Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) Quotes
Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
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Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940) Quotes
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“Les réserves intellectuelles ne se contentent pas d’être entretenues et comme gérées par des hommes compétents, mais exigent la présence, l’action de présence de créateurs, de gens capables de les accroître, de les créer ou même de les bouleverser. Sans quoi elles s’étiolent.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
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“Dans l’ordre économique ordinaire, l’individu produit comme élément de production, il consomme comme élément de consommation, mais il se noie dans la statistique, il se noie dans les lois du grand nombre. Les résultats économiques sont les résultats qui font disparaître l’individu devant les chiffres, devant les nombres qui sont fournis. C’est ce qu’on appelle la statistique. L’individu s’efface, il ne reste que l’ensemble des phénomènes qu’on peut rédiger sous forme de lois.
Dans l’ordre intellectuel, il n’en est pas tout à fait ainsi. C’est précisément à quoi je faisais allusion quand je parlais tout à l’heure des créateurs, ces gens particuliers qui jouent un rôle essentiel, et en somme un rôle tout à fait personnel, individuel. C’est la valeur personnelle qui est en cause.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
Dans l’ordre intellectuel, il n’en est pas tout à fait ainsi. C’est précisément à quoi je faisais allusion quand je parlais tout à l’heure des créateurs, ces gens particuliers qui jouent un rôle essentiel, et en somme un rôle tout à fait personnel, individuel. C’est la valeur personnelle qui est en cause.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
“Le mot « production » est déjà tout un programme. La recherche de ses conditions peut évidemment sembler une recherche analogue à celle de la pierre philosophale. On peut trouver chimérique d’essayer de se faire une idée suffisamment précise des conditions de la production des œuvres de l’esprit dans leur variété immense, et même, pour prendre un secteur, dans la poésie ou les mathématiques. Il est a priori difficile de saisir tout ce qui se passe dans un esprit pour arriver à la production d’une œuvre, qu’il s’agisse de l’œuvre artistique ou synthétique.
Cependant j’estime que toute recherche, même chimérique, même illusoire, si on la poursuit obstinément, mais non pas aveuglément, donne toujours quelques résultats, non pas les résultats que l’on recherchait, mais certains résultats qui souvent sont très appréciables.
C’est ce qui est arrivé par exemple lorsque les alchimistes poursuivaient la pierre philosophale : ils ont trouvé la chimie ; lorsque les astrologues cherchaient la destinée des hommes dans les astres, ils ont trouvé l’astronomie. C’était un résultat fort intéressant. Et je me permettrai de vous citer cette formule qui m’est familière : l’homme est généralement absurde dans ce qu’il cherche, mais il est admirable dans ce qu’il trouve. À chaque instant, une recherche aventurée est une recherche qui donne un résultat à côté, beaucoup plus précieux que l’objet même que l’on poursuivait d’abord.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
Cependant j’estime que toute recherche, même chimérique, même illusoire, si on la poursuit obstinément, mais non pas aveuglément, donne toujours quelques résultats, non pas les résultats que l’on recherchait, mais certains résultats qui souvent sont très appréciables.
C’est ce qui est arrivé par exemple lorsque les alchimistes poursuivaient la pierre philosophale : ils ont trouvé la chimie ; lorsque les astrologues cherchaient la destinée des hommes dans les astres, ils ont trouvé l’astronomie. C’était un résultat fort intéressant. Et je me permettrai de vous citer cette formule qui m’est familière : l’homme est généralement absurde dans ce qu’il cherche, mais il est admirable dans ce qu’il trouve. À chaque instant, une recherche aventurée est une recherche qui donne un résultat à côté, beaucoup plus précieux que l’objet même que l’on poursuivait d’abord.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
“J’ai été obligé de remonter, pour vous montrer le lien des idées et des choses, à une sorte d’origine de ces réserves en vous disant que si l’humanité avait fait ce qu’elle a fait, et qui en somme a fait l’humanité réciproquement, c’est parce que depuis une époque immémoriale elle avait su se constituer des réserves matérielles, que ces réserves matérielles avaient créé des loisirs, et que seul le loisir est fécond ; car c’est dans le loisir que l’esprit peut, éloigné des conditions strictes et pressantes de la vie, se donner carrière, s’éloigner de la considération immédiate des besoins et par conséquent entamer, soit sous forme de rêverie, soit sous forme d’observation, soit sous forme de raisonnement, la constitution d’autres réserves, qui sont les réserves spirituelles ou intellectuelles.
J’avais ajouté, pour me rapprocher des circonstances présentes, que ces réserves spirituelles n’ont pas les mêmes propriétés que les réserves matérielles. Les réserves intellectuelles, sans doute, ont d’abord les mêmes conditions à remplir que les réserves matérielles, elles sont constituées par un matériel, elles sont constituées par des documents, des livres, et aussi par des hommes qui peuvent se servir de ces documents, de ces livres, de ces instruments, et qui aussi sont capables de les transmettre à d’autres. Et je vous ai expliqué que cela ne suffisait point, que les réserves spirituelles ou intellectuelles ne pouvaient passer, à peine de dépérir tout en étant conservées en apparence, en l’absence d’hommes qui soient capables non seulement de les comprendre, non seulement de s’en servir, mais de les accroître. Il y a une question : l’accroissement perpétuel de ces réserves, qui se pose, et je vous ai dit, l’expérience l’a souvent vérifié dans l’histoire, que si tout un matériel se conservait à l’écart de ceux qui sont capables non seulement de s’en servir mais encore de l’augmenter, et non seulement de l’accroître, mais d’en renverser, quelquefois d’en détruire quelques-uns des principes, de changer les théories, ces réserves alors commencent à dépérir. Il n’y a plus, le créateur absent, que celui qui s’en sert, s’en sert encore, puis les générations se succèdent et les“choses qu’on avait trouvées, les idées qu’on avait mises en œuvre commencent à devenir des choses mortes, se réduisent à des routines, à des pratiques, et peu à peu disparaissent même d’une civilisation avec cette civilisation elle-même.
Et je terminais en disant que, dans l’état actuel des choses tel que nous pouvons le constater autour de nous, il y a toute une partie de l’Europe qui s’est privée déjà de ses créateurs et a réduit au minimum l’emploi de l’esprit, elle en a supprimé les libertés, et par conséquent il faut attendre que dans une période déterminée on se trouvera en présence d’une grande partie de l’Europe profondément appauvrie, dans laquelle, comme je vous le disais, il n’y aura plus de pensée libre, il n’y aura plus de philosophie, plus de science pure, car toute la science aura été tournée à ses applications pratiques, et particulièrement à des applications économiques et militaires ; que même la littérature, que même l’art, et même que l’esprit religieux dans ses pratiques diverses et dans ses recherches diverses auront été complètement diminués sinon abolis, dans cette grande partie de l’Europe qui se trouvera parfaitement appauvrie. Et si la France et l’Angleterre savent conserver ce qu’il leur faut de vie — de vie vivante, de vie active, de vie créatrice — en matière d’intellect, il y aura là un rôle immense à jouer, et un rôle naturellement de première importance pour que la civilisation européenne ne disparaisse pas complètement.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
J’avais ajouté, pour me rapprocher des circonstances présentes, que ces réserves spirituelles n’ont pas les mêmes propriétés que les réserves matérielles. Les réserves intellectuelles, sans doute, ont d’abord les mêmes conditions à remplir que les réserves matérielles, elles sont constituées par un matériel, elles sont constituées par des documents, des livres, et aussi par des hommes qui peuvent se servir de ces documents, de ces livres, de ces instruments, et qui aussi sont capables de les transmettre à d’autres. Et je vous ai expliqué que cela ne suffisait point, que les réserves spirituelles ou intellectuelles ne pouvaient passer, à peine de dépérir tout en étant conservées en apparence, en l’absence d’hommes qui soient capables non seulement de les comprendre, non seulement de s’en servir, mais de les accroître. Il y a une question : l’accroissement perpétuel de ces réserves, qui se pose, et je vous ai dit, l’expérience l’a souvent vérifié dans l’histoire, que si tout un matériel se conservait à l’écart de ceux qui sont capables non seulement de s’en servir mais encore de l’augmenter, et non seulement de l’accroître, mais d’en renverser, quelquefois d’en détruire quelques-uns des principes, de changer les théories, ces réserves alors commencent à dépérir. Il n’y a plus, le créateur absent, que celui qui s’en sert, s’en sert encore, puis les générations se succèdent et les“choses qu’on avait trouvées, les idées qu’on avait mises en œuvre commencent à devenir des choses mortes, se réduisent à des routines, à des pratiques, et peu à peu disparaissent même d’une civilisation avec cette civilisation elle-même.
Et je terminais en disant que, dans l’état actuel des choses tel que nous pouvons le constater autour de nous, il y a toute une partie de l’Europe qui s’est privée déjà de ses créateurs et a réduit au minimum l’emploi de l’esprit, elle en a supprimé les libertés, et par conséquent il faut attendre que dans une période déterminée on se trouvera en présence d’une grande partie de l’Europe profondément appauvrie, dans laquelle, comme je vous le disais, il n’y aura plus de pensée libre, il n’y aura plus de philosophie, plus de science pure, car toute la science aura été tournée à ses applications pratiques, et particulièrement à des applications économiques et militaires ; que même la littérature, que même l’art, et même que l’esprit religieux dans ses pratiques diverses et dans ses recherches diverses auront été complètement diminués sinon abolis, dans cette grande partie de l’Europe qui se trouvera parfaitement appauvrie. Et si la France et l’Angleterre savent conserver ce qu’il leur faut de vie — de vie vivante, de vie active, de vie créatrice — en matière d’intellect, il y aura là un rôle immense à jouer, et un rôle naturellement de première importance pour que la civilisation européenne ne disparaisse pas complètement.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
“La conscience n'est pas toujours nécessaire dans les actes les plus difficiles; elle est même parfois un obstacle.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
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“Eurêka. Poe attachait une grande importance à cette œuvre, à la fois cosmogonie et poème, qui commence par un discours de la méthode et se termine par une métaphysique.
L’influence des idées de Poe, qui se répandent en Europe à partir de 1845, est si considérable, et se fait sentir avec une telle intensité sur certains écrivains (tels que Baudelaire ou Dostoïevski) que l’on peut dire qu’il donne un sens nouveau à la littérature. Poe joignait en lui des éléments de culture assez hétérogènes ; d’une part, élève de l’École polytechnique de Baltimore (où passa aussi Whistler), il avait une formation scientifique ; de l’autre, ses lectures l’avaient mis en contact avec le romantisme allemand des Lumières, et avec tout le XVIIIe siècle français, représenté souvent par des ouvrages oubliés aujourd’hui, tels que conteurs, poètes mineurs, etc. Ne pas négliger chez Poe l’élément cabaliste (de même que chez Goethe), la magie, telle qu’elle devait hanter, en France, l’esprit d’un Nerval, en Allemagne, Hoffmann, et bien d’autres. Enfin, l’influence de la poésie anglaise (Milton, Shelley, etc.).
Poe avait lu tout jeune les deux ouvrages les plus répandus de Laplace qui l’avaient beaucoup frappé. Le calcul des probabilités intervient constamment chez lui. Dans Eurêka, il développe l’idée de la nébuleuse (de Kant), que reprendra plus tard Henri Poincaré.
Poe introduit dans la littérature l’esprit d’analyse. À ce propos, il convient de répéter que pensée réfléchie et pensée intuitive peuvent et doivent coexister et se coordonner. Le travail littéraire pouvant se décomposer en plusieurs « temps », on doit faire collaborer ces deux états de l’esprit, l’état de veille où la précision, la netteté sont portées à leur point le plus haut, et une autre phase, plus confuse, où peuvent naître spontanément des éléments mélodiques ou poétiques. Du reste, quand un poème est long (cf., dans « La Genèse d’un poème », le passage ayant trait à la « dimension »), ce « bonheur de l’instant » ne saura se soutenir pendant toute sa durée. Il faut donc toujours aller d’une forme de création à l’autre, et elles ne s’opposent pas.”
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L’influence des idées de Poe, qui se répandent en Europe à partir de 1845, est si considérable, et se fait sentir avec une telle intensité sur certains écrivains (tels que Baudelaire ou Dostoïevski) que l’on peut dire qu’il donne un sens nouveau à la littérature. Poe joignait en lui des éléments de culture assez hétérogènes ; d’une part, élève de l’École polytechnique de Baltimore (où passa aussi Whistler), il avait une formation scientifique ; de l’autre, ses lectures l’avaient mis en contact avec le romantisme allemand des Lumières, et avec tout le XVIIIe siècle français, représenté souvent par des ouvrages oubliés aujourd’hui, tels que conteurs, poètes mineurs, etc. Ne pas négliger chez Poe l’élément cabaliste (de même que chez Goethe), la magie, telle qu’elle devait hanter, en France, l’esprit d’un Nerval, en Allemagne, Hoffmann, et bien d’autres. Enfin, l’influence de la poésie anglaise (Milton, Shelley, etc.).
Poe avait lu tout jeune les deux ouvrages les plus répandus de Laplace qui l’avaient beaucoup frappé. Le calcul des probabilités intervient constamment chez lui. Dans Eurêka, il développe l’idée de la nébuleuse (de Kant), que reprendra plus tard Henri Poincaré.
Poe introduit dans la littérature l’esprit d’analyse. À ce propos, il convient de répéter que pensée réfléchie et pensée intuitive peuvent et doivent coexister et se coordonner. Le travail littéraire pouvant se décomposer en plusieurs « temps », on doit faire collaborer ces deux états de l’esprit, l’état de veille où la précision, la netteté sont portées à leur point le plus haut, et une autre phase, plus confuse, où peuvent naître spontanément des éléments mélodiques ou poétiques. Du reste, quand un poème est long (cf., dans « La Genèse d’un poème », le passage ayant trait à la « dimension »), ce « bonheur de l’instant » ne saura se soutenir pendant toute sa durée. Il faut donc toujours aller d’une forme de création à l’autre, et elles ne s’opposent pas.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
“Le but éminent de celui qui produit est de produire en soi-même celui qui fait l'œuvre.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
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“Ceci est une idée à laquelle je ne saurais m’associer parce que je n’en vois pas la nécessité. Rien ne prouve qu’il en soit ainsi. Rien ne prouve que la civilisation, si compliquée et si intéressante qu’elle soit, ne soit pas à la merci d'un incident quelconque. Elles sont mortelles, les civilisations, elles peuvent mourir d’un siècle à l’autre, et il n’est pas dit que la civilisation européenne ne fasse pas comme les civilisations égyptienne, grecque ou romaine, qui ont disparu et qui ont été remplacées par des époques de barbarie et de sauvagerie. Peut-être en sommes-nous beaucoup plus près que nous ne pensons.
C’est pourquoi au mot progrès je préfère le mot aventure, c’est-à-dire cette non-salvation, ce changement intime qui se produit, changement qui ne sait pas de lui-même à quoi il aboutit, qui ne sait pas lui-même où il va, s’il court à une catastrophe ou à une amélioration, ceci est en dehors de la question. Le sort même des humains n’est pas en question, pas plus que dans un rêve ce qui va se passer n’est en question. Il n’y a pas de but. Chaque instant est capable de conduire là où on ne savait pas aller.”
Excerpt From: Paul Valéry. “Cours de poétique”. Apple Books. d’un incident quel”
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C’est pourquoi au mot progrès je préfère le mot aventure, c’est-à-dire cette non-salvation, ce changement intime qui se produit, changement qui ne sait pas de lui-même à quoi il aboutit, qui ne sait pas lui-même où il va, s’il court à une catastrophe ou à une amélioration, ceci est en dehors de la question. Le sort même des humains n’est pas en question, pas plus que dans un rêve ce qui va se passer n’est en question. Il n’y a pas de but. Chaque instant est capable de conduire là où on ne savait pas aller.”
Excerpt From: Paul Valéry. “Cours de poétique”. Apple Books. d’un incident quel”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
“Si l’humanité s’est écartée des conditions initiales dont je parlais, si elle a renoncé, sans le savoir et sans le vouloir, à la stabilité à laquelle elle pouvait tendre, on pouvait supposer qu’étant arrivée à un certain niveau, elle s’y serait stabilisée, comme les abeilles ont pu se stabiliser (elles ont trouvé certains procédés de construction, d’accumulation des réserves), et demeurer en cet état indéfiniment, comme il semble que les abeilles y soient demeurées, nous aurions pu arriver à concevoir une humanité comme une fourmilière ou une ruche d’abeilles. Pas du tout. Elle n’a cessé de s’écarter de son bien-être, le bien-être n’a pas suffi à l’humanité. Hélas ! dans bien des cas on pourrait se lamenter à ce sujet et pleurer, mais il s’est trouvé toujours que les hommes se soient écartés de la norme déjà établie, que des hommes, des penseurs par exemple aient spéculé assez pour trouver que la stabilité acquise était une stabilité insuffisante, très insuffisante. C’est pourquoi j’ai pu prononcer dans ma dernière leçon ce mot de l’aventure qui m’a paru résumer la vie humaine dans son ensemble.
L’aventure... c’est-à-dire ce fait qu’il y a eu un changement qui a toujours etendu à repousser, à nier, à ruiner les conditions d’existence, même favorables, même satisfaisantes pour la majorité des individus, et qui a tendu à détruire cet ordre-là, à le renverser.
J’avais associé à ce mot-là le mot le plus connu de progrès, mais je préfère celui d’aventure, et je vais vous dire pourquoi le terme de progrès, que j’ai essayé de préciser en le ramenant à ce qui est observable, progrès que j’ai défini par l’accroissement de précision dans les mesures marquées par les décimales qu’on peut calculer et observer : progrès dans l’acquisition des moyens d’action, progrès de puissance mécanique, nombre de chevaux-vapeur par tête à telle époque, progrès dans les automatismes sociaux, par conséquent progrès qui permet de commander beaucoup plus d’éléments humains ou matériels à l’aide d’un plus petit effort, diminution de l’effort à accomplir. Tout ceci est parfaitement observable, ce ne sont pas des chimères. On a ajouté à cela une véritable religion du progrès, qui fait croire que, quoi qu’il en soit après bien des aventures, beaucoup d’expériences, l’humanité marche toujours vers une amélioration de son sort.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
L’aventure... c’est-à-dire ce fait qu’il y a eu un changement qui a toujours etendu à repousser, à nier, à ruiner les conditions d’existence, même favorables, même satisfaisantes pour la majorité des individus, et qui a tendu à détruire cet ordre-là, à le renverser.
J’avais associé à ce mot-là le mot le plus connu de progrès, mais je préfère celui d’aventure, et je vais vous dire pourquoi le terme de progrès, que j’ai essayé de préciser en le ramenant à ce qui est observable, progrès que j’ai défini par l’accroissement de précision dans les mesures marquées par les décimales qu’on peut calculer et observer : progrès dans l’acquisition des moyens d’action, progrès de puissance mécanique, nombre de chevaux-vapeur par tête à telle époque, progrès dans les automatismes sociaux, par conséquent progrès qui permet de commander beaucoup plus d’éléments humains ou matériels à l’aide d’un plus petit effort, diminution de l’effort à accomplir. Tout ceci est parfaitement observable, ce ne sont pas des chimères. On a ajouté à cela une véritable religion du progrès, qui fait croire que, quoi qu’il en soit après bien des aventures, beaucoup d’expériences, l’humanité marche toujours vers une amélioration de son sort.”
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“Et alors nous pouvons dire qu’il y a un temps, le temps précédent, où vous n’étiez, saisis par la sensation ou par l’excitation, que le minimum de vous-mêmes, le minimum de ce que vous pouvez être — le minimum de votre possibilité. Vous n’étiez, en somme, que le germe. Vous et la sensation étiez, en quelque sorte, la fécondation d’un germe de vous-mêmes, qui se développe dans un temps suivant et qui va donner peu à peu — je dis peu à peu : ceci se passe évidemment dans une fraction de seconde, peut-être dans un centième de seconde —, mais enfin, si j’agrandis l’échelle, eh bien, on peut penser que, peu à peu, vous allez vous former capables de ce que d’autres, par la sensation, vous révélaient. Il y a un échange, difficile à exprimer, mais que vous comprenez, entre ces deux termes. En somme, le témoin qui définira la sensibilité est ce témoin élémentaire, ce témoin diminué, ce témoin qui est très loin du personnage que nous croyons être quand nous nous sentons plus complets.
Ce personnage est ce que peut être un instant : il est ce que peut être une durée de sensibilité, qui est naturellement trop brève pour contenir tout ce que nous savons, toutes nos prétentions, toutes nos qualités et toutes nos puissances, ou tous nos pouvoirs. Ainsi, ce moi, ce moi de sensibilité, est sans mémoire, il n’est capable d’aucune opération, il est purement fonctionnel, purement expédient.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
Ce personnage est ce que peut être un instant : il est ce que peut être une durée de sensibilité, qui est naturellement trop brève pour contenir tout ce que nous savons, toutes nos prétentions, toutes nos qualités et toutes nos puissances, ou tous nos pouvoirs. Ainsi, ce moi, ce moi de sensibilité, est sans mémoire, il n’est capable d’aucune opération, il est purement fonctionnel, purement expédient.”
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“La littérature, également, envisage des faits particuliers, un roman, une impression qui fait un poème, un récit qui fait un roman, une aventure quelconque, tandis que l’artiste possible que serait le philosophe de l’avenir, qui est, je vous le répète, existant virtuellement, puisque les œuvres du passé, privées, dépouillées de leur prétention à la vérité, qu’elles ne représentent pas, nous restent à titre de modèles esthétiques — je puis donc dire, par conséquent, qu’il y a déjà des artistes de cette espèce et que, en jugeant comme artistes ou Platon ou Spinoza, nous avons déjà créé des modèles, nous avons déjà ouvert notre musée de philosophie.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
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“Et pourquoi, alors, essayer de sauver la philosophie à ce point ? Vous allez voir ma conclusion : c’est parce qu’il y a un danger public. Il y a un danger public ! Ce danger est insidieux, quoique brutal. C’est, pour l’appeler par son nom, la perte générale de l’individualité. L’individu se meurt, voilà le fait. Et c’est pourquoi, en parlant de philosophie, j’ai insisté tout à l’heure sur le rôle que devrait jouer, dans une philosophie consciente d’elle-même, qui n’a plus les prétentions explicatives de jadis, le rôle de la constitution forte, de la personnalité, de l’individualité.”
― Cours de poétique (Tome 1) - Le corps et l'esprit (1937-1940)
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