'Ma Place au paradis' (2005) de Laurent Bettoni
—BUS RIDING BOOKS—
Petite critique littéraire de 'Ma Place au paradis' (2005) de Laurent Bettoni
Laurent Bettoni: un auteur que vous ne connaissez probablement pas. Pas de best-seller, pas de photos de lui dans les magazines people, pas de scandales à son actif. Enfin si, un: le fait qu'aucune grande maison d’édition ne l'ait publié depuis Robert Laffont en 2005. Plus de dix ans d'écriture sans reconnaissance, c'est long, surtout quand on a le talent pour écrire un premier roman comme Ma Place au paradis.
Lu en deux jours, ce livre m'a sans doute marqué pour toujours. Et pourtant ça avait plutôt mal commencé, entre lui et moi. La faute d'Amazon: plus d'un mois pour me l’envoyer en Australie, cet autre bout du monde où sont partis s'installer les seuls êtres rattachant le héros Quentin à la vie: sa femme Claire et leur fils Lucas. Finie l'histoire d'amour, finie la relation de père à fils, il était écrit que la vie continuerait de s'acharner sur Quentin. Pour lui, tout était tracé d'avance: la vie finirait de la façon dont elle avait commencé. Après une enfance difficile, un âge adulte difficile, rien de plus logique. Sauf que Quentin la victime est soudainement devenu Quentin le bourreau, celui des femmes se servant de son corps pour assouvir leur plaisir.
Au moment de tourner la dernière page, j'étais moi aussi victime et bourreau à la fois: les deux sont toujours intimement liés de toute façon, parfois il n’y a qu’un pas. Victime d'une lecture difficile, dérangeante, pleine de confrontations terribles, d'humiliations en tout genre, de scènes qui ont failli me faire vomir, dans le bus me conduisant au bureau, de bon matin. Bourreau comme Quentin, parce qu'en le lisant, je suis devenu son complice, j'ai participé à sa funeste aventure, je me suis même reconnu dans certains de ses écueils, dans certaines de ses peines les plus profondes. À peine, de loin, sans doute, mais suffisamment pour le comprendre, suffisamment pour le suivre jusqu’au bout, suffisamment pour aller au-delà de cette page 168, celle décrivant le viol de son père. J'ai quand même dû marquer une pause après cette page, pour reprendre mon souffle avant d'aller en réunion. J’ai dû me faire violence pour ne pas y penser au moment de commencer ma présentation. Et de retour chez moi, le soir, je me suis dit arrête toi là, ça ne peut plus continuer, ce livre te détraque le cerveau.
Mais je n'ai pas pu m'arrêter, pas tant à cause de l'histoire que de cet enfant qui s'accrochait désespérément à moi avec ses petites mains. Il les serrait si fort que mes cuisses me faisaient mal. Alors je détachais la droite, puis la gauche, au milieu de cris et de supplications de ne pas le laisser. Le courant de la vie commençait à l'emporter, je le voyais s'éloigner petit à petit, tandis que les larmes me brulaient les yeux. Alors seulement je me suis jeté vers lui dans un geste de vie, le rattrapant de justesse, alors qu'il était en train de se noyer dans les sables mouvants de la mort: ceux de l'oubli et de l'abandon.
Au final, ce livre c’est lui : cet enfant qui hurle de peur dans sa tête. Dans ses yeux il y a de la tristesse, du silence. C'est un appel au secours mais personne ne répond, sauf moi. Mais je suis seul, pas assez nombreux pour le sauver, cet enfant. Il faudrait d'autres lecteurs, beaucoup d'autres, et puis peut-être ce livre finira-t-il alors par avoir lui-même un enfant. Bien né, celui-là.
Des livres auxquels je donne 5 étoiles, je me dis souvent que j'aurais bien voulu les écrire. Pas celui-là. Seul Laurent Bettoni le pouvait.
O.V.
Petite critique littéraire de 'Ma Place au paradis' (2005) de Laurent Bettoni
Laurent Bettoni: un auteur que vous ne connaissez probablement pas. Pas de best-seller, pas de photos de lui dans les magazines people, pas de scandales à son actif. Enfin si, un: le fait qu'aucune grande maison d’édition ne l'ait publié depuis Robert Laffont en 2005. Plus de dix ans d'écriture sans reconnaissance, c'est long, surtout quand on a le talent pour écrire un premier roman comme Ma Place au paradis.
Lu en deux jours, ce livre m'a sans doute marqué pour toujours. Et pourtant ça avait plutôt mal commencé, entre lui et moi. La faute d'Amazon: plus d'un mois pour me l’envoyer en Australie, cet autre bout du monde où sont partis s'installer les seuls êtres rattachant le héros Quentin à la vie: sa femme Claire et leur fils Lucas. Finie l'histoire d'amour, finie la relation de père à fils, il était écrit que la vie continuerait de s'acharner sur Quentin. Pour lui, tout était tracé d'avance: la vie finirait de la façon dont elle avait commencé. Après une enfance difficile, un âge adulte difficile, rien de plus logique. Sauf que Quentin la victime est soudainement devenu Quentin le bourreau, celui des femmes se servant de son corps pour assouvir leur plaisir.
Au moment de tourner la dernière page, j'étais moi aussi victime et bourreau à la fois: les deux sont toujours intimement liés de toute façon, parfois il n’y a qu’un pas. Victime d'une lecture difficile, dérangeante, pleine de confrontations terribles, d'humiliations en tout genre, de scènes qui ont failli me faire vomir, dans le bus me conduisant au bureau, de bon matin. Bourreau comme Quentin, parce qu'en le lisant, je suis devenu son complice, j'ai participé à sa funeste aventure, je me suis même reconnu dans certains de ses écueils, dans certaines de ses peines les plus profondes. À peine, de loin, sans doute, mais suffisamment pour le comprendre, suffisamment pour le suivre jusqu’au bout, suffisamment pour aller au-delà de cette page 168, celle décrivant le viol de son père. J'ai quand même dû marquer une pause après cette page, pour reprendre mon souffle avant d'aller en réunion. J’ai dû me faire violence pour ne pas y penser au moment de commencer ma présentation. Et de retour chez moi, le soir, je me suis dit arrête toi là, ça ne peut plus continuer, ce livre te détraque le cerveau.
Mais je n'ai pas pu m'arrêter, pas tant à cause de l'histoire que de cet enfant qui s'accrochait désespérément à moi avec ses petites mains. Il les serrait si fort que mes cuisses me faisaient mal. Alors je détachais la droite, puis la gauche, au milieu de cris et de supplications de ne pas le laisser. Le courant de la vie commençait à l'emporter, je le voyais s'éloigner petit à petit, tandis que les larmes me brulaient les yeux. Alors seulement je me suis jeté vers lui dans un geste de vie, le rattrapant de justesse, alors qu'il était en train de se noyer dans les sables mouvants de la mort: ceux de l'oubli et de l'abandon.
Au final, ce livre c’est lui : cet enfant qui hurle de peur dans sa tête. Dans ses yeux il y a de la tristesse, du silence. C'est un appel au secours mais personne ne répond, sauf moi. Mais je suis seul, pas assez nombreux pour le sauver, cet enfant. Il faudrait d'autres lecteurs, beaucoup d'autres, et puis peut-être ce livre finira-t-il alors par avoir lui-même un enfant. Bien né, celui-là.
Des livres auxquels je donne 5 étoiles, je me dis souvent que j'aurais bien voulu les écrire. Pas celui-là. Seul Laurent Bettoni le pouvait.
O.V.

Published on April 12, 2016 04:28
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