La dimension Vaar – extrait de » L’île du bout du monde «

 


   La dimension Vaar était un monde aussi grand que le nôtre, pourvu d’îles de toutes tailles où vivaient d’horribles bêtes, petites ou bien immenses que l’on devait appeler Vaaria, les maîtres de Vaar. Cette étrange et inquiétante dimension était faite d’un mélange assez curieux et paradoxal de beauté et d’horreur. Le sublime des paysages bariolés, des plages d’or et la repoussante apparence des créatures qui y habitaient donnaient à cet univers une dérangeante singularité. Ubescrivelig était leur grand maître, Sluge lui avait pour mission de sonder et rechercher d’éventuels mondes où les créatures comme les Natilks ou encore les Wilbedrugs, d’énormes oiseaux aux becs sertis de dents aussi coupantes qu’une lame de rasoir et ressemblant à nos albatros actuels, pourraient se développer et proliférer. Quant à Afskridte, il avait l’ingrate tâche de dévorer, avec deux autres comme lui, tout ce qui se trouvait dans ces mondes parallèles qu’ils avaient le malheur de trouver.


   Bien entendu il n’avait jamais quitté Vaar ni même leur île mais ils étaient tombés dans un long sommeil d’environ un siècle, laissant les immondes (comme ils avaient coutume de les appeler) saccager tout sur leur passage. Leur monde tombait en ruines ; tout ce qu’ils avaient pu concevoir était en train de disparaître et ils ne pouvaient plus rien y faire. Aussi, après qu’Ubescrivelig eut demandé au Grand Conseil et leur éternelle sagesse ce qui leur incombait, il avait été décidé qu’ils devraient tous quitter Vaar, laissant leur monde en proie au chaos. Il ne restait, en effet, plus rien de leurs cités jadis immenses et flamboyantes de mille feux qui crépitaient alentours. Elle ressemblait presqu’à celles décrites dans les débuts du 20ème siècle par le célèbre écrivain H.P Lovecraft, à croire que lui aussi aurait fait ce drôle de rêve. Il y avait certes une grande différence entre les monstres nés de la plume de l’auteur et ceux qu’Henri avait pu entrapercevoir dans ses terribles cauchemars et pourtant, paradoxalement, une inquiétante similitude.


   Ce fut par une longue nuit d’orage qu’un éclair vint frapper le voile invisible qui séparait les mondes, laissant à Sluge le loisir d’entrevoir notre terre. Il eut le temps de la sonder avant que le voile ne se répare de lui-même et il put juger de son atmosphère propice à leur bon développement. Il demanda une convocation auprès du Conseil et il fut convenu qu’ils iraient visiter cet autre monde lorsque leur temps serait venu. Afskridte était impatient de le dévorer, sûr qu’il devait être délicieux voire même succulent. Il prenait tout cela pour un jeu de chasse, contrairement à Ubescrivelig et Sluge qui ne désiraient que la sauvegarde de leur espèce et qui étaient beaucoup plus sages que leur frère. Vaar était en train de mourir et les cités jadis florissantes tombaient dans des abîmes que le temps avait forgés durant des siècles de débâcle. C’était les petites créatures qui étaient responsables de la grande catastrophe, ils avaient la fâcheuse manie de tout saccager sur leur passage, se nourrissant de tout ce qu’ils pouvaient trouver. Même Afskridte n’était pas aussi gourmand, d’après Sluge. Ce dernier ne s’était en effet contenté que de deux mondes, ce qui était peu pour eux. Mais les immondes, eux, c’était une toute autre histoire.


   Jens avait entendu cette histoire en rêve, d’Ubescrivelig en personne qui avait profiter d’une légère déchirure dans le voile du temps et de l’espace pour lui envoyer ce funeste message. Le Danois avait tout relaté dans son journal et l’histoire était tombée depuis aux mains des esquimaux et de leur chef, celui-là même qu’était en train d’interroger Henri. Ce dernier écoutait avec un vif intérêt et au fil de l’histoire sa curiosité s’accrut. Il en était à la fois terrifié, choqué et excité. Une excitation qu’il n’avait pas connue depuis des années et c’était cela qui l’effrayait. L’esquimau leur proposa de rester pour la nuit et qu’ils pourraient repartir le lendemain. On les conduisit dans un igloo réservé spécialement pour les étrangers et ils purent dormir. Henri repensa à l’histoire de Jens et il en eut du mal à trouver le sommeil. Cette Vaar était le prélude au chaos, à l’apocalypse. Quelque chose de terrible était en train de se profiler à l’horizon, soufflant et balayant tout sur son passage, tels les vents rageurs de la destinée. Il ne rêva pas cette nuit-là mais il était tout de même inquiet et il avait très peur. Rien qu’à y penser il en eut les poils hérissés.


   René, lui, tentait de se convaincre que toute cette folie n’était que pure fantaisie et qu’il n’y avait pas plus d’île que de neige au Sahara. Cependant, la résolution et la crédulité de son compagnon concernant cette sombre affaire le rendaient nerveux et ne pouvant dormir il sortit faire les cent pas. Henri qui ne dormait que d’un œil l’entendit sortir et décida de le rejoindre. Il savait son ami soucieux et lui demanda ce qui le tracassait.


   « Toute cette histoire est dingue et j’ai beaucoup de mal à y croire, répondit René. Pourtant… Je ne peux m’empêcher d’avoir peur.


—    Je te comprends parfaitement, tenta de le rassurer Henri. Moi aussi je suis inquiet et j’aimerais que tout ceci ne soit qu’un simple cauchemar, qu’il n’y ait aucune créature et que notre monde ne court pas à sa perte. Cependant il y a une triste coïncidence entre les récits de ce Jens et mes rêves.


—    Mais alors que va-t-on faire ?


—    J’en sais foutre rien. Pour le moment tout ce qu’on peut faire c’est trouver cette île, après on avisera… Allez, viens, on retourne se coucher ; une rude journée nous attend demain.


   Sur ces paroles peu rassurantes, nos deux hommes retournèrent dans leur igloo où ils passèrent le reste de la nuit à trouver vainement le sommeil. Henri lui avait fini par s’endormir et était parti pour un long voyage dans l’immense cité de Jungdtar protégée par des remparts aussi haut que les créatures qui la peuplaient. Elle se composait d’espèces de demeures troglodytes taillés dans la roche blanche comme le calcaire et un gigantesque monolithe se dressait en son centre. Des étranges petits êtres ressemblant presqu’à nos humains dansaient autour de celui-ci, psalmodiant une sorte de prière. Ils chantaient dans une langue inconnue et qui ne ressemblait à aucune parlée sur terre. Henri fut comme envoûté et se mit à s’agiter dans son sommeil. Il gesticulait, semblant pris d’une trance dont il ne pouvait s’échapper. Il avait pénétré Vaar et paraissait ne plus vouloir ou pouvoir en sortir. Seule la voix de son ami le ramena de l’enfer et il dut faire un terrible effort pour recouvrer ses esprits. René lui dit qu’il avait parlé dans une langue étrangère durant toute le reste de la nuit et qu’il avait été pris d’une affolante agitation, comme possédé par une quelconque force invisible, devenu le pantin de sombres desseins.


   Henri ne dit pas un mot, ne sachant pas quoi répondre puis ils retournèrent au bateau après avoir remercié leurs hôtes de leur hospitalité. Ils prirent la mer en direction de l’endroit qu’on leur avait indiqué la veille et passèrent plusieurs heures à naviguer avant de trouver ce qu’ils cherchaient. Devant eux, se dressait une île que Henri reconnut comme étant celle de ses songes.


 


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Published on September 21, 2017 04:11
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