Olivier Vojetta's Blog: BUS RIDING BOOKS

December 11, 2021

LE NOIR DE L’ÉTÉ

◾️ Avec son roman intitulé “Tu”, l’écrivaine Ève Chambrot réussit une gageure : écrire une histoire de mâle dominant de manière forte et singulière, à la deuxième personne. Une belle rencontre, apprend-t-on en 4ème de couverture. Mais assez vite, “tu” te sens écrasée par le mépris de ce type qui te crie dessus ou t’humilie : il t’ordonne de faire l’ordonnance de tes défauts, c’est son jeu préféré ; encore plus que celui qui consiste à te dire tout ce qui cloche en toi. C’est une habitude dont tu auras de plus en plus de mal à te défaire. Face aux agressions qui te visent, tu courbes la nuque. Une partie du problème vient du fait que, étant une fille maladroite, timide, manquant de confiance en soi, tu te sens chanceuse. Ève Chambrot ne dresse pas pour autant la liste des chefs d’accusation : elle ne porte pas de badge #Metoo en boutonnière, son livre n’est pas un tribunal. Il ignore le pathos et il est parfois comique. L’autrice revisite avec un certain talent les violences que lui fait subir un compagnon au sourire éblouissant, le danger pouvant venir de n’importe quel mot, de n’importe quel silence. Elle décrit avec brio une relation d’abord idéale puis une histoire de sinueuse et progressive emprise, et d’entre-soi de la forfaiture.
Au final, “Tu” est une réussite grâce à sa forme et à son style, originaux et inventifs, apparemment spontanés alors qu’ils sont très travaillés. À travers la métaphore de la sangle qui se resserre autour d’elle, fil rouge du livre, Ève Chambrot défend une idée. La sangle est cette relation destructrice dont le texte est un certificat d’existence. Le minuscule, l’infime espoir des femmes sous emprise et de toutes celles qui ont peur.
O. V.
TU by Eve Chambrot
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Published on December 11, 2021 23:35

November 28, 2021

Mangez-le ! Mangez-le !

Avec *Ceci est ma chair*, Marc Villemain creuse, invente, joue, varie les voix et les registres, il va où il veut et passe d’une page follement drôle à un récit d’une rare cruauté, de considérations sociologiques à des références bibliques, du banal au vital. Il ose tout, fait preuve de la plus grande liberté et inventivité possible à chaque page. Petit dictionnaire goûteux et langoureux des expressions culinaires toutes faites mais pas que, son dernier roman joue dans la cour des grands, celle des Perec et des Pierre Louÿs, avec une langue vivante et foisonnante, soucieuse de pittoresque et d’humour épique. Ils ont en commun ce petit côté vicelard qui est aujourd’hui interdit, il n’y a qu’à penser à cette “gracieuse Lisbeth [qui] capitonnait son gracieux fessier en suçotant quelques pénis farcis”, une de ces trouvailles du langage qui n’aurait pas démérité dans La Femme et le Pantin, ce modèle du genre, véritable leçon en treize chapitres. Traqueur d’incongruités, fasciné par les carnations laiteuses, Marc Villemain est un génie du genre, un innovateur qui chaque fois surgit là où on ne l’attend pas. En le lisant, on s’abîme dans la littérature comme jeu et comme brûlure, dans l’amour toujours mêlé de la chair et des mots.
O.V. Ceci est ma Chair by Marc Villemain
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Published on November 28, 2021 13:51

September 20, 2021

La Maison, roman des fantasmes et des peurs

Il est tard. Très tard. Comme tous les soirs j’ai du mal à me coucher. Je crève de sommeil et pourtant il m’est impossible de franchir la distance qui me sépare du lit, ce garage de l’âme où l’on passe un tiers de sa vie, voire un peu plus dans le cas d’Emma Becker. Pour cause : elle a travaillé comme fille de joie dans deux maisons closes qui ont le bon goût de nous rappeller que le nom détermine parfois la destinée : Le Manège à bord duquel “Justine” a eu le mal de cœur pendant deux semaines, puis La Maison, sorte d’Eden salutaire de l’autre côté d’une frontière imaginaire, dans une ville qui il n’y a pas si longtemps était encore coupée en deux... On connaissait le Berlin ravagé par les bombes et le Berlin bobo, pas le Berlin des bordels; c’est maintenant chose réparée grâce à la plume acérée tout autant qu’acerbe d’EB, notre agente franco-allemande tantôt journaliste undercover, tantôt écrivaine des alcôves.


Mais cette Maison, elle est comment au juste ? Et bien elle est comme notre corps, trouée comme lui, sensorielle et sensible comme lui. Elle a une architecture complexe avec des secrets, des murailles, des sous-terrains, personne ne peut en dresser un plan exact. Mais on la voit se construire peu à peu, pièce après pièce, grâce aux talents d’alcôve d’EB. Et Dieu sait qu’ils sont grands ! Les critiques de son livre-témoignage ont crié à l’impudeur, à l’apologie de la prostitution; on pourrait l’imaginer nue et lassive, couverte de breloques, notre belle héroïne nommée Justine. Une Sarah La Louchette avec qui Baudelaire attraperait la chaude pisse ; la muse noire qui causerait sa fin en lui filant la syphilis. Il n’en n’est rien. La maison d’Emma Becker est une maison de prestige où le plaisir est un parti pris et le choix de jouir un droit incontournable. Entre ses murs, EB explore, traque, fouille sans jamais faiblir la chair et la sexualité comme bien d’autres l’ont fait avant elle, mais elle le fait en écrivant avec son corps. Enfin plutôt avec celui de Justine, laboratoire de féminité dans les vapeurs moites d’une représentation chaude des corps, de leurs ébats, de la joie qui s’y niche, et de la si grande confusion des rôles et des sexes de chacun des personnages qu’on peine à reconnaître qui est un garçon et qui est une fille, qui tient le manche et qui mène la danse. Cela n’est pas bien grave, il s’agit là d’un livre sur le plaisir, sur le désir, la prévalence du désir. Un petit guide de la résilience intime, une encyclopédie du désir débordant qui anime Emma Becker, surtout.


Parce que c’est bien d’elle dont il s’agit : la fausse Emma Becker, la vraie Justine pour les intimes, « EB » dans ces quelques lignes. La Maison est son corps. On découvre ses salles secrètes, on les imagine vidées de leurs lits, désertes, désertées, désolées. La frontière nette entre le dehors et le dedans est illusoire, surtout dans le monde d’EB. “Les secrets que je garde finissent toujours pas m’étouffer”. On s’en serait douter sans qu’elle l’écrive, non ? Il y a sans doute un tas de façons de lire ce récit, comme toujours bien sûr je pourrais me tromper, cela ne serait pas la première fois, mais moi c’est avant tout ce que j’y vois : la vérité nue portée par Justine, le désespoir facile d’Emma Becker en filigrane, leur fragilité complice inscrite tout entière dans chacune de ces pages, fragilité miraculeuse des châteaux de sable qui, démoulés, verticaux, ne manqueront pas de s’effondrer à marée haute. Telle une maison en bord de mer un jour de tsunami. Mais ces pages, friables en apparence, résistent à toute épreuve, Emma Becker ayant tout asséché (le désir, les corps et leur représentation) avant de les ranimer avec les mots. Des mots d’amour dans la noirceur desquels se distingue la forme d’une vulve solitaire un matin d’hiver. Sans doute pour figurer l’épanouissement d’une femme, sans qu’aucun homme ne s’invite dans le cadre.


Car les hommes sont, en creux, le sujet d’étude de ce récit sociologique que ni un Michel Houellebecq ni un Edouard Louis auraient pu écrire. “Quel que soit le monstre informe qui patientait dans la salle des présentations, mon sort serait doux”. Les hommes. Il en est beaucoup question dans le livre d’EB, sous un éclairage pas toujours flatteur, surtout si l’on a le malheur d’être né en terre gallique et d’avoir un rire de phoque. Emma Becker compare les beaufs français à une épidémie de gastro ; on sent chez elle un certain dégoût, un mépris – pour ne pas dire une horreur – à l’égard des hommes qui sont passés chez elle et en elle. Messieurs gardez cependant espoir et la tête haute, à défaut d’autre chose. “La nullité complète des hommes, parfois”. “Parfois” signifie que tout n’est pas perdu, l’homo erectus a une petite chance de se refaire aux yeux d’EB, même si au final on a un peu l’impression d’un désir de vengeance, d'une grande colère intérieure qui remonte à des années sans jamais avoir été résolue. “Le babil pathétique de Mark, qui ressemble un peu à Monsieur, mais n’a pas ce culot époustouflant de me faire croire à la naissance entre nous d’une romance interdite.” Il ne faut peut-être pas chercher plus loin. Ce fameux “Monsieur” qui était derrière son premier livre est-il derrière celui-ci aussi ? Elle n’en parle pas souvent, tout juste quelques références ici et là. Et pourtant Justine alias Emma Becker aurait tant de choses à dire; c’est peut-être ça au fond, son urgence de parler lorsque le silence suffit amplement.


En tout cas, l’énigme du rôle souterrain qu’a joué Monsieur dans ce récit est digne du Terrier de Kafka. J’ai tout au long de ma lecture ou presque pensé aux affres de ce lièvre tourmenté par la présence-absence d’un autre lièvre qu’il guette et attend, redoute et espère, et qui peut arriver d’un endroit ou d’un autre de son labyrinthe intérieur. “Les seuls instants de rapprochement sont ceux qu’il passe en moi”. Monsieur. “J’ai le souvenir de soirées bien pires à Paris, et pour pas un rond.” Monsieur aussi. “Pourtant quelque chose, à cet instant, nous a poussés à dire je t’aime, et par conséquent c’est vrai.” Encore lui. Plus on avance dans le livre, plus on le sent présent, avec sa grande ombre à la James Bond. Je pense presque malgré moi à la remarque susurrée par Eva Green, alias Vesper Lynd, à 007 dans Casino Royale. “Vous ne séduisez pas les femmes, vous les consommez.” Monsieur était-il comme ça ? Je ne le sais pas. Ce que je sais par contre, c’est qu’on ne se sent chez soi que par ces échos de l’inconscient que renvoient les choses dont nous nous entourons. Que c’est dans une intime altérité que se jouent les plus secrètes jouissances et le sentiment d’avoir une place dans le monde. Dans celui d’Emma Becker, cela passe par un lit, table de chirurgie des plaisirs tarifés. Sorte d’abri-bus du sexe tout en plexiglas et avec vue sur les clients qui montent et qui descendent, à cadence régulière, toutes les demi-heures ou toutes les heures, selon qu’il y ait ou pas des préliminaires, des athlètes ou des pannes. Un lit imposant, intransportable, c’est d’ailleurs avec lui que le livre commence. Un lit tel un lourd secret que l’on tenterait de déplacer depuis soi jusqu'aux autres pour cesser d’avoir peur. Avant de réaliser qu’il ne rentrera pas dans le camion de déménagement. Un lit quoi qu’il en soit beaucoup trop grand pour un gentil petit couple d’amoureux, plan-plan au possible. Un lit XXL au beau milieu d’un silence ignorant tout de la gêne, de la bienséance et du politiquement correct. Sans doute parce que l’amour justifie tout, et le manque d’amour la plus grande des vengeances. Monsieur, homme plus vieux. Cet amoureux égoïste pour qui les excentricités des jeunes filles de bonne famille qui ont envie de se faire peur sont inestimables. Monsieur, écrivain atrabilaire qui dans l’ombre nourrira peut-être toute l’œuvre d’Emma Becker. Cette oeuvre qui, peut-être, sera elle-même tout entière dédiée à repondre à la seule question qui vaille encore la peine d’être posée : Peut-on faire confiance à un homme amoureux ?

O. V.

La Maison by Emma Becker
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Published on September 20, 2021 04:02

June 26, 2021

L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi

Le démon de la colline aux loups by Dimitri Rouchon-Borie Le démon de la colline aux loups, un texte singulier, âpre, difficile à lire, avec des scènes insoutenables, tout en animalité, mais en même temps fort humaines. Écrit en un mois avant le début d’un procès pour inceste, ce livre traite de la peur et du danger, de violences et d’instinct de survie. C’est le point de vue de la victime qui nous est offert, Duke, cet être enfermé en prison, coupable d’arracher des oreilles avant de les recracher tel un noyau que l’on a depuis trop longtemps dans la bouche, d’arracher des yeux avant de les jeter en guise de croquettes aux chiens du coin, de fracasser la tête d’un blond comme l’a fait cet autre animal fou joué par Brad Pitt dans Fight Club. Mais quand on se comporte comme un animal, c’est que l’on veut encore survivre. Malgré les difficultés insurmontables, en dépit du mal que cela peut faire. Exister même si. Et puis si un jour l’animalité même s’en va, alors il ne reste parfois plus rien du tout. Ou en tout cas plus rien d’autre qu’une sourde et profonde solitude qui nous susurre à l’oreille la plus belle et la plus terrible chose à qui il soit encore donné d’exister : la vérité dite d’une vie.
O. V. Le démon de la colline aux loups
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Published on June 26, 2021 21:21

March 6, 2021

L’homme qui marche, roman des frontières (Yves Bichet, 2013)

Yves Bichet a écrit un roman où un homme ne fait que marcher, libre et joyeux. La marche est le ciment qui a rendu forte son âme. Pour lui, la marche est un socle, pas un sport, non; un terreau de méditation. Il marche sur des sentiers battus, ces chemins escarpés qu’il n’aurait peut-être jamais connus si la femme aimée ne l’avait pas quitté, si son créateur ne s’était pas lui-même baladé entre la Provence et le Dauphiné, le long de la frontière, tout là-haut sur la crête, comme me l’a confié Yves Bichet lors de notre rencontre fin février.

Il nous emmène longer les frontières de jour comme de nuit, et puis un matin il les ouvre, les frontières; pour nous, il va au-delà de tout. Pris un peu malgré lui dans le carnaval de la vie, il se met à transcender les frontières pour sa survie et la vague idée qu’il se fait du bonheur. Commence alors une virée en plein rêve, entre les nuages et sur les crêtes. Parce que l’homme qui marche adore l’altitude même s’il souffre un peu du vertige; parce qu’il ne sait rien faire d’autre que ça : marcher. Nulle part où jeter l’ancre, nulle part où s’amarrer si ce n’est après les franges de nuages qui disparaissent en un instant.

L’homme qui marche a beau essayé d’imaginer la suite - une vie sans frontière -, sa terrible sciatique l’en empêche. Il a le dos en charpie et jamais plus il ne marchera droit sur le bout de frontière qui l’a vu naître; ou plutôt qui l’a vu renaître. Il est juste ce marcheur négligent qui file à l’anglaise vers la plus belle frontière du monde, celle de la liberté. Cette frontière qu’il nous faut tous traverser un jour pour savoir qui l’on est, avec un goût d’ortie dans la bouche à force d’avoir faim de vie et soif d’amour.

L’homme qui marche. Un livre singulier qui en dit long sur les désirs partagés d’un randonneur et de son ombre, tous deux perdus sur un bien trop beau sentier de montagne. Des pages qui nous emmènent dans les brumes frontalières du réel et de l’inconscient, de la nature et de la violence à travers les âges.

O. V.
Sydney, 7 mars 2021.

L'homme qui marche by Yves Bichet
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Published on March 06, 2021 16:51

March 4, 2021

Solène, roman de François Dominique

Inoubliable Solène. Livre poétique, doux, tout en élégance et délicatesse, mais qui en même temps fait peur.
Un livre cinématographique, futuriste, donc très actuel. Une histoire de confinement, de couvre-feu pour se protéger des ombres létales du soleil. Une brève histoire de la résilience face à la nature qui se retourne contre nous après que l’on se soit moqué d’elle un peu trop longtemps, même si cela n’est pas dit ni même suggéré, la discrétion de l’auteur ne l’aurait sans doute pas permis.
“Qu’allons-nous devenir?” est la grande question que ce livre nous pose à la page 92. Les 30 pages qui suivront seront de toute beauté, parmi les choses les plus belles que j’ai lues.
Solène, le récit des dernières heures, de la dernière lutte, des derniers espoirs, à travers les yeux de Solène, une petite fille très spéciale au sein d’une fratrie on ne peut plus normale. À moins que...
Un livre sensible, donnant la délicieuse impression de se couler dedans, comme on entre dans la mer le premier jour des vacances en été.
Un livre qui nous donne aussi à voir le rapport viscéral de l’auteur aux choses de la nature - arbres, oiseaux, animaux (ragondins etc.), champignons (glèbas, etc.) plantes et surtout fleurs. Ce qui n’est pas sans rappeler André Gide qui, quand il soignait les fleurs, pensait encore aux hommes et à la culture des âmes.
La nature et la poésie seraient-elles à elles deux le moteur existentiel de François Dominique, ou tout du moins ce qui l’anime en son fort intérieur pour l’amener à accoucher de livres aussi beaux que celui-là? Car il est beau, vous pouvez me croire sur ce point... le livre a même reçu le Prix Wepler à sa sortie il y a une dizaine d’années.
François Dominique a créé un monde d’ailleurs et nous a placé en son centre.
Cela n'arrive pas si souvent, au nom de tous je vous dis merci Solene by François Dominique , cher François Dominique.
OV
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Published on March 04, 2021 01:50

September 1, 2020

NOS CHEVEUX BLANCHIRONT AVEC NOS YEUX

Thomas Vinau mille bravo
Quel livre vous nous avez fait là
Par fragment, tout en intermittence

Comme les jours qui se défilent
Comme les heures qui piétinent
Comme le temps qui dégouline
(désolé, pas aussi doué que vous pour la poésie...)

C’est un roman d’apprentissage, le tracé de ce chemin étrange qui devait un jour vous conduire à l’envie d’écrire. Un texte pour parvenir à justifier, au moins pour soi, une envie quasi pour tous injustifiable.

Peut-être que je me trompe,
Vous me le direz la prochaine fois.

Merci.
OPY Vojetta Nos cheveux blanchiront avec nos yeux by Thomas Vinau
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Published on September 01, 2020 23:16

May 13, 2019

Petite critique de Paris est un rêve érotique (2014), de Thibault Malfoy

L'auteur nous avait pourtant bien prévenu dans une interview de lancement : "Tout est dans le titre." Il avait raison: Paris - ses rues, ses quartiers, ses vêtements. Rêve - il en est souvent question (trop souvent peut-être). Érotisme - dans la vie réelle ou imaginée, c'est difficile à dire quelques fois. À bien y réfléchir - et par simple économie de mots, j'aurais bien vu le livre s'appeler "Paris rêve érotique". Un peu plus percutant, peut-être.

L'auteur nous avait prévenu mais je tenais à lire ce livre en connaissance de cause parce qu'à cette époque, je passais des soirées entières avec Thibault Malfoy, des nuits quelques fois. Des heures et des heures à visionner ses vidéos de tutoriel littéraire sur sa chaîne YouTube. Formidable "Paris Écrire" ! Sa formation en ligne est riche en exemples, en conseils avisés, on comprend combien l'auteur est cultivé, est équipé d'une grande sensibilité. Alors pourquoi? Pourquoi? Pourquoi n'a-t-il pas suivi les conseils d'écriture qu'il a prodigués à des centaines, des milliers d'aspirants écrivains? Bien sûr je suis d'accord, il faut laisser travailler le lecteur, ne pas tout lui offrir sur un plateau - car comme toujours, un roman est autant écrit par l'écrivain que par le lecteur, c'est toujours le produit d'un duo ténu qui donne les meilleurs histoires - mais là, avec ce livre, je me suis souvent retrouvé perdu, incapable de savoir véritablement de quoi il s'agissait, ce que j'étais censé trouver au milieu de cette forêt de mots (quelques pages comme ça ne m'auraient pas posé de problème, mais 200 pages... c'est éprouvant). Alors bien sûr, le livre est bien écrit et poétique - avec beaucoup d'images et de métaphores (peut-être un peu trop), et quelques préciosités évitables - mais où est l'action, la trame romanesque ? Pourquoi les personnages ont-ils des trajectoires si rectilignes, que rien ou presque ne semble pouvoir influencer? J'espère avoir l'occasion d'en discuter de vive voix avec l'auteur. Peut-être par l'entremise de son frère Arnaud, qui par le plus grand hasard a fait la même école de commerce que moi, et que je connais depuis mes années à Londres.
Si Paris est un rêve érotique, le Monde n'en est pas un : il est de plus en plus réel, lui, et de plus en plus petit.
O.V.

Paris Est Un Reve Erotique Premier Roman by Thibault Malfoy
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Published on May 13, 2019 03:28

May 10, 2019

Petite critique littéraire inopinée de BettieBook (2018), de Frédéric Ciriez.

BettieBook by Frédéric Ciriez À Stéphane Sorge, alias “SS”, alias “Super Style”, critique littéraire éminent et anti-héros de romans noirs à ses heures perdues.

Stéphane Sorge, “c’est lui qui a dit à un écrivain diplômé d’HEC [...]: Allez vendre vos livres au lieu de les écrire.” Dès la troisième page, le ton est donné. Moi-même issu de la filière Prépa HEC et apprenti écrivain, j’aurais pu me vexer et refermer le livre tout de go. Mais non, pour avoir pratiqué Frédéric Ciriez lors d’un atelier d’écriture l’été dernier à Paris, je ne m’attendais à rien d’autre. Ton acerbe, piques assassines, intelligence au service d’une littérature contemporaine novatrice, drôle, avec des phrases qui restent en bouche un long moment. “Tu me manques. Il nous faut du temps. Comme avant. Pour toi, je suis prêt à moins lire.” Et des fragments lancinants qui par leur répétition nous montrent le chemin à suivre : se presser de mot en mot, se ruer vers la prochaine phrase, tourner les pages à la hâte. Tantôt Stéphane Sorge vapote, tantôt il lit la revue Détective ou bien alors “étrangle doucement”. Tantôt SS, tantôt Super Style...

Mais les phrases, le langage, la langue, ce n’est pas tout. Ce qui caractérise ce roman de Frédéric Ciriez - comme tous les autres, d’ailleurs - c’est d’abord sa forme hybride, sorte de structure caméléon alternant critiques littéraires, procès verbaux de police, interviews et autres e-mails. Même en lecture aveugle, il suffirait de parcourir quelques pages d’un de ses livres pour savoir que c’est lui qui l’a écrit. N’est-ce pas là la véritable marque du talent ?
O.V.

P.-S. Cette critique s’arrêterait ici si je ne connaissais pas l’auteur. S’il la lit, je sais qu’il appréciera à sa juste valeur cette saillie faisant office de conclusion...

Au final, ma seule véritable question m’est venue à la page 123, au cœur de la pièce de la résistance, véritable colonne verticale du récit, une scène de séduction perverse, d’amour un peu gauche, et de sexe façon SM. “Il tressaille, les naseaux dilatés et la bouche ouverte, à la recherche d’air sous le masque qu’il ne supporte plus alors que ses testicules tapent en cadence les fesses de la Souris.” Après une succession de cinq ou six positions pleines de souplesse, de longues sessions de coït intense et ininterrompu, ma question a giclé d’un coup sur les parois de mon cerveau : Comment un Chat vieillissant comme Stéphane Sorge, un peu fatigué de la vie et de lui-même - à l’image des anciens médias qu’il symbolise face au robot digital doté du don d’ubiquité - peut-il se retenir aussi longtemps face à une vigoureuse Souris tout juste installée dans la vingtaine ? BettieBook
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Published on May 10, 2019 22:06 Tags: ciriez

November 21, 2016

Inadmissible. C'est inadmissible...

—BUS RIDING BOOKS—
Plus de six mois depuis ma dernière « petite critique littéraire », c’est Microfictions by Régis Jauffret inadmissible ! Je me suis laissé emporter par la vague des mots, et des histoires qu’ils portent. Et quelle vague ce fut ! Une de celles qui vous remue dans tous les sens, façon machine à laver. Une de celles qui vous remue dans tous les sens, façon machine à laver. Une véritable déferlante où se sont enchainés pas moins de neuf livres, tous très différents, tous meilleurs que les autres. En voici une vue d’ensemble, dans l'ordre de lecture, à vous de pêcher ce qui vous intéresse :

1- ‘Le quatrième mur’ (2013) de Sorj Chalandon. Prix Goncourt des lycéens et je comprends pourquoi. Le 4ème mur, ce mur imaginaire que les acteurs de théâtre s’inventent pour se protéger des spectateurs. Je ne vous en dis pas plus...

2- ‘Microfictions’ (2007) de Regis Jauffret. J’ai choisi de lire ce livre parce que son auteur me fascine un peu malgré moi. Il a pas mal écrit sur des faits divers très médiatisés (affaire DSK, mort d’Edouard Stern, ...) ce qui lui a valu pas mal de procès, mais le plus fascinant chez lui, c’est sa grande faculté de confusion entre fiction et réalité dans la vie de tous les jours, y compris sur les plateaux de télévision. Pour un petit aperçu, allez simplement voir ses interviews sur YouTube, notamment celle au sujet de son livre ‘La ballade de Rikers Island’, tiré de l’histoire de DSK au Sofitel à New York.

3- ‘En finir avec Eddy Bellegueule’ (2014) d’Edouard Louis. Premier roman réussi, tiré de l’histoire personnelle de l’auteur. Ça pourrait se résumer ainsi : enfance et adolescence d’un homosexuel lettré doté d’une jolie trogne dans un village de Picardie. Un livre dérangeant qui dit les choses telles qu’elles sont. Sur une échelle de 1 à 5, je mets 10 à ce livre.

4- 'Histoire de la violence’ (2016) d’Edouard Louis (encore lui). Le deuxième roman de cet auteur prometteur. Je l’ai lu dans la foulée de son premier livre. Encore tiré d’une histoire personnelle : le viol que l’auteur a subi. Ames sensibles s’abstenir.

5- 'Dans le café de la jeunesse perdue’ (2007) de Patrick Modiano. Dans un tout autre registre qu’Edouard Louis, Modiano, c’est pas mal non plus. Mais un peu trop mielleux et mélo à mon gout. (A moins que ce ne soit le contre coup de mes deux précédentes lectures, de leur crudité, de leur violence).

6- 'Check-point’ (2015) de Jean-Christophe Rufin. Un livre poignant sur la terrible guerre qui a endeuillé les Balkans dans les années 90. Bien écrit, mais pour moi, il a manqué l’étincelle qui aurait mis mes sens en émoi, mes émotions à fleur de peau. Je n’ai pas ressenti assez de choses en lisant...

7- ‘La vie devant de soi’ (1975) de Romain Gary. Ce livre mythique publié sous le nom d’Emile Ajar, je ne l’aurais donc lu qu’à l’âge de 40 ans. Et tant mieux pour moi, parce qu’avec ce livre, avec la voix de cet enfant qui nous raconte son enfance à Belleville, j’ai vraiment cru que j’avais (encore) la vie devant moi durant toute ma lecture.

8- ‘Les gens heureux lisent et boivent du café’ (2013) d’Agnès Martin-Lugand. Un livre qui a commencé en tant qu’ebook gratuit sur Internet, avant de se faire repérer par une des majors de l’édition. Rien que pour ça, ça vaut le coup de le lire. Auteurs amateurs en quête d’un premier best-seller, tout est possible !

9- ‘Réparer les vivants’ (2014) de Maylis de Kerangal. J’ai lu ce livre en apnée. Cette histoire d’un surfeur qui meurt, de son accident de voiture, de son cœur qui va sauver une autre vie que la sienne. Après la lecture, on a envie d’obtenir sa carte de donneur d’organes. A noter, cette précision tirée du site officiel de l'administration publique : "Toute personne qui n'a pas fait connaître de son vivant son refus est supposée consentir au prélèvement de ses organes après sa mort. Toutefois, pour faciliter la décision de ses proches susceptibles d'être confrontés à cette éventualité, il est possible de faire connaître de son vivant sa position grâce à la carte de donneur d'organes."

O.V.
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Published on November 21, 2016 02:46

BUS RIDING BOOKS

Olivier Vojetta
Everyday I take the bus.
Everyday I read books.
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