L’Autriche communie au Red Bull

La personne la plus riche d’Autriche en 2022, Dietrich Mateschitz, est décédée le 22 octobre dernier avec 25 milliards d’euros. Il était connu au-delà des frontières du pays pour la boisson que son entreprise commercialisait : le Red Bull. La classe politique a rendu un hommage unanime au grand homme d’affaires, exactement comme lorsque Hand Dichand ou Jörg Haider sont morts (le premier était le patron du tabloïd le plus lu au monde en mesurant le taux de lecteurs dans la population, le second la figure de proue du FPÖ, principal parti d’extrême droite).

Le président autrichien Alexander van der Bellen a eu ces mots :  « Dietrich Mateschitz a construit en partant de l’Autriche une entreprise qui a connu un succès mondial. Avec lui c’est aussi un sponsor des sports nationaux et des sports extrêmes qui s’en est allé. Mateschitz a marqué le paysage économique et sportif de l’Autriche comme aucun autre dans notre pays. Sa vie était pour beaucoup d’Autrichiennes et d’Autrichiens tout simplement impressionnante. En ces heures de deuil mes pensées vont à sa famille et ses ami.e.s. »

De mortuis nihil nisi bonum (Des morts, on ne doit parler qu’en bien) est sûrement la locution latine la plus stupide qui soit dès lors qu’on s’intéresse à un personnage public aussi médiatique. Il est sain de revenir sur la vie du défunt et d’en tirer un bilan. Dans le cas de Dietrich Mateschitz, comment oublier que cette boisson est dangereuse pour la santé, qu’au mépris pour toute préoccupation écologique, il a passé sa vie à développer la Formule 1, que l’entreprise Red Bull utilise un marketing agressif auprès des jeunes, que par le soutien affiché aux sports extrêmes, de nombreux sportifs ont été contraints de prendre des risques inconsidérés et en sont morts, que sa chaîne de télévision Servus TV a servi à diffuser des théories complotistes (notamment sur l’épidémie de covid), qu’il a menacé de licenciement les 264 salarié.e.s de sa chaîne s’ils exigeaient la constitution d’un comité d’entreprise (auquel ils avaient bien sûr le droit). Et que dire de ses propos hostiles à l’égard des demandeurs d’asile arrivés en Europe en 2015/2016 ? En 2017 il s’était emporté contre les politiques menées par les derniers gouvernements autrichiens, les accusant de ne savoir faire face à la « vague de migrants Â» qui arrivait. Il ajoutait « n’importe qui voit bien qu’il ne s’agit pas de réfugiés mais des migrants Â» et appelait à fermer les frontières.

Avec Servus TV, D. Mateschitz a en outre donné une audience considérable au groupuscule des « Identitaires » (extrême droite proche des néonazis). L’Autriche communie au Red Bull et cette boisson qui a rendu D. Mateschitz milliardaire semble hélas faire voir la vie de celui-ci en rose.

Sources et compléments

« Comment Red Bull envahit les campus Â» (12 mai 2016, sur ce blog).« Un grand bond… pour la pub et les voyeurs Â» (15 octobre 2012, sur ce blog).« La mort de Jörg Haider – pourquoi un culte national ? », Regards, n°675, 4 novembre 2008, pp. 18-19 (PDF).« Étonnant concert de louanges pour un grand populiste, l’Autrichien Hans Dichand », nonfiction.fr, 25 juin 2000.
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Published on October 23, 2022 13:56
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Jérôme Segal
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