L.M. Rapp's Blog, page 5
August 30, 2022
Free Kindle

To celebrate its publication, the Kindle of “A Dreadful Beauty” will be free from Tuesday, August 30th, until Friday, September 2nd.
I wanted you, my loyal readers, to be the first to know.
To get your book, click here: https://www.amazon.com/dp/B0B9QRSTQ8
Please, share this information with your family and friends.
Thanks to all,
L.M. Rapp
August 18, 2022
On the road

The air rushes in through the wide-open windows. It tousles his hair, blasts his eardrums, dries out rivulets of sweat, and batters the seats, the headrests, and the dashboard. The sun visor twitches with its assaults. Serge, his hands clutching the steering wheel, concentrates on the faded lines that mark the way back. If he closes his eyes, he will never reach his goal. He knows he should stop to sleep, if only for a few minutes, but he’s nearly there, just fifteen minutes, and in this heatwave, sleeping on the side of the road... The radio is spewing out a song with appalling lyrics. We don’t care if you drink coffee in the morning, nobody cares about your life, you loser! With an enraged index finger, he scours for another station, chooses to listen to the news, and turns up the volume so that the reader’s voice overwhelms the hysterical lacerations of the wind. A war in some faraway land... Ridiculous... Whyever do people fight? How can they have the strength? He wants to sleep, just a little.
He slows down in front of the red light. The second-to-last one... When he stops, the heat becomes unbearable. The air thickens, the synthetic leather burns his skin, his teeth melt. How did people cope before air conditioning was invented? In those hottest hours, they shut themselves away in their homes. He lets himself close his eyes. Just for a moment... The sound of a horn wakes him up with a start. The light has gone green. Serge presses down on the gas pedal and crosses the intersection at the amber light.
The familiar landscape passes by, soporific. Out of luck, the congestion intensifies and a traffic jam forms before the final red light. The urge to sleep transforms into a dull pain, a numbness of the limbs, a liquefying of the will. Yet he struggles on, pinches himself, screams at the very top of his lungs, puts on a music station, and yells along with the insipid melody. Sweat stings his eyes, soaks his shirt, and invades his nostrils with its pungent and persistent odor. He runs his tongue over his cracked lips. When he gets back home, before peeling off his filthy clothes and getting into the shower, he’ll pour himself a tall glass of ice-cold water. He always had a bottle in the refrigerator.
He finally crossed the damn intersection. One more tiny effort... He wasn’t working the next day... If he woke up in the middle of the night, he could doze throughout the day. All those hours wasted dwelling on the complaints from his boss... Anyone can make a mistake! Even that self-important jerk. Hypocrite! Pre-termination hearing... Just a formality to get rid of him. They coaxed you with an improbable hope, but everything was written out in advance. He’d be out of a job in a week or two.
Shit! He missed the exit! The way to his village taunts him on the other side of the road. He swings to the left impulsively. A guy slams on his brakes and is rear-ended. Serge hits the safety barrier and comes to a stop. A truck’s coming down at full speed on his right. It honks its horn incessantly, the long scream of a beached whale. Do beached whales scream? Serge presses down on the gas pedal, the car smashes through the barrier and jumps out. The truck turns, narrowly avoids him, crosses into the opposite lanes, and collides with the stopped vehicles.
Serge drives over to the way into the village, turns down Well Lane, so quiet, in the shade of old oaks, parks, shuts off the engine, gets out of the car without even a glance at the smashed hood, enters the house, rushes into the kitchen, pours himself a glass of water and gulps it down.
Translated by ,Luke Owain Bolt
As we endure our relentless summer’s usual sticky heat, a wave of unprecedented traffic jams is hitting the country. Did the number of vehicles grow secretly during the Corona crisis, only to reveal itself now that the threat of the virus is over? In any case, even though I avoid driving as much as possible, I found myself several times the helpless hostage of these overwhelming circumstances. Fortunately, the air conditioning was working.
Of course, Serge, the protagonist of this story, should not have reacted the way he did. But maybe you can understand him a little bit. Have you ever felt that, with your patience exhausted, you might, at the slightest provocation, go into a devastating rage or commit acts that you would later regret?
Thanks to you, who follow this blog. Thank you for taking the time to read my texts. And, despite the troubles inherent to our poor human lives, I wish you to stay as calm as possible.
See you soon,
L.M. Rapp
Sur la route

L’air s’engouffre par les fenêtres grandes ouvertes. Il décoiffe, assèche les rigoles de transpiration, oblitère les tympans, s’acharne sur les sièges, les appuie-tête et le tableau de bord. Le pare-soleil tressaille sous ses assauts. Serge, les mains crispées sur le volant, se concentre sur les lignes défraîchies qui tracent la voie du retour. S’il ferme les yeux, il n’atteindra jamais son but. Il sait qu’il devrait s’arrêter pour dormir, ne serait-ce que quelques minutes, mais il est presque arrivé, un quart d’heure à peine, et, avec cette canicule, dormir au bord de la route… La radio dégurgite une chanson aux paroles horripilantes. On s’en moque que tu boives du café le matin, ta vie n’intéresse personne, pauvre type ! D’un index rageur, il cherche une autre station, choisit d’écouter les informations et augmente le volume pour que la voix du commentateur surmonte les déchirures hystériques du vent. Une guerre dans un pays lointain… Ridicule… Pourquoi les gens se battent-ils ? Comment en ont-ils la force ? Il voudrait juste dormir un peu.
Il ralentit devant le feu rouge. L’avant-dernier… À l’arrêt, la chaleur devient intenable. L’air se solidifie, le faux cuir brûle la peau, les dents fondent. Comment se débrouillaient les gens avant l’invention de la climatisation ? Aux heures les plus chaudes, ils se terraient dans leurs maisons. Il se laisse aller à fermer les yeux. Juste un instant… Des bruits de klaxon le réveillent en sursaut. Le feu est passé au vert. Serge appuie sur l’accélérateur et traverse le carrefour à l’orange.
Le paysage familier défile, soporifique. Manque de chance, la circulation s’intensifie et un embouteillage se forme devant le dernier feu rouge. L’envie de dormir devient une douleur sourde, un engourdissement des membres, une liquéfaction de la volonté. Il lutte pourtant, se pince, crie à tue-tête, met une station musicale et hurle de concert avec la mélodie insipide. La sueur pique ses yeux, imbibe sa chemise et envahit ses narines de son odeur âcre et persistante. Il passe sa langue sur ses lèvres craquelées. Lorsqu’il arrivera chez lui, avant de retirer ses habits répugnants et de prendre une douche, il se versera un grand verre d’eau glacée. Il gardait toujours une bouteille dans le réfrigérateur.
Il franchit enfin ce foutu croisement. Encore un petit effort… Il ne travaillait pas le lendemain… S’il se réveillait au milieu de la nuit, il pourrait sommeiller dans la journée. Toutes ces heures perdues à ressasser les reproches que son patron… Tout le monde peut se tromper ! Même cet abruti gonflé de sa propre importance. Hypocrite ! Audience avant licenciement… Juste une formalité pour se débarrasser de lui. On vous amadouait avec un improbable espoir, mais tout était écrit d’avance. Dans une semaine ou deux, il serait au chômage.
Merde ! Il a raté la sortie ! De l’autre côté de la route, l’entrée de son village le nargue. Sur une impulsion, il donne un coup de volant à gauche. Un type freine à mort et se fait emboutir à l’arrière. Serge percute la barrière de sécurité et s’immobilise. Sur sa droite, un camion arrive à toute vitesse. Il klaxonne sans arrêt, un long cri de baleine échouée. Les baleines échouées criaient-elles ? Serge appuie sur l’accélérateur, la voiture pulvérise la barrière et bondit. Le camion vire, l’évite de justesse, traverse les voies en sens inverse et télescope les véhicules à l’arrêt.
Serge file vers l’entrée du village, s’engage dans la rue du Puit, si calme, ombragée de vieux chênes, se gare, éteint le moteur, sort de la voiture sans un regard pour le capot défoncé, pénètre dans la maison, se précipite dans la cuisine et se verse un verre d’eau qu’il avale à grands traits.
Alors que nous subissons la canicule habituelle de nos étés implacables, une vague d’embouteillages sans précédent vient frapper le pays. Le nombre de véhicules a-t-il grandi en cachette durant la crise du Corona, pour se dévoiler d’un coup maintenant que la menace du virus est passée ? En tout cas, même si j’évite au maximum de prendre la route, je me suis plusieurs fois retrouvé l’otage impuissant de ces circonstances accablantes. Heureusement, la climatisation fonctionnait.
Bien sûr, Serge, le protagoniste de cette histoire, n’aurait pas dû agir comme il l’a fait. Mais vous pouvez peut-être le comprendre. Avez-vous déjà éprouvé le sentiment que, votre patience épuisée, vous pourriez, à la moindre provocation, piquer une crise de rage dévastatrice ou commettre des actes que vous regretteriez par la suite ?
Merci à vous, qui suivez ce blog. Merci de prendre le temps de lire mes textes. Et, malgré les ennuis inhérents à nos pauvres vies d’humains, je vous souhaite de rester aussi calme que possible.
À bientôt,
L.M. Rapp
PS : Suivez ,ce lien pour découvrir d’autres nouvelles.
NFT, le cadeau du futur !

La société de marketing avec laquelle je travaille m’a demandé si j’accepterais de donner des prix pour récompenser les concours que des influenceurs organiseraient.
Bien sûr ! Si cela peut aider à faire connaître ,mon livre… Comme exemple de cadeau, on m’a proposé : un exemplaire signé, un autocollant et une barre chocolatée. Nous avons essayé de trouver une idée plus moderne que l’autocollant. C’est mon mari qui a pensé aux NFTs. Pour des explications plus précises sur le NFT, « non-fungible token » en anglais et « un jeton non fongible » en français, cliquez sur ce, lien. Il suffit de savoir que le NFT permet de rendre un fichier numérique unique et, donc, pour un artiste, de le vendre comme s’il s’agissait d’une œuvre physique. C’est nouveau et bien plus attrayant qu’une décalcomanie. Du moins, je le pense. La société de marketing n’a pas encore donné son avis.
Ce cadeau présente un avantage supplémentaire : il ne nécessite pas de colis postaux. Surtout si j’abandonne l’idée de la dédicace et que j’expédie le livre par Amazon. La perspective de préparer une cinquantaine de colis m’avait un peu ébranlé. Ça fait vraiment trop vingtième siècle, n’est-ce pas ?
Ne croyez pas que je rechigne devant l’effort. Comprendre comment créer un NFT et comment l’envoyer a demandé de nombreuses heures de travail. Certes, un processus plus amusant que d’écrire des adresses sur des boîtes en carton…
J’attends de voir comment les influenceurs vont procéder et, qui sait, j’organiserai peut-être aussi un concours.
Qui veut gagner un livre et un ,NFT ?
À bientôt,
L.M. Rapp
August 8, 2022
Strawberry fields

For my first book, “,Dreadful Beauty “, I could not resign myself to entrusting the cover design to another person. After all, I can draw. I found, somewhat by chance, an interesting course on the site Domestica: "Illustration of a book cover: unraveling the essence of a story" by Silja Goetz.
I set to work with enthusiasm and quickly realized the extent of my ignorance. Because artist-painter, illustrator, and graphic designer are not the same job. I lacked the basics of certain drawing programs to get through the project, and I had no experience with typeface, which this course did not cover. For those who are wondering (I have already been asked this question): no, it is not enough to choose a font of a Fantasy genre and apply it to the illustration.

So I signed up for: “The Art of the Record Cover: Illustration Meets Lettering” by Steve Simpson. This artist offers an exercise that integrates drawn letters with an illustration. Participants must choose a title from a list of songs from the sixties, and then create a record cover with psychedelic style, characteristic of that era.

I decided on "Strawberry Fields Forever" because I have loved the Beatles since I listened to music, but until then, I did not know the memories that had inspired this song for John Lennon. As a child, he lived near a Salvation Army boarding school called “Strawberry Fields” and loved going to the wooded garden behind the building to play with friends. I liked this memory of a lost garden. I carefully observed the photographs of the boarding school, of its red gate in front of a tree-lined path.
This illustration, which required many hours of work and is not yet finished, taught me a lot and helped me to understand that my stubbornness about making the cover was going to delay the publication of my book by several months. Several months of hard work and uncertainty. Not to mention the kidney pain due to prolonged sitting, eyes glued to a screen, and hand clutching a pen.
See you soon,
L.M.Rapp
August 7, 2022
NFT, the gift of the future!

The marketing company asked me if I would agree to give prizes for influencers to reward contests. Sure ! If it can help publicize ,my book…
Here is the kind of gift they gave me as an example: a signed copy, a sticker and a chocolate bar. We tried to come up with a more modern idea than the sticker. My husband came up wiht the NFT idea. For more precise explanations on NFT, non-fungible token, click on this ,link. You just need to know that the NFT makes it possible to make a unique digital file and, then, for an artist, to sell it as if it were a physical work. It's new and much more attractive than a sticker. At least, I think so. The marketing company has yet to comment.
This gift presents an additional advantage: it does not require postal parcels. Especially if I drop the idea of the dedication and ship the book through Amazon. The prospect of preparing fifty parcels sort of rebuked me. It's really too twentieth century, isn't it?
Don't think I balk at the effort. Understanding how to create an NFT and how to send it took many hours of work. For sure, it was a more fun process than writing addresses on cardboard boxes…
I'm waiting to see how the influencers will proceed and, who knows, maybe I'll also organize a contest.
Who wants to win a book and an ,NFT?
See you soon,
L.M. Rapp
July 25, 2022
Vol à l’arraché

Marc se chargeait lui-même du choix des victimes. Il les préférait insouciantes et gaies — des femmes ou des hommes fragiles qui jacassaient dans leur téléphone sans se préoccuper du monde extérieur. Ludo et Assa, sans grâce, mais avec une efficacité acquise par la pratique assidue de la boxe thaïlandaise, s’occupaient de l’interception. Arrivait ensuite l’étape tant attendue : l’acte médical.
De nombreux écueils avaient jalonné son apprentissage et Marc pouvait maintenant avouer qu’il avait plusieurs fois éprouvé l’envie d’abandonner cette entreprise. Mais la persévérance avait payé. Il avait compris assez vite que l’extraction s’avérait plus rapide que le décollage. Et puis, les nouvelles technologies l’avaient aidé. La dernière génération de téléphones dentaires, encore plus miniaturisés que les précédents, se posait désormais sur les prémolaires, plus faciles à arracher que les molaires massives et récalcitrantes. Avec l’épuisement des mines de métaux rares et les retombées de la dernière guerre mondiale, ces gadgets si prisés étaient devenus hors de prix. Alors, pourquoi ne pas en profiter ?
Souvent, lorsque, l’élévateur radiculaire à la main, il s’apprêtait à inciser la gencive rose avant de glisser le long de la racine enfouie, il se disait qu’il méritait mieux. Avec une situation familiale favorable, il n’aurait pas quitté l’école si tôt et aurait obtenu son bac. Et ensuite… qui sait ? Il aurait pu devenir chirurgien. Au vu de son habileté et de son sang-froid, il trouvait cette idée plausible.
La prémolaire extirpée, il la passait aux autres et prenait le volant. Il leur avait montré comment désactiver la géolocalisation et leur avait enseigné l’art de décoller les implants sans les endommager. Les deux brutes s’en tiraient plutôt bien. La plus grande difficulté, en fait, résidait dans le largage du corps toujours inconscient. Il fallait éviter que d’éventuels témoins ne reconnaissent la camionnette, ce qui l’obligeait à parcourir de nombreux kilomètres pour trouver l’endroit idéal.
Vous venez de lire une micro fiction improvisée dans le cadre du club Contreforme et sans doute inspirée de mon premier métier, la chirurgie dentaire. Si vous voulez savoir ce qui fonctionne ou pas dans la narration du dernier film de David Cronenberg « Les crimes du futur », je vous invite à lire ce post .
Et pour parcourir les nouvelles déjà publiées, rendez vous ici.
À bientôt,
L.M. Rapp
À quand la publication de mon nouveau livre ?

La correctrice vient de finir de réviser le manuscrit et il ne manque plus, pour publier ce livre, que la couverture qui, comme d’habitude, me freine dans mon élan. Cette fois, j’ai confié la mission de trouver un artiste et un graphiste à Noa, ma fille aînée, qui, à ma grande joie, semble s’enthousiasmer pour cette mission.
Entre les balbutiements de mon troisième roman, la campagne de marketing pour la version anglaise d’« ,Une effroyable beauté », une journée studio portes ouvertes prévue pour septembre et ce blog, dans lequel je publie, en français et en anglais, au rythme d’un billet tous les quinze jours, pas question de passer des heures, penchée sur ma tablette, à me demander si le dessin est réussi, s’il transmet le message que j’avais en tête, si la police de caractère convient au style, etc. Cette fois, nous allons travailler avec des professionnels. J’espère que tout ira bien.
Comme « De chair et de larmes » touche, entre autres, au thème de la souffrance animale, j’envisage de préparer une compilation de recettes végétaliennes. L’art ne nourrissant ni son homme ni sa femme, il faut bien cuisiner de temps à autre… Un tel recueil gratuit vous intéresserait-il ? Si oui, n’hésitez pas à m’écrire, cela m’encouragera à concrétiser ce projet.
Si vous travaillez, vous aussi, à un projet qui vous tient à cœur, parlez-en ! Postez un commentaire sur le site ou envoyez-moi un mail.
À bientôt,
L.M. Rapp
June 19, 2022
« Effritement » 3

Pour lire le début de cette nouvelle, appuyez ,ici
Où étaient passés les autres habitants ? Envoûtés par une fausse sensation de sécurité, la force de l’habitude ou par une inertie débilitante, se terraient-ils tous dans leurs appartements ? Où bien avaient-ils fui comme des bêtes s’échappant d’une forêt embrasée ? Elle ne resterait pas dans cet immeuble qui prenait déjà des allures de caveau. Elle encouragea sa fille à continuer jusqu’au prochain palier. Lorsqu’elles atteignirent le couloir, Libby s’écroula sur le sol et repoussa sa mère.
« Laisse… moi… tranquille ! »
Adèle s’avança vers la fenêtre qui luisait comme une écaille de poisson. Un éclair illumina l’embouteillage et les rares personnes qui couraient sous une pluie battante. La nuit ne tarderait pas à tomber. Le tonnerre, voix divine et colérique, la fit tressaillir. Dans ce pays désertique, la pluie apparaissait en trombe comme d’une déchirure et s’arrêtait d’un coup une fois la plaie refermée. D’après la météo, ce dernier soubresaut d’une série de précipitations violentes, s’achèverait bientôt. Avait-elle emporté des piles ? Elles pouvaient encore renoncer et retrouver la sécurité relative de l’appartement glacial et inondé. Non, elle ne supporterait pas cette passivité indécise ! Une porte s’ouvrit et un homme apparut :
« Tout va bien ? J’ai entendu des pleurs.
— Oui, oui… Ne vous inquiétez pas. Nous habitons au quinzième et avions juste besoin d’une pause.
— Je veux retourner à la maison, s’exclama Libby. Papa va rentrer et il ne nous trouvera pas.
— Ma chérie… Je comprends ton inquiétude, mais on ne sait pas s’il va nous rejoindre ici. Il aura peut-être la même idée que nous et partira aussi chez tes grands-parents.
— Nous avons décidé, dit l’homme, d’attendre jusqu’à demain. »
Il parlait d’un ton calme, mais la lumière qui se réfléchissait sur le verre de ses lunettes lui donnait l’expression d’une personne hagarde aux grands yeux écarquillés. Elle entendait les pleurs d’un nourrisson, des voix enfantines et, par intermittence, un contralto rassurant. Une injonction, « N’éclabousse donc pas ! Tu viens de te changer », des pas précipités… Une fillette apparut. Elle s’accrocha à la jambe de son père et les regarda d’un air inquisiteur. Si mince que sa longue crinière de cheveux bouclés paraissait disproportionnée pour son corps élancé. Le père posa la main sur l’épaule de sa fille et Adèle se força à sourire :
« Bonjour ! »
L’enfant ne répondit pas et continua de la jauger avec un sérieux déplacé chez une personne vêtue d’un pyjama orange. Des bottes en plastique rose pour elle et des chaussures montantes de randonnées pour lui. Lesquelles allaient tenir le plus longtemps ? Pourquoi ne s’étaient-elles pas désagrégées alors que les tuyaux s’étaient déjà effrités ? Une fibre naturelle entrelacée dans le plastique qui ralentissait sans doute le processus de destruction…
« Bon… Je ne veux pas vous déranger…
— Où allez-vous ?
— Chez mes parents, à Batzra… Je ne suis pas sûre de ma décision, mais personne n’en sait plus que moi, alors… »
Il hésita, regarda sa fille et la serra contre lui.
« Nos voisins d’en face sont partis aussi. Un jeune couple… Vers le nord, comme vous… Dans ces circonstances, quitter la ville semble raisonnable. Demain, nous nous rendrons chez mes beaux-parents. Ils habitent à Ein Karem.
— Un endroit magnifique ! Je l’ai visité plusieurs fois et j’ai adoré les ruelles si pittoresques…
— Ils possèdent une villa entourée d’un petit jardin. Pour les enfants, un morceau de terre paraît préférable à un appartement inondé…
— L’eau va cesser de couler, j’en suis persuadée, mais l’électricité ne reviendra pas de si tôt… »
Un bruit de serrure, une porte qui s’ouvre et une femme qui demande :
« Que se passe-t-il ? Il y a du nouveau ?
— Non, cette voisine… du quinzième, est en route pour Batzra avec sa fille. Elles se sont arrêtées un instant.
— Vous voulez partir maintenant ? Avec cette pluie ? Dans l’obscurité ? Nous, nous avons décidé d’attendre demain. Que se passe-t-il ? Tu te sens mal ? Entrez donc ! Cela vous changera les idées. Je vous aurais bien proposé un café ou un thé, mais… »
La femme, cheveux blond platine, bouche rose, yeux bleus étirés, élégante tenue de sport, hautes bottes ajustées, s’approcha de Libby. Une bouffée de parfum poivré… Le déodorant ! Adèle avait oublié de prendre le déodorant… Pas grave. Dans de telles circonstances, les émanations corporelles passaient au second plan. La femme se pencha vers Libby.
« Ça va ? Tu veux boire quelque chose ? »
L’adolescente, qui s’efforçait de se calmer, bredouilla « Non, merci, tout va bien… Je ne sais pas pourquoi je pleure… C’est juste que… »
Adèle s’approcha de sa fille, mais celle-ci la repoussa à nouveau et couvrit son visage de son bras. La femme esquissa le mot « désolée » avant d’ajouter :
« C’est normal de se sentir déboussolé. J’avoue que j’ai moi même paniqué…
— C’est aussi une incroyable aventure ! s’exclama l’homme en direction de sa fille. N’est-ce pas ?
— Pourquoi elle pleure ?
— Je ne sais pas… Son papa lui manque, je crois. Demain, nous partirons tous ensemble pour une longue marche. Comme nos ancêtres lors de la sortie d’Égypte, n’est-ce pas, Roni ? Nous en avons déjà parlé… Bon… nous allons vous laisser. Il nous faut bien dormir cette nuit parce qu’un grand jour nous attend. Bonne chance pour la suite ! Bonne chance à nous tous… »
Avant que la porte ne se referme, Adèle entendit l’enfant insister :
« Pourquoi elle pleure ? Elle va voir son papa ? »
Les sanglots de Libby se calmaient peu à peu. La femme proposa à nouveau d’entrer chez elle, mais Adèle refusa.
« Nous allons réfléchir à tout ça et prendre une décision. Au pire, nous retournerons nous réfugier dans notre appartement. »
Une fois les portes refermées, le couloir sombra dans un silence à peine atténué par le crépitement de la pluie sur la vitre. Un écran lumineux dans une salle obscure… Sans paysages colorés, acteurs bondissants ou dessins animés frénétiques… La monotonie déprimante d’un ciel chargé d’eau grise. Un passage vers un autre monde… Elle se souvint des attentats du onze septembre… De ces malheureux qui sautaient d’une tour pour échapper à la fournaise de l’incendie. Des griffures sur le bleu du ciel… Avaient-ils eu le temps de se recueillir ? Ou bien, acculés, réduits par l’effroi à un minimum de conscience, ils avaient plongé sans réaliser la signification de leur acte.
« On y va ? demanda Libby.
— Où ça ?
— Et bien, chez papi et mamie. Pas question d’attendre ici sans connexion internet ni électricité. Je préfère partir.
— Même chez tes grands-parents, internet ne fonctionnera pas.
— Qui sait ? Peut-être que la maladie n’a pas atteint le reste du pays ?
— La maladie ? Tu as raison… »
Elles reprirent leur descente. À chacun de leur pas, des éclaboussures joyeuses résonnaient contre l’indifférence des murs lisses. Elles croisèrent en chemin deux femmes essoufflées qui gravissaient les marches.
« Ne sortez pas ! Non, non… Abominable… La fin du monde… Qu’allons-nous devenir ? »
Adèle ne put obtenir d’autres renseignements que la description d’un embouteillage monstrueux qui immobilisait la ville et de gens trempés qui se hâtaient pour se mettre à l’abri. De façon étrange, leur affolement lui donna du courage. Avec un léger mépris, elle se dissocia de cette agitation intempestive. Lorsqu’elles atteignirent le rez-de-chaussée, elles s’immobilisèrent au milieu du hall. Peut-être feraient-elles mieux de rebrousser chemin et d’attendre dans leur tanière le lever du jour ou le retour du père. Était-ce irresponsable de quitter le seul abri à leur disposition ? Deux femmes sur les routes, en pleine nuit… Bientôt, les scènes de pillage et d’hystérie collective débuteraient, mais avec un peu de chance, elles seraient arrivées à destination. Leur famille se retrouvait dispersée et demain, le pays tout entier allait s’effriter. Sans communications, comment la police ou l’armée allaient-elles fonctionner ? Comment allaient-ils se défendre contre les criminels, les terroristes et les armées ennemies ?
« Nous avons atteint la première étape de notre voyage. Je ne sais pas ce qui nous attend par la suite… »
Les yeux de Libby s’assombrirent. Ses iris semblèrent s’agrandir jusqu’à envahir toute le blanc. Adèle s’approcha d’elle, la serra dans ses bras, embrassa sa joue, son front et ses cheveux. Elles vacillèrent, enlacées dans le hall désert, sous la lumière glauque du jour finissant.
« Allons-y. Je ne veux pas rester ici à attendre. »
Elles passèrent sans un regard pour les boîtes aux lettres — tout ça n’avait plus d’importance. Dehors la pluie s’était transformée en crachin qui taquinait la carrosserie des voitures abandonnées au milieu de la rue. Adèle ajusta le capuchon de son manteau et prit la main de sa fille.
« En route pour de nouvelles aventures ! »
Cette rengaine, qu’elle utilisait autrefois avant toute sortie familiale, arracha un sourire à Libby. Les voitures gisaient immobiles comme des cailloux dans le lit d’une rivière asséchée, mais le trottoir vide et luisant se déroulait à l’infini.
« Effritement »2

Pour lire le début de cette nouvelle, appuyez ,ici .
Adèle ignora les récriminations de Libby et se précipita dans la cuisine. Cinq heures et quart… Yael et Nimrod habitaient à l’autre bout de la ville. Elle espérait que l’électricité reviendrait bientôt et avec elle, le privilège de pouvoir circuler. D’un autre côté, s’ils arrivaient en retard, cela lui laisserait plus de temps pour s’organiser. Et s’ils ne venaient pas, elle regarderait avec Alon un épisode de leur série… Ah… Pas possible sans électricité… Ils liraient donc à la lueur d’une bougie. Elle éprouvait l’envie d’une soirée tranquille. Elle ouvrit le frigidaire, en extirpa trois petites laitues hydroponiques, se ravisa, s’empara de concombres et remarqua une flaque d’eau sur le sol.
« Maman, combien de temps ça va durer ?
— Quoi donc ? »
Adèle s’accroupit pour vider le placard sous l’évier.
« Qu’est-ce que tu fabriques ? Du rangement ? Je croyais que tu devais cuisiner. On pourrait se rendre chez le technicien, même si tu ne comprends rien à la technologie… De toute façon, ce n’est pas toi qui vas le réparer. Sans téléphone ni télévision, on va mourir d’ennui dans cette maison. Combien de temps va durer la panne ? »
Adèle inspira à fond et répondit d’un ton posé.
« Je n’en sais rien… Appelle la compagnie d’électricité.
— Moi ? Pourquoi pas toi ? Et puis, c’est impossible sans téléphone. Ne trouves-tu pas bizarre que le fixe et le mobile aient cessé de fonctionner au même moment ?
— Je me demande d’où vient cette flaque.
— Le tuyau est perforé.
— Mais pas du tout…
— Si tu portais tes lunettes, tu verrais des petits trous minuscules. Regarde ici… Oups ! »
Le plastique avait cédé sous la pression du doigt et l’eau se mit à couler comme d’un robinet ouvert. Adèle se redressa pour chercher un seau et des serpillières, puis s’immobilisa et se tourna vers le frigidaire. Elle attrapa la poignée et serra. Elle la sentit se désagréger sous sa main, laissant apparaître une arête métallique.
« Maman, ça ne va pas ? Réponds-moi ! »
Adèle éprouva la sensation que le sol ondulait sous ses pieds. Elle avait dû pousser un cri. Elle devait se calmer et réfléchir. Elles se trouvaient au quinzième étage d’un immeuble qui était composé de métal et de béton — du moins son squelette — et qui n’allait pas s’écrouler tout de suite.
« Remplis les bouteilles, toutes les bouteilles de la maison… Non, pas celles en plastique, les autres…
— Mais pourquoi ?
— Ne discute pas ! »
La terreur avait transpercé dans sa voix et l’adolescente obtempéra sans lutter. Adèle partit chercher deux sacs à dos et y enfourna des crackers, des biscuits, quelques boîtes de thon, des tablettes de chocolat, un pain encore congelé. Quoi d’autre ? Où était passée la lampe de poche ? Quelques habits… un rouleau de papier toilette, une trousse de premiers secours… Le couteau… le couteau pliable qu’elle utilisait pour la vannerie…
« Prends ton manteau ! je te dis que tu vas prendre ton manteau, même si je dois t’en faire un chignon. »
Libby pleurait. Malgré les résultats scolaires médiocres, Adèle n’avait jamais douté de l’intelligence de sa fille. Elle la prit dans ses bras et l’embrassa. Une bouffée de transpiration lui agressa les narines. Elle inspira et la serra plus fort. Elle avait allaité cette enfant, l’avait porté des heures durant, l’avait aidé à apprendre ses leçons et assisté aux concerts de fin d’année… Où était passée la fillette rieuse ? Ce corps inachevé semblait trop grand, presque disproportionné.
Avant de partir, elle laissa un mot pour Alon. Il travaillait à Herzliya, dans la direction qu’elles allaient bientôt prendre. Une fille à l’armée à la frontière nord du pays et un fils en vadrouille sur le continent américain. Ne les reverrait-elle jamais ? En un instant, leur famille s’était désagrégée. Elle retint ses larmes et ferma la porte à clé.
Plusieurs centimètres d’eau recouvraient le sol. Adèle s’arrêta devant la cage d’escalier et alla frapper chez les voisins, les seuls qu’elle connaissait bien dans cet immeuble. Elle se contentait d’échanger quelques salutations guindées avec les autres quand elle les croisait dans l’ascenseur, mais avait sympathisé avec Guita et Léon. Guita ressemblait à un personnage de dessin animé avec ses attaches fines et son corps charnu moulé par des habits trop étroits, tandis que Léon avait conservé une allure juvénile jusqu’à son crâne qui, parsemé de rares cheveux, rappelait celui d’un nouveau-né. Ils portaient tous les deux des bottes en caoutchouc, vert bouteille pour lui, imprimées de marguerites, pour elle. Sans prêter attention à leurs flots de paroles, Adèle se dirigea vers la cuisine, s’empara d’une cocotte vide, s’accroupit sous l’évier et défonça le tuyau. L’eau se mit à couler dans le récipient. Elle stoppa les exclamations affolées de Guita en distribuant des instructions.
« Vite, prenez ça et allez le remplir dans la salle de bain. Libby, attrape ! »
Les canalisations principales aux couleurs vives, étaient dispersées comme des œuvres d’art abstraites dans la ville. De gros tuyaux en métal, à part sans doute les incontournables joints d’étanchéité… Quelqu’un finirait par fermer les vannes du précieux liquide et l’eau cesserait d’arriver aux appartements. Après avoir rempli plusieurs récipients et s’être inquiétée pour la santé du vieux couple, elle leur annonça qu’elles se rendaient chez ses parents.
« Quoi ? En voiture ? s’exclama Libby.
— Non.
— Mais c’est beaucoup trop loin ! »
Les adultes échangèrent un regard.
« À un rythme de marche moyen de cinq kilomètres à l’heure, nous y arriverons dans cinq heures.
— Pourquoi ne pas rester ici ?
— Je préfère rejoindre mes parents. »
Cette raison suffit à neutraliser toute protestation de la part du vieux couple. Au contraire de leur fils qui vivait dans le Néguev, leurs filles habitaient tout près et ils espéraient leur venue. Sinon, pourquoi se seraient-ils installés dans cette tour ? Une démarche que les parents d’Adèle n’avaient jamais voulu entreprendre : ils vivaient à une vingtaine de kilomètres de là, dans un village autrefois agricole et maintenant devenu résidentiel. Elle leur avait bien vanté les mérites de ces tours si confortables, nichées au milieu de commerces attrayants et de jardins à la pelouse lustrée, mais ils avaient toujours refusé d’abandonner leurs plants de tomate et leurs arbres fruitiers. Elle proposa sans y croire aux voisins de les suivre et accepta leur refus sans insister. Elle aurait pu leur dire, qu’à son avis, Tel-Aviv, comme toutes les mégalopoles, deviendrait bientôt invivable, mais à quoi bon les inquiéter davantage ? Elle leur donna les clés de l’appartement, leur fit promettre de s’en servir s’ils manquaient de quelque chose et les quitta.
Elles entamèrent leur descente à la lueur de la lampe de poche. L’eau, qui arrivait à leurs chevilles, se déversait en ruisseau. Elles s’enfonçaient en spéléologues égarés dans les profondeurs d’une grotte et, à la marée montante, mourraient noyées ou bien étoufferaient dans les vapeurs délétères exsudées par l’immeuble pourrissant. Libby éclata en sanglots.
« Ne t’inquiète pas, nous allons descendre tous les étages les uns après les autres, une marche à la fois. Sais-tu à quel étage nous sommes ? Moi non plus… Et bien à partir de maintenant nous allons compter. Comme je suis bête… C’est écrit bien sûr. Je ne prends jamais les escaliers d’habitude. Voilà ! Huitième étage. Nous avons déjà descendu la moitié. Allez, encore un petit effort… Tu ne peux plus respirer ? »
(À suivre)


