Thomas Desforges > Recent Status Updates

« Il y a un châtiment pour les mutins (ainsi raisonnent les hommes du même calibre que notre major) et avec ces crapules de forçats, on doit s’en tenir à une sévère, une impitoyable application de la loi prise à la lettre — rien de plus, rien de moins. » Ces aveugles exécuteurs de la loi ne comprennent jamais et ne sont jamais en état de comprendre que l’application de la loi à la lettrr, sans…

Certaines personnes estiment qu’en nourrissant et en entretenant bien les détenus on se conforme à la loi, et qe cela suffit. C’est aussi une erreur. Si avili qu’il soit, tout individu exige d’instinct le respect de sa dignité d’homme. Il se sait un détenu, un réprouvé, il connaît les distances qui le séparent des ses supérieurs, mais ni les chaînes, ni les marques de flétrissure ne lui font…

L’inquiétude morale perpéptuelle, l’irritation des nerfs, l’air méphitique de la caserne m’auraient abattu complètement. « Le grand air, la fatigue, l’habitude de porter de lourds fardeaux, voilà ce qui me sauvera, me dis-je. Cela me conservera la vigueur et la jeunesse pour le moment de ma libération. » Je ne me trompais pas ; le travail et le mouvement m’ont été fort utiles.

Je me pris dès le premier jour à rêver à ma libération. Compter de mille façons différentes le temps qui me restait à faire devint mon occupation favorite. Je ne parvenais point à penser à autre chose et je crois que tous les gens privés de liberté sont dans le même cas. J’ignore si les forças pensaient et comptaient comme moi, mais, dès le premier moment, l’inconcevable légèreté de leurs…

L’idée du mot « détenu » indique l’homme privé de son libre arbitre. Mais quand cet homme dépense son argent, il fait ce qu’il veut. Malgré les fronts marqués, les fers, la palissade exécrée qui lui dérobe la vue de l’univers et l’enferme à l’écart comme une bête féroce en cage — il peut se procure de l’eau-de-vie, c’est-à-dire un plaisir pour lequel on encourt une punition…

Comme il est difficile de connaître un homme, même après de longues années de vie commune !

On l’achetait au bagne même à des forçats qu’on appelait « cabaretiers » et dont les affaires marchaient fort bien, encore que les buveurs et les bambocheurs fussent peu nombreux ; toutes bombance coûtait cher et les forçats avaient trop de mal à se procurer de l’argent. Ce genre de commerce débutait, se développait et s’achevait d’une manière plutôt originale. Prenons un détenu sans…

L’idée m’est venu une fois que si l’on voulait anéantir, écraser, châtier un homme d’une façon assez implacable pour que le pire bandit en tremblât de peur à l’avance, il suffirait de donner à sa besogne un caractère de parfaite absurdité, d’inutilité absolue. Les travaux forcés actuels ont beau ne présenter aucun intérêt pour le détenu, ils ne sont pas pour cela dépourvus de sens. …

J’ai déjà dit qu’au cours de mes années de bagne, je n’ai pas constaté chez mes camarades le moindre regret, le moindre malaise de conscience : dans leur for intérieur, la plupart estimaient avoir bien agi. C’est un fait. Évidemment la vanité, les mauvais exemples, la bravade, la fausse honte doivent entrer ici en ligne de compte. Mais, d’un autre côté, qui peut prétendre avoir sondé ces âmes…

Quelqu’un, m’a-t-on dit depuis, a tiré de semblables données la conclusion que l’instruction causait la perte du peuple. Erreur, selon moi. Il faut chercher ailleurs les raisons de ce fléchissement moral. À vrai dire, l’instruction éveille chez le peuple de la présomption ; mais, à mon sens, ce n’est pas là un défaut.

Un être qui s’habitue à tout, voilà, je pense, la meilleure définition qu’on puisse donner de l’homme.

…le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur des ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l’injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu’on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.

Peut-être était-il plus dur de penser à un homme coupable qu’à un homme mort.

Ils savaient maintenant que s’il est une chose qu’on puisse désirer toujours et obtenir quelquefois, c’est la tendresse humaine.

La nuit qui suivit ne fut pas celle de la lutte, mais celle du silence. Dans cette chambre retranchée du monde, au-dessus de ce corps mort maintenant habillé, Rieux sentit planer le calme surprenant qui, bien des nuits auparavant, sur les terrasses au-dessus de la peste, avait suivi l’attaque des portes. Déjà, à cette époque, il avait pensé à ce silence qui s’élevait des lits où il avait laissé…

Il répondait pour finir, et c’est ici que les carnets de Tarrou se terminent, qu’il y avait toujours une heure de la journée et de la nuit où un homme était lâche et qu’il n’avait peur que de cette heure-là.

Mais Cottard ne souriait pas. Il voulait savoir si l’on pouvait pensee que la peste ne changerait rien dans la ville et que tout recommencerait comme auparavant, c’est-à-dire comme si rien ne s’était passé. Tarrou pensait que la peste changerait et ne changerait pas la ville, que, bien entendu, le plus fort désir de nos concitoyens était et serait de faire comme si rien n’était changé et que,…

Rieux savait ce que pensait à cette minute le vieil homme qui pleurait, et il le pensait comme lui, que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu’il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d’un être et le cœur émerveillé de la tendresse.

À la fin, c’est trop bête de ne vivre que dans la peste. Bien entendu, un homme doit se battre pour les victimes. Mais s’il cesse de rien aimer par ailleurs, à quoi sert qu’il se batte ?

Je dis seulement qu’il y a sur cette terre des fléaux et des victimes et qu’il faut, autant qu’il est possible, refuser d’être avec le fléau.

« Depuis, je n’ai pas changé. Cela fait longtemps que j’ai honte, honte à mourir d’avoir été, fût-ce de loin, fût-ce dans la bonne volonté, un meurtrier à mon tour. Avec le temps, j’ai simplement aperçu que même ceux qui étaient meilleurs que d’autres ne pouvaient s’empêcher aujourd’hui de tuer ou de laisser tuer parce que c’était dans la logique où ils vivaient et que nous ne…

Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés.

« Vous n’avez jamais vu fusiller un homme ? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d’avance. Le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Une bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non ! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné ? Savez-vous que si le condamné…

Mais tous ces signes de saison ne pouvaient faire oublier que les cimetières étaient désertés. Les autres années, les tramways étaient pleins de l’odeur fade des chrysanthèmes et des théories de femmes se rendaient aux lieux où leurs proches se trouvaient enterrées, afin de fleurir leurs tombes. C’était le jour où l’on essayait de compenser auprés du défunt l’isolement et l’oubli où il…

Du reste, le docteur Rieux, par exemple, considérait que c’était cela le malheur, justement, et que l’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.

Nos concitoyens, ceux du moins qui avaient le plus souffert de cette séparation, s’habituaient-ils à la situation ? Il ne serait pas tout à fait juste de l’affirmer. Il serait plus exact de dire qu’au moral comme au physique, ils souffraient de décharnement. Au début de la peste ils se souvenaient très bien de l’être qu’ils avaient perdu et ils le regrettaient. Mais s’ils se souvenaients…

Ainsi la maladie qui, apparemment, avait forcé les habitants à une solidarité d’assiégés, brisait en même temps les associations traditionnelles et renvoyait les individus à leur solitude. Cela faisait du désarroi.