L'arrache cœur, Boris Vian

—BUS RIDING BOOKS—
Petite critique littéraire de « L'arrache cœur », dernier roman signé Boris Vian (1953)

Parfois difficile à suivre mais très beau et poétique, « L'arrache cœur » mets en scène un monde imaginaire dans lequel Angel et Clémentine sont les parents de « trumeaux». Correction : il s'agit en fait de jumeaux et d'un isolé, qui est sorti après, plus tard, signe d'une grande personnalité. Après l'avoir aidée à accoucher, Jacquemort, le héros, psychiatre et psychanalyste avec une barbe rousse va tenter de soigner la mère... Car Clémentine n'a pas toute sa tête - haineuse après la naissance de ses trois bébés, elle avait par exemple enfermé son mari Angel pendant deux mois !
« Dans l'ensemble, ça vous fait quel effet d'être père? » demande Jacquemort à Angel. Une petite phrase anodine dans un univers plutôt fou, en partie à cause du héros lui-même... Il faut dire que Jacquemort a presque violé une de ses patientes, il voulait la faire parler et ce fut une réussite. « La première fois, c'était avec mon père ». Forcément, la psychanalyse allait prendre du temps... « Pourquoi vous voulez que je me déshabille? » demande-t-elle. « C'est la base pour faire une bonne psychanalyse » dit Jacquemort. Plus tard: « Vous reviendrez me 'psychoser' ? »
La question que je me pose, c’est qui de Clémentine ou de Jacquemort est le plus malade. Jacquemort, lui, est comme un tonneau des danaïdes: il identifie les passions et les désirs mais il ne les ressent pas. Il est vide alors il veut faire la psychanalyse complète de ses patients, pour vivre leurs passions à travers eux. Désirer les envies des autres, c’est son but, lui qui dit « On est libre que quand on a envie de rien ».
Le reste du roman est tout aussi fantasmagorique, avec une ambiance très particulière... On assiste par exemple à la « foire aux vieux »... Terrible idée, mais terriblement originale pour un livre de fiction, qui plus est quand il veut se faire critique de société. « Ceux qui souffrent sur Terre gagnent leur part de paradis». Boris Vian explore aussi la religion : « Je suis contre la religion » dit Jacquemort, « mais elle peut être utile à la campagne. » « Mais elle est un luxe » réponds un autre. Et puis Il y a la fameuse scène de l’église. Les paroissiens qui supplient le curé pour qu'il pleuve... »L’Eglise n’est pas un arrosoir, il ne pleuvra pas » dit le curé, avant de poursuivre: « Dieu est un diamant serti dans le Soleil ». Finalement la pluie tomba comme des grenouilles molles, comme dans le film Magnolia. Mais entre le livre et le film, on sait lequel des deux s'est inspiré de l'autre, n'est-ce pas Monsieur Paul Thomas Anderson ?
Rythmé par un calendrier d'un autre monde (59 Janvril, 348 Juillambre, 11 Octembre, 67 Nouvrier etc.), on croirait avoir à faire à une comédie mais c'est bien d'une tragédie moderne dont il s'agit. Clémentine, la mère, construit « Le mur de rien », pour empêcher ses trois enfants Joël, Noel et Citroën de sortir du jardin – là -aussi, peut-être une idée avant-gardiste plus tard adaptée au cinéma dans le film Truman Show avec Jim Carrey (1998). C'est la mère terrifiée à l'idée qu'il arrive quelque chose à ses enfants, alors comme souvent dans ce cas, c'est aussi la mère qui va un peu trop loin... Cela me rappelle un peu mon enfance pour dire la vérité. Avec mes frères et sœur, on devait chacun prendre une énorme pierre avec nous, placée au fond de notre sac de sport à chaque fois qu'on prenait le bus pour aller à la piscine. En cas d’accident, la pierre nous aurait permis de casser la vitre et de sortir du bus ! Le sac pesait facilement dix kilos. Et on n’a jamais pu faire de l'aviron avec nos copains de classe non plus; on restait à l'école à faire des lectures et des devoirs en attendant que les autres reviennent avec tous leurs souvenirs. Bref, je diverge. Clémentine, la mère qui a fait tout ça parce qu'elle les « aime ». « Mes enfants et moi, c'est la même chose. Je les aime tant. » Et c'est aussi elle qui finit par mettre en place trois cages, bien chaudes et pleines d'amour, avec des petits lits dedans…
Cruel de vérité ? Allons ! Gobez un papillon et tout ira mieux.

O.V.
L'Arrache-cœur by Boris Vian
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Published on May 22, 2015 23:47 Tags: boris-vian, l-arrache-cœur
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Olivier Vojetta
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