Littérature à l'intestin

IEn 1949, Julien Gracq publie en revue son pamphlet La Littérature à l'estomac.
Ce qui énervait Julien Gracq, dans le milieu littéraire, tant celui des critiques que de certains écrivains, c'est le bruit : pas celui, essentiel, généré par l'œuvre elle-même, mais celui des messages accompagnant sa sortie. Bruit de fond, bruit de couloirs, rumeurs, il paraît que péremptoires, à date de péremption très courte. Inextinguible besoin de nouveauté.

Bien entendu, rien n'a changé depuis.
Chaque livre lu est aussitôt apprécié, non pour lui-même (qui lit encore des livres "pour eux-mêmes", sinon les enfants et les adolescents ?) mais par rapport au reste, à l'immense reste. On en juge comme de la qualité d'un beaujolais nouveau, en lui trouvant "un goût d'autre chose".

Pour l'auteur qui publie, il sait que pour être apprécié, il lui faudra être comparé, comparable – sans certitude que la comparaison soit en sa faveur. Ce qui n'est pas comparable, ce qui n'a pas son pareil, est le plus souvent rejeté : potion au goût amer qui ne rappelle rien de connu.

À ce petit jeu de la comparaison, de la réminiscence, l'auteur est souvent perdant. Son identité se dilue dans la ressemblance. Ce qu'il s'efforce de rendre unique rappelle immanquablement quelque chose ou quelqu'un, qui serait né plus tôt, aurait écrit avant, et mieux. Trop tard, s'empresse-t-ton de lui signifier, la place est prise.
J'ai sans doute de la chance : mes livres n'ont pas trop souvent souffert d'être comparés. Mais lorsque cela est arrivé, cela leur a toujours nui.
Lorsque Point de Côté est paru, par exemple, j'ai appris avec terreur que je m'étais emparée (sic) de thèmes rebattus, traités bien plus tôt et bien mieux par Theo Van Lishoud dans Frères. Moi qui ne l'avais jamais lu, j'en étais navrée comme d'un crime perpétré en rêve.
N'ayant pas cherché à m'emparer de quoi que ce soit, j'avais seulement voulu raconter un histoire sans me préoccuper le moins du monde de savoir si elle était originale (je pars du principe qu'il n'y a pas d'histoire originale, tout ayant été raconté depuis l'Antiquité).
Maintenant que Comment (bien) rater ses vacances est paru, je lis sur un blog (sans doute tenu par une femme, comme 99% des blogs de lecture) que j'aurais fait du sous-Martin Page, et que dans l'humour, je n'arrive pas à la cheville de celui que j'ai sans nul doute cherché à copier, à savoir Stéphane Daniel dans la série des aventures de Gaspar Corbin.
Là encore, je plaide non-coupable, ne l'ayant jamais lu, ne sachant même pas qu'il existe !
Mais, me direz-vous, la comparaison peut être flatteuse. Certes. Sauf que pour une orgueilleuse (dont la devise pourrait être celle du grand Jean-Jacques, mon maître : "Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre"), elles font rarement plaisir. Mais le pire n'est pas là.
Le pire est d'être accusé à la fois de quasi-plagiat, et de ratage. Quitte à imiter, autant le faire bien, n'est-ce-pas ? Or, moi, je me rate. Non seulement je suis une copieuse, et en plus, je me viande ! La honte, quoi. Par exemple, pour Comment (bien) rater ses vacances, eh bien, c'est moins rigolo. Ah. Les blagues ne font pas mouche à tous les coups, paraît-il. Flûte alors ! Il paraîtrait même qu'il y a trop d'émotion, trop de pathos. Ha, voilà. Du mélo, même ?
Ah oui ? Mais ça madame, alors là, il faut que je vous dise : c'est mon truc à moi, le mélo ! Le pathos. J'ai la fibre pathétique. Quand j'écris, les deux accessoires-clé sur mon bureau sont une paire d'enceintes et un paquet de mouchoirs.
Je fais de la littérature à l'instinct, sans lire les copains.
Comme tous les auteurs je fais ça au feeling et je n'ai pas pris de cours, contrairement à ce que croient certains lecteurs, je n'applique pas de recettes. Je ne triche pas. Si je me vautre, c'est toute seule, pas parce que j'ai copié. De ma vie, je n'ai jamais triché, même à l'école et pourtant, dans certaines matières j'aurais eu bien des raisons de le faire !
Je fais de la littérature à l'intestin, de l'écriture tord-boyau, essayant de produire et de maintenir des zones d'inconfort, des malaises, des doutes.

Mais, comme disait Julien Gracq, il est désormais bien difficile à l'auteur de faire entendre sa voix, au milieu du bruit qu'on croit qu'il a cherché à susciter.
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Published on December 17, 2010 05:39
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Anne Percin
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