Diglee's Blog, page 3

January 1, 2020

Lectures 2019 partie 1

Bonjour à tou.te.s!

Tout d’abord, je vous souhaite, à vous rares lecteurs et lectrices qui passez encore par là, une douce et lumineuse année 2020.


2019 terminée, il est temps pour moi de faire un retour sur mes livres lus cette année. Depuis deux ou trois ans, j’essaie de m’imposer de lire plus, de renouer avec l’aspect méditatif et sensoriel de la lecture que j’aimais tant avant de travailler à plein temps en tant qu’illustratrice et écrivaine, et de me couper un peu des écrans (spoiler alert: pour ce qui est des écrans on est encore loin du compte).


Je suis plutôt heureuse, car 2019 a été riche en expériences littéraires bouleversantes.


J’ai décidé de rassembler ici tous les retours lectures que je vous ai postés tout au long de l’année sur mon instagram… en complément de ma première petite vidéo dans laquelle je vous parle de mes coups de coeurs littéraires de 2019, toujours sur Instagram.


En espérant que vous puiserez dans ces retours quelques inspirations ! Je scinde mon article en 2, pour plus de facilité de lecture.


Première partie
1) Lettres à Guillaume Apollinaire, Louise de Coligny Châtillon

diglee lou apollinaire copie

Quand les libraires de la librairie Le Silence de la Mer à Vannes m’ont offert ce livre, mon coeur a bondi dans ma poitrine. Vers 17-18 ans, j’avais lu l’autre versant de la correspondance, les célèbres « lettres » (et les poèmes) à Lou » d’Apollinaire (j’en parle ici). Cette myriade de poèmes, calligrammes et lettres enfiévrées avait définitivement marqué mon imaginaire érotique et amoureux. Je rêvais d’un poète qui m’écrive de telles missives brûlantes du fond d’une tranchée. Forcément, je me l’étais imaginée, cette Lou qui le rendait si fou: elle était devenue pour moi une sorte d’idole, une femme mystérieusement séduisante.

Sauf que, lorsqu’on lit Lou, elle est à mille lieues de l’image qu’on peut s’en faire, surtout à 17 ans. Lou a la gouaille. Elle est triviale, farceuse, piquante, cochonne, taquine, jalouse, parfois même un peu rombière. Elle signe « ton ptit sifflet à deux trous », et elle vient balayer les clichés sur les femmes et leur « douceur » ou leur « passivité gracieuse ». Évidemment, ça écorne le rêve d’adolescente. Et tant mieux! Voilà un portrait réel, plein d’humanité, de ratures, de grossièretés, d’envolées comiques… de poésie, aussi. Une femme libre (amants, gigolos, fessées, masturbation dans un train), une femme agressive parfois et une femme solide. À l’image de ces chanteuses de cabaret aux plumes un peu trop vives et aux paroles goguenardes, Lou fait rire, surprend, dérange. Ça m’a fait du bien de secouer un peu mes fantasmes d’adolescente, et de les déniaiser.


Ode à Lou!


2) Devotion, Patti Smith

diglee patti smith


Alors là, je suis partagée. J’aime Patti Smith d’un amour incommensurable. J’aime tous ses livres (M. Train ) , j’aime ce qu’elle est, ce qu’elle dégage, et jusque là je n’ai jamais rien eu à redire.

Mais là, je suis… perplexe. Toute la partie autobiographique est fabuleuse, ses errances à Paris, sa manière d’écrire, ses pèlerinages sur les tombes de gens qu’elle admire, comme la maison d’Albert Camus qu’on lui fait visiter. Mais le cœur du livre, la nouvelle qui donne son titre au livre, « Dévotion », m’a profondément dérangée. Je n’ai peut être pas saisi certaines nuances. Je n’ai peut être pas trouvé la clé. Mais cette jeune patineuse qui se fait entretenir par cet homme de quarante ans, leurs rapports sexuels décrits comme tels (quand moi j’entends « viol »)… je n’ai pas su quoi en faire. Je n’ai pas compris. Patti explique bien dans quel état d’esprit elle l’a écrit, comme cette histoire a jailli d’elle dans un train, avec toute sa noirceur. Et je sais qu’elle est extrêmement engagée pour la cause des femmes. Donc je sens que j’ai loupé quelque chose. Et du coup je suis… perdue. Évidement ça parle d’une prise de pouvoir puis d’une libération… mais l’horreur subie est trop peu dénoncée, le lien avec la filiation et l’abandon des parents trop flou… non… Je ne sais pas.

Je passe. Mais Patti je t’aime toujours.


3) Autumn, Philippe Delerm

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Dernier livre terminé ces premiers jours de janvier, péniblement, par devoir plus que par plaisir: Autumn de Philippe Delerm.

C’était pompeux, c’était looooong, c’était vide…

On suit la vie du groupe des pré-Raphaëlites à Londres. L’ambiance est aux arbres rouges et à la brume matinale épaisse et froide. Tout était là pour me plaire, le pays, le siècle, le courant artistique, la saison… mais je me suis ennuyée au possible. J’ai même été sidérée. Tant de choses qui ne sont pas abordées du caractère abusif de Rossetti envers Lizzie Siddal, une espèce de sympathie tendre de l’auteur pour ce crasse de peintre qui se noie dans l’orgueil, la drogue et les prostitués tout en clamant sa grandeur d’âme, sa pureté et son talent…

Et je ne parle même pas des dizaines de pages qui sacralisent les sentiments du pauvre John Ruskine pour, tenez vous bien… une enfant de 6 ans. Le peintre se plaint dans de longues lettres détaillées et geignardes de la société puritaine qui l’empêche de formuler son « amour » si pur pour cette petite. #vomi

Florilèges d’énormités, fond de boysclub sans complexe, et style mortellement ennuyeux… Non vraiment.


Next.


4) À son image, Jérôme Ferrari

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J’aime beaucoup beaucoup Jérôme Ferrari. Depuis Le sermon sur la chute de Rome, j’attendais son prochain roman avec impatience. Il y a beaucoup de choses que j’ai aimées dans celui-ci. Le fait que son héroïne soit habilement écrite, et pas inutilement érotisée, par exemple. Antonia est une jeune femme Corse qui s’éprend de photo lorsque que son oncle, le narrateur, (un prêtre) lui offre un appareil pour son anniversaire. Elle aime photographier pour s’extraire de la petitesse de sa vie de femme de bagnard. Mais le goût du risque prend le pas, éros et thanatos, et ses photos la rapprochent inexorablement de la mort. Elle devient photographe de guerre. Va sur le terrain, en pleine guerre de Yougoslavie, et capture les chairs meurtries, les orphelins, les cadavres dans la poussière.

C’est une lecture abrupte et cruelle. Très religieuse aussi. D’une manière plutôt mystique que catholique.

Mais ce que j’ai aimé ce sont plutôt des détails. C’est la justesse avec laquelle il parvient à décrire ce qui semble si féminin: comme ces relations sexuelles qui ne sont ni consenties ni réellement imposées. Cette zone grise entre agression et rapport sexuel, lors des premières fois (dont parle si bien Annie Ernaux dans Mémoire de fille), cette zone grise nourrie de ces clichés sexistes qui apprennent aux petits garçons à « prendre », aux petites filles à « offrir ».


extraits:


« Antonia cessa de lutter. Elle se sentit trahie par la docilité de son corps qui s’offrait mollement, elle s’entendait gémir alors que la vulgarité insigne de cette voix d’homme, pleine d’un désir qui ne la concernait même pas, faisait voler en éclat ses rêves d’encens, de tendresse et de draps blancs »


J’ai adoré aussi que le narrateur s’émeuve des vergetures de la seule femme avec qui il fait l’amour, qu’il appelle « d’imperceptibles marbrures à la naissance des seins, au pli de l’aine, comme l’esquisse des déchéances à venir ».


Bref. Il y avait de la grâce.


4) Le mur invisible, Marlen Haushofer

diglee mur invisible


Mon coup de coeur de l’année! (et le vôtre, puisque depuis cette chronique, le livre a été réimprimé cette année, et connaît un succès incroyable en librairie)


J’ai dû attendre un jour complet avant de faire ma chronique de ce livre, tellement il m’a secouée.

Au cours d’une balade à la Fnac de Lyon, je suis tombée sur ce roman mis en avant par les libraires, et dont je ne savais rien: la couverture m’ayant attirée (et le fait que ce soit une autrice),  je l’ai pris et en ai lu quelques pages au hasard, debout dans les rayons. Les larmes me sont montées immédiatement. J’ai rapidement parcouru le dos, mais je savais déjà qu’en rentrant, j’allais le lire. C’était comme un appel inexpliqué, une certitude trouble, intuitive.

Résultat: trois jours de lecture avide. Je n’ai pensé qu’à ce livre, vécu que par ce livre, en apnée, happée, consumée.


Le pitch (qui, comme ça, sur le papier, ne m’aurait pas du tout attirée… et pourtant!): une femme part en vacances à la forêt chez des amis. Mais un matin, un mur invisible s’est érigé dans la forêt, et tout ce qui est de l’autre côté du mur semble mort. Elle se retrouve donc seule, sans savoir ce qui s’est passé, accompagnée d’un chien qui n’est pas le sien. Commence la survie… et la liberté, aussi.


Ce livre est indescriptible. Le ton oscille entre tension, angoisse, et plénitude, douceur, sérénité. J’avais envie de franchir le papier et d’être avec elle dans cette clairière. Je ne pensais QU’À ÇA, nuit et jour. Le texte est écrit d’un bloc, sans presqu’aucun chapitre ni paragraphe, comme un cri, un souffle, quelque chose qui qui vacille et est prêt à mourir. C’est une fine réflexion, relativement sombre, sur l’humain, la violence, la nature, l’isolement, notre lien aux animaux, la féminité vieillissante…


Le texte date de 1963 et porte les stigmates d’une époque qui craint l’arme nucléaire. La peur d’une arme nouvelle, qui détruirait le monde, palpite en filigrane. La menace plane, qui ternit la douceur d’une vie au rythme des saisons et de la lumière.

Sorte d’hybride entre La Route de Mc Carthy et Walden, la vie dans les bois de Thoreau, mais écrit par une femme. Dont le héros, l’héroïne, est une femme. Les codes du genre sont balayés, pulvérisés: pas d’homme protecteur ou de femmes faire-valoir. La figure de l’ermite est revisitée, et à la nécessité de survivre s’ajoute la conscience intrinsèque qu’être seule, sans homme, dans un tel contexte, la sauve et la libère.


Je sais déjà que jamais, jamais je n’oublierai cette lecture. Elle m’a meurtrie, elle m’a nourrie, elle m’a marquée au fer.

edit: Un an plus tard, j’ai envie de le relire.


Bon sang, lisez ce livre!

(Il y a aussi eu un film Allemand qui paraît-il, vaut le détour!)


5) Truismes, Marie Darrieussecq

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Trois ans que j’avais acheté ce livre sur un vide grenier en me disant « il faut que je le lise ».

Le coup d’envoi, ça a été la masterclass qu’a donnée Marie Darrieussecq sur France Culture il y a quelques semaines. Je me suis dit « c’est maintenant ! »

Et ça a été une lecture… viscérale! Très déroutante, une lecture qui reste, qui marque.

Il y est question de métamorphose, mais contrairement à la métamorphose Kafkaïenne, qui part d’un état à un autre et qui est définitive, ici il est plus question de boucles. De cycles, de maîtrise (ou non) de son animalité. Ensuite, il y a, en toile de fond, la violence sexuelle faite aux femmes, et les dangers de l’extrémisme politique. L’héroïne, un peu naïve, peu cultivée, ingénue même, fait les frais de l’appétit carnassiers des hommes, et d’une société étrangement dictatoriale, dans laquelle la SPA a tous les pouvoirs et les émigrés sont exterminés.

Rhaaa, c’est impossible à résumer sans trop en dire. J’aurais tant aimé ne pas connaître le postulat de base, pour me demander ce qui arrive à l’héroïne au fil des pages… Mais j’ai beaucoup aimé!

Et certains passages étaient d’une poésie…


darrieussecq truisme diglee


6) Frankie Adams, Carson Mc Cullers

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Frankie Addams, en anglais « the Member of the wedding », est le troisième roman de Carson Mc Cullers, qu’elle rédige à 29 ans.

C’est l’histoire de Frankie, une adolescente de 12 ans un peu bougonne, piquante, révoltée et surtout terriblement seule. En ce mois d’août du sud américain moite et lascif, Frankie, qui vit avec son père, sa nounou/domestique/mère de substitution Bérénice, une femme noire d’une quarantaine d’année, et John Henry, son cousin de six ans fragile et dévoué, apprend que son grand frère va se marier. Et dès lors, son quotidien bascule.

L’idée que pour certains, un « nous » soit possible, elle qui n’a jamais vécu autrement qu’en « je », la submerge (voir extrait dans les photos suivantes).

Sa mère est morte à sa naissance, et elle a le sentiment que sa vie n’est que passivité et vacuité dans cette petite ville caniculaire du sud. Alors, elle change son prénom, pour tenter de retrouver le contrôle de sa destinée (comme l’autrice d’ailleurs, qui de Lula Carson passe à Carson tout court).


Ce roman est vraiment éprouvant. Tout pourrait toujours basculer, et l’écriture est dense, le rythme complexe, nerveux.

Mais il y a tant de passages sublimes: la discussion de fin dans la cuisine m’a émue aux larmes: Frankie explique à Bérénice qu’elle se sent prisonnière de sa vie, et cette dernière lui répond qu’elle la comprend… mais qu’elle même, en tant que femme noire, vit encore plus fort cet empêchement.


Écrit en 1946, en pleine ségrégation noire, il est d’une modernité incroyable (j’étais même surprise de découvrir la date de rédaction du texte): l’autrice y dénonce le racisme, mais aussi les agressions sexuelles faites aux femmes, et crée des personnages bien loin des stéréotypes de genre (John Henry, à la fin du livre, porte des talons et un boa de plumes

C’était suffocant et effréné, à l’image du mal être dramatique de certains adolescents. Mais c’était aussi très tendre… et très triste.

Sublime!


(Merci @marvin.darling pour ce conseil lecture!)


frankie adams cullers diglee


(Un super podcast à écouter pour découvrir Carson Mc Cullers)


7) Nous avons tué Stella, Marlen Haushofer

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Deuxième roman, très court cette fois, de Marlen Haushofer, écrivaine du Mur invisible.

Je pense que jamais couverture n’a aussi bien retranscrit l’ambiance du livre qu’elle abrite.

C’est le récit glaçant et honnête d’une femme épouse et mère, qui va être témoin de la destruction larvée et inéluctable d’une jeune femme, sous ses yeux, sous son propre toit.

Destruction dont elle est complice, et qu’elle analyse tout le long du roman, en même temps qu’elle décrit sa prison dorée: celle d’un couple qui fonctionne sur l’abus, le mensonge et la domination (à l’image de cette main, lourde et chaude, que pose son mari sur son épaule tous les soirs dans le lit: « tu es à moi »)


Il est question des femmes et des pièges qui leur sont tendus dès qu’elles passent de petite fille à objet de désir, et des rapports de force: hommes/femmes, mère/fils, père/fille, mari/épouse.

À l’instar de cet oisillon abandonné dans le nid au début du roman, qu’elle entend appeler à l’aide dans le froid et qu’elle n’arrive pas à aider, Anna s’étonne (et s’excuse?…) de la passivité qui l’a saisie alors qu’elle était témoin, chaque jour, du glissement progressif de la jeune Stella vers une mort certaine.

Lecture éprouvante et dénudée, furieusement sincère: cette mère résiliente et solide m’a bouleversée.

Décidément une écrivaine à lire.


8) Mes vies secrètes, Dominique Bona

bona diglee mes vies secretes


Fabuleuse fabuleuse lecture.

Comme je vous l’ai déjà confié en Story (ou dans cet article et celui ci), je lis les biographies de Dominique Bona depuis environ six ans. Tous ses portraits sont incroyables, d’une précision chirurgicale et sans jamais aucun ajout incongru: elle se base sur les faits, creuse, enquête, et décortique journaux intimes, correspondance, archives en tout genre pour ne nous offrir que la substance organique du réel (même si celui-ci est tout à fait romanesque). Chacune de ses biographies est une plongée dans une destinée hors du commun, et se lit comme un roman.

Tout est fabuleux sous sa plume, tout prend vie, et surtout: tout est VRAI. Et c’est précisément la source de cette quête de véridique qu’elle questionne dans « mes vies secrètes ». Pourquoi le choix de la biographie, plutôt que du roman, elle qui avait pourtant commencé par la fiction?


Dominique Bona nous emmène dans les coulisses de ses enquêtes, et la suivre est un jouissif: elle décrit les maisons de ces artistes, qu’elle parvient presque toujours à visiter même à l’autre bout du monde, ses rencontres avec des collectionneurs passionnés ou avec la descendance des sujets de ses livres qui lui donne accès à de véritables trésors.

Mais elle réfléchit aussi à ce qui la lie tant au trivial et au réel, plutôt qu’à l’imaginaire.

Peut être se livre t’elle bien plus dans sa manière de raconter les autres que dans l’exercice plus hypocrite de l’auto-fiction.

Je le crois bien volontiers, parce que les artiste qu’elle choisit se ressemblent tous (lui ressemblent?): ielles sont rebelles, indiscipliné.e.s, érotiques, violent.e.s ou passionné.e.s, mais toujours en marge de leur milieu social, de leur genre, de leur famille, ou de leur profession. Et pour cette Académicienne si érudite, à la prestance altière et droite, il n’est pas anodin de nous parler de sa passion pour Pierre Louÿs ou les correspondances amoureuses brûlantes. Elle nous livre, je crois, avec pudeur et malice, son propre portrait en creux, celle d’une femme Lion, indocile, qui aime (forcément) le soleil, la passion, l’interdit et la liberté.


Bona un jour, Bona toujours.


9) Calamity Jane, lettres à sa fille

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Lecture inattendue!

Une amie m’a conseillé ce livre il y a quelques semaines, et je suis tombée dessus par hasard à la librairie de la @labnf à paris. Je l’ai immédiatement acheté, confiante, et quelle belle surprise!

Il s’agit des lettres que Calamity Jane, la vraie, l’unique, la légende qui attrapait parcourait l’Ouest sur son cheval noir nommé Satan, a écrit à sa fille.

Au moment de la rédaction de ces lettres, le père de sa fille, un justicier du far Ouest lui aussi, vient d’être tué. Il l’avait quittée pour une autre, mais selon Jane, leur amour était intact. Se retrouvant veuve, elle décide de faire adopter son bébé par un jeune couple aristocrate et éduqué, pour lui offrir une vie plus confortable que la sienne, rythmée part la cavale, la violence et la planque.

La petite grandit sans connaître l’identité de sa mère, même si Jane lui rend visite parfois, comme une simple amie de son « père ». Ces lettres, elle les écrit pendant 20 ans, dans un vieux carnet qu’elle trimballe partout dans ses errances et ses batailles, mais elle ne les envoie jamais. Elle les confie à sa mort au père adoptif de son enfant, qui s’occupera de la transmission.


C’est une lecture éclair (à peine 100 pages), et déchirante. Calamity Jane décrit ses journées à cheval dans les parcs naturels et le désert, elle raconte le manque qui lui creuse le ventre, le manque de sa fille, de sa chair. Elle lui note des recettes de cuisine, lui parle de ses réticences à se remarier pour ne pas appartenir de nouveau à un homme, et confesse qu’elle a appris à écrire et lire pour elle, pour être capable lui offrir ces lettres. Elle tient à ce que sa fille n’ait pas honte de sa mère, et défend farouchement ses valeurs et ses combats politiques, tente de faire taire les rumeurs qui la traitent de folle ou de femme aux mœurs légères.

Cette édition contient une lettre inédite du père adoptif de sa fille, qui clôture le livre, et qui m’a tiré des larmes.

Le livre se dévore, et reste.


Un mystère planerait sur l’authenticité de ces lettres: certains historiens (masculins…) pensent qu’elle était analphabète, et que tout cela n’est qu’un vaste canular, mais d’autres spécialistes comme Laure Noël, estiment que rien ne vient infirmer la possibilité que ces lettres soient bien celles de Calamity Jane. Elle écrit, je cite:

« Certes, peu d’historiens américains pensent que ces lettres ont été écrites par Calamity Jane, estimant qu’elle était de toute manière analphabète. Mais curieusement, personne n’a encore réussi à le démontrer de manière probante. D’ailleurs, la propriétaire actuelle des lettres, qui fut la première à les publier aux États-Unis en 1952, a fait authentifier l’encre et le papier utilisés comme datant bien du siècle dernier. »


Réelles ou fantasmées, ces lettres n’en restent pas moins bouleversantes. Et n’oublions pas que souvent, l’Histoire ne garde en ses pages que les traces des réussites masculines (Quid des infinis débats autour de Louise Labé par exemple, dont personne pendant des siècles ne voulait croire en son existence).


10) « Ô mon George, ma belle maîtresse » 

Sand-Musset

sand musset diglee


Bon il fallait quand même que je fasse un post « fixe » de ce livre, lu en 2015, puis relu cette année ainsi que sa version augmentée, « le roman de Venise ».

C’est l’un de mes livres totem, l’une de mes obsessions les plus brûlantes, un livre (une histoire d’amour…) qui m’a modelée à jamais, et qui continue de m’atteindre en pleine chair. À tel point que je suis partie seule sur leurs traces à Venise, cette année, en mars dernier. (Me voici ici dans le hall du palace qui les a accueillis en 1834…)


diglee venise danieli


J’en parle -non sans émotion- dans le podcast littéraire Book Club Louie (à partir de 21:12).


Sand et Musset se rencontrent alors que George Sand a bientôt 30 ans, est divorcée, et a déjà une certaine renommée. Musset lui, est un jeune poète fanfaron de 22 ans qui court les bordels et les soirées mondaines. Après plusieurs mois d’une cour effrénée de la part de Musset (qui a lu Lélia et admire la plume de George), les amants se cèdent, vivent quelques mois de rendez vous secrets à Paris puis décident de tout quitter (Sand a deux enfants déjà) pour filer à Venise et s’aimer loin du tout Paris qui les surveille. Ils arrivent à l’hôtel Danieli, et là, le drame commence.

Musset s’ennuie: le jeune chien fou a envie d’aventure et de romanesque, mais Sand est malade. Alitée, exsangue, elle le dégoûte. Dans ses élans de cruauté, il l’appelle même « l’ennui personnifié », « la bête », « la religieuse », et lui admet qu’il ne l’aime plus. Sand reste alitée plusieurs semaines, pendant que Musset court les bordels, se bat, revient en sang ou ivre chaque soir. Les amants se séparent, mais Sand n’ose pas partir et laisser Musset à sa débauche dans un pays dont il ne parle pas la langue. Elle reste. Et Musset tombe à son tour malade… là, la machine s’inverse, et Sand le veille. Elle envoie des lettres pour avoir de l’argent, et s’occupe de lui comme d’un enfant (Musset a des tendances suicidaires et hallucinatoires). Le médecin arrive pour les aider, et finalement, Sand le trouve très charmant. Elle annonce leur relation à Musset quand il est remis, et ce dernier quitte l’Italie vexé et anéanti.


sand musset -basse def

Tout aurait pu s’arrêter là.

Mais les amants sont incapables de se quitter. Ils se réécrivent, croient d’abord à une amitié possible, se félicitent de ce qu’ils ont réussi à mettre en place de doux et de bienveillant… puis ils se revoient au bout de six mois, et tout re-bascule.

Jusqu’à cette dernière lettre de Sand absolument déchirante…


Pour celleux que cette passion intéresse, je conseille de lire Le roman de Venise, bien plus complet encore, qui contient non seulement leurs lettres, mais aussi des extraits de journaux intimes de Sand ou des carnets de Musset, des lettres de leur entourages et à leur entourage… une réelle enquête littéraire et historique autour de leur relation.

Je conseille aussi de lire Elle et lui, mon roman favoris de Sand, qui raconte, vingt ans après les faits à la mort de Musset, les détails de leur relation, déguisée en fiction.


roman de venise diglee  elle et lui


Le film de Diane Kurys, Les enfants du siècle, est aussi une belle adaptation du livre, avec Juliette Binoche et Benoît Magimel tous deux très convaincants (seule la fin, à mon sens, est inexacte, mais je chipote)


Affiche


Dans ma lubie obsessionnelle, j’ai aussi lu le journal intime de George Sand, pour m’approcher encore au plus près des rouages de cette sublime passion destructrice.

Sand et Musset, l’un des couples littéraire qui continuera de me hanter encore des années durant, j’en suis certaine…


Journal-Intime sand


Je pourrais en parler des heures, mais on continue ma liste 2019.


11) Seule Venise, Claudie Gallay

seule venise diglee claudie gallay


Je suis assez mitigée sur cette lecture.

J’ai déjà lu « la beauté des jours » de Claudine Gallay l’année dernière (dans ma lubie Marina Abramovic), que j’avais aimé, mais là je suis plus… dubitative. Étant moi même partie seule à Venise il y a quelques semaines, j’ai évidement adoré me replonger dans l’ambiance si particulière de la ville, et me remémorer certains instants poétiques vécus dans ses ruelles.

Le livre de déroule en hiver, Venise est déserte et froide, et ça, j’aime.

Mais j’ai trouvé le reste trop… cliché. Cette femme partie pour oublier un homme, qui se raccroche immédiatement à deux autres, à peine arrivée. L’un est l’archétype du père, âgé, cultivé, un peu dur, l’autre est l’archétype de l’intellectuel mystérieux et taiseux, séduisant, inaccessible. Dans les deux cas, ce sont eux qui dictent son voyage: ils lui disent quoi lire, où marcher, comment boire son vin, quoi écouter comme musique (et elle le fait!!)… C’est dommage, parce que si classique, si attendu: cette femme quittée qui tombe folle amoureuse d’un type en une semaine, et qui idolâtre un vieux monsieur parce qu’il lui fait penser à son papa….

Bref. Ça se lit très bien, très vite, il y a quelques jolis passages et une atmosphère agréable, mais j’avais un peu les yeux aux ciels toutes les deux pages.


12) Brève apologie de l’éloignement conjugal, Laurent Gired

laurent girerd diglee


Pépite!!


Une amie m’a envoyé ce livre récemment.

C’est l’histoire de sa propre mère et de son nouveau compagnon qui, depuis plus de dix ans, après une rencontre électrique dans une librairie, vivent une passion amoureuse… à plus de 1000km. Ils sont mariés, amants, meilleurs amis, mais toujours séparés par les trajets en train et l’attente, la solitude, le manque (choisis).


C’est un merveilleux témoignage de ce que peut aussi être l’amoureux hors des cases, hors du carcan des habitudes et de la trivialité quotidienne: un amour entre deux amoureux des lettres, qui fait débat, qui gêne parfois, dérange leur entourage.


Une déclaration d’amour poétique vertigineuse d’un homme à sa femme:


« tu ne peux pas m’être plus proche qu’en restant ma première destination.»


Merci @merrion_tenbeatsaminute pour la découverte!


12) Personne ne disparaît, Catherine Lacey

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Il est rare que je sorte de mes obsessions littéraires pour tenter des lectures dont je ne sais rien.

C’est pourtant ce qui s’est passé ici, lorsque Myriam Anderson, éditrice et traductrice chez Actes Sud m’a envoyé ce roman.

L’histoire d’une femme qui quitte tout, sa vie, son mari, son pays, sans revendication particulière. Juste parce que plus rien n’a de sens, parce que son quotidien ne la divertit plus, ne l’émeut plus, et parce que les angoisses et les souvenirs sombres prennent lentement le dessus.


Ce texte m’a rappelé « sans toit ni loi » d’Agnès Varda, avec cette femme rebelle seule sur la route, offerte au hasard et aux dangers, errant sans but, mais aussi « la fenêtre panoramique » de Richard Yates, avec son épouse étouffée par le trivial et le quotidien, qui cherche à s’échapper d’un couple condamné au désamour.

Le tout avec un décalage et un cynisme très New Yorkais, affûté et acide, une langue bavarde, suffocante, effrénée, sans pauses.


Lecture hybride détonnante, avec de vrais moments de grâce.


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13) L’usage de la photo, Annie Ernaux

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Une autre de mes lectures favorites de l’année.


J’avais raté ce texte d’Annie Ernaux (comment est ce possible??) dans son incroyable bibliographie.

C’est pourtant un de ces projets comme je les aime, qui mêle vie intime et projet artistique.

Jamais Annie Ernaux n’avait écrit sur le cancer du sein qu’elle a combattu vers 2003. La mort qui guettait, tapie, n’a jamais trouvé de forme littéraire acceptable aux yeux de l’écrivaine. Puis il y a eu cette histoire, une relation charnelle surtout, avec Marc Marie, un homme qu’elle rencontre au moment où elle commence sa chimio : comme une ode à la vie, un triomphe de la vie sur la mort, ils vont coucher ensemble, beaucoup, passionnément.


Le texte s’articule autour de photos que les amants ont pris de leurs vêtements abandonnés par terre en tas informes, comme rescapés d’une tempête.

Chacun décrit tour à tour une photo et les souvenirs qu’elle lui évoque, et ils ne se montreront leurs textes qu’à la fin du projet. Le résultat est stupéfiant, les souvenirs miroitent, et Annie trouve par ce biais détourné, le moyen d’accéder aux souvenirs plus traumatiques, du corps sondé, envahi, annoté, opéré. La citation d’ouverture est de Bataille, et elle résume l’essence de ce livre: « l’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort ».


Tout lire d’Annie Ernaux, TOUT.


14) Infidélités, Vita Sackville West

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Premier texte que je lis de Vita Sackville West, romancière, poétesse, essayiste, biographe, traductrice et jardinière britannique (comme la décrit sa page Wikipedia), connue entre autre pour avoir été l’amante et la confidente de Virginia Woolf. Leurs lettres sont d’ailleurs savoureuses!

Infidélités est un recueil de nouvelles, forme dont je n’ai pas l’habitude, qui regroupe plusieurs textes écrits entre 1922 et 1932 et publiés dans divers revues.

Six textes courts, qui se regroupent autour du non-dit, du vide, du secret qui ronge, de l’absence. Des amours contrariées, ratées, impossibles.


C’est plein de fleurs, d’embarras, d’élans contenus.

Très anglais, finalement.

Jolie lecture de printemps, mélancolique et acide.


15) Ma vie et mes folies, Peggy Guggheneim

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J’ai acheté ce livre au meilleur endroit possible: à Venise, dans sa maison-musée, là où elle est enterrée avec ses 14 chiens.

Instant magique, cette visite, je suis restée plus de trois heures sur place (l’avantage de voyager seule…), à errer dans les salles, m’assoir dans le jardin au soleil ou contempler le grand canal depuis sa terrasse, où trône la fameuse statue dont le pénis en érection était jadis amovible (jusqu’à ce qu’il soit un jour volé.)


J’ai fait durer la lecture le plus possible, déjà parce qu’elle me ramenait dans cette Venise qui m’a littéralement RAVAGÉE émotionnellement, mais aussi parce que Peggy a croisé absolument toute la sphère artistique de ce qu’on appelle l’art moderne, période que je chéris, et que chacune des anecdotes concernant mes chouchous était savoureuse (Duchamp, mon amour).

J’ai découvert une femme étonnante, et pris la mesure de tout ce qu’elle a accompli et à quels risques, pour sauver l’art de son siècle, qui était alors dénigré par beaucoup. Même le Louvre a refusé de l’aider à cacher sa collection pendant la seconde guerre mondiale, estimant que les artistes en question ne méritaient pas le risque pris. On parlait quand même de Kandinsky, Miró, Picabia, Klee, Léger, Ernst, Tanguy, Magritte ou Mondrian.

C’était un témoignage passionnant, drôle, pas toujours tendre, mais en tout à fait impressionnant.

Je l’ai quittée avec regrets.


Comme je le disais en Story, pour celleux qui veulent la découvrir sans forcément attaquer une biographie ou son autobio, il y a toujours la super bd que lui a consacrée Pénélope Bagieu, dans le tome 2 des culottées.

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16) J’ai un tel désir, Françoise Cloarec

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Lecture du week end, qui m’a laissée… partagée.


Le livre nous raconte le lien qui unissait la maman de Benoîte Groult, Nicole, et la peintresse Marie Laurencin.

Mais ce lien, justement, me semble parfois bien mal « nommé ».

Comme trop souvent en littérature, je trouve qu’on peine à bien parler d’homosexualité féminine, ou de bisexualité.


Marie et Nicole sont amoureuses: elles se désirent, s’aiment, sont fusionnelles même si mariées, chacune, évidemment (on est en 1910-15). Marie écrit à Nicole des choses comme « j’ai un tel désir de voir ton visage dans le plaisir… je pense souvent à cela »: mais l’autrice, pourtant tendre et bienveillante, s’évertue à qualifier ce lien d’ « amitié passionnelle », ou d’ « amour pur » et « sensible ». Elle souligne comme chacune est une femme libre et décomplexée, en désaccord avec les mœurs de son temps. Or on n’aime pas une autre femme pour être décadente: on l’aime parce qu’on ne peut pas faire autrement.

Tout le livre, j’ai eu du mal à comprendre ce qui rendait si difficile l’appellation de lesbienne ou de bisexuelle. Plusieurs lignes décrivent même les deux femmes comme étant « à l’opposé de l’idée que l’on se fait d’une lesbienne » (qu’elle est cette idée, je serais curieuse?). Comme s’il y avait UNE lesbienne, UNE manière de vivre l’amour entre femmes. En même temps, le livre se fait le témoin de cet amour, investi, charnel, profond (Nicole dira à Marie Laurencin qu’elle est « le père » de Benoîte Groult), et en même temps, parfois, certaines lignes sonnent faux, comme de rapprocher le fait que Marie Laurencin n’ait pas eu de père au fait qu’elle ne parvienne jamais à s’établir avec un homme. N’était-ce pas tout simplement parce qu’elle aimait les femmes, ou les deux genres…?

Bref: le texte est riche et documenté, l’autrice a rencontré Benoîte et sa famille, enquêté avec passion. Mais je trouve qu’on parle encore mal des femmes qui s’aiment. Qu’on cantonne trop l’amour entre femmes à un truc joli et rose, doux et sensible, coquet, alors qu’il peut être aussi complexe, moite et dévastateur qu’un amour femme-homme.


C’était malgré tout, ces maladresses mises à part, une lecture émouvante et passionnante.


17) La mère de ma mère, Vanessa Schneider

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J’ai acheté ce livre au salon du livre de Hyères où j’ai dédicacé cet été et où j’ai pu rencontrer la géniale Vanessa Schneider. Ce texte, c’est son premier livre édité, et c’est par lui que j’ai voulu commencer à la découvrir: la sève de toute l’œuvre d’un auteur est souvent contenue dans son premier roman.


Il est question ici de sa famille, des secrets, des non dits… de la notion de transmission.

L’autrice part à la découverte de la mère de sa mère, Clara, née à Port aux Princes en 1906. Elle l’appelle Clara plutôt que « grand mère », parce qu’elle ne l’a pas connue: elle la rencontre pour la première fois lorsqu’elle a trente ans, et découvre une petite femme dure et autoritaire, que sa fille (la mère de l’autrice) a fui parce qu’elle ne savait pas l’aimer.

On suit donc en parallèle le portrait de la mère puis de la grand mère de Vanessa Schneider, et les parcours de chacune sont semés de manques, de blessures, de vide. On mesure le racisme subit par Clara et sa fille lorsqu’elles arrivent en France. Les petits voisins et leurs parents qui refusent que l’enfant joue avec des cailloux, de peur qu’elle ne les salisse.

En enquêtant sur sa famille, Vanessa Schneider découvre ses racines, son patrimoine, son héritage. Elle explore sa part noire, la nature de son lien à sa mère, et à la maternité en général.

C’est un texte court, séquencé, efficace.

Touchant.


18) Celle que vous croyez, Camille Laurens

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Joli hasard que cette lecture!


J’ai trouvé ce livre dehors, devant la librairie Le livre en Pente à Lyon. Parmi une pile de livres à donner, j’ai repéré la collection blanche de la NRF, j’ai identifié qu’il s’agissait d’une autrice, et ça m’a suffit à attraper le livre, curieuse.

Dedans surprise, il était dédicacé.

Je l’ai emporté chez moi sans trop m’attarder ni sur le sujet ni sur l’histoire du livre.

Eh bien quelle heureuse découverte!


Un texte étrange, haletant, tissé de réflexions féministes et de citations littéraires. Parfaite surprise!

L’héroïne, une prof de français quinca, raconte à un thérapeute ce qui l’a amenée à être ici, internée. Elle explique comment elle a créé un faux profil Facebook pour espionner son ex, et comment, de fil en aiguille, elle s’est finalement rapprochée de Christophe, un ami de ce dernier.


Le pitch parait simple, peu glamour et un peu trivial. Le style est oral, difficile à suivre les premières lignes. Pourtant très vite, Camille Laurens nous emmène dans le monde souterrain des doubles et des miroirs, des échos, de l’érotisme, des secrets. Elle joue avec la temporalité, le réel, le fantasmé. Elle questionne la place de l’écrivain qui se nourrit du vécu des autres pour enrichir ses récits, et elle jalonne son texte de punch lines féministes brillantes, sur le traitement réservé aux femmes de plus de quarante ans à qui l’on interdit le désir, la sexualité, et à qui l’on retire le droit d’être vues (coucou Yann Moix).


« Dans l’amitié comme dans l’amour, on est souvent plus heureux par les choses que l’on ignore que par celles que l’on sait. »

La Rochefoucauld


Savoureux!


19) Les confidences, Marie Nimier

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Autre claque de l’année!


Éblouissant. Magique. Obsédant.


En panne d’inspiration pour son prochain livre, Marie Nimier laisse une annonce un peu partout dans une petite ville: elle invite les gens, n’importe qui, à venir lui confier de manière anonyme un souvenir, une pensée, une phrase, un désir, un remords qui les hante. Quelques jours plus tard, elle s’installe dans un appartement vide prêté par la mairie, pose un bandeau blanc sur ses yeux, et les individus défilent.

Les histoires s’enchaînent, bouleversantes, poétiques, malaisantes, étranges, tristes. La neige survient, le froid, et l’écrivaine se rend perméable à la chair chaude des souvenirs des autres.


Moi qui suis fascinée par la vie des gens, vivre à travers elle ce genre de moments de confession et de confiance (à l’instar de Sophie Calle qui demandait à des inconnus au cimetière de Brooklyn de lui livrer l’un de leurs secrets pour qu’elle l’enterre dans une tombe achetée pour l’occasion), cela me fascine, et me bouleverse.

J’ai plongé avec ravissement dans l’intime extraordinaire de personnes ordinaires, et j’ai été surprise, choquée d’y trouver tant de romanesque, tant de poésie. A t’elle brodé, a-t-elle joué à l’écrivaine et fantasmé le contenu de ces histoires? Elle dit que non. Que tout l’intérêt de ce livre réside dans l’authenticité de son contenu. Pas de mensonge. Pas de théâtre. Juste la sève secrète d’inconnus qui avaient besoin d’être entendus.


J’en tremble encore!


20) Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard

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Très très belle écriture.

L’écriture du désir et de la passion qui ravage.

Ça raconte l’histoire d’amour de la narratrice avec Sarah et ses yeux verts de serpent.

J’ai été happée par la première moitié du livre, que j’ai lu d’une (presque) traite… puis c’est devenu trop… sombre.

La chape de plomb s’est mise à peser trop lourd pour moi, et je suis restée un peu en dehors de ce chagrin théâtral qui emporte la narratrice. Peut être que ce n’était pas le bon moment, peut être que mon coeur va mieux et qu’il résonne moins au chagrin des autres… mais certains passages sont d’une poésie incroyable, le style est incisif et acide, royal…

Merveilleuse découverte!


21) Charing cross road, Helene Hanff

charing cross road diglee


Récemment, avant de l’offrir, j’ai relu cette petite pépite.

Je l’avais lu une première fois vers 2009 (vous pouvez lire l’article que j’avais rédigé alors, sur mon ancien blog, ici!), et j’en avais un souvenir incroyable. Je l’ai relu d’une traite dans un café il y a quelque semaines, et la magie était intacte. (ci dessous le dessin que j’avais fait à l’époque!)


diglee charing cross road 2009


Ce mini texte est une correspondance (réelle) entre Helene Hanff, une scénariste américaine cynique sans le sou, et Frank Doel, un libraire londonien, à la fin des années 40.

La seconde guerre est terminée mais l’Angleterre est encore rationnée et certaines denrées manquent.

Helene, passionnée de littérature, écrit à une librairie Anglaise pour leur demander un exemplaire d’un livre qu’elle peine à trouver aux États Unis. De cette demande triviale et informelle va naître une amitié littéraire hors norme. Leur correspondance, qui s’étale sur vingt ans, est une ode aux passionnés de livres rares et de littérature: un cri d’amour à tous ces gens que les mots guérissent.


La fin me serre la gorge à chaque lecture, j’ai pleuré avec délice dans ce café où je l’ai relu.


Une de ces histoires comme je les ADORE.

(Le livre a été adapté au cinéma en 1987 avec Anthony Hopkins!)


L’amie à qui je l’ai offert, Héloïse, en a fait une critique aussi sur sa page Instagram… Allez la lire!


Voilà pour la première partie: je vous prépare la suite dans les jours à venir.
Bonne première journée de 2020, et à très vite!

Littérairement vôtre,

Maureen

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Published on January 01, 2020 06:11

October 2, 2019

Sexinktober Day 2

Petit dessin inspiré de la correspondance (brûlante!) entre Natalie Clifford Barney et Liane de Pougy…


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Rappel du contexte:


Depuis quelque temps j’ai envie de ré.explorer mon imaginaire érotique, maintenant que j’ai sur le nez mes terribles et exigeantes lunettes féministes.

D’essayer de trouver des repères et des représentations sexuelles moins stéréotypées, et surtout moins misogynes.


Je trouve que c’est un exercice très très difficile, en bonne meuf hétéro cis conditionnée par un porno et une société toujours plus phallocentrés et sexistes. Mais je persiste à croire qu’il y a une nouvelle forme à donner à ces zones tentaculaires et sacrilèges du désir, en empruntant de nouveaux codes, ou en s’amusant des anciens pour les détourner. La limite de l’exercice étant évidemment qu’il s’agit du prisme de mon propre désir, et que je ne pourrai jamais tendre à l’universel: quoi de plus personnel que le désir? Cela restera un accès voilé à ma matrice, à mon paysage fantasmé.


Je me disais qu’inktober aurait pu être une bonne occasion d’aller explorer ces nouvelles régions de l’érotisme. (Mais peut être que finalement, je changerai d’avis et dessinerai des sorcières aux robes cosmiques et des fantômes… who knows?)


 

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Published on October 02, 2019 13:25

October 1, 2019

SexInktober

Depuis quelque temps j’ai envie de ré.explorer mon imaginaire érotique, maintenant que j’ai sur le nez mes terribles et exigeantes lunettes féministes.

D’essayer de trouver des repères et des représentations sexuelles moins stéréotypées, et surtout moins misogynes.


Je trouve que c’est un exercice très très difficile, en bonne meuf hétéro cis conditionnée par un porno et une société toujours plus phallocentrés et sexistes. Mais je persiste à croire qu’il y a une nouvelle forme à donner à ces zones tentaculaires et sacrilèges du désir, en empruntant de nouveaux codes, ou en s’amusant des anciens pour les détourner. La limite de l’exercice étant évidemment qu’il s’agit du prisme de mon propre désir, et que je ne pourrai jamais tendre à l’universel: quoi de plus personnel que le désir? Cela restera un accès voilé à ma matrice, à mon paysage fantasmé.


Je me disais qu’inktober aurait pu être une bonne occasion d’aller explorer ces nouvelles régions de l’érotisme. (Mais peut être que finalement, je changerai d’avis et dessinerai des sorcières aux robes cosmiques et des fantômes… who knows?)


Day 1

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Published on October 01, 2019 10:02

September 2, 2019

Doubles standards

En juin dernier, j’ai eu la chance d’illustrer un merveilleux et passionnant article du Nouveau Magazine Littéraire sur les doubles standards du marché amoureux… Édifiant!


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Published on September 02, 2019 04:25

May 20, 2019

Anaïs Nin

Plus de dix ans que je lis (et collectionne tout d‘) Anaïs Nin.


anais nin rouge


anais nin bleue


Plus de dix ans qu’elle m’inspire, me choque, me séduit, me gêne, m’émeut… me fascine.

De tous les livres du monde entier, je crois bien que c’est son Journal que je sauverais. À plus forte raison, les volumes qui couvrent la période années 30.

Parfois j’en relis un tome, comme ici, Le Feu que j’ai déjà lu en 2009 et que je relis, dans une édition trouvée par hasard chez les bouquinistes à Paris, et que j’annote continuellement.


L’illustration ci-dessus est inspirée de ce passage, dans lequel Anaïs, en voyage à New York avec Henry Miller en 1935 (elle a 32 ans), raconte une incartade sensuelle avec George Turner, un riche Américain intellectuel qui la courtise depuis plusieurs mois. Elle est à ce moment de sa vie en pleine quête d’expériences nouvelles, de plaisirs charnels variés: elle enchaîne les aventures avec des hommes, des femmes, à 2, à 3, à plusieurs: elle expérimente, analyse, s’autorise la débauche qui la fait tant fantasmer. Elle tente aussi de se défaire de son amour passionnel et déçu pour Henry Miller, dont elle perçoit la trivialité molle et la paresse affective :


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(le Feu, version non expurgée, traduit par Béatrice Commengé)


Mais ce que je regrette avec l’image d’Anaïs Nin et sa postérité aujourd’hui, c’est que trop de gens ne l’assimilent plus qu’à Venus Erotica. Partout où je parle d’Anaïs, on ne me cite que ce titre, et trop peu son Journal, encore moins ses romans.

Or ce livre est tout sauf caractéristique de sa plume. Et j’avais envie de prendre le temps de dire pourquoi: pourquoi ce livre ne la résume pas, et pourquoi il faut vraiment, si on veut la connaître, lire son journal.


Au départ, Venus Erotica est un recueil de nouvelles érotiques commandé à Henry Miller par un vieux monsieur riche et libidineux. Le dandy grisonnant veut corser ses soirées lectures, et il est prêt à payer le prix fort.


venus erotica


Henry Miller, d’abord enthousiasmé par l’idée coquine et rentable, se lasse finalement assez vite. Au bout de quelques nouvelles, il tourne en rond.

Anaïs, alors sa compagne -son amante régulière, plutôt- , prend la plume à sa place et se prend au jeu, grande adepte des masques et rôles en tout genre, le tout dans le plus grand secret du commanditaire évidemment.

Se faire passer pour Miller, écrire du sexe amoral, endosser le rôle d’un homme concupiscent et exciter les foules en secret, le jeu l’a certes, amusée, et l’argent a permis à Miller qui était sans le sou de vivre un peu moins misérablement. Mais de cet exercice, elle dira -avec malice et sans gêne- qu’il s’agissait plus de « prostitution littéraire » que de réelle création.


Anaïs a d’ailleurs un rapport ambivalent avec la prostitution.


Elle parle souvent dans son journal (lorsqu’elle a entre 28 et 30 ans) de son désir secret d’être prostituée, et de ce qu’elle considère comme de la lâcheté à ne pas oser franchir le cap: un jour, dans les années 30, elle quitte sa maison, son mari Hugo, prend une chambre d’hôtel et envisage de ne jamais revenir. De monnayer son corps, de s’abandonner aux plaisirs de la chair, et de conquérir sa liberté de cette manière, d’explorer ses perversions. Finalement, elle renonce, fébrile, et rentre à Louvecienne. Une autre fois, dans son journal encore, en 1935, elle écrit:


« Aujourd’hui j’ai sérieusement envisagé de devenir une cocotte de luxe. »

ou encore


« j’ai envie de devenir une prostituée mais je ne sais pas comment m’y prendre ». (le Feu, édition non expurgée)

Alors bien sûr, avec ces nouvelles, elle a joué le jeu de la prostituée sans le risque du réel flasque et de la violence des corps. Ça l’a divertie, et elle était fière d’être l’une des rares femmes à avoir écrit de l’érotisme (encore aujourd’hui, c’est un domaine exclusivement masculin).

Mais il n’y a pas l’onirisme, le mysticisme, le secret, la finesse, la passion que l’on retrouve dans les milliers de pages de son journal. Elle dira d’ailleurs de tout son travail que seul son journal compte vraiment.


« Je projette de ne plus jamais sortir du journal pour écrire des romans, mais de perfectionner et de développer cette forme d’expression. Je ne suis douée que pour le Journal. »

(juin 1935 , Le Feu)

Anaïs Nin est l’une des diaristes les plus productives de tout le siècle.


Elle réinvente le genre du journal intime, et la langue aussi: francophone de naissance, elle décide pourtant d’écrire en anglais. Sa voix anglaise est une voix déroutante, bizarre, lunaire. Tant dans la forme donc, avec son anglais curieux et personnel, que dans le fond, avec ces sujets amoraux abordés sans fard, elle brise les frontières entre le réel et l’imaginaire. Elle retravaille sans cesse ses textes, intègre des passages a posteriori, parfois plusieurs mois plus tard (le récit de son avortement…), en supprime d’autres; elle façonne le matériau brut de son expérience pour tenter d’accéder, par les mots et par la prose, à l’universel.

Or, Anaïs est tout sauf universelle dans son parcours. C’est une femme névrosée qui tentera toute sa vie de comprendre et d’apprivoiser ses démons. Elle deviendra d’ailleurs psychanalyste dans le milieu des années trente à New York, formée par Otto Rank son propre psychannalyste -et amant-.

La complexité de l’âme humaine, les connexions aux traumatismes, les accoutumances émotionnelles et la transcendance artistique la passionnent.anais nin citation digee

Abandonnée à 13 ans par un père abusif, elle développe un lien à ce Père mais aussi aux hommes en général plein de débordements et de douleurs, d’excès, d’insécurité, de soumission et de destruction. Père avec lequel, lorsqu’elle a trente ans, elle renoue, et décide d’avoir une aventure sexuelle. Dernière chance d’être aimée de lui. S’il n’a pas aimé la fillette (il lui disait qu’elle était laide), peut être aimera t’il la femme, pense t’elle. Tabou originel, l’inceste donnera son titre à plusieurs de ses oeuvres. Détruire le monstre par le monstre, cercle infernal de validation et de détestation de soi.


« Je ne crois pas que je cherche un homme, mais un dieu. Je commence à éprouver un vide, qui correspond certainement à l’absence d’un dieu. J’ai déifié l’homme. L’un après l’autre, j’ai cherché un guide, un père, un chef, un soutien, un mari, un protecteur, des amants, un père, des camarades, mais il me manque encore quelque chose. Ça doit être Dieu. Mais je déteste un Dieu abstrait. Je veux un Dieu de chair, un Dieu incarné et fort, avec deux bras et un sexe. Et sans défauts. (…) J’ai aimé le génie, ce qui se rapproche le plus de la divinité. »

(Inceste, 1933)

Quand on lit Anaïs Nin, on traverse un prisme d’émotions contradictoires et déstabilisantes. Elle questionne la réalité, la morale, la sincérité, mais la littérature, aussi. Qu’a t’on le droit de dire, qu’est ce qui donne à l’intime une valeur littéraire?


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De son vivant son journal est paru tronqué, censuré, dissimulant précisément tout ce qui fait son intérêt littéraire et sociologique: le journal d’une femme abusée et abusive, qui ne trouve le salut que la passion amoureuse, l’écriture et surtout: la dissimulation.


« Je suis trop fière pour me donner, pour me confier, me livrer au grand jour; je choisis une littérature ésotérique, un journal secret, une passion unique. Trop fière pour céder aux liaisons ordinaires. Noble. Tout doit être grand, noble. »

Inceste, 1933

Cela m’attriste et me rend folle que, de toutes les personnes qui ont eu la chance de l’interviewer de son vivant, personne n’ait jamais eu connaissance des secrets que renfermait son journal. Évidemment, elle savait que tout cela serait révélé dans un second temps, et son cher ami Rupert Pole à qui elle a confié ses manuscrits, a tenu parole en rééditant le Journal annoté, commenté et enrichi de sublime préfaces dans les années 90.


Mais tous les gens qui ont lu Anaïs Nin dans les années 70 n’ont PAS connu Anaïs. Ils n’ont pas su les amours multiples, la détresse affective, la faim d’amour, les après midi de moiteur contre le corps d’Henry Miller, son histoire déçue et torturée avec Antonin Artaud, sa liaison indicible avec son père, son avortement, ses errances psychiques, ses failles, sa manière de transcender ses traumatismes en créant de la poésie…

Quel gâchis…

La reine du secret et des contes a réussi à nous faire croire qu’elle nous offrait son intime le plus enfoui, alors que tout dormait dans des boîtes en fer, attendant la mort de ses proches (notamment de ses deux maris…) et la sienne.


Bref. Lire Anaïs Nin est éprouvant, rassurant, dangereux, viscéral, poétique

livres anais nin


Son journal, c’est l’exploration de la névrose par le truchement d’un « je » surréaliste et poétique: un « je » féminin, la voix de « l’Autre », de l’invisible, une voix de sorcière et de fée, calculatrice et brisée, solitaire et fusionnelle.


Anais nin citation diglee


anais nin 1936


« Morale du journal? De quoi a besoin le monde? de l’illusion que j’ai donnée dans la vie ou de la vérité que j’ai offerte dans mes écrits? »

Anaïs Nin, Inceste, 1933

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Published on May 20, 2019 12:06

February 6, 2019

Féminisation de la langue

feminisation metiers-diglee neutre masculin-diglee


 


Illustrations réalisées pour le numéro de Février du Nouveau Magazine Littéraire.


Fière, honorée et HEUREUSE d’avoir contribué à cet article passionnant et nécessaire, sur la « féminisation de la langue Française », un thème qui me m’anime vigoureusement et pour lequel je milite ardemment depuis plusieurs années.


Rappelons qu’il s’agit dans la 1ere illustration non pas de termes inventés, mais bien des termes à la déclinaison juste (les mots en TEUR viennent du latin TOR, qui devient TRICE au féminin), et qui étaient en vigueur jusqu’en 1634, date de création de l’Académie Française qui en a supprimé l’usage parce que (tenez vous bien, argument solide) « il s’agit de métiers que les femmes ne sont pas dignes d’exercer ».

Il s’agissait donc d’un choix tout à fait politique (et sexiste) de supprimer les femmes de la langue, et notamment de ce qu’elle désigne de prestigieux (ils ont en revanche laissé les déclinaisons féminines des métiers qu’ils considéraient comme mineurs.).

Décision tout aussi politique que celle d’avoir décrété que « le masculin l’emporte sur le féminin » -alors que jusque là, l’accord de proximité était d’usage- pour la raison suivante: « le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble »(Vaugelas, 1647). Pourquoi plus noble? « À cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (Beauzée, 1767).


LA GRANDE CLASSE!!!


Alors, à celleux qui se battent pour « auteure », eh bien, c’est un premier effort, hein, c’est déjà mieux que « une auteur », mais sachez que c’est un pur néologisme. Disons que ça a aussi peu de sens, grammaticalement, que de dire que je suis une illustrateure, ou que Meryl Streep est une acteure.


Et à celleux qui trouvent ça laid, promis, le cerveau est bien fait, au bout de quelques mois d’utilisation, vos oreilles arrêteront de saigner: car flash news, on s’habitue à tout.

Puis bon… aux dernières nouvelles, on ne parle pas juste parce que les mots sont « jolis » mais parce qu’ils sont justes. Sinon, c’est le retour des Précieuses Ridicules… et à ce moment là, moi j’arrête de dire « croûte », parce que je suis désolée, hein, mais franchement, ce mot me répugne.


Allez.

GROS BISOUS l’Académie Française!


Maureen


 


(PS: lisez « non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin » d’Eliane Viennot!

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Published on February 06, 2019 10:34

November 21, 2018

Inktober 2018

Cette année, rebelotte.

Pour le défi Inktober j’ai voulu illustrer des poèmes de femmes.


Les poétesses, ces oubliées. Ma lubie, ma fascination. Mes invisibles.


L’année dernière, quand je commençais le défi, j’en connaissais 5… Aujourd’hui, j’ai sur mes étagère une centaine d’ouvrages, en vélin, en papier froissé, des rares, des antiques, des cornés, des pelliculés, des signés, des disparus, des bilingues, des auto-édités, des prix Goncourt… je collectionne les vers, je collectionne les femmes.


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Cette année, j’ai eu moins de temps, je n’ai pas fait 31 dessins: mais j’ai vécu de vraies passions, j’ai vibré et été émue par des centaines de vers, j’ai dû trier parmi une cinquantaine de femmes encore toutes brillantes, puissantes, tranquilles ou dévorées.


Je vous les ai livrées sur mon Instagram au cours du mois d’octobre, avec, cette fois-ci, quelques mots rapides sur leur vie, quelques détails de leur biographie qui les rend encore plus solaires.


Voici les listes des poétesses de l’année dernière, et celles de cette année:liste poetesses1liste poetesses2


Jour 1

Claude Cahun

Poétesse Française

1894-1954

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Claude Cahun, Lucy Schwob de son vrai nom, est une artiste à part entière: Photographe-plasticienne, écrivaine et poétesse, elle a énormément travaillé sur l’identité et le genre, notamment à travers l’autoportrait. Elle fréquente le groupe des surréalistes, et travaille entre autres avec George Bataille, André Breton, Meret Oppenheim, Toyen et Lise Deharme.

Pendant la guerre, à Jersey, elle participe avec son amoureuse Suzanne Malherbe à la Résistance, en publiant des tracts allemand à destination des soldats de la Wehrmacht, signés Le soldat sans nom, qu’elles distribuent partout. Elles sont arrêtées et condamnées à mort en 1944: la peine est annulée en 1945, mais cette guerre et cette terreur sans fin ont énormément affaibli Claude. Elle meurt en 1953.


« Brouiller les cartes.


Masculin, féminin? Mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne toujours. S’il existait dans notre langue, on n’observerait pas le flottement de ma pensée. Je serais pour de bon l’abeille ouvrière. »


« Ambition: vivre sans tuteur, fût-on de l’espèce végétale. Placer son idéal en soi même, à l’abri des intempéries. »


« Je m’efforçais de revoir ses cheveux flottants

estompés dans le décor,

résille d’astres

subtil réseau de la nuit dépeignée… »


« Je t’aime. Cela devrait suffire à tout le système solaire. »


« J’existe

Et ça comporte tout. »


Extraits d’Aveux non avenus, 1930


JOUR 2

Simonne Michel Azaïs

Poétesse Française

1928-?

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Née en 1928 et complètement passée inaperçue bien que repérée et préfacée par André Salmon, Simonne Michel Azaïs a publié des recueils de poèmes brûlants, dont les Poèmes interdits de 1953, publiés sous le manteau (lisibles sur le site les introuvables lesbiens et le site Poétesses d’expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)


Elle y aborde sans tabou son désir, son corps, son sexe, et sa bi-sexualité.


MESSE NOIRE


Mon corps est un désir

Comme l’hostie est Dieu

Mon amant

Ce prêtre à l’autel

Qui communie avec mes lèvres

Lèvres de sang

Sang

De ma chair

Qu’à l’offertoire

Il baise

Sabbats hallucinants

Des nuits ensorcelées

Que le diable conduit

Ivre de nos cantiques

Et que le jour va

Souffleter


AMOUR



Alors Tes lèvres d’amour entrouvriront ma vulve

Et boiront mon désir Comme on boit un vin fou

Ce désir

Qui courait au long de mon échine

Et faisait se cambrer mes reins

A ton toucher si doux

Lors

Je ne saurai plus si c’est moi que tu aimes

Ou seulement

Ta joie

De me donner l’amour.


REFLETS



Une glace

Et nous deux

Et notre amour profane qui s’y réfléchissait

Tel un grave cantique

A l’écho immolé.


Poèmes interdits, La Goélette 1953


 


JOUR 3

Else Lasker-Schüler

Poétesse Juive Allemande

1869-1945

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Poétesse et dessinatrice juive Allemande, elle est l’une des représentantes de l’avant garde du modernisme et de l’expressionnisme.


Divorcée deux fois en 1910, anti conformiste, passionnée et mystique, elle perd sa nationalité Allemande en 1938 et part s’exiler, en deuil de son fils de 26 ans, à Jérusalem où elle mourra.


MÉLODIE



Tes yeux se posent dans mes yeux

Jamais ma vie n’a eu si forte attache

Jamais n’a t’elle été autant ancrée en toi

Éperdument ancrée.

À l’ombre de tes rêves, la nuit venue, Mon cœur d’anémone s’abreuve de vent,

Et je traverse, florissante, les jardins

De ta paisible solitude.


ARRIVÉE


Je suis parvenue au but de mon cœur.

Aucun rayon n’ira plus loin.

Derrière moi, je laisse le monde

Et les astres -oiseaux dorés- qui prennent leur envol.


La tour de lune hisse l’obscurité

…Oh, cette tendre mélodie qui doucement me hante…

Mes épaules se soulèvent, coupoles hautaines.


Extraits du recueil Secrètement, à la nuit (Heimlich zur Nacht) édition Héros limite,

collection Feuilles d’herbe, 2011. Traduction d’Eva Antonnikov


SECRÈTEMENT À LA NUIT


Je t’ai choisi

Parmi tous les astres


Et je veille — fleur aux aguets

Dans le feuillage susurrant.


Nos lèvres s’apprêtent à préparer le miel

Nos nuits chatoyantes sont écloses.


Les cieux de mon cœur s’embrasent

À l’éclat radieux de ton corps —


Tous mes rêves irradient de ton Or,

Je t’ai choisi parmi tous les astres.



Recueil mon piano bleu 1943


JOUR 4

Marie Nizet

Poétesse Belge

1859-1922

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Après sa mort en 1922, et alors qu’elle avait écrit toute sa vie poèmes, romans et pièces de théâtre, un recueil inédit de Marie Nizet fut découvert.

Il s’agissait de poèmes dédiés à son dernier grand amour, Axel Veneglia, disparu en mer.

Le recueil, ode à leur passion charnelle et spirituelle, cri de douleur de Marie suite à ce deuil terrible, fut publié à titre posthume en 1923, sous le titre de pour Axel de Missie.

En voici un extrait (Le poème en entier est lisible ici)


LA TORCHE – extrait



Je vous aime ma chair, qui faisiez à sa chair

Un tabernacle ardent de volupté parfaite

Et qui preniez de lui le meilleur, le plus cher,

Toujours rassasiée et jamais satisfaite.


Et je t’aime, Ô mon âme avide, toi qui pars -Nouvelle Isis- tentant la recherche éperdue

Des atomes dissous, des effluves épars

De son être où toi même as soif d’être perdue.


Je suis le temple vide où tout culte a cessé

Sur l’inutile hôtel déserté par l’idole;

Je suis le feu qui danse à l’âtre délaissé,

Le brasier qui n’échauffe rien, la torche folle…


Et ce besoin d’aimer qui n’a plus son emploi

Dans la mort, à présent retombe sur moi-même.

Et puisque, Ô mon amour, vous êtes tout en moi

Résorbé, c’est bien que j’aime si je m’aime.


Pour Axel de Missie, 1923

recueil posthume.


JOUR 5

Marie Jeanne Dury

Poétesse Française

1904-1980

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Première femme à être élue professeure de littérature à la Sorbonne en 1947, Marie-Jeanne Dury obtient aussi en 1977 le Grand Prix de poésie de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre.

Femme absolument disparue, il m’a même été impossible de me procurer l’un de ses recueil chez les libraires spécialisés. J’ai heureusement découvert ses poèmes grâce à la bible « huit siècles de poésie féminine », de Jeanne Moulin, édité en 1975 (voir mes sources en fin d’article)


RÉVEIL


Ton visage mangé de nuit

Ta face sombre me regarde

J’ai suivi tes chemins détruits


La corde au fond du puits perdu

Je l’ai tirée à perdre haleine

Le dur fantôme de toi même

Je le hale jusqu’à la vie.


NUIT


Seule dans le silence

Mais avec ce coeur sourd où bat le sang du monde

Tu gis les doigts rejoints et les jambes serrées.

Rien ne vit que ce dur battement de tonnerre,

Ce bruit de pas et de canons dans ma poitrine.

Je guette un souffle au loin dans la nuit qui me cerne,

Un souffle de soleil sur les rives de l’enfance.

Bouche pleine d’une eau de l’ombre, mes appels

Se taisent, engloutis sous l’inerte marée

Où seule je vous noue à moi.


Extraits du recueil Effacé, 1954


À MARCEL


Vent sur ma peau, gifle ou caresse,

Air aspiré à gorge ouverte,

Songes happés à pleins poumons,

Sang de feu qui bat surl’enclume

De chair et de muscles durs,

Bras cernant l’espace libre

Qui se ferment en étreignant

Les arbres et ton chaud corps d’homme.


Extrait du recueil Près des sources, 1974




JOUR 6

Nikki Giovanni

poétesse Américaine

1943-

 


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L’une des « 25 légende vivantes » d’après Oprah Winfrey, Nikki Giovanni est une poétesse Américaine engagée pour la cause noire, depuis sa participation active dans les années soixante au Black Arts Movement. Elle est nommée au Grammy Awards pour son œuvre, et l’un de ses recueils (Bicycles: love poems) est dans les bests sellers du New York Time. Dans ses poèmes, elle dénonce les violences racistes qui animent son pays.

Black feelings black talks, qu’elle publie en 1968 se vend à plus de 10 000 exemplaires l’année de sa sortie.

Elle écrit aussi des poèmes pour les enfants, des romans, et des textes autobiographiques.

Le poème ci dessous est lisible en entier sur le site Poem Hunter:


EGO TRIPPING  (extrait)

I sat on the throne

Drinking nectar with Allah

I got hot and sent an ice age to Europe

To cool my thirst

My oldest daughter is Nefertiti

The tears from my birth pains

Created the Nil

I am a beautiful woman


RAIN



rain is

god’s sperm falling

in the receptive

woman how else

to spend

a rainy day

other than with you

seeking sun and stars

and heavenly bodies

how else to spend

a rainy day

other than with you


JOUR 7

Valentine Penrose

Poétessse Française

1898-1978

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collage de Valentine Penrose


Poétesse et plasticienne passionnée d’occulte et de nature, la jeune Valentine Penrose évolue parmi les surréaliste: Max Ernst, Paul Eluard (qui préface son recueil « herbe à la lune ») ou encore Joan Miró sont ses confidents et collègues de travail.

En 1925, à 28 ans, elle se marie avec Roland Penrose, un poète peintre et photographe anglais. Mais quatre ans plus tard, au cours d’un voyage en Égypte, elle rencontre un gourou espagnol, le comte Galarza de Santa Clara, qui bouleverse sa vie. En 1936, elle quitte son mari pour se convertir à l’hindouisme et part vivre jusqu’en 1939 dans l’Ashram du gourou aux côtés de son amante, la peintre Alice Rahon Paalen. Elle rentre ensuite à Londres, puis s’engage en 1942 comme soldat de 3e classe dans l’armée française en Algérie.

On lui doit également le fabuleux et horrifique roman La comtesse sanglante de 1962, récit imaginé de la vie d’Elisabeth Bathory, célèbre comtesse slovaque dont on disait qu’elle prenait des bains de sang de jeunes vierges pour conserver sa beauté et sa jeunesse.

Femme superbement étrange et mystique, elle est l’un de mes coups de cœurs.


Je nie entre nuit et jour à voix égale

à jamais l’amour qui ne bute

sur un astre fermé

Le dire de toi

de tes pistils qui dépassent mes bras

des mauves où préside

ancrée à la fin de ce bouquet qui plie

cette taille amoureuse

sourire du donjon.


Extrait du Premier cahier de habitude de la poésie chez G.L.M, 1937


Rondes plumes rond soleil

la boule du feu de joie

je m’étrangle de ma joie

douce femme douce au lac

l’air si tendre à ce satin.

.

Au milieu de moi tu bats

ô toi qui me noues au jour.


Extrait d’Herbes à la lune de 1935


JOUR 8

NATALIE CLIFFORD BARNEY

Poétesse Américaine

1872-1972

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Natalie Barney est LA séductrice du début du siècle. Lesbienne et libre, elle séduit toutes les intellectuelles et artistes qui croisent sa route, de la célèbre courtisane Liane de Pougy (qu’elle courtise à 22 ans, en se déguisant en « page de l’amour » et en débarquant dans sa loge après un spectacle) à Renée Vivien et Lucie Delarue Mardrus (poétesses elles aussi, que j’avais représentées toutes les deux l’année dernière dans mes galeries de poétesses), la peintre Romaine Brooks ou encore Colette.

Ses poèmes brûlants font jaser le tout Paris, et en 1900 elle est renvoyée aux États Unis, jugée trop provocante. Son père tente de brûler tous ses recueils scandaleux, et exige de la marier. Elle refuse évidemment (sauf si on la marie à Alfred Douglas, dit-elle avec ironie, puisqu’il est l’amant reconnu d’Oscar Wilde), et revient à paris en 1910 pour fonder l’un des salons littéraire les plus influents: le salon de l’Amazone, qui verra passer les plus grands artistes de son époque.


Vous pouvez lire les poèmes en entier ici.


Femme



À la soupe la charpente,

Au poitrail courbe arqué pour

Les gémissements de l’amour,

Mon désir suivra tes pentes –

Tes veines, branchages nains –

Où la courbe rejoint l’angle;

Jambes fermant le triangle

De ce cher coffret féminin;


Ô femme, source et brûlure-

Je renverse dans ma main

Ta tête – sommet humain;

Cascade de chevelure! »


À une myope


J’aime tes yeux d’aveugles agrandis par les rêves,

Tes yeux hantés de nuit, ne voyant que trop tard

Toute chose, et de près tes cils quand tu les lèves;

Et je voudrais frôler de ma bouche sans fard

Tes yeux purs comme une onde où malgré toi persiste

La sirène: je veux aspirer ton regard

Mais puisque pour tes yeux l’irréel seul existe,

Sans cesse contemplant d’invisibles beautés,

Trop frêle pour la vie, et pour l’amour trop triste,

Tu passes sans les voir tous deux à tes côtés.


JOUR 9

Catherine Voyer-Léger

Poétesse Canadienne contemporaine

 


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Son (merveilleux) livre prendre corps est une compilation de plusieurs chroniques qu’elle a tenu sous le titre de «corps dedans/dehors»: plusieurs mini poèmes en proses, petits textes enlevés, joyeux ou sombres, toujours plein de grâce et de malice autour des thématiques du corps. Des souvenirs qui nous y rattachent, des sensations, des complexes, des voluptés qu’il nous procure, ce corps.


C’est un recueil absolument magnifique, que je conseille chaudement et qui est lisible sur le site de l’autrice.

Voici une petite sélection non exhaustive:


Poignet

.

Mon plus grand fantasme: un baiser à l’intérieur du poignet.

Là ou la grosse veine fragile communique avec mon coeur.


Lèvres

.

Quelques peaux mortes

Fidèles comme les couleurs

Annonçant l’automne


Papillons

.

Rien à voir avec les désirs-ouragans. Ceux qui te tiennent dans le vent par la

fragile poigne d’une cheville. Ceux qui te brassent à l’envers.

C’est une douceur qui te prend au ventre. Ou, plus précisément, c’est

quelque chose dans le ventre qui te rappelle que tu es douceur. Ça grossit là,

dans l’abdomen, et ça caresse tout ce qui se mousse au fond de toi.


Larmes

.

L’hiver, ce sont d’épais foulards. L’été, des verres fumés.

Par expérience, je sais qu’il suffit de cacher la moitié du visage

pour que personne ne remarque que vous pleurez.


Jointure

.

Puissante réminiscence. Les doigts de ma grand mère, encore

fins entre les jointures épaisses. L’élégance. Les bagues. L’email parfait.

En jouant avec un ongle, j’ai vu dans mes doigts l’ombre de ma grand mère.


JOUR 10

Jeanne Catulle-Mendès

Dite Jeanne Mette

1867-1955

 


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De Jane Catulle Mendès, Jeanne Mette de son nom de plume, on ne connaît presque rien. Son nom est écrasé par celui de son mari Catulle Mendès, écrivain et poète lui aussi, fan d’occultisme (ayant, d’après la légende, présenté Eliphas Lévi à Victor Hugo) et fondateur du mouvement poétique du Parnasse.

Il s’avère pourtant que la plume de Jeanne -extrêmement difficile à dénicher dans les méandres du net- est fabuleuse, et que son talent de poète a bien été reconnu puisqu’elle reçoit en 1922 la distinction de chevalier puis officier de la légion d’honneur.

Femme mystérieuse, à la beauté incroyable et à la plume provocante et libre.


Vous pouvez lire ses poèmes ici!

Le livre de Cinthia– (1902) extrait

VIII

J’aime te voir souffrir. Je suis douce pourtant

Mais j’aime, sur ton front, la douleur qui ravage

Et j’aime, dans tes yeux, cette lueur sauvage

Comme un couteau brandi sur un sein palpitant.


Et je t’aime. D’un coeur sec, attentif, insistant,

Je verse la douleur, lent et brûlant breuvage,

Dans tes veines, afin d’y mettre un esclavage

Aussi fort que la joie et que l’amour constant.


JOUR 11

Rosemonde Gérard

1866-1953

 


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Femme de lettres souvent présentée comme « la femme d’Edmond de Rostand », Rosemonde Gérard était en fait une poétesse très prolifique, et une amoureuse de la poésie des autres (femmes, surtout). Elle est élevée par Alexandre Dumas fils et publie son premier recueil en 1889 à 22 ans, qui obtient le prix de l’Académie. Edmond de Rostand écrira le sien un an plus tard, que Rosemonde fait publier en cachette, folle de lui et persuadée de son talent. Quelle douce surprise quand je découvre qu’elle a fait exactement la même chose que je tente de faire ici, à savoir créer un recueil de poétesses pour les sortir de l’ombre.

Dans « les Muses françaises » de 1943, elle met en avant des femmes qui écrivent de la poésie (38 en tout), en composant un poème pour chacune, et en publiant une sélection de leurs prose.

Quant au poème ci-dessous (à lire en entier ici)… vous en reconnaîtrez les deux premières strophes, devenues une sorte de refrain universel sur l’amour, sans en connaître l’origine.


Rendons à César(inne) ce qui est à César(inne)!


Le dernier rendez vous (extrait)


Et comme chaque jour je t’aime davantage,

-aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain-

Qu’importeront alors les rides du visage

Si les mêmes rosiers parfument les chemins.

Songe à tous les printemps qui, dans nos cœurs, s’entassent;

Mes souvenirs à moi seront les tiens;

Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent

Et sans cesse entre nous tissent d’autres liens;

C’est vrai nous, serons vieux, très vieux, faiblis par l’âge,

Mais plus forts chaque jour je serrerai ta main,

Car, vois tu, chaque jour je t’aime davantage:

Aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain.


extrait du recueil Les Pipeaux, 1889


JOUR 12

Irène Hamoir, dite IRINE

Poétesse Belge

1906-1994

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Je découvre cette poétesse lors d’une visite du musée Magritte: par un portrait d’elle dans la pièce qui m’émeut d’abord, puis par sa signature sous certains dessins de cadavres-exquis réalisés avec Magritte et d’autres compères surréalistes.

Je note le mystérieux nom, jamais lu nulle part, curieuse de découvrir une nouvelle femme dans la bande des zozos du Surréalisme.

Quand j’enquête, je réalise qu’elle n’est pas une simple muse, mais bien une poète, épouse d’ailleurs d’un autre poète, Louis Scutenaire.

Elle créer des vers vifs, piquants, pleins de drôlerie ou de feu, joue avec les structures, les pleins, les vides, et le silence. Militante socialiste, elle écrit ses premiers vers à l’âge de 20 ans, puis intègre le groupe des surréalistes Belges. Femme surprenante et pleine de force, elle est l’un de mes coups de cœurs (passion années 20-30 oblige).


*


Mon glaive de feu pénètre tes statues

Ta fente polymorphe gobe les avalanches

Je me cache au noeud de ma toile

Sujet peureux objet transi.


*


Cet appareil est mal armé

Tout pareil à un mal aimé

Si mal aimé qu’il est pareil

À un appareil mal armé.


*


Chanson



Hue

Irine

Hue

Hihihi

Hihi

Urine


extraits du recueil Corne de brune, 1976


JOUR 13

Louise de Vilmorin

Poétesse Française

1902-1969

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Louise de Vilmorin est une aristocrate pleine de facettes. On a beaucoup parlé de sa beauté (comme neuf fois sur dix quand on parle d’une femme) et de ses amants. Jeune, elle était en effet fiancée à Antoine de Saint Exupéry. Mais finalement, elle rompt ces fiançailles et part à Las Vegas épouser un Américain. Saint Exupéry sera marqué à vie par cette rupture: Louise lui inspirera le personnage de Geneviève dans Courrier Sud, et il continuera de lui écrire durant de nombreuses années.

En 1934 elle publie son premier roman, Sainte-Unefois, qui est un vrai succès. Puis elle se met à la poésie, en 1939, et ses amis écrivains la trouvent brillante. On la compare à Éluard et Max Jacob. J’aime énormément sa poésie, qui est pleine de spectres et de cosmos.


Elle a également participé à l’écriture de certains scénario et dialogues, notamment « les amants » de Louis Malle. Anaïs Nin et plein d’autres artistes de son époque adoraient se retrouver au « pot au feu » le dimanche, rendez-vous littéraire instauré par Louise dans son joli salon bleu.

Elle terminera sa vie avec son amour de jeunesse, André Malraux, rencontré en 1933.


Mon cadavre est doux comme un gant (extrait)


Mon cadavre est doux comme un gant

Doux comme un gant de peau glacée

Et mes prunelles effacées

Font de mes yeux des cailloux blancs.


Deux cailloux blancs dans mon visage,

Dans le silence deux muets

Ombres d’un secret

Et le lourd poids mort des images.


Mes doigts tant de fois égarés

Se sont joints en attitude sainte

Appuyés au creux de mes plaintes

Au noeud de mon coeur arrêté. .

Et mes deux pieds sont les montagnes

Les deux derniers monts que j’ai vus

A la minute où j’ai perdu

La course que les années gagnent.


Mon souvenir est ressemblant,

Enfants emportez le bien vite,

Allez, allez, ma vie est dite,

Mon cadavre est doux comme un gant.


Fiançailles pour rire, 1939


JOUR 14

Laura Kasischke

Poéresse Américaine contemporaine

née en 1951

 


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J’ai découvert le travail de Kasischke en écoutant un portrait d’elle sur France Culture l’année dernière pendant mon inktober. Je ne sais plus si c’est dans cette émission là ou dans celle de Laure Adler, l’Heure Bleue, qu’elle expliquait qu’elle écrivait toujours ses poèmes à la main, contrairement à ses romans qu’elle tape directement à l’ordinateur, parce que le mouvement de sa main est un prolongement d’elle dans l’inconscient, et que de cette manière, elle accède à d’autres mots, d’autres sonorités. J’ai été saisie par cette nuance que j’ai toujours observée dans mon travail sans jamais la conscientiser.


Son univers poétique est rude et fantomatique, plein de chairs et d’os.

C’est une superbe découverte.

note: Mon dessin ici est aussi un hommage aux « mariés » de Chagall, qui me sont immédiatement venus a l’esprit en lisant ces vers.


The devil exits to crow song


The first night of wings, we flew.

Fresh out of hell, we nested

there in the tree of moons

because the life-tree

was heavy with lemons

and the tree of death

was milky with angel cocoons.

We shook the tree and the moons

fell next to the mastodonte skulls,

scuffed and blasted with sand.


Le diable sort au chant du corbeau


La première nuit à tire-d’aile, nous avons pris notre envol.

Tout juste sortis de l’enfer, nous avons niché

dans l’arbre à lunes

parce que l’arbre de vie

était chargé de citrons

et que l’arbre de mort

avait blanchi sous les cocons laiteux des anges.

Nous avons secoué l’arbre et les lunes

sont tombées à côté des crânes de mastodonte

éraflés et abrasés par le sable.


*


Old women


My aunt had a furrow filled with rose

water and whale oil on her face.

She dabed at it with a napkin and ate

her food with her fingers slowly as though

she could ever taste

the air around her food.

Her one kept breast hung

like a snout from her. « She’s

and old witch », my sister said —hazel-


haired sister who

never lived to turn to leather.


Vieilles femmes


Ma tante avait une ride sur le visage

comblée d’eau de rose et de graisse de baleine.

Elle la tapotait avec une serviette et mangeait

lentement avec ses doigts comme si

elle pouvait aussi goûter

l’air aoutour de ses aliments.

Le sein qui lui restait pendait

de son corps comme un groin. « C’est

une vieille sorcière », dit ma soeur — ma soeur


aux cheveux châtains qui

est morte avant de pouvoir se tanner comme du cuir.


Extrait du recueil mariées rebelles, 2016

Vers traduits par Céline Leroy


JOUR 15

Cécile Sauvage

Poétesse française

1883-1927

 


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Cécile Sauvage est souvent appelée « la poète de la maternité »: certes, elle a beaucoup écrit sur l’incroyable sensation que lui a procuré le fait d’avoir mis au monde un être vivant. Épouse et mère dévouée, elle remplit ses tâches dites féminines avec panache et calme, et si l’on ne creuse pas un peu, le portrait qui est fait d’elle est celui d’une parfaite petite femme au foyer (qu’elle devait être).

Mais la réalité, lorsque l’on lit ses poèmes et non les cinq piètres lignes que lui consacre Wikipedia, c’est qu’il s’agit en fait d’une femme furieusement mélancolique, une petite Cancer dévastée par sa quête d’absolue, brûlée par l’envie d’immense, et soumise passionnément à la nature et ses ombres. Elle tombe folle amoureuse de Jean de Gourmont, premier homme à publier ses poèmes, et vit avec lui une passion adultère fulgurante, (dont elle parle dans le poème que j’illustre, je crois) et qui la tourmentera toujours, même après leur séparation.

Éternelle nostalgique, amoureuse du passé et de la lune, elle écrit des centaines de poèmes en secret, et meurt consumée, à 44 ans seulement.


Rosemonde Gérard la cite dans son recueil les muses françaises, décrit plus haut.


Le coeur tremblant, la joue en feu


Le coeur tremblant, la joue en feu

J’emporte dans mes cheveux

Tes lèvres encore tièdes.

Tes baisers restent suspendus

Sur mon front et mes bras nus

Comme des papillons humides

Je garde aussi ton bras d’amant,

Autoritaire enlacement,

Comme une ceinture à ma taille.


Je vis sans rêves, sans pensées


Parfois de crépuscule pleine

Avec la lune sur le coeur,

J’ai l’âme flottante et sereine

Du jour qui meurt.


Je vis sans rêves, sans pensées,

Comme doit vivre une colline

Sous l’ombre bleue et traversée

De vapeur fin.


Le coeur qu’on croyait mort


Souvent le coeur qu’on croyait mort

N’est qu’un animal endormi;

Un air qui souffle un peu plus fort

Va le réveiller à demi;


Un rameau tombant de sa branche

le fait bondir sur ses jarrets

Et, brillante, il voit sur les prés

Lui sourire la lune blanche.


Extraits du recueil Le vallon 1913


JOUR 16

Alice Walker

Poétesse Américaine d’origine Cherokee, écossaise et Irlandaise

née en 1944

 


 


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Aux états Unis, Alice Walker est une figure incontournable de la littérature et du militantisme afro féministe et LGBTQ. Son roman La couleur pourpre est d’ailleurs adapté au cinéma et en comédie musicale à Broadway, et d’après le Los Angeles Time, elle serait même l’un des auteurs qui vendraient le mieux dans le pays.

Pourtant je ne suis parvenue à trouver de traduction de ses poèmes nulle part, malheureusement. Je vous livre donc quelques extraits que j’espère, vous saurez traduire.


Mysteries


Your eyes are widely open flowers.

Only their centers are dark and clenched

To conceal mysteries

That lured me to a keener bloooming

Than I know,

And promise a secret

I must have.


*


Reassurance


I must love the questions

Themselves

As Rilke said

Like locked rooms

Film of treasure

To witch my blind

And growing key

Does not yet fit.


JOUR 17

Angèle Vannier

Poétesse Française

1917-1980

 


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Immense IMMENSE découverte de cet Inktober.

Je tombe sur Angèle Vannier au tout début du mois de septembre, en lisant mon recueil de poétesses Huit siècles de poésie féminine (voir mes sources). Et ses poèmes m’éblouissent, me foudroient. Je ne sais rien d’elle alors, mais j’annote la page, et commande immédiatement ses recueils sur le net. Quand j’enquête sur elle, je découvre que Paul Éluard a préfacé l’un de ses recueil, et qu’elle est décrite comme l’une des grandes poétesses de son siècle, notamment par Théophile Briant, lui aussi poète, qui lui décerne le Grand Prix Goéland et publie son premier recueil, qu’il préface: les songes de la lumière et de la brume, en 1947.

Angèle Vannier était pharmacienne, quand soudainement, à 22 ans, elle perd la vue. Pleine de force et de fierté, elle refuse de se laisser abattre. Après un an exilée dans la maison de son enfance où l’ont élevée sa mère et sa grand mère, elle reprend courage, et dicte ses poèmes. Elle refuse d’apprendre le braille et d’utiliser une canne blanche. Elle écrit, pour parler de son handicap:

« Mes yeux fondirent dans ma bouche/ je pris la nuit comme un bateau la mer »


Elle s’intéresse au surréalisme, à l’astrologie, à la psychanalyse et l’imagerie des contes. Son univers est bouleversant, cruel et onirique.

Elle est aussi parolière, et en 1950 elle rédige « le chevalier de Paris », qui sera chanté par Edith Piaf (puis Yves Montand, Catherine Sauvage, Frank Sinatra et Marlène Dietrich). Elle reçoit en 1963 le Prix Wolmar de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre.

Elle s’exile finalement à Brocéliande, pour devenir enfin la fée des nuits qu’elle décrit si bien dans ses poèmes. Lisez le sang des nuits (même s’il est vendu une fortune chez quelques rares libraires) c’est une merveille!!


La rupture fut de diamant— extrait


C’est par hasard qu’un jour dans la pulpe brûlée

D’une très vieille larme

J’ai découvert une statue de sel

C’était je crois c’était la veuve du soleil


le sang des nuits, 1966


*


Août —extrait


Je partage avec les miroirs

Les fontaines et les rivières

Le droit d’épouser la lumière

Avant que ne tombe le soir


*


Délivrance (extrait)


Épuiser l’ombre

Avec des mains bénies

Je connais le fond de la nuit

Mon existence est une étoile

Une fatalité d’or vert

Où la pureté se fait chair.

Je prends la place des prairies.


Ah! Que la terre est infinie!



Choix de poèmes
, 1961


*


Exorcisme


Une fenêtre est envoûtée depuis dessiècles

La femme ouverte un soir par le cri d’un vautour

s’y tient clouée malgré son âme

Voyageur que ta langue exilée dans ta bouche

depuis que ton palais s’est écroulé dans l’eau

que ta langue aiguisée par le jeûne et l’audace

soit plus rouge ce soit que le cri du vautour

Exorcise le jeu perpétuel des songes

Fais avec tes prières

une échelle de soie

Pour délivrer la femme tout entière

qui pleure là.


*


Les noces de Barbe Bleue et de Mélusine (extrait)


Le ciel me prend je prends le ciel

La terre tourne

Je tourne autour

Déjà son sang ne tâche plus mes yeux

Ton rire m’a tirée de ma robe de pierre

Tu m’as rendue maîtresse de mon ombre et de tes clefs

Forge ta langue au feu de mon nouvel été


*

Le temps faux monnayeur (extrait)


Je t’aime

Enfonce un clou dans ma nuit

blanche


Extraits du recueil le sang des nuits, 1966


JOUR 18

Gisèle Prassinos

1920-2015

 


 


prassinos diglee


prassinos gisele


gisele prassinos


Je termine avec une poétesse géniale, surdouée, jeune fille de quatorze ans seulement lorsqu’elle est découverte: Gisèle Prassinos.

Née à Constantinople en 1920, Gisèle écrit très vite des « textes automatiques »: les mots lui viennent, par flot, elle les déverse et les assemble dans ce qui ressemble à de petits contes hypnotiques. Lorsqu’elle a 14 ans, son frère, le peintre Mario Prassinos les remarque, et les trouve si bons qu’il les montre au groupe des surréalistes qu’il fréquente: alors en pleines expérimentations autour de la conscience et du sommeil hypnotique, ils sont curieux. La troupe de Breton reste bouche bée. Ils pensent à une supercherie: c’est exactement ce qu’ils essaient péniblement de faire depuis des mois, en se mettant dans un état de conscience modifiée, en écrivant à quatre main ou en faisant des cadavre exquis. Alors ils l’étudient, la testent: prouve nous ce que tu sais faire. Gisèle leur rédige des textes avec une simplicité stupéfiante, du haut de ses 14 ans. Fascinés, ils l’érigent en madonne, jeune vierge géniale et touchée par la grâce de la poésie. Ils la maquillent en femme pour prendre cette photo célèbre avec elle, sur laquelle ils la contemplent avec béatitude. Ils parlent d’elle entre eux sans jamais lui adresser directement ma parole (cf cette itw d’elle), petite bête de foire candide dont le talent inné les dépasse. Ils lui interdisent même de lire, pour éviter les influences… Breton dira d’elle « le ton de Gisèle Prassinos est unique, tous les poètes en sont jaloux… »


Les vers de Gisèle sont en effet si beaux, si étranges et poétiques qu’Éluard lui rédige une note pour son premier roman, la sauterelle arthritique – dont la couverture est par ailleurs une photo de Man Ray- et Breton, lui, l’inclue carrément dans son « anthologie de l’humour noir » en 1940.


Elle dira toute sa vie qu’elle n’a PAS fait partie des surréalistes: qu’ils ne lui ont rien appris, qu’elle était leur objet de vénération et de dissection. Elle rejettera (à raison!) cette étiquette douteuse de la « femme-enfant »qu’ils avaient attribuée, arguant qu’elle était juste une enfant, et continuera d’écrire et de dessiner pour elle toute sa vie (son dernier livre date de 2009…). Même des romans, sacrilège pour le puriste authoritaire et despotique qu’était Breton.


Neige


Neige posée

Franchises d’épaules et de hanches

Pudeurs de nuques et de saignées

Pénombres de jarres

Ténèbres d’amphores

Angles écartelés

1965


*


Viens sur moi


Viens sur moi sans tes genoux vides

Essaie sans tes doigts que je baise

D’ouvrir ce petit lit lourd de blancheur.

J’y ai mis de la braise.

Un souffle chaud de ceux qu’on trouve à la campagne

L’occupe et nous le fait aimer.

Le matin y plonge sans cesse

Avec des fleurs et du papier d’argent

On sent sous la toile une odeur de bois coupé

Qui monte à la tête de ceux qui le regardent.

Écoute moi ne t’amuse pas à me lancer loin de toi

Admire un peu un objet

Que j’ai confectionné avec ma peau et mon corps engourdi. —1936


*


Visibles et supérieurs


Visibles et supérieurs les divins milieux

Ont pétri ma place

Du haut des chutes

Et en bas des monts

Les puces et le démon

Ont pétrifié le cygne

Agenouillés en face d’une statue

Épié et enchanteur l’oiseau

De la lisère du ciel

A vulgarisé le feu.


*


la nuit…


La nuit est bonne de venir jusqu’au jour.


J’ai dit aux autres de marcher

de courir sans cesse


et de me laisser regarder l’ombre.


Le soleil avait brûlé ma tête

écorché toute ma figure.


Maintenant le long des routes à crapauds

dans les ruisseaux qui vivent

j’aimerais chercher la fraîcheur

du dos des bêtes sales.


Extraits du recueil les mots endormis 1967


 


Voilà.

J’ai terminé ce défi avec, en tout, 49 poétesses. J’en avais des tas d’autres, comme Nancy Cunard, Albane Gelé, Elizabeth Barret Browning, Anaïs Ségalas, Edna St Vincent Millais, Elisabeth Siddal, Louise Labé, Vénus Khoury-Ghata, Madeleine de l’Aubespine, Tanella Boni, Gloria Alcotra, Gérard d’Houville… Mais il a fallu choisir

Peut être un troisième Inktober?

Ou bien un livre illustré… qui sait?


Vous pouvez consulter toutes mes sources sur cette page.


En tout cas, merci à tou.te.s pour vos retours si nombreux pendant tout ce mois: vous avez été curieu.x.es et bienveillant.e.s, c’était un bonheur de me sentir aussi soutenue.


Poétiquement et féministement vôtre,


Maureen


 


 

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Published on November 21, 2018 13:40

November 14, 2017

Poétesses et inktober 2017

Bonsoiiiiir!


J’ai enfin pris le temps de poster mon Inktober 2017 ici: étant en rade de scanner, j’ai tout pris en photo avec mon Iphone donc le résultat n’est pas idéal. Mais j’avais envie que mes dessins soient tous réunis ici!


Inktober, pour ceux qui ne connaitraient pas le principe, c’est un défi international qui consiste à produire un dessin à la main pendant tout le mois d’octobre. Idéalement à l’encre, et en suivant ou non une liste officielle de thèmes pour chaque jour (je ne suis jamais vraiment les thèmes imposés, le défi étant surtout, pour moi, de produire un dessin « valable » à la main pendant un mois entier): on poste son image quotidiennement sur les réseaux avec le hashtag #inktober, et on partage nos dessins avec le monde entier.

C’est une période ultra stimulante, et depuis deux ans j’essaie de m’y tenir, parce que le résultat final est toujours gratifiant.


Mais cette année, je me suis mis la pression encore un peu plus fort.


J’ai voulu illustrer un poème de femme par jour.


Pourquoi?


1) Parce que j’adore la poésie (cf mon exposition Poésie Cosmique l’année dernière, dont toute une partie était consacrée à Éluard)


2) Et parce que cela fait à peu près un an que je lis des femmes en poésie (que je les cherche, n’ayant lu que des hommes dans ce domaine toute ma vie), et j’ai fait le constat navrant que ces dernières sont extrêmement sous représentées, que ce soit dans les rayons des librairies, les émissions littéraires ou les programmes scolaires. Rien de bien nouveau quoi.



Pour vous dire, j’ai suivi un cursus littéraire au lycée, et aucun nom de poétesse n’a jamais été mentionné.

Du coup, je m’attendais à ce qu’il soit compliqué d’en trouver 30: je pensais faire des doublons, tricher en incluant de la prose etc. Mais en fait la vérité c’est que j’ai dû FAIRE DES CHOIX tant j’en ai trouvées.

Entre les vivantes, les mortes, les françaises, les suisses, les anglaises, les libanaises, les grecques, les américaines, les russes… Bref, je vous le dis tout de suite, cet inktober est un bien mince panel loin, c’est une sélection très personnelle loin d’être exhaustive (il y a beaucoup de 19eme et début 20e par exemple, car ce sont mes périodes fétiches).

Les quatre derniers jours je m’arrachais les cheveux pour me décider sur les dernières que j’allais illustrer…


C’est donc une réalité, des femmes poètes il y en a des tonnes, tous siècles confondus.

Pourtant, une fois passées Akhmatova, Dickinson et Tsvetaeva qui sont à peu près les seules « reconnues » du public, on plonge dans un océan d’oubli.


En commençant cet Inktober, j’en avais environ quinze en tête.


La moitié, donc, seulement.

Alors je suis partie en croisade à la recherche de nouvelles poétesses. Et bon sang! J’ai découvert des PÉPITES, et certaines font carrément partie de mon petit panthéon aujourd’hui, comme Joyce Mansour, Alejandra Pizarnik, Ingeborg Bachmann ou Anise Koltz.


pour ce défi j’ai épluché les sites spécialisés comme Poetry FoundationUn Jour Un Poème ou Poésie française, j’écoutais des podcast de France Culture en dessinant, je commandais des livres ou allais les chercher en librairie (la plupart de ces femmes ne sont plus éditées, alors il fallait commander chez des libraires spécialisés ou sur Ebay), je lisais chaque receuil avec un crayon à papier à la main et des post-it, j’annotais et recopiais mes poèmes favoris sur un fichier Word en ligne, sur lequel je copiais aussi les centaines de pages internet en lien avec les poétesses découvertes chaque jour…


Bref, je me suis immergée complètement et entièrement dans les mots de ces femmes pendant un mois complet, pour tenter d’en extraire à chaque fois le vers ou le poème que j’allais avoir envie de partager avec vous. Celui qui allait m’inspirer, me donner envie de dessiner.

Parfois j’ai choisi de faire simplement le portrait de la poétesse, quand son univers entier ou certaines caractéristiques physiques m’inspiraient davantage.


Je posterai sûrement la bibliographie de ce projet dans les semaines à venir, pour celles et ceux que ça intéresse.


Je rajoute dans ce post d’autres dessins que ceux « officiels », qui font partie de mon carnet de recherches: des textes recopiées, des essais de portraits, des errances graphiques.


Comme j’ai commencé le défi le 2 octobre, il y a 30 poétesses « officielles ».

Mais j’ai rajouté Anaïs Nin juste pour moi, parce que… YOU KNOW.


DAY 1

MINA LOY (1882-1966)
Poétesse Anglaise

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I store up my nightness against you

Heavy with shut-flower’s nightmare

.

.

J’emmagasine des nuits contre toi

Peuplées de lourds cauchemars de fleurs closes

.

.

extrait du poème Chansons d’amour à Joannes

1915-1917

(traduit par Olivier Apert)




DAY 2

ANNA AKHMATOVA (1889-1966)
Poétesse Russe





2-AKHMATOVA copie.

Je tiens un bouquet de giroflées blanches

Elles cachent un feu secret pour brûler

Celui qui les prendra de mes mains timides

En effleurant ma paume tiède.


Extrait du poème « Le soir » de 1912

(traduit par Jean-Louis Backès)




DAY 3

Adelaide Crapsey (1878-1914)
Poétesse Américaine

3-crapsey copie


Niagara


How frail

Above the buck

Of crashing water hangs,

Autumnal, evanescent, wan,

The moon.


Triad

These be

Three silent things:

The falling snow..the hour

Before the dawn..the mouth of one

Just dead.


 


DAY 4

Vita Sackville-West (1892-1962)
Poétesse Américaine

 


4-SACKVILLE-WEST copie


 


She cared not a rap for all the big planets,

For Betelgeuse or Adelbaran,

And all the big planets cared nothing for her,

That small impertinent charlatan.

.

Extrait du poème Full Moon


DAY 5

Joyce Mansour (1928-1986)
Poétesse Anglo-Égyptienne

 


 


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« Je prête mes échancrures

Aux morsures et aux mimes »

Extrait du poème Herbes, du recueil « Carré blanc« , 1965.


 


DAY 6

Renée Vivien (1877-1909)
Poétesse Britannique de langue française

 


 


 


 


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Éparse autour de toi pleurait la tubéreuse

Tes seins se dressaient fiers de leur virginité…

Dans mes regards brûlait l’extase douloureuse

Qui nous étreint au seuil de la divinité.

.

extrait du poème « Nudité« , 1901


 


DAY 7

Annie Le Brun (1942-)
Poétesse Française

 


7-lebrun


À l’exacte moitié du trapèze lunaire,

un nœud de chemins obscurs m’a sauté à la gorge.



« Annulaire de lune », 1977 


 


DAY 8

Andrée Sodenkamp (1906-2004)
Poétesse Belge

8-SODENKAMP


Ta voix sur moi

Comme une main lourde et savante

Je mets mes lèvres sur ta voix

Et j’ai moins soif.


Je n’ai plus d’âge

Rien que des matins morts

Où floconnent les fleurs

Des vergers anciens.


 


DAY 9

Andrée Chédid (1920-2011)
Poétesse Française d’origine Syro-libanaise

 


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Il arrive qu’à paupières closes

je surplombe ce corps sans volume

s’élevant dans l’air fertile


glissant à ras du sol

dans le toucher des choses.


extrait du recueil « Cavernes et soleils« , 1977


 


DAY 10

Lise Deharme (1898-1980)
Poétesse Française

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Tant-Mieux petit chat au nom optimiste

mort comme un petit espoir

aux yeux bleus

J’ai tant souffert par ta

petite absence

petite presence

petite fourrure autour de mon cœur

petite fourrure autour de mon cou

je t’entends dans mon souvenir

ronronner perpétuellement

petite usine de contentement

petit Tant-Mieux

petite vierge

je t’aime d’un amour qui

fait sourire

les gens sérieux.


extrait de « Cahier de curieuse personne » de 1933.


 


DAY 11

Sara Teasdale (1884-1933)
Poétesse Américaine

 


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Autumn dusk

I saw above a sea of hills

A solitary planet shine

And there was no one, near or far,

To keep the world of being mine.


 


DAY 12

Patti Smith (1946-)

Artiste Américaine

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La voyageuse pythagoricienne

La beauté n’est pas immortelle.

C’est notre réponse, le langage des chiffres,

des notes, des touches chargeant sur le destrier des nuages –

les bosses contusionnées de baleines magnifiques.

Nuages de mon enfance, nuages de Dieu

Baignant dans le rose, le violet et l’or.


The Pythagorean traveler

Beauty alone is not immortal.

It is the response, a language of cyphers,

notes, and strokes riding off on a cloud charger-

the bruises humps of magnificent whales,

Clouds of my childhood, clouds of God

Awash in the rose, violet and gold.

.

.

extrait d’un poème du recueil « Présages d’innocence » de 2005.

(Traduit de l’anglais par Jacques Darras)


 


DAY 13

Catherine Pozzi (1882-1934)

Poétesse Française

(ndlr: Ici je me suis trompée! Il s’agit en réalité d’un poème d’Anna de Noailles: je n’avais pas croisé mes sources internet, d’où la bourde. Il faudra que je rende justice à Catherine Pozzi en ré-illustrant l’un de ses poèmes…)


 


13-POZZI copie


Poème de l’amour LXIX


Si vraiment les mots t’embarrassent

Ne dis rien. N’aie pas froid;

C’est moi qui parle et qui t’embrasse;

Laisse-moi répandre sur toi,

Comme le doux vent dans les bois,

Ce murmure intense à voix basse.


 


DAY 14

Marina Tsvetaeva (1882-1934)

Poétesse Russe

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Lettre du 2 août 1926

(extrait)


« J’ai toujours ressenti ma bouche comme un monde : voûte céleste, grotte, gorge, gouffre. »


Lettre à Rilke du 14 juin 1926

« Rainer, hier soir je suis sortie ramasser le linge, car la pluie venait.

Et j’ai pris tout le vent, – non, tout le nord dans mes bras. Et il s’appelait toi. (Demain, ce sera le sud !)

Je ne l’ai pas fait entrer, il est resté sur le seuil. Il n’est pas entré mais il m’a emmenée en mer dès que j’ai été endormie. »


Cahiers intimes,

(extrait)


« J’ai la lune juste en face. J’essaie de l’attraper dans le miroir d’argent de ma bague. »

.

.

.

Traduit de l’allemand (car elle était bilingue russe/allemand et écrivait à Rilke dans sa langue, l’allemand) par Bernard Pautrat


 


DAY 15

Ingeborg Bachmann (1926-1973)

Poétesse Autrichienne

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« Le bonheur tisse un cordage d’argent auquel je suis amarrée. »

Extrait du poème « Chants en fuite » du recueil Invocation de la grande Ourse, 1956

.

.

.

Je crains encore de te lier au fil de mon souffle,

de te draper dans les bannières bleues du rêve,

aux portes du brouillard de mon sombre château

de brûler des torches qui te mènerait à moi…

.

Extrait de « Poèmes de 1948-1953« 

Traduction de Françoise Rétif .


DAY 16

Anna de Noailles (1876-1933)

Comtesse poétesse Franco-Roumaine


 


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–J’ai dans mon cœur un parc ou s’égarent mes maux,

Des vases transparents où le lilas se fane,

Un scapulaire où dort le buis des saints rameaux,

Des flacons de poison et d’essence profane.

(…)



–Et mon fixe regard qui veille dans la nuit

Sait un caveau secret que la myrrhe parfume,

Où mon passé plaintif, pâlissant et réduit

Est un amas de cendres encor chaudes qui fume.


–Je vais buvant l’haleine et les fluidités

Des odorants frissons que le vent éparpille,

Et j’ai fait de mon cœur, au pied des voluptés,

Un vase d’Orient où brûle une pastille…

.

.

.

Extrait du poème « Les parfums« 


DAY 17

Lucie Delarue Mardrus (1874-1945)

Poétesse Française

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Ombres

En robe de deuil et sous ton chapeau sombre

Où luit la tache de lune de tes cheveux,

Demeure avec moi, sans lumières, si tu veux

Enchanter mon amour Saturnien de l’ombre.

.

.

Extrait du recueil « nos amours secrètes« , destiné à Natalie Clifford Barney, 1902-1905




DAY 18

Maya Angelou (1928-2014)

Poétesse Américaine

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18-ANGELOU-texte


Still I rise

(Extrait)


Does my sexiness upset you?

Does it come as a surprise

That I dance like I’ve got diamonds

At the meeting of my thighs?


Out of the hearts of history’s shame I rise

Up from the past that’s rooted in pain

I rise

I’m a black ocean, leaping and wide, Welling and swelling I bear in the tide.


 


DAY 19

Alejandra Pizarnik (1936-1972)

Poétesse Argentine

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Des aventures perdues

(Extrait )


J’ai sauté de moi jusqu’à l’aube

J’ai laissé mon corps près de la clarté

Et j’ai chanté la tristesse de ce qui naît.

.

.

.

He dado el salto de mí al alba.

He dejado mi cuerpo junto a la luz

y he cantado la tristeza de lo que nace


Un songe où le silence est d’or

Le chien de l’hiver mordille mon sourire. C’était sur le pont. J’étais nue et je portais un chapeau à fleurs et je traînais mon cadavre également nu et avec un chapeau de feuilles mortes.


(extrait de: Un songe où le silence est d’or, traducteur inconnu)




DAY 20

Christina Rossetti (1830-1894)

Poétesse Anglaise, soeur du peintre du même nom.

 


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« He did not love me living; but once dead

He pitied me; and very sweet it is

To know he still is warm

Though I am cold. »

 


DAY 21

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

Poétesse Française

 


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Danse de nuit

Sous la nuit et ses voiles

Que nous illuminons

Comme un cercle d’étoiles,

Tournons en choeur, tournons.




DAY 22

Louise Ackermann (1813-1890)


Poétesse Française

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Le fantôme

(extrait)


D’un souffle printanier l’air tout à coup s´embaume.

Dans notre obscur lointain un spectre s’est dressé,

Et nous reconnaissons notre propre fantôme

Dans cette ombre qui sort des brumes du passé.




DAY 23

Joumana Haddad (1970-)


Poétesse Libanaise

 


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Lorsque je deviens fruit

(extrait)


J’ai prié les sorciers de prendre soin de moi

Alors ils m’emmenèrent.

J’étais

Mon rire

Doux

Ma nudité

Bleue

Et mon péché

Timide.



Je volais sur une plume d’oiseau et devenais oreiller à l’heure du délire.

Ils couvrirent mon corps d’amulettes

Et enduisirent mon coeur du miel de la folie.

Ils gardèrent mes trésors et les voleurs de mes trésors

M’apportèrent des fruits et des histoires

Et me préparèrent pour vivre sans racines.


Et depuis ce temps-là je m’en vais.

Je me réincarne dans le nuage de chaque nuit et je voyage.

Je suis la seule à me dire adieu

Et la seule à m’accueillir.


 


DAY 24

Anise Klotz (1928-)


Poétesse Luxembourgeoise

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Chaque nuit

je m’entraîne à mourir

j’explore la cartographie

de l’au-delà .

Dans les villes où je passe

j’organise des expositions

de mes rêves

que je vends au marché noir

.

.

Extrait du recueil « L’avaleur de feu »



L‘océan d’où j’étais sortie

il y a des millions d’années

se réveille en moi

quand je t’aime


Dans mes étreintes

je laisserai sur ton corps

des restants de coquillages


Ton lit sera recouvert

d’une fine couche de sable

.

.

Extrait du recueil « Galaxie intérieures« 


 


DAY 25

Sylvia Plath (1932-1963)


Poétesse Américaine

 


 


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Elm

I am inhabited by a cry.

Nightly it flaps out

Looking, with its hooks, for something to love.


La voix dans l’orme

Je suis cette demeure hantée par un cri.

La nuit, ça claque des ailes

Et part, toutes griffes dehors, chercher de quoi aimer.

.

.

Traduction de Valérie Rouzeau




DAY 26

Edith Boissonnas (1904-1989)


Poétesse Suisse

 


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Le retour

(extrait)


Tout à coup s’ouvre une porte

sur le souffle de la nuit,

l’air des feuillages m’apporte

la solitude et son bruit.


Animale

(extrait)


(Dans le secret des moisissures

Les tiges se cherchent aussi

Et se mélangent sans mesure.


Les conifères ont relégué

Leur sexe menu dans des graines

Où le souvenir de la mer, à peine

Une goutte d’eau, est resté.)

.

.

.

Extraits du recueil « Paysage cruel », 1946




DAY 27

Marie Krysinska (1857-1908)


Poétesse Française d’origine Polonaise

 


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27-KRYSINSKA-texte


Les bijoux faux

(extrait) 


Et dans cette féerie de pacotille, au milieu des étoiles en doublé et des lunes en papier

d’argent, mon spleen inquiet s’endormait comme un enfant malade qu’on berce.


30 juin 1883


 


DAY 28

Audre Lorde (1934-1992)


Poétesse féministe Américaine

28-LORDE copie


28-LORDE-texte


Coal

Love is a word another kind of open —

As a diamond comes into a knot of flame

I am black because I come from the earth’s inside

Take my word for jewel in your open light.




DAY 29

Meret Oppenheim (1913-1985)


Poétesse Suisse-Allemande

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29-OPPENHEIM-texte1

29-OPPENHEIM-texte2



Pour toi – contre toi

Jette toutes les pierres derrière toi

Et libère les cloisons.


À toi – sur toi

Pour cent chanteurs au dessus de soi

Les sabots s’arrachent.


JE vide mes champignons

JE suis le premier hôte de la maison

Je libère les cloisons.


1934


 


DAY 30

Emily Dickinson (1830-1886)


Poétesse Américaine

 


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« Not knowing when the dawn will come

I open every door. »

.

.

.

If end I gained / It ends beyond/

Indefinite disclosed/ I shut my eyes-

and gripes as well/ ‘Twas lighter –

to be Blind.

.

Si j’ai atteint un but/ Il est au delà/

De l’Indéfini révélé -/ J’ai fermé les yeux-

et tâtonné tout autant-/ C’était plus léger –

d’être Aveugle.


 


DAY 31

Anaïs Nin (1903-1977)


Poétesse Américaine d’origine Franco-Cubaine

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« Je marche au devant de moi même dans une perpétuelle attente de miracles »

Extrait de La maison de l’inceste, 1936

.

.

.

.

.

.


Et Voilà!

J’espère que ce petit panel de poétesses vous aura plu, inspiré ou donné envie de lire leurs poèmes.


Poétiquement vôtre,

Maureen

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Published on November 14, 2017 14:51

October 16, 2017

Actus 2017

Holalala.


Ce blog se meure.

Il est un peu enterré vivant par Instagram sur lequel je poste quasi quotidiennement, telle l’illustratrice 2.0 que je suis. Le vent tourne, et les réseaux sociaux sont un peu devenus les maîtres: que voulez-vous, c’est comme ça.

M’enfin, il est quand même important que ce blog reste un espace d’échanges et d’informations sur mon travail, et qu’il soit à jour pour les événements majeurs qui me concernent.

Et il y en a deux, d’événements majeurs qui me concernent en cette rentrée 2017.


Car après QUATRE ANS sans rien publier, je suis de retour avec deux livres qui comptent ÉNORMÉMENT pour moi.


J’ai la chance d’avoir toujours publié des projets « coups de coeur » et relativement intimes, choisis: j’ai souvent pu proposer mes projets, et éprouvé le bonheur de les voir naître sur papier.


Mais ici, et pour des raisons bien particulières, je vis une petite révolution professionnelle et j’éprouve une sensation vivifiante de première fois.


D’abord, il y a « Libres! Manifeste contre les diktats sexuels », l’essai/BD créé en binôme avec Ovidie, chez Delcourt:


libres diglee


Puis il y a « Mémoires d’une jeune guenon dérangée », mon tout premier roman, chez Michel Lafon (illustration de couverture : Cécile Dormeau


memoires d'une jeune guenon derangee-maureen wingrove



« Libres! », d’abord.

libres diglee

L’idée de ce projet a vu le jour en 2014 (oui, déjà… on a pris le temps!).


Quelques mois après avoir rencontré Ovidie au festival d’Angoulême (genoux mous et trémolo dans la voix en lui laissant ma BD « Forever Bitch » dédicacée), j’ai reçu un mail de Delcourt me proposant de réaliser un projet avec elle, sur la sexualité féminine. Émotion, danse de la joie et stress naissant. Ovidie venait de terminer son documentaire « À quoi rêvent les jeunes filles« , et elle avait envie d’écrire un livre qui questionnerait les nombreux tabous et injonctions liés à la sexualité des femmes et jeunes femmes.

L’idée au départ était de réaliser une sorte « d’anti-guide » d’une sexualité parfaite, pour prendre le contre pied de tous ces articles ou mini guides nous expliquant en dix chapitres comment être des amantes parfaites, en questionnant rarement notre plaisir ou notre épanouissement personnel.

Nous nous sommes donc rencontrées pour faire le point, échanger et nous découvrir chacune: comme il n’y a pas « un »  mais « des » féminismes, il était important d’être sûres que nous étions sur la même longueur d’onde.


Finalement au gré des rencontres et des échanges, le projet a muté, s’est enrichi, et a dépassé son simple statut d’anti-guide sexo. Il est devenu un réel manifeste, et nous avons choisi d’aborder des thèmes plus larges que la simple sexualité, comme le rapport au poids, la représentation du corps des femmes, les injonctions à la beauté, l’âge ou les règles.


Ovidie a donc rédigé 15 chapitres d’environ deux pages chacun, que j’ai illustrés par une planche BD et des illustrations internes en noir et blanc.


Quelques images du livre:


libres diglee extrait

libres diglee extrait

libres diglee extrait

libres diglee extrait

Ce livre, il est extrêmement important pour moi pour deux raisons:


1) C’est ma première parution féministe éditée. Cela fait maintenant environ trois ans que mes articles de blog sont des articles engagés, mais rien n’avait été publié sur papier: je suis extrêmement heureuse qu’un éditeur nous ai fait confiance sur ce terrain car ce sont vraiment des sujets à aborder ailleurs que sur le net. Ce livre est un texte qui se veut accessible à tous, qui ne s’adresse pas forcément à une communauté militante ou activement féministe: c’est un texte bienveillant et ouvert, une sorte d’appel international à la sororité, et je suis SI CONTENTE de le voir en librairie, accessible aux yeux de toutes et tous.


2) C’est un projet au coude à coude avec une femme réalisatrice et journaliste dont j’admire énormément l’engagement et surtout le travail depuis des années. Ses documentaires sont fins, intelligents, riches et surtout nécessaires. Ovidie est l’une des premières voix du féminisme à m’avoir aidée à me déconstruire. Travailler avec elle sur un projet aussi passionnant, c’était une chance immense: un peu comme d’être marrainée par la Queen, quoi.



Ensuite, mon roman.

J’ai déjà un peu parlé de la génèse de ce projet sur ma page Facebook.

En juin 2016, un soir en faisant ma vaisselle au coeur d’une année particulièrement difficile financièrement et émotionnellement, j’ai eu une sorte de révélation. Des années que je rêvais d’écrire un roman sans m’autoriser à le faire, et ce soir là il m’a semblé que c’était le moment. Je me suis arrêtée, et j’ai foncé sur mon bureau pour coucher mes première idées sur le papier (tant pis pour la vaisselle).


Je voulais écrire un texte pour adolescents, ça c’était sûr.


J’ai toujours été fascinée par cette tranche d’âge, sorte de période charnière inégale et violente pendant laquelle on oscille entre un comportement de gros bébé et la découverte fébrile de l’âge adulte, du désir, de l’amitié, de l’indépendance.


Je suis allée dans mes placards déterrer THE carton, celui remplis de ma soixantaine de journaux intimes tenus de 10 ans à aujourd’hui. J’ai isolé ceux de la période collège, et entamé une relecture pleine de honte et de gêne tout en me félicitant intérieurement d’avoir gardé cette mine d’or qui me permet aujourd’hui de me téléporter à volonté dans les méandres de mes souvenirs d’adolescente.


diglee journaux intimes


Mes élans de violence dessinés, contre mon harceleur de l'époque.

Mes élans de violence dessinés, contre mon harceleur de l’époque.


 


(quand je vous dis que c'est une relecture gênante...)

(mon récit du 11 septembre 2001: quand je vous dis que c’est une relecture gênante…)


Après moultes relectures embarrassantes donc, j’ai monté mon projet, enquêté, traîné à la Fnac rayon jeunesse pour interviewer les grappes d’ados en quête de lecture, j’ai cherché pendant un moment le prénom de mon héroïne pour oser me lancer, et quand je l’ai trouvé (facile, c’est celui que j’ai vraiment failli porter), les pages ont jailli, comme si je les couvais depuis des années et qu’il suffisait d’ouvrir la porte pour que le flot se répande.


Ce livre, ou plutôt cette série (car j’écris le tome 2 actuellement), ce sera le journal intime de Cléopâtre Welligton, 13 ans, une ado franco-anglaise qui a des poils autour des tétons, une petite soeur timbrée fan de phoques et une passion inconsidérée pour les films d’horreur, le houmous et sa meilleure amie Chloé.


Avec ce personnage, j’ai eu envie d’aborder de manière frontale et sans tabou cette relation trouble au corps, à la puberté: ce sentiment d’être monstrueuse, difforme, moche. De surcroît en tant que fille, quand cette puberté nous barde soudain d’attributs que la société nous encourage à cacher ou taire (poils, règles etc.).

Je parle aussi de harcèlement scolaire, diffus, larvé, journalier: celui qu’on intègre et qu’on ne relève plus, persuadé de le mériter. Je parle aussi des premiers émois, des premiers flirts, et surtout: d’amitié.

Et d’Halloween.

Et un peu de magie.

Et de chats (Flutiou est dans la place).

Et de la famille évidemment, en l’occurrence DES PARENTS, ici divorcés et complètement antinomiques, ambiance mère militaire et père démissionnaire un week end sur deux.


J’ai écrit ce texte en m’imaginant filer aux lectrices et lecteurs une bonne grosse tape dans le dos suivie d’un gros câlin qui dirait : « T’inquiète: ch’ui avec toi ».


memoires d'une jeune guenon derangee


C’était un pari risqué, parce qu’encore une fois, je suis à mille lieues de ce sur quoi on m’attendait. Tenter le roman quand on est appréciée pour son coup de crayon, c’est un peu effrayant. Et en même temps, ce livre je l’ai écrit avec la même plume, le même ton que toutes mes anecdotes de blog. À l’écriture je ne me suis pas sentie étrangère à mon travail habituel, c’était comme une sorte de continuité logique.


C’est une sortie très angoissante et très excitante à la fois, et j’espère vraiment que ce texte trouvera sa place sur quelques étagères.


Voilà!


Je mettrai à jour mes dates de dédicaces ici, dans la rubrique « Autre ».

À très vite, et merci à toutes et à tous pour votre soutien, comme toujours.



Ah, et info de dernière minute: « Libres! » est déjà en rupture de stock, mais nous sommes en train de lancer les réimpressions donc cela devrait arriver vite. Je suis hyper émue et boostée de voir qu’un sujet comme le féminisme peut rassembler une telle communauté: fidèle, intelligente et active. Juste: MERCI.

Maureen

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Published on October 16, 2017 06:54

March 8, 2017

Journée internationale de lutte pour les droits des femmes

anna a

emily dickinson

Aujourd’hui est un jour aussi symbolique qu’important.


Il est celui dédié non pas à « la femme », car il n’existe pas UNE femme qui en son simple corps résume les milliers d’autres, mais AUX femmes, et surtout à leur suffocation, à cet étau pesant qui les prive de droits et de libertés. D’égalité.

Non, le temps de lutte n’est pas révolu, oui les femmes sont invisibilisées, encore, violées, excisées, violentées, humiliées si souvent.


Dans ce combat parfois pesant et très souvent moqué, ma paix intérieure je l’ai trouvée en lisant des femmes, en lisant des destins de femmes. En cherchant l’anecdote, en cherchant le modèle, « comment elle a fait, elle, pour y arriver? ». J’ai trouvé de l’apaisement en me rapprochant des femmes, en appelant à la sororité.

Mot que mon correcteur d’orthographe me souligne encore en rouge, ignorant honteusement ce qu’elle la solidarité entre femme, entre soeurs.

« Sororité ».


Ce besoin n’est pas neuf.

Il crie depuis longtemps, et même ici, sur ce blog.

J’ai parlé du poids et de l’influence de mes ancêtres femmes (dont certaines mériteraient tellement d’être dans des livres), de leurs amours, de leur force, de leurs drames, dans un billet sur l’amour.

J’ai illustré quelques unes des femmes célèbres qui m’ont aidée à me construire adolescente et jeune adulte, dans mon agenda 2015 et mon coffret de cartes postales.

J’ai gueulé, (en 2015 aussi, année de la révolte) sur de l’absence aberrante de femmes de lettres dans les sujets du bac de terminale littéraire, et à ce titre, j’ai énuméré les quelques autrices que je connaissais et qui mériteraient d’y figurer.

J’en citais peu. Trop peu.

Parce que bien qu’elles fourmillent et foisonnent, la culture les tait, et il faut aller les chercher. Quand on cite des autrices, on cite toujours les mêmes: Duras, Yourcenar, Triolet, Sagan & co.

Il faut fouiller, lire, écouter des émissions, enquêter, prendre le temps, pour déterrer les femmes. Et alors, la surprise est immense.


Les femmes sont là.

Plurielles et fantastiques, pleines de toute leur individualité et loin du cliché marketting infâme d’une littérature qui serait « féminine ».


Cette urgence à CITER des femmes qui comptent, comme le fait merveilleusement bien Pénélope avec sa BD « Les Culottées » est viscérale: pas parce que les femmes sont plus intéressantes que les hommes, pas parce qu’elles écrivent mieux, pas parce que leurs oeuvres se distinguent et se détachent de celles de leurs pairs masculins: juste parce qu’elles e.x.i.s.t.e.n.t.


Et que le fait que ce soit une surprise est grave.


J’ai besoin de modèles, d’égéries, d’histoires racontées dans lesquelles les vainqueurs, non, les VICTORIEUSES (oui, la féminisation des termes est politique, et oui, je dis autrice et écrivaine et poétesse) seraient des femmes.


Parce qu’il serait temps que la balance soit rétablie, que ce que l’on apprend à l’école devienne incluant, devienne réaliste. Le monde, non, n’est pas fait que d’hommes, il est même plutôt bien équilibré.

Il est fait d’individus multiples, et parmi ces individus des femmes créent, au même titre que les hommes. Or la plupart ne franchissent pas la ligne de la culture populaire, des grands prix, de la célébrité, de la postérité.

Ou pire, elles y parviennent à leur époque, puis sont noyées et englouties dans la réécriture permanente de l’histoire.


En ce moment je trouve de l’apaisement dans la poésie.

J’ai toujours adoré la poésie, si proche du dessin, comme une petite hypnose fleurie qu’on va chercher au fond de ses yeux.


J’ai grandi avec les illustres Rimbaud, Apollinaire et Éluard. J’ai boudé Ronsard, que je trouvais niais.

Éluard, j’en fais encore mon pain quotidien, en témoigne ma récente exposition autour de ses vers.

En grandissant j’ai ajouté Mallarmé et Paul Valéry, Walt Whitman.


Mais ces temps-ci, surprise: je découvre que les femmes elles aussi ont écrit de la poésie.

On ne me l’avait jamais dit. J’ai fait tout un trimestre en 1ère littéraire sur la poésie, et on ne m’a rien dit.


Quand j’imaginais un poète, je pensais Shakespeare, je pensais Verlaine, je pensais homme, je pensais homme amoureux, désireux, épris, fou… ivre.

Était-ce tolérable d’entrer dans de telles transes pour une femme? Est-ce aussi bien vu pour une femme d’écrire sur son amour, sa passion, son déchirement? C’est drôle parce que sous la plume d’une femme, ces mêmes élans sont aussitôt qualifiés de « sentimentalistes » « féminins » « à l’eau de rose ».

Heureusement, certaines poétesses font l’unanimité de la critique, et réussissent à me parvenir par le biais d’articles ou d’émissions.

Aujourd’hui je lis toujours Éluard et Paul Valéry, mais je découvre éblouie Anna Akhmatova, Emily Dickinson, Louise Labé, Sylvia Plath, Patti Smith. Il y en a d’autres, plein, je le sais: je vais les trouver, je vais les lire, je vais choisir laquelle me plaît, laquelle résonne.


Pour ce 8 mars j’ai choisi d’illustrer les deux poétesses qui m’ont fait frémir ces jours-ci, dont la biographie, la plume, le parcours m’ont fascinée.


Pour clore ce long billet, je veux retranscrire ce poème d’Anna Akhmatova:


Le saule


… le duvet fragile des arbres.

Pouchkine


J’ai grandi au milieu de calmes motifs

Dans une fraîche nursery du jeune siècle;

Je n’aimais guère la voix des hommes,

Mais je comprenais celle du vent.

J’aimais la bardane et l’ortie,

Et plus que tout le saule d’argent.

En reconnaissance il a vécu

Avec moi toujours, ses branches en pleurs

Semaient des rêves sur mes insomnies.

C’est étrange! Je lui ai survécu.

Voici la souche; les autres saules

Parelnt aujourd’hui avec d’autres voix

Sous notre ciel, sous d’autres cieux.

Je me tais… on dirait que mon frère est mort.


1940 janvier


 




Bonne journée à toutes.


Maureen

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Published on March 08, 2017 01:03

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