonde. Trente-cinq ans plus tard, le sort n’ayant plus que de l’ironie à revendre, Linda Lovelace, redevenue Boreman, succombait de ses blessures suite à un autre accident de voiture.La rencontrer fut relativement facile : il me suffit de me rendre dans l’ultime cercle de l’enfer, à savoir la glauque cafétéria d’un grand centre commercial de banlieue, un dimanche en fin de journée.Etonnamment sereine, en jeans et basket, avec aux lèvres ce sourire qui semble refuser à tout jamais l’introduction d’un certain sujet tabou, elle a posé sur la table devant laquelle j’étais assis une clé, qu’elle a ensuite fait glisser dans ma direction, comme on file un bifton à un informateur.« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je, sachant qu’en enfer les formalités ne vous valent que mépris.« C’est la clé qui ouvre l’homme », a-t-elle dit en feignant de ne pas voir, assis à quelques tables de nous, un gorille en treillis qui lisait le Wall Street Journal.« La clé qui… Hum. Je suis venu pour vous parler d’autre chose que la constriction du larynx. »Elle a allumé un cigarette d’un geste brusque qui avait valeur d’acquiescement.« D’après vous, pourquoi ce film, Gorge Profonde, a-t-il eu autant de succès ? Je veux dire, ce n’est pas un chef d’œuvre du genre, les situations sont plutôt ridicules, le montage est franchement désolant, et quant à cette histoire de clitoris niché dans la gorge, pardonnez-moi, mais… eh bien, comme prétexte, c’est mince, non ? »« Mince ? Ce n’est pas l’adjectif qui me vient à l’esprit en y repensant… Mais un prétexte, certainement. Mais parlons pornographie. C’est ce qui vous intéresse, non ? » Elle vit que je baissais les yeux et sourit. « La pornographie, vue des enfers en tout cas, n’est rien d’autre qu’un accident honteux. On dit ‘trash’, mais on a tort : c’est du crash, des tonneaux, des dérapages, des cris de tôles froissées, embouties. L’industrie de la destruction, mais sur fond de branlette. »On nous apporta deux frappacinos. Ils étaient épais, amers, chers. Autour de nous les gens déambulaient comme si on leur faisait passer un casting pour le bêtisier de Walking Dead.« Linda, vous avez expliqué, dans vos livres et dans les médias, comment Chuck vous avait violée, battue, prostituée, menacée de mort à plusieurs reprises. Mais ça n’explique pas le succès de Gorge Profonde, et c’est ça qui m’intéresse. Cette fascination planétaire pour une fellation un peu plus… poussée que les autres. »Elle a pris sa tasse et en a vidé le contenu dans la plante en pot sur sa droite. Les feuilles ont aussitôt jauni, puis bruni, puis chu.« Ce qui est pornographique, ce n’est pas l’acte, ce n’est pas la femme, ce ne sont pas les positions ni le désir et encore moins le plaisir qu’on prend à deux, ou trois – ça, j’espère que vous l’avez compris, monsieur-qui-êtes-vivant ? »« Oui, oui », ai-je dit, d’un ton faussement assuré, « c’est le regard, le point de vue, la façon dont est filmé, monté, présenté le rapport sexu —»« Vous n’y êtes pas du tout », a-t-elle dit, et aussitôt ses cheveux ont paru s’enflammer, mais c’était peut-être juste l’enseigne du glacier à côté, qui s’était allumée sans prévenir. « Le hic, ou plutôt le X, la véritable obscénité c’est ce petit mensonge qu’astique en ahanant le faux bourdon qu’est le mâle. » J’ai écarquillé les yeux pour qu’elle continue. « Et encore, mensonge n’est peut-être pas le bon mot. »Elle a mimé alors le va-et-vient d’un sexe imaginaire dans sa bouche, en poussant sa langue par à-coups contre l’intérieur de sa joue et en agitant son poing devant ses lèvres. Il manquait heureusement la bande-son.« Qu’est-ce que je viens de faire, là, selon vous ? »J’étais si mal à l’aise que je me voyais mal lui répondre l’évidence. « Vous pensez que j’ai mimé une fellation, c’est ça ? C’est vrai que mimer un viol, mimer l’absence de plaisir, mimer la soumission, c’est plus difficile… Non, ceci n’était pas une PIPE ! Mon poing c’est la violence, les coups, les menaces. Et ma joue qui se gonfle, c’est la langue qui essaie de s’enfuir, qui se débat, la parole qui suffoque, n’en peut plus. La fellation, c’est juste une métaphore. Ça veut dire : ‘Ferme ta gueule sinon je t’éclate.’ »« Mais enfin, ça ne se réduit pas à ça », dis-je, en repensant à la façon dont avait débuté ma journée avec M. « Vous voyez le mal partout, ce que je peux comprendre, vu ce que vous avez end—»« Il ne comprend décidément rien », a-t-elle dit en me pinçant le nez, et j’ai senti alors couler sur mon tee-shirt quelques gouttes de lait dont l’odeur m’a catapulté dans un passé possiblement post-placentaire. « Il ne veut pas comprendre. »« Linda, vous avez été sacrée reine du porno et vous avez fait rêver des millions d’hommes et peut-être aussi de femmes, grâce à vous l’industrie du cinéma porno a changé, les mœurs ont évolué, le monde a—»« Vous avez déjà violé une femme ? Ou un objet, une idée, un moment de la vie ? »« Pardon ? »« Vous voyez, plus les questions sont simples, plus les réponses sentent le caoutchouc brûlé. Le problème avec vous autres, les hommes, c’est que vous passez votre existence à essayer de nier ou dissimuler ce petit détail gênant, cette petite spécialité qui vous vaut les rênes du monde : le viol. Réel ou imaginaire. »Un groupe de touristes a déboulé dans la cafétéria. Ils ont pris des photos de tout et de rien, sans parler, sans échanger un regard, comme s’ils enquêtaient sur le réel mais avec un minimum de conviction. Linda a sorti un flingue de son sac à mains, l’a braqué sur moi et quand elle a pressé sur la détente, j’ai entendu un son ténu, un tout petit bruit, une simple syllabe, en fait – un mot, produit par le canon glacé : Non. Elle a jeté l’arme par terre et aussitôt un petit garçon s’en est emparé et s’est mis à courir dans tous les sens en imitant le bruit d’un Américain moyen qui jouit. « Mais la pornographie n’est pas réductible au viol ! » ai-je protesté, et j’ai eu alors l’impression de lire une réplique écrite par un singe.« On ne peut pas réduire des choses qui sont déjà réduites », a dit Linda en mordant dans un énorme beignet qu’un ange venait de lui apporter. Dès la première bouchée, le sucre glace s’est dispersé puis a formé comme une auréole au-dessus de sa tête. « Le sexe est un accident, comme vous le savez. Un accident agréable, mais à condition de ne pas vouloir être tout à la fois : la voiture, la vitesse, la route, les arbres, la flaque d’huile, le moteur qui gronde, le pare-brise qui éclate, la main qui tourne le volant, la carte routière – or vous les hommes vous croyez être tout ça en même temps. »« Je ne suis pas sûr de comprendre », ai-je articulé sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche. J’ai voulu répéter, mais elle m’a fait signe qu’elle avait compris ce que je disais. Le fait d’être morte lui donnait, enfin, certains avantages.« Je n’ai rien contre vous », a chantonné Linda dont l’ombre s’est mise à danser un peu partout, comme si l’impossibilité de vivre à nouveau lui avait appris le secret de la diffraction et de la légèreté. « Mais le porno, franchement, c’est humiliant. »J’ai voulu la rejoindre dans ce qui n’était déjà plus un dialogue mais une façon de me congédier :« Je suis d’accord en partie avec vous. C’est vrai que ça donne souvent une image dégradante de la femme et que —»Elle a éclaté de rire. Une cascade d’oiseaux a résonné au loin : un tintement d’arc-en-ciel. J’avais l’impression d’être vêtu de peaux de bêtes, ou l’inverse, même si je n’osais pas m’interroger sur ce que signifiait exactement cet « inverse ».« Une image dégradante de la femme ! Alors là, c’est la meilleure ! » Elle a lancé son sac à main en l’air et quand il est retombé, on aurait dit une tête d’homme tranchée, avec des tiges de persil rouge qui sortaient des narines. « Mais nous sommes dégradées de toute éternité. Vous nous avez dégradées. Jamais un grade, jamais ! Non, on n’humilie pas les humiliées, monsieur-peut-être-encore-en vie. En revanche, c’est humiliant pour vous, les hommes. »« Je ne suis pas sûr que les hommes qui regardent des films pornos se sentent humiliés », ai-je dit, avec les mains cette fois-ci, car ma bouche s’était changée en un animal écrasé.« C’est exactement ce que je voulais dire », a conclu Linda en se levant. « Bon, le bonheur éternel m’attend, je dois y aller. Adios ! »« Et la clé ? » ai-je demandé, abasourdi en regardant son dos s’incruster dans la grande fresque dorsale de la foule en partance. « J’en fais quoi de la clé ? »
« Mettez-la où je pense », a-t-elle dit sans se retourner. « Vous serez surpris de découvrir tout ce qu’elle n’ouvre pas. »
Published on December 22, 2017 02:17
December 10, 2017
Mise en bière et gueule de bois
© James HopkinsPersonnellement, je nâai rien contre les morts. Ce sont en général des gens très bien, surtout depuis quâils sont déclarés officiellement morts, comme si on avait presque attendu quâils acceptent de mourir pour annoncer quâils étaient indispensables, alors que tout prouve désormais quâils sont, précisément, dispensables. La mort des gens est également lâoccasion de libérer le démon de lâémotion, qui trouve là matière à festoyer â puisquâen pleurant des morts câest sur sa propre mortalité quâon se lamente, en espérant que notre peine nous sera rétribuée en hommages dignes de ce nom quand notre tour viendra. Bien sûr, il y a la peine sincère, mais celle-ci, parce qu'indicible, ne saurait sâépanouir que dans le silence et lâintime (câest un autre sujetâ¦).En revanche, on peut se montrer sceptique, voire critique, devant lâorchestration imposée à ces morts. Cherche-t-on à excéder leurs dépouilles en outrant leurs funérailles ? A profiter du consensus que semble autoriser le deuil, lequel aurait pour vocation dâeffacer la disparité des appréciations ? En les donnant en pâture médiatique, que cherche-t-on à faire ? « On » â lâEtat, en lâoccurrence, et plus précisément le gouvernement, le président, même, devenu embaumeur â tente de faire passer un engouement collectif, entretenu depuis des années par la publicité, lâindustrie du divertissement et les médias mondains, pour une conscience populaire, laquelle est censée redonner vigueur à la figure du peuple, là où on sait il nây a quâun effet de population. Lâinjonction au chagrin fantasmé, tel que lâinitient ceux qui par ailleurs refluent les migrants et humilient les démunis, se voudrait cathartique, car dans la vaste communion télégénique, ce qui est visé, câest la captation dâune potentialité communiante, la transformation dâun culte ou dâune admiration manipulé en signe dâunité nationale.
Le gouvernement « laisse » les gens sâamasser, défiler, partager â en fait, il les "invite" à le faire â et ce afin que tous puissent confirmer qu'il a su « rassembler » autant que le défunt. Ce fantasme du rassemblement est dâautant mieux servi quâil porte son dévolu sur des figures à la fois abstraites â lâécrivain, le chanteur, chacun étant censé représenter respectivement la langue (littéraire) et la musique (populaire) â et des individualités concrètes â deux personnages médiatiques, ayant joué et assumé leur propre rôle au risque dâune caricature qui finalement s'est révélée profitable à tous les niveaux, en ce quâelle les rendait plus identifiables.
« Lâécrivain préféré des Français », a-t-on pu lire concernant Jean dâOrmesson. « Une part de nous-mêmes », a-t-il été dit au sujet de Johnny Hallyday. Lâincorporation du corps glorieux (du corps-people) dans le discours étatico-médiatique relève dâune liturgie qui surprend à peine. Hélas, en poussant la grandiloquence aux extrêmes quâon a pu voir, en confondant « show » et « hommage » pour mieux tâter de "l'historique", il y a fort à penser quâun risque a été pris dont on mesure mal les conséquences. Car cette gabegie funéraire va désormais faire jurisprudence. Qui décidera à présent que tel ou tel écrivain, tel ou tel chanteur (ou acteur, réalisateur, cuisinier, sportif, artisteâ¦) aura droit ou non à une grand-messe de cette envergure ? Osera-t-on refuser aux prochains morts « populaires » une béatification aussi spéculaire ? Et si on la leur accorde, ne risque-t-on pas dâuser, par la répétition du cérémoniel, la ferveur requise, le recueillement commandité ? Au dixième crayon déposé sur un cercueil, au onzième éloge stéréophonique, comment fera-t-on passer la pilule de la sincérité, de lâémotion ?
La patrie se veut reconnaissante « aux » grands hommes. Elle aimerait aussi que cette reconnaissance, en établissant leur grandeur, opère comme un miroir et profite de lâaveuglément induit pour parler dâéblouissement. Jamais lâexpression « dépouiller les urnes » nâa pris un sens aussi cynique.
Published on December 10, 2017 00:07
Mise en bière et gueule de bois
© James HopkinsPersonnellement, je n’ai rien contre les morts. Ce sont en général des gens très bien, surtout depuis qu’ils sont déclarés officiellement morts, comme si on avait presque attendu qu’ils acceptent de mourir pour annoncer qu’ils étaient indispensables, alors que tout prouve désormais qu’ils sont, précisément, dispensables. La mort des gens est également l’occasion de libérer le démon de l’émotion, qui trouve là matière à festoyer – puisqu’en pleurant des morts c’est sur sa propre mortalité qu’on se lamente, en espérant que notre peine nous sera rétribuée en hommages dignes de ce nom quand notre tour viendra. Bien sûr, il y a la peine sincère, mais celle-ci, parce qu'indicible, ne saurait s’épanouir que dans le silence et l’intime (c’est un autre sujet…).En revanche, on peut se montrer sceptique, voire critique, devant l’orchestration imposée à ces morts. Cherche-t-on à excéder leurs dépouilles en outrant leurs funérailles ? A profiter du consensus que semble autoriser le deuil, lequel aurait pour vocation d’effacer la disparité des appréciations ? En les donnant en pâture médiatique, que cherche-t-on à faire ? « On » – l’Etat, en l’occurrence, et plus précisément le gouvernement, le président, même, devenu embaumeur – tente de faire passer un engouement collectif, entretenu depuis des années par la publicité, l’industrie du divertissement et les médias mondains, pour une conscience populaire, laquelle est censée redonner vigueur à la figure du peuple, là où on sait il n’y a qu’un effet de population. L’injonction au chagrin fantasmé, tel que l’initient ceux qui par ailleurs refluent les migrants et humilient les démunis, se voudrait cathartique, car dans la vaste communion télégénique, ce qui est visé, c’est la captation d’une potentialité communiante, la transformation d’un culte ou d’une admiration manipulé en signe d’unité nationale.
Le gouvernement « laisse » les gens s’amasser, défiler, partager – en fait, il les "invite" à le faire – et ce afin que tous puissent confirmer qu'il a su « rassembler » autant que le défunt. Ce fantasme du rassemblement est d’autant mieux servi qu’il porte son dévolu sur des figures à la fois abstraites – l’écrivain, le chanteur, chacun étant censé représenter respectivement la langue (littéraire) et la musique (populaire) – et des individualités concrètes – deux personnages médiatiques, ayant joué et assumé leur propre rôle au risque d’une caricature qui finalement s'est révélée profitable à tous les niveaux, en ce qu’elle les rendait plus identifiables.
« L’écrivain préféré des Français », a-t-on pu lire concernant Jean d’Ormesson. « Une part de nous-mêmes », a-t-il été dit au sujet de Johnny Hallyday. L’incorporation du corps glorieux (du corps-people) dans le discours étatico-médiatique relève d’une liturgie qui surprend à peine. Hélas, en poussant la grandiloquence aux extrêmes qu’on a pu voir, en confondant « show » et « hommage » pour mieux tâter de "l'historique", il y a fort à penser qu’un risque a été pris dont on mesure mal les conséquences. Car cette gabegie funéraire va désormais faire jurisprudence. Qui décidera à présent que tel ou tel écrivain, tel ou tel chanteur (ou acteur, réalisateur, cuisinier, sportif, artiste…) aura droit ou non à une grand-messe de cette envergure ? Osera-t-on refuser aux prochains morts « populaires » une béatification aussi spéculaire ? Et si on la leur accorde, ne risque-t-on pas d’user, par la répétition du cérémoniel, la ferveur requise, le recueillement commandité ? Au dixième crayon déposé sur un cercueil, au onzième éloge stéréophonique, comment fera-t-on passer la pilule de la sincérité, de l’émotion ?
La patrie se veut reconnaissante « aux » grands hommes. Elle aimerait aussi que cette reconnaissance, en établissant leur grandeur, opère comme un miroir et profite de l’aveuglément induit pour parler d’éblouissement. Jamais l’expression « dépouiller les urnes » n’a pris un sens aussi cynique.
Published on December 10, 2017 00:07
December 7, 2017
William H. Gass (1924-2017)
L'écrivain américain William H. Gass est mort cette nuit, à l'âge de 93 ans. La collection Lot 49 avait été créée à l'origine afin de pouvoir accueillir la traduction de son grand roman Le Tunnel – paru en France il y a dix ans, en 2007. Ont été publiés par la suite Le musée de l'inhumanité (2015), ainsi que les recueils Sonate cartésienne (2009) et Regards (2017), dernier titre de la collection, tous deux traduits par son ami Marc Chénetier.
"Ainsi donc, messieurs, aujourd'hui nous ne nous tenons pas sur le seuil du lendemain, comme vous pourriez l'imaginer, mais nous nous tenons où nous nous tenons toujours, à l'orée du passé, où nos esprits vont pénétrer comme des fantômes, comme Empédocle se jeta dans l'Etna."
— William H. Gass, Le Tunnel, trad. Claro, éd. du cherche midi, coll. Lot 49
Published on December 07, 2017 01:15
December 6, 2017
2007-2017. Dix ans de Clavier Cannibale
Juste pour vous dire que ceci est le 2017ème billet du Clavier Cannibale©, blog doux et compatissant à visée prophylactique commencé naïvement en juin 2007, il y a un peu plus de 10 ans, alors que je venais tout juste de décrocher mon brevet 50 mètres nage libre — puisque nous sommes en 2017 et que, figurez-vous, c'est comme ça, mais il se trouve que 2017 - 2007 = 10. Les chiffres, contrairement aux lettres, sont formels. Donc:
Merci à tous ceux et à toutes celles qui suivent ce blog, se ruinent en livres, se marrent parfois.Merci aux éditeurs, surtout les plus discrets, qui m'envoient (parfois) des livres.Merci aux lecteurs et aux lectrices qui prennent la peine de me conseiller d'autres lectures.Merci aux libraires qui me suivent et vont jusqu'à me le dire.Merci aux ami.e.s qui me lisent se fendent parfois d'un petit retour.
Sur ce, je laisse le soin à John Lennon (c'est un des quatre membres du célèbre groupe de rock anglais The Beatles) de vous indiquer comment fêter dignement cet anniversaire…
(et pour une fois je crois n'avoir fait ni fautes ni coquilles…)
Merci à tous ceux et à toutes celles qui suivent ce blog, se ruinent en livres, se marrent parfois.Merci aux éditeurs, surtout les plus discrets, qui m'envoient (parfois) des livres.Merci aux lecteurs et aux lectrices qui prennent la peine de me conseiller d'autres lectures.Merci aux libraires qui me suivent et vont jusqu'à me le dire.Merci aux ami.e.s qui me lisent se fendent parfois d'un petit retour.
Sur ce, je laisse le soin à John Lennon (c'est un des quatre membres du célèbre groupe de rock anglais The Beatles) de vous indiquer comment fêter dignement cet anniversaire…
(et pour une fois je crois n'avoir fait ni fautes ni coquilles…)
Published on December 06, 2017 04:49
December 5, 2017
Traite des morts et charcuterie
On se demande parfois à quoi riment les morts. A peine disparu, voilà que Jean d'Ormesson sert de podium-paillasson à Nicolas Sarkozy qui, profitant de l'aubaine d'un d'hommage à chaud, se goberge de ce que l'écrivain académicien, "grand ami des femmes, n'a pas hésité à s'insurger contre cette idée folle qui consistait à vouloir charcuter le Français [sic] sous prétexte d'égalitarisme et il aura livré son dernier combat en défendant la langue de Molière contre la revanche des Précieuses Ridicules."En quelques lignes, le blougiboulga se déchaîne: défense contre revanche, insurrection contre folie, combat contre charcuterie, Molière contre ses propres personnages… Et la langue confondue avec le citoyen par voie de "capitalisation". Mais surtout, ces quelques lignes prouvent une fois de plus, si besoin est, l'incurie du petit Nicolas. Car il semble confondre, dans un même mépris, "précieuses ridicules" et "femmes savantes". En effet, dans la pièce de Molière à laquelle fait allusion ce lecteur distrait du Lagarde et Michard qu'est Sarkozy, les "précieuses" sont avant tout des pédantes qui rêvent d'idylles galantes, et ne veulent pas entendre parler des petits maîtres que cherche à leur refourguer leur père. On sent bien que Sarko pensait aux "femmes savantes", mais là encore la référence aurait été aussi peu pertinente, et surtout trop risquée.
Bref, à vouloir étaler la molle gelée de sa culture, l'ami de Kadhafi fait à son insu assaut de pédanterie. Et maintenant que son ami chanteur célèbre est mort lui aussi, on se demande ce qu'il va bien pouvoir nous sortir? On attend avec impatience son analyse du fameux "Quand c'est moi qui dis non / Quand c'est toi qui dis oui"…
Published on December 05, 2017 22:55
Des nouvelles d'Albertine
Au cas où vous l'ignoreriez, s'il y a un bien un site de libraire à consulter régulièrement, c'est celui d'Emmanuel Requette, qui pilote la librairie Ptyx à Bruxelles. J'y trouve souvent des pistes (d'achats de livre, d'angles de lecture), et également, comme en ce début décembre, une recension de ma dernière traduction en date, Atelier Albertine, d'Anne Carson (dont la critique, pardon, dont la presse qui parle des livres se contrefiche royalement, par ailleurs, mais passons, c'est un autre débat, qui fort heureusement n'en est même plus un, paix à son âme, je veux dire l'âme du débat, bien sûr).Voici donc quelques lignes claires et pertinentes sur ce qu'a fait Carson dans ce petit livre consacré au personnage de Proust, et ma foi, ça fait plaisir :"Anne Carson s’intéresse bien ici à Albertine, le personnage de la Recherche. Le nombre de fois où son nom est cité dans le roman. Le nombre de pages où elle est présente. Son lesbianisme. Son rapport au mensonge. La possibilité que son personnage, par la grâce du procédé de transposition, ait été l’occasion pour l’auteur d’inscrire dans l’oeuvre Alfred Agostinelli, l’amant décédé dans un accident d’avion. Mais aussi, au fur et à mesure même que Anne Carson parait s’approcher au plus près du personnage d’Albertine, et donc du roman de Proust, elle parait également s’en éloigner. Comme si la rigueur pointilliste de son analyse nourrissait quelque chose de tout à fait autre. Comme s’il ne s’agissait in fine, par l’entremise de la lecture scrupuleuse d’un de ses personnages, que de sortir de l’oeuvre, la parasiter. Comme si lire, dans toute l’acception la plus précise du terme, était précisément cela : parasiter. Comme si Albertine devenait la métaphore/métonymie d’une oeuvre, que l’oeuvre devenait la métaphore/métonymie de quelque chose d’autre. On ne sait trop quoi. On sait juste que c’est beau." (Emmanuel Requette)Il y aurait fort à dire sur cette notion de lecture comme opération de parasitage. Prenez donc quelques copies doubles et une brassée de stylo, et surtout, prenez votre temps: il ne sera jamais perdu si vous écrivez._____________Anne Carson, Atelier Albertine, un personnage de Proust, 2017, Le Seuil, trad. Claro.
Published on December 05, 2017 00:01
November 29, 2017
Pense-bête pour futurs écrivains
1. Etes-vous en train d'écrire en cet instant? Non? Mais c'est quoi votre problème?2. Tout le monde passe une meilleure journée que vous. TOUT LE MONDE. Acceptez-le.3. Eh, vous savez quoi? Neil Gaiman a déjà eu cette idée il y a quinze ans.4. Les gens adorent signaler les fautes de grammaire et les coquilles. Non, sérieusement, ils ADORENT ça. C'est bizarre.5. Votre chèque n'est sans doute pas arrivé, même si on vous a dit qu'il l'était.6. Ouais, allez-y. Couchez-vous tôt. Parce qu'une bande d'elfes magiques va finir votre travail pendant votre sommeil.7. Ne suivez pas vos rêves. Vos rêves sont lents et faibles. Ce sont eux qui devraient vous suivre. S'ils ne le font pas, laissez-les derrière vous. Ce sont des losers.
Published on November 29, 2017 13:36
November 28, 2017
Croire en connaître un rayon
Petite visite au Auchan de la porte de Bagnolet, avec bref moment d'égarement au rayon librairie. Bon, on n'a pas trouvé le Rayon Cynique ni le Rayon Viril, c'est déjà ça…
Published on November 28, 2017 14:15
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