Je suis Providence – S.T. Joshi

Lovecraft m’est apparu comme un drôle de type, un « aristocrate » en décadence sociale, issu du meilleur milieu yankee de la petite ville conservatrice de Providence, qui se voyait comme un « gentleman du XVIIIème siècle », avec ses valeurs guindées, anglaises, façonné par une très forte influence familiale. Mais surtout Lovecraft était un inadapté complet à son époque, en tous cas à la société capitaliste et travailleuse des Etats-Unis du début du XXème siècle. Il aimait lire, écrire, se passionnait pour toutes sortes de sujets et prenait un temps fou à écrire des courriers et des essais destinés à des cercles minuscules. Le portrait est en fait assez familier : s’il avait vécu de nos jours, on l’aurait qualifié de geek ou de nerd, passant son temps à causer avec ses nombreux amis d’Internet à qui il est allé rendre des visites IRL dès qu’il a pu. Il apparaît aussi avoir été un excellent ami, généreux de son temps et de ses efforts (de son argent s’il avait pu…), ne laissant jamais une lettre sans réponse parce que cela aurait manqué de savoir vivre. Son œuvre est à la fois importante et anecdotique. Il a écrit assez peu, en définitive, même si ce qu’il a fait a été en général très bien fait. Il écrivait pour lui, selon ses valeurs, sans chercher à plaire aux éditeurs ni aux lecteurs, prenant ce travail au sérieux mais s’en moquant souvent. Il a vécu sobrement, mangeant peu et mal, s’intéressant peu aux femmes mais les traitant comme des égales. Un type un peu bizarre, mais gentil, et doué à sa façon. Je remercie cet autre geek obsessionnel qu’est S.T. Joshi de me l’avoir fait découvrir et mieux connaître.
Les écrivains qu’on pratique beaucoup deviennent des proches, des familiers, et occupent une place particulière dans notre cœur. On tisse avec eux des liens humains, à travers le temps et l’espace. On les retrouve dans leur œuvre, en relisant leurs histoires, comme on discute avec de vieux copains.
Je suis Providence est un bon livre, qui, tout en gardant intact l’émerveillement que son œuvre me procure, m’a permis de passer un peu plus de temps avec Lovecraft, un homme que j’aime bien, malgré ses défauts.Peut-être qu'en ce moment, j'aimerais un peu vivre comme il a vécu : écrire du courrier, voyager un peu, lire beaucoup, être un bon ami et, de temps en temps, comme une distraction personnelle et un peu secrète, essayer d'écrire une bonne histoire.
[Edit] Une excellente lecture du même livre chez l'ami Nebal. @Nebal : je t'aurais bien vu dans les années 1930 faisant partie du cercle de correspondants du Grand Papa Theobald.

Published on May 11, 2019 06:04
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