Maurice G. Dantec's Blog, page 2
June 21, 2019
Wrath : la machine à laver programmable de l’internet
“Il suffit d’observer quelques secondes son visage, ou ce qui en tient lieu, pour comprendre aussitôt le terme « ressentiment ».
Il suffit de lire sa prose de vespasienne à la bonde d’éjection bouchée par les étrons déversés par son propre organe phonatoire, pour sentir instinctivement que nous sommes placés devant un cas relevant de la plus stricte et orthodoxe psychopathologie.
Il suffit de lire les commentaires de ses fans – ses toutous de service devrais-je dire, dont un certain « boudiou », agenouillé devant son idole, dans l’attente de ses fluides logorrhéiques – pour réaliser, abasourdi par tant de médiocrité mercantile, que pour ce troupeau de nains de jardin la littérature se borne à « des informations sourcées » concernant les chiffres de vente de tel ou tel auteur !
Il ne reste plus qu’à se demander dans quel bordel de campagne tous ces sursinges se rencontrent pour exercer leurs évidents talents de comiques.
Je ne vais pas épiloguer sur l’absence plus que manifeste du moindre talent littéraire de cette chevaline apparition et des divers amas de crottin qu’elle laisse derrière elle, comme autant de preuves désopilantes du rapport constant qu’exercent forme et sens, même dans le backroom où elle officie.
Juan Asensio aura fort bien circonscrit sa plus totale NULLITÉ, que peut-on faire contre le Néant ? RIEN justement, il n’y a rien à faire contre RIEN.
Mais si on ne peut rien faire contre, on peut au moins essayer de faire quelque chose POUR, non ?
Son apparence de mutante post-nucléaire nous entraîne en effet à un peu de compassion, même à Vancouver, ville réputée pour son ouverture d’esprit, je ne suis pas sûr que son intégration dans la société multi-ethnique de Colombie Britannique soit gagnée d’avance.
La laideur physique est rarement la conséquence de données génétiques. La laideur, la vraie, c’est justement l’apparition au grand jour de tout ce qui a été détruit, ou vicié, à l’intérieur. Et tout portrait de Lise Marie Jaillant confine à la perfection en ce sens : la destruction a été si parfaitement accomplie que c’est à se demander si nous avons encore affaire à une personne, ou à une simple pièce de mobilier douée de « parole ».
Une des choses les plus urgentes à faire est de l’encourager vivement à poursuivre ses activités de blogopathe. Tout d’abord, cela procure quelques cargaisons régulières d’humour involontaire et de connerie crasse, et cette détente des zygomatiques est à porter à son crédit. Évidemment, il faut varier les plaisirs et quelques attaques judiciaires en règle devraient nous permettre d’élargir le spectre de cette drolatique expérience.
Ensuite, on peut espérer qu’un jour une des personnes que la Mégère Psychowrathe aura diffamée ne passera pas par les voies traditionnelles pour lui rendre hommage, une telle compression de crétinisme, de perversité pour classe Maternelle, de jalousie, de haine de soi transférée sur l’autre, de puérilité paradoxalement gérontocratique, de puanteur existentielle, dans un seul cerveau hydrocéphale, il convient de dire que cela confine au miracle, et qu’un tel miracle se doit d’être honoré comme il se doit.
On n’a rien fait contre les idées tant qu’on n’a pas attaqué les personnes, disait fort justement Joseph de Maistre. Il faut dire que dans le cas qui nous occupe (à peine), l’aphorisme du Comte Savoyard nous serait de peu d’utilité, dans le sens où, précisément, moins encore que le fait patent qu’on ne peut trouver la moindre idée, même gestatoire, derrière ce front sur-dimensionné, le doute subsiste quant à savoir si Lise-Marie Jaillant est une personne.
En parcourant sa prose d’androïde matriculé, je me suis demandé parfois s’il ne s’agissait pas en fait d’un simple robot logiciel mis au point par un laboratoire de Vancouver. Il faut bien saisir la différence fondamentale entre nullité et médiocrité, même la plus abyssale. Ce qui est médiocre reste humain, c’est même sa signature.
La nullité n’est pas vraiment de ce monde, elle participe de l’équarrissage digital de toute singularité, elle permet ainsi sans doute à un vulgaire composant électronique de simuler à la perfection une mythomane patentée avec un stock de paramètres neuro-psychiatriques affublé d’un nom de code féminin et du portrait d’une manipulation génétique ayant mal tourné.
Je me demande vraiment ce qui m’a fait quitter la France.”
Le 3 mars de l’An de Grâce deux mil dix.
Post-scriptum en date du 6 mars 2010 :
Depuis quelques heures, le robot logiciel de Vancouver dénommé Wrath semble en mesure d’imiter à la perfection une crise hallucinatoire aigüe de délire paranoïaque. Sur la plate-forme sursimiesque qui lui sert de “show-room”, il simule, avec un sens du détail proprement fascinant, les beuglements pathétiques d’une patiente atteinte d’une pathologie particulière qui lui fait lire des menaces de mort dans un texte servant de mode d’emploi pour le (dé)montage, ô combien délicat, d’un hybride de pièce de literie et de machine à café.
La simulation est à ce point réussie qu’elle parvient à susciter nombre de questions philosophiques d’une importance cruciale, comme :
Comment pourrait-on menacer de mort une “personne” qui n’a jamais vraiment existé ?
Comment éprouver une “haine” quelconque envers un dispositif électro-mécanique ?
Cet exploit des instituts de recherche informatique de Colombie Britannique mérite d’être salué.”
November 30, 2010
Exil(s) Express
Une conversation autour de l'exil, du Québec, de l'hexagone et ses écrivains, du
roman qu'il prépare pour 2011 et de la question de son éventuel retour en
France. Séquence face à un homme détruit par la France et reconstruit en
Amérique.

"On tue aussi sûrement avec un million de coups d'épingle qu'avec un coup
de marteau", dit-il en souriant, avec une légèreté suspecte, en se
resservant du thé. Pas tout à fait la citation du situationniste Raoul Vaneigem,
mais le sens y est. L'épingle et la massue. À cette différence près que l'époque
a changé. Les cent-mille piqûres ne désignent plus les perfides tentations de la
société de consommation. Elles désignent… des piqûres. Au sens propre. Une
myriade de petites agressions métalliques qui vous laissent étonné, le doigt
suspendu, prêt à sucer la goutte de sang qui va bientôt perler. Au tournant du
siècle, Dantec en a reçu tellement qu'il a le visage criblé. De retour des
Balkans, et deux voyages auprès des musulmans bosniaques et des catholiques
croates, il a l'outrecuidance de s'opposer aux bombardements alliés sur la
Serbie. Hérésie. Quand l'Europe hurle au génocide, quand la presse en croisade
compte les déportés et recense les charniers (qu'on ne trouvera jamais) de
Milosevic, lui se colle une moue dubitative et hausse un sourcil blasé. Eh
oui, Milosevic est un immonde salaud, dit-il placidement. Mais que
voulez-vous, le Kosovo est serbe, et qu'est-ce que j'y peux ? Réaction d'infâme,
et osons le dire : de nazi ! Insulte suprême, ultime. Dantec est dénoncé
comme vénéneux Goebbles littéraire. Disqualifié. Rauss.
On s'est
habitués désormais, il y en a eu d'autres.
Dix ans plus tard d'ailleurs,
ils forment une manière de club (dont certains membres se retrouvent sur Ring)
où ils peuvent échanger dans l'allégresse et une paix relatives leurs points de
vue désenchantés sur la dérive de l'occident et leurs tirades
"islamophobes". Sans guillemets, d'ailleurs : leurs tirades, donc,
islamophobes. C'est à qui sera le plus subversif. Ou le plus lucide, comme on
voudra, depuis Orwell les termes ont tendance à ce confondre. Mais pour
construire son oeuvre, Orwell se colletait au réel… Aujourd'hui, les ostracisés
des plateaux télévisés se chicanent, se disputent : le réel s'est imposé
partout, il suffit de le contempler, et la lucidité n'est plus incompatible avec
le quotidien d'un coquet de salon.
Mais je digresse.
Il en est de plus prosaïques. Celles qui
appartiennent au réel, justement, qui font mal, et que Dantec partage avec une
foule d'anonymes : bousculades, regards haineux, insultes. Et coups. "On vivait
à Vitry", dit-il. "Sylvie a vécu une agression assez hard". C'est son
épouse, Sylvie. Douce et calme. Elle me tend une assiette de gâteaux. "Hard
comment ?", j'insiste, lourdement, plusieurs fois. Silences. Hard comme on
n'ose le raconter, hard comme la douleur, l'hôpital et la honte. Tais-toi,
maintenant. "Ce que j'ai vécu, des milliers d'autres gens le vivent. C'est
banal, et c'est ce qui est terrible. À chaque fois que je prenais le RER C,
j'avais une embrouille avec de jeunes enfants défavorisés. Parce que je portais
des lunettes noires. Au bout d'un moment, t'en as marre… Et tu constates que la
société est en train, bizarrement, de s'adapter." De quoi mettre en rage le
plus pacifiste des auteurs catholiques de polars cyberpunks. "C'est comme si
le pays était constamment au bord de la guerre civile. Les problèmes
inter-ethniques sont mêlés aux problèmes politiques, et à l'incapacité de
l'Europe à se faire. Cela s'appelle un mur, et la France va se le prendre."
C'est cette France-là que Dantec a fuie. Une nation incertaine, où l'on
assassine à cent-mille coups d'épingle.
Une société d'individus réduits
au silence par des bataillons de dés à coudre.
Au Québec, j'en ai
rencontré des dizaines, de ces banlieusards fatigués venus trouver, comme
Dantec, "ce que la France avait perdu". En 1999, dit-on, cela avait
encore du sens. "Le Canada est le seul pays au monde qui a résisté à la
crise. C'est un pays riche, peu peuplé, avec une structure socio-politique qui
fonctionne." Dans cet eldorado, le Québec avait l'attrait d'un centre
politique et culturel dynamique, jeune, stimulant. Alors ?
"Ces douze
dernières années, on a senti des glissements".
Un homosexuel, qui
fuyait les brimades dont il était victime dans sa banlieue Lilloise, s'étrangle
devant le niveau "lamentable" de l'enseignement. Il a pu se marier,
élever un enfant. "Et ils font de mon fils un con".
Un médecin
Algérien conduit depuis quinze ans son taxi, ruminant de vieux rêves usés de
gloire et l'aisance.
Une femme est contrariée, car elle doute de pouvoir
arriver à l'heure à son cours de Yoga en quittant le travail à seulement 16
heures 30.
Et sous l'échangeur Turcot, monstrueux complexe autoroutier
construit en 1966 au-dessus d'un canal de Montréal et de l'ancienne gare de
triage, on peut croiser, parfois, un type en lunettes noires. Dantec ne cherche
plus ce que la France avait perdu. Il n'a pas trouvé, en terre de Nouvelle
France, la clé d'une réconciliation entre les deux identités, européenne et
anglo-saxonne, d'une même civilisation occidentale. "Trente ou quarante ans
après la Révolution tranquille, de nombreux aspects de la civilisation
canadienne-française ont disparu". Il contemple le réel. Les ruines
inspirantes d'un monde qui a vécut. "J'aime les zones industrielles, où l'on
ne rencontre plus personne. Je vais traîner dans les tunnels de l'A720
complètement destroy, près de l'incinérateur" ou des anciens ateliers du
Canadien National. Dans les églises désertes, aussi… Son prochain roman se
construit dans ces tableaux faussement figés d'une Amérique qu'il continue
d'admirer. Dantec étudie la composition du sous-sol, se passionne pour
l'histoire du peuplement de ces terres. Il s'approprie son nouveau territoire.
Songe à s'établir dans l'Ouest, là où de nouvelles ruées se préparent. Les
États-Unis, l'Alberta, peut-être… Pourquoi pas ? "Je suis du genre à planter
mon drapeau. On peut avoir plusieurs identités, mais il faut les faire
exister." En écrivant leur histoire.
Retrouver la France, ce serait
retrouver quoi ? "Il n'y a plus d'écrivains, en France. C'est terminé. Ne
restent que des Yann Moix, des Marc Levy, des Angot, des Musso… Ils s'occupent
très bien eux-mêmes d'écraser leur liberté en maniant la brosse à reluire et les
poncifs humanitaires. J'ai pris de la bouteille et je suis plus distant. Il est
assez amusant de les voir pérorer à la télévision française, ils pensent qu'ils
sont encore le centre de la pensée littéraire. Mais le méridien de Greenwitch de
la création a franchit l'Atlantique. Il est sur l'Amérique du Nord, sur la
Corée, l'Australie…" Et quelque part, peut-être, au-dessus de
Montréal.
Sur le mur, au-dessus de l'ordinateur, j'avise un tableau
représentant un combattant cyborg juché sur un dromadaire androïde.
Les
feuilles de notes, éparpillées, son orange électrique.
L'exil n'apaise
pas. Il ne comble rien. À peine s'il éloigne réellement de la source des
blessures.
Ingrat, il punit celui qui le choisit de nouvelles causes
d'inquiétudes.
Mais il interdit qu'on le regrette ou qu'on le
blâme.
Et s'il exige du courage, c'est parce qu'il n'est jamais un moyen
pour celui qui l'embrasse : il est une forme d'ascèse, un état.
Dantec ne
rentrera pas, dit-il. Il ne sera pas l'un de ces "lucides" prêchant la
bonne parole dans le huis clos des salons. "Ici non plus, les gens ne savent
pas que l'Islam est en réalité une idéologie totalitaire, dont les premières
victimes sont les musulmans." Il est las de le rabâcher. D'autant plus que
"d'autres choses se préparent". C'est sur les courbes démographique, et
vers la frontière mexicaine que son regard se braque. L'écrivain de l'apocalypse
prédit, sous l'égide de l'ONU, une balkanisation générale.
L'idée, on le
sait, en a fait sourire certains.
Peu d'écrivains, pourtant, ont jusqu'à
présent livré une analyse plus fine des mutations à l'oeuvre en Occident, de la
déliquescence des sociétés à leur confrontation inéluctable avec l'Islam
totalitaire, jusqu'à la récente résurgence d'une foi catholique comme fondement
identitaire. Le succès fulgurant du récent film Des Hommes et des Dieux de
Xavier Beauvois, incompréhensible si l'on en refuse une lecture politique, en
est un signe concret : le coeur d'un peuple palpite sous la plume de Dantec. Ces
deux-là sont connectés, ils se comprennent. Le mysticisme complexe, profond et
assumé qui empreint ses derniers romans aurait dégoûté ses lecteurs ? Il
pourraient au contraire être les jalons d'un futur grand roman, comme "Et vive
l'Aspidistra" ou "Un peu d'air Frais" préparaient, chez Orwell,
l'immense "1984".
En exil, Dantec explore. Chaque roman semble
participer d'une oeuvre plus grande encore en gestation.
Elle sera
peut-être écrite.
Quand sera venu le temps.
Géraldine Woessner
July 18, 2010
"Cartes et territoires" - extrait de Métacortex

Cartes et territoires
Ils avaient prolongé la planque des jours, des nuits d'affilée. Depuis les premières heures de leur collaboration, Verlande avait appris à Voronine les techniques de contrôle du sommeil qu'on lui avait enseignées en France, dans le Groupe des Commandos de Montagne, ces unités de chasseurs alpins spécialisées dans le renseignement et l'infiltration des lignes ennemies, détail qui n'avait pas échappé aux recruteurs de la SQ. Ils se partageaient les rotations diurnes/nocturnes, tenaient sans problème 48 heures d'affilée, accumulaient films vidéos et clichés photographiques. Ils surveillèrent absolument toutes les caches répertoriées. Ils rencontrèrent ses amis, ses proches, les rares membres de sa famille encore en vie, de simples connaissances des nombreux quartiers qu'il avait fréquentés au cours de sa vie de quinquagénaire bien remplie. Corzabal, c'était 350 km2 de topographie urbaine imprimée jusqu'à l'os. Il était né à Montréal, avait vécu à Montréal, avait tué à Montréal, avait été condamné et avait initié sa vie pénitentiaire à Montréal, d'une manière ou d'une autre, il mourrait ici, à Montréal, il était son fantôme avant même sa disparition.
Ils traquèrent sa piste sur chaque trottoir de la ville, à l'est : Rosemont-Petite Patrie, Ahuntsic, le Plateau Mont-Royal, Hochelaga-Maisonneuve, Saint-Léonard, Verdun, Longue-Pointe ; à l'ouest : Pierrefonds, Pointe Claire, Roxboro, Beaconsfield, chemin Rockland, Notre-Dame de Grâce, Côte Saint-Luc, Trans Island Avenue, Kirkland, Dorval, Montréal-Ouest, Sainte-Anne de Bellevue, Dollard des Ormeaux, cela couvrait pratiquement toute l'île de Montréal, l'homme était la ville incarnée, une reproduction cartographique vivante, il était l'homme qui en connaissait le moindre centimètre carré de bitume et de béton, il était l'homme dont l'asphalte était la mémoire vivante, il était l'homme qu'il fallait serrer au plus vite. Ils firent le tour des clubs de danseuses de Sainte-Catherine, des boîtes de nuit du centre-ville ou de l'avenue Mont-Royal, des cercles de jeux clandestins de Chinatown, des bars de Crescent et de la Petite Italie, ils criblèrent la cité du nord au sud, d'est en ouest.
Ils ne trouvèrent rien.
Rien qui puisse les conduire à Corzabal. Il était arrivé à Montréal au début de l'hiver et s'était fondu dans la blancheur neigeuse qui avait recouvert la ville.
Rien n'indiquait qu'il l'ait quittée. Rien non plus n'indiquait le contraire.
Verlande et Voronine commencèrent à penser sérieusement à une disparition forcée.
Une fosse, quelque part dans les Laurentides ou les Appalaches, avait un jour attendu l'homme qu'ils traquaient, un rendez-vous truqué, un piège quelconque, avec peut-être la complicité involontaire des deux flics, bref, le trou dans la nuit : il n'y avait plus qu'à faire gicler une volée de chevrotines et à le laisser tomber au fond avant de tout recouvrir tranquillement, en parsemant la terre superficiellement gelée de graines de graminées sauvages qui fleuriraient dès le printemps, dans quelques semaines au plus, et en disposant des poignées de branchages susceptibles de pourrir un peu dans les plaques de neige résiduelles et de s'amalgamer au couvercle terreux de la fosse. Qui n'a jamais existé, qui n'existe pas, qui n'existera jamais.
Au Canada, les tombes clandestines ne peuvent être découvertes à cause d'une loi statistique très simple qui se résume à deux chiffres : 32 millions d'habitants pour 9 millions de kilomètres carrés.
La mort des deux flics et la disparition du truand produisaient une tension oblique, atypique, jamais ces hommes n'auraient dû se rencontrer. La preuve, c'est qu'ils l'avaient payé de leur vie.
Ce furent des Cris de la Baie James qui découvrirent les véhicules. Cela faisait près de quinze jours que Verlande et Voronine pistaient Corzabal sans relâche, jour, nuit, nuit, jour, jours-nuits, nuits sans fin, aubes en série, crépuscules assemblés en un seul moment solaire, discipline du cerveau d'acier, armature des sens, armurerie de la cognition, pur impact mental sur le monde, snipers dont l'attente pourrait durer mille ans avant de presser la détente, quinze jours à sans cesse planifier les parcours et les veilles, jamais dans le même ordre, jamais aux mêmes heures, passant et repassant devant ses planques, interrogeant sans cesse les habitants du quartier en question sur un éventuel retour du truand montréalais dans le secteur, sans le moindre succès, quinze jours et plus de frustration glacée dans le congélateur de la volonté, cela faisait deux semaines pleines, sans shabbat, sans dimanche, sans une seconde de répit, lorsque la nouvelle avait été diffusée sur la fréquence de la police.
La Baie James !
Mille deux cents kilomètres vers le nord. Au milieu de nulle part.
Ils prévinrent la Direction qu'ils se rendaient illico sur les lieux.
En tant que membres du Renseignement de la SQ, ils n'étaient affiliés à aucun district particulier, d'après une directive qui datait maintenant de plusieurs années. Ils opéraient depuis le QG de Montréal, ils pouvaient se rendre et enquêter où ils le désiraient, quand ils le désiraient, avec la méthode qu'ils désiraient, ils étaient les seuls à décider de l'opportunité de se rendre ici, ou là, pour telle ou telle raison.
Ils étaient des flics en même temps que des espions.
Ils étaient des hommes absolument libres.
On était en début de matinée, un jour de semaine, trafic relativement fluide dans cette direction, vers l'extérieur de la ville. Ils prirent la 40 ouest puis l'embranchement de la 15 nord en direction des Laurentides.
Voronine brancha son lecteur mp3 sur la piste digitale audio du tableau de bord.
– Toujours tes musiciens russes ? demanda Verlande.
– Oui. Dans les steppes de l'Asie Centrale. Alexandre Borodine. Tu verras, ce sera très couleur locale.
Verlande ne répondit rien, il attendait que les fichiers musicaux se chargent en se disant qu'en effet, entre les steppes de l'Asie Centrale sibérienne et celles de l'Amérique Boréale canadienne, les analogies reflétaient la grandeur des deux continents, elles étaient multitude et elles recouvraient toute la nature de leur présence. Elles étaient les deux images, l'une orientale, l'autre occidentale, de l'infinité à l'échelle terrestre.
Les violons cosaques attaquèrent les premières mesures, l'autoroute se prolongea jusqu'à l'horizon où se profilait la chaîne bleutée des Laurentides, Verlande garda le silence. Ils étaient la Russie de l'Ouest transatlantique. Peut-être bien, après tout, que les Russes étaient des Américains eurasiatiques ?
Peut-être bien, après tout, que l'histoire des hommes consistait en ces inversions pivotales continues, qui conduisaient les libertés et les droits vers la dictature, et qui faisaient surgir les authentiques souverainetés des décombres et de l'esclavage ?
L'anarchie accouchait de la tyrannie, la tyrannie engendrait l'anarchie, un serpent redoutable, venimeux, broyait toute liberté dans ses anneaux dialectiques, encerclant le monde de son orbe visqueuse, apportant la preuve, si besoin était, que la Chute, en fait, ne faisait que commencer. Peut-être y avait-il un sens à tout cela, les réfugiés dans leurs navires en feu, les flics assassinés en pleine rue, la disparition du truand montréalais, l'explosion anormale des terroristes dans leur camionnette ? Peut-être y avait-il un sens à toutes les actions que les hommes accomplissaient sur cette Terre, tout compte fait ?
Le seul problème, est qu'aucun d'eux n'avait la moindre idée de ce dont il pouvait s'agir.
Le sens ne se décrète pas, comme toute véritable liberté. Une liberté est par nature indéterminable, car c'est elle le déterminant, c'est elle qui vous rend libre. Pour faire simple, Verlande savait très bien et à quel point la seule Liberté en ce monde consiste à s'en saisir. C'était donc à eux de faire repartir la machine, l'axis mundi branché sur le gyroscope de la justice, c'était à eux de serrer tous ces fils de pute et de redonner au monde un visage digne de ce nom. Toute sa vie semblait converger vers ce point crucial. Il en sentait les épicentres résonner dans toute la structure de son corps, et de son esprit.
Quelque chose d'immense le remplissait.
Immense. Comme un abîme.
Ils roulèrent vers le nord sans discontinuer, sinon pour faire régulièrement le plein d'essence-éthanol aux quelques stations-service dont les réservoirs étaient alimentés, et dûment surveillés par des patrouilles de police locales ou les gros bras des compagnies de sécurité privées, et faire le vide dans leur vessies ; un peu partout, des groupes, des familles, des hommes seuls attendaient en files, jerrycans, bidons et tickets de rationnement en mains, de pouvoir s'approcher des précieuses pompes, le regard souvent plus vide encore que les divers contenants dont ils se servaient pour recueillir les carburants.
Verlande et Voronine se passèrent et repassèrent le volant comme ils s'étaient échangé les tours de veille, les planques, les tournées dans le red light district. Le voyage vers la Baie James se déroulait en parfaite continuité avec les jours-nuits urbaines traversées les deux semaines précédentes, la seule différence tenait aux apparences, une simple nuance dans certains traits du décor : la ville n'est rien d'autre qu'une prothèse humaine de la nature. La nature est tout aussi dangereuse qu'un mauvais terminal d'autobus. Et elle est tout aussi secrète que les bas-fonds les plus obscurs de la cité. C'est comme si les espaces sauvages qui se dévoilaient à leurs yeux contenaient toutes les cités possibles, tous les crimes que l'homme est capable de commettre. La nature semblait le plus grand et le plus impressionnant de tous les artifices.
Nouveau-Comptoir se trouve dans les basses terres qui longent la côte orientale, très découpée, de la Baie James. Il faut se cogner les 1 200 kilomètres qui séparent le Saint-Laurent de cette sorte de péninsule aquatique de la Baie d'Hudson, puis se taper encore 350 kilomètres pour parvenir jusqu'à cette petite ville portuaire plantée au bord d'un fjord aux formes complexes qui conduit aux Painted Hills Islands, vaste conglomérat d'îles et d'îlots pratiquement soudés entre eux et à la terre ferme.
Les deux Indiens Cris vivaient dans la réserve locale, Weminji, ils étaient partis pour quelques jours sur un de leurs territoires de chasse, à environ 80 kilomètres à l'est de la ville, ils avaient planté leur campement dans les boisés qui couvrent les quelques buttes et hauteurs de cette région, afin de repérer plus facilement leurs proies, ils avaient tué un chevreuil, quelques lièvres, puis sur le chemin du retour, tout à fait accidentellement, dans une ravine camouflée par une forte concentration d'épinettes, ensevelies sous plusieurs blocs ou couches de neige, ils étaient tombés sur les épaves calcinées.
Il faut connaître le nord du Québec pour comprendre pourquoi le fait de trouver par hasard les monceaux de métal carbonisés tenait du miracle. Moins de trois semaines après l'assassinat des flics montréalais, moins de trois semaines après l'abandon des véhicules dans la nature, moins de trois semaines, en plein milieu des steppes de l'Amérique boréale.
On était un peu avant la mi-avril, sous ces latitudes, la neige imposait encore sa présence à des pans entiers de la nature. Les Cris étaient des chasseurs, ils étaient des prédateurs, ils ne faisaient pas partie de la nature, la nature faisait partie d'eux. Ils étaient des francs-tireurs de l'ordre cosmologique.
Aussi, le hasard n'y était pour rien, face à des chasseurs cris il n'avait aucune chance.
Lorsque Verlande et Voronine arrivèrent sur les lieux, plusieurs équipes de la SQ du district, dont le labo d'analyses criminalistiques, étaient déjà au travail.
D'après les premiers constats, on avait conduit le pick-up et le SUV dans cet endroit désolé, il subsistait des traces qui se perdaient plus loin, aux alentours du chemin forestier principal, puis on les avait précipités dans la ravine. Ensuite une seule et unique explosion, très puissante, dont il restait à déterminer la nature exacte, avait littéralement pulvérisé et carbonisé les deux véhicules. Pour finir, on avait plus ou moins recouvert le tout avec de gros bloc de neige, de la glace, des branches et des arbustes morts, de la terre. Rien qui puisse échapper à l'œil averti d'un chasseur cri.
Les unités de criminalistes passaient toute la zone au peigne fin, munis de détecteurs de métaux et de longues gaffes dotées de pinces robotisées ou de plaques à aimants. Ils repéraient les indices, les numérotaient avec une petite pancarte jaune, les photographiaient puis les plaçaient précautionneusement dans une enveloppe de plastique composite haute résistance.
Verlande et Voronine purent constater à quel point la cité et la nature ne s'opposaient que superficiellement. Face à un événement comme une explosion de forte magnitude, nature et ville réagissent avec la même insensibilité, elles se contentent de fournir un contexte particulier, gardent leur distance avec les généralités humaines, et créent les conditions singulières, leur signature en quelque sorte, dans lesquelles cette brèche dans le temps et l'espace va s'ouvrir, durant une fraction de seconde. Ville et Nature vivent à l'ère géologique, ou anthropologique.
Ils observèrent avec calme le travail en cours, ce travail routinier, mécanique, répétitif, ce pur travail de flic.
Ce travail qui restait invariablement le même, au cœur de la ville métropolitaine comme au plus profond des steppes subarctiques. Les mêmes procédures que celles qu'avaient suivies les types de la GRC sur la Métropolitaine. Les mêmes méthodologies, la même organisation, la même discipline, le même ordre. La même série d'événements.
Et au bout du compte, les mêmes causes, avec les mêmes conséquences.
Le gros des équipes criminalistiques de la SQ arriva un peu avant midi, plusieurs camionnettes dotées de spectrographes mobiles, de détecteurs à imagerie thermique, de diodes laser, de canons à rayons X. Il fallait amasser le maximum d'informations sur place, in situ, règle numéro un des « forensics ».
C'est pourquoi Verlande et Voronine restèrent dans les parages tout au long de la journée. Ils prirent leurs propres clichés et demandèrent des copies digitales de toutes les données numérisées par l'escouade au fur et à mesure. Ils étaient de la Direction du Renseignement, l'idée même de discuter leurs exigences n'effleura aucun des flics présents sur les lieux.
La nuit tombée, ils dormirent dans un motel anonyme à l'entrée de Nouveau-Comptoir. Le lendemain, tous les indices, les restes carbonisés des véhicules, et jusqu'à la neige, congelée, qui avait servi à les recouvrir, seraient acheminés vers le quartier général du district, au laboratoire d'analyses criminalistiques.
Les études préliminaires seraient poussées aux limites de la physique connue. On inspecterait les débris atome par atome, on reconstituerait l'explosion à partir de quelques paramètres épars prélevés sur la scène de crime, dans la neige ou la glace, la terre ou un peu de métal noirci ; non, que ce soit face aux Cris venus du néolithique, ou face aux technoflics de ce siècle, le hasard n'avait plus la moindre chance.
La mort était une science.
On pouvait même poser l'hypothèse que sans la mort, la science n'aurait probablement jamais vu le jour.
L'existence du monde tient en quelques mots. Ceux que Dieu a prononcés pour le créer, ceux que les hommes inventent pour le détruire.
Trois mots peuvent suffire. Une trinité démonique, née des forces de la nature, de l'intelligence humaine, et de l'indifférence générale du cosmos.
Surnom : Fire Steel Thunder, ou son acronyme : FIST.
Description de la machine, inscription de la technique comme vérité porteuse de mort, excision opératoire des mécanismes :
D'abord la structure générale : appelons-la bombe thermobarique seconde génération, on dit parfois fuel-air explosive ammunition. Son ancêtre fut testé abondamment en Iraq et en Afghanistan : son surnom « MOAB » provenait de deux origines, son acronyme militaire « Massive Ordnance Air Blast » et le surnom donné à l'engin dès les premiers « tests » sur le terrain : Mother Of All Bomb.
Dix ans plus tard c'est devenu une chose à peine croyable : une machine de destruction qui cherche et qui détruit avec la glaciale précision d'un ordinateur, localisation super-GPS, au centimètre près, capable d'atteindre son objectif à trois fois la vitesse du son, et on s'était contenté de la poser dans la neige ou sur le capot d'un des deux véhicules.
De l'extérieur, une bombe, c'est-à-dire un récipient contenant une certaine quantité de matières explosives ou inflammables. En l'occurrence, les deux.
Concept : inonder une zone, située en territoire ennemi, de trois « vagues » successives : une violente onde de choc, une très intense élévation de la température, la projection à haute vélocité de milliers de fragments de tungstène.
Solution : la poupée russe. La bombe contient une autre bombe, qui contient à son tour une autre bombe, qui elle est pourvue de centaines de « bomblets ».
Machine on : la bombe périphérique détone en un laps de temps de l'ordre de la nanoseconde, elle fait sauter l'armature extérieure qui projette aussitôt un nuage de vapeur de kérosène et de gaz propane sous pression sur des centaines de mètres carrés. Machine on, deuxième automatisme : la première bombe avait un temps d'explosion trop court et une ignition trop froide pour provoquer une déflagration générale. La seconde bombe, contenue dans celle qui vient de sèchement éclater, est une bombe à haute intensité. Elle va provoquer deux phénomènes conjoints, aussi mortel l'un que l'autre qui, jumelés, ne créent pas une létalité redondante, mais plutôt une sorte de mort élevée au carré. La bombe high explosive fait s'enflammer d'un seul coup le nuage de kérosène et de propane en train de flotter vers le sol, attiré naturellement par la force de la gravité, la déflagration incendiaire est immédiatement précédée d'une onde de choc extrêmement destructive, surtout pour les organes internes des êtres humains, et elle actionne le mécanisme détonant qui va éjecter les bomblets de la troisième bombe, contenant un mélange de poudre d'aluminium, de sodium et de micro-billes de tungstène, les projectiles miniatures à haute densité traverseront le nuage enflammé sans se liquéfier, mais percuteront leurs objectifs, tels des essaims de feu, en ayant atteint des températures supérieures à 1 000 degrés centigrades.
Fire Steel Thunder. Même son nom est beau, à cette putain de bombe. Non seulement elle le porte à merveille, mais c'est cette identité singulière qui la soutient toute entière, tel un monument pyrotechnique dressé sur sa propre déflagration.
Il ne fallut pas très longtemps aux escouades de criminalistes pour déterminer que ce modèle bien particulier de Fuel-Air Explosive n'était en usage que dans l'armée américaine et les Forces Canadiennes, depuis tout juste quelques années.
Évidemment, c'est ici, chez nous, que s'élabore la destruction du monde, c'est-à-dire l'élaboration du prochain, avait pensé Verlande.
On s'était servi d'une arme sophistiquée de dernière génération rien que pour oblitérer deux véhicules vides de tout occupant, et complètement isolés dans la nature. Ces hommes savaient qu'un simple incendie n'était plus suffisant pour corrompre complètement les indices matériels. Ils savaient comment résoudre le problème. Ils avaient de quoi résoudre le problème.
Sauf que, précisément, ce quelque chose était ce qu'il y avait de plus identifiable au milieu des gravats qu'ils avaient su parfaitement carboniser et pulvériser.
Et ce quelque chose c'était une arme de guerre. Une arme de guerre qu'on avait utilisée comme un vulgaire cocktail Molotov. Il fallait se rendre à l'évidence, les mains bien en l'air : un déséquilibre se faisait jour, un décalage infini, abyssal, un déraillement des rapports de force, une démultiplication sauvage des différences et des destructions.
Il fallait être aveugle ou complètement idiot pour ne pas se rendre compte qu'on entrait vraiment dans l'époque, et à fond. L'époque des paquebots suicide, l'époque des attentats réussis, ratés, ou devenus pièges se retournant contre leurs auteurs, l'époque des bombes dernière génération utilisées au milieu de nulle part pour détruire deux véhicules laissés à l'abandon, l'époque de la catastrophe générale, l'époque où une vie valait bien moins que les munitions servant à l'anéantir.
L'époque pour laquelle ils étaient nés.
Il existait pourtant une saillie dans la paroi de glace de l'enquête, un minuscule piton qui permettait tout juste qu'on s'y accroche.
Vers la mi-novembre, un mois avant le retour de Corzabal à Montréal, un dénommé Douglas « Roddy » Derville avait été assassiné dans le terrain vague jouxtant la ligne du Canadien National, à environ cinq cents mètres du poste de police 37.
Douglas Derville appartenait à la même génération que Corzabal, il avait suivi à peu de choses près le même itinéraire : ancien agent de sécurité véreux, et violent, il avait fait ses premières armes, au sens propre, en Somalie, dans une unité parachutiste qui fut dissoute suite à un scandale entourant le meurtre d'un jeune insurgé par des membres de l'unité. Puis il avait rejoint le chapitre québécois affilié aux Hell's Angels, les Nomads, il avait participé à la guerre contre les Bandidos/Rock Machine et la mafia italienne à la fin des années 90, et s'était retrouvé sur le banc des accusés lors du méga-procès de « Mom » Boucher au début du siècle. Il écopa de dix ans fermes, fut libéré au bout de sept pour bonne conduite et avait repris, comme tous les autres, ses activités professionnelles favorites en solo : en l'occurrence le braquage de diamantaires et pratiquement toutes les formes de cambriolage avec effraction. Quoique ne disposant d'aucune preuve solide, les flics savaient qu'il avait écumé l'Ontario, le Québec, le Manitoba, il devait probablement disposer d'une connexion très fiable avec l'un des meilleurs fourgues du Canada.
C'était Robitaille et Curtiss qui avaient été mis sur le coup par le SPVM.
Deux balles de .22 dans la nuque. L'exécution mafieuse dans les règles.
Le .22 est un petit calibre. Il est néanmoins suffisant, à courte portée ou mieux, à bout portant, pour fracasser les os du crâne et pénétrer à haute vélocité à l'intérieur, y détruire le médullaire plus quelques organes connexes. Mort instantanée. Ensuite, sa légèreté et les déformations subies à cause de l'impact, l'empêchent de ressortir de l'occiput, il se met donc à zigzaguer, sous le régime de l'impulsion cinétique initiale, au cœur de la masse cérébrale, y provoquant de nombreuses lésions, toutes plus ou moins mortelles.
Avec la redondance de la seconde balle, l'homme visé n'a strictement aucune chance.
Robitaille et Curtiss avaient établi plusieurs rapports d'affilée sur leur investigation, Verlande et Voronine passèrent une journée entière à tout éplucher, au poste de l'avenue Laurier. Et ils avaient fini par établir la connexion avec Corzabal.
Cela n'avait pas échappé non plus aux deux flics montréalais, ce qui les avait lancé sur la piste de l'ancien Hell's Angel.
Puis ils en étaient morts.
C'était leur moment. C'était leur territoire. C'était à eux, toute cette affaire.
Elle ne cesserait que lorsqu'ils viendraient apposer les mots closed case sur un carton qu'on entasserait dans une salle de stockage, avec des milliers d'autres.
C'était ça leur boulot de flic. Transformer un homme mort en une boîte de carton qui ne serait plus jamais ouverte, sinon par quelque archéologue du futur, tel un sarcophage. Ils assuraient étrangement la survie de l'individu après sa mort en opérant sur lui comme de secondes funérailles symboliques, ils assuraient la perpétuation de sa mémoire en ayant avant toute chose consacré leur temps à en faire un catalogue de données numériques. Ils étaient bien les nécromanciens des mégapoles. Ils jouaient avec la mort, et s'évertuait à la faire perdre, même lorsqu'elle avait gagné.
Pour commencer, comme toujours, les questions, c'est-à-dire en fait l'éclat résiduel de la réponse.
D'abord : exécution style mafia italienne. D'accord. Mais pourquoi un règlement de compte aussi violent et risqué – à proximité d'un poste de police de quartier – pour des affaires remontant à une vingtaine d'années et qui s'étaient soldées par des peines de prison tombant de tous côtés, sur les deux camps en lice ?
Pourquoi les mafiosi italos, ou ce qui restait des Bandidos, s'en seraient-ils pris à un type qui se contentait de suivre sa carrière de petit entrepreneur solitaire du crime ?
Le poste 37.
Derville se dirigeait vers le poste 37 lorsqu'il avait été abattu.
Des révélations urgentes à faire ? Des questions troublantes à poser ?
Cela pouvait expliquer la réponse, expéditive, qu'on lui avait fournie. Il n'aurait aucune question troublante à poser si les deux balles de .22 détruisaient complètement son système nerveux central.
Ce détail non plus n'avait probablement pas échappé aux flics du poste 37. C'est pour cette raison qu'ils avaient pisté Corzabal, son ami de la prison de Drummondville, c'est pour cette raison qu'ils avaient tourné sans cesse, eux aussi, dans tous les quartiers ou le Hell's Angel avait vécu, c'est pour cette raison qu'ils s'étaient faits repérer.
C'est pour cette raison qu'ils avaient pris, eux, plus de soixante balles dans la peau.
Autre question-réponse : le différentiel, encore une fois, ce déséquilibre fondamental, pivotal, cet axe chaotique qui faisait pourtant tenir tout ensemble. Deux balles de .22 tirées en solo dans la nuque, d'une part, 4 hommes surarmés et une organisation de type militaire d'autre part.
Le décalage, le déraillement. L'abysse.
Alors voici comment fonctionne le cerveau de Verlande : c'est une sorte de moteur, de générateur, de réacteur nucléaire. Sa conscience se tient aux ordres d'un étage psychique qui est précisément l'inverse du subconscient, tout en restant aussi indécelable aux sens qu'à la pure cognition.
C'est la Direction du Renseignement du cerveau.
Si deux questions parallèles sont aussi obscures l'une que l'autre, il est probable que la solution se situe à leur croisement orthogonal, là où ça fait vraiment mal.
Verlande se souvenait du stage d'entraînement qu'il avait suivi au Groupe des Commandos de Montagne avec des instructeurs venus du SAS britannique. Les SAS s'étaient servis abondamment du calibre 9 mm depuis les années 80. Pour compenser le manque d'impact à moyenne distance, ils avaient rapidement développé une méthode très simple.
Tirer deux fois de suite, le plus vite possible, en contrôlant au maximum le recul.
Il y avait là, sous les apparences d'une logique dispersée, la possibilité d'une connexion réelle entre Derville, Corzabal, les deux flics montréalais, et la bande de tueurs militarisés.
Ce n'était peut-être pas une exécution modèle mafia italienne.
C'était peut-être bien une exécution dans le plus pur style SAS.
C'était bien la guerre, plus aucun doute n'était permis.
June 12, 2010
A l'enfant pendu par les Taliban
Mots inscrits sur l'écran CNN :
7 years old child executed this morning by talebans for spying.
Je ne te connaissais pas
personne n'a prononcé ton nom
Celui qu'on pend au petit matin
À l'heure où l'humanité dort...
c'est anonyme que j'ai appris ton existence, par ta mort.
Maurice G. Dantec
Début de la prière à 8 minutes 15 :
March 2, 2010
Wrath : la machine à laver programmable de l'internet
intégrés à la gestion du vide et aux programmes d'essorage
ressentimentaux. Simples androïdes fabriqués en série, comme autant de
pièces de mobilier interchangeables, certains surpassent pourtant le
ridicule ordinaire, en s'aventurant sans complexe dans la
psychopathologie de la non-vie quotidienne. C'est le cas du robot
logiciel au nom de code : Lise-Marie Jaillant.
"Il suffit d’observer quelques secondes son visage, ou ce qui en tient lieu, pour comprendre aussitôt le terme « ressentiment ».
Il
suffit de lire sa prose de vespasienne à la bonde d’éjection bouchée
par les étrons déversés par son propre organe phonatoire, pour sentir
instinctivement que nous sommes placés devant un cas relevant de la plus
stricte et orthodoxe psychopathologie.
Il suffit de lire les
commentaires de ses fans – ses toutous de service devrais-je dire, dont
un certain « boudiou », agenouillé devant son idole, dans l’attente de
ses fluides logorrhéiques – pour réaliser, abasourdi par tant de
médiocrité mercantile, que pour ce troupeau de nains de jardin la
littérature se borne à « des informations sourcées » concernant les
chiffres de vente de tel ou tel auteur !
Il ne reste plus qu’à se demander dans quel bordel de campagne tous ces sursinges se rencontrent pour exercer leurs évidents talents de comiques.
Je
ne vais pas épiloguer sur l’absence plus que manifeste du moindre
talent littéraire de cette chevaline apparition et des divers amas de
crottin qu’elle laisse derrière elle, comme autant de preuves
désopilantes du rapport constant qu’exercent forme et sens, même dans le
backroom où elle officie.
Juan Asensio aura fort bien
circonscrit sa plus totale NULLITÉ, que peut-on faire contre le Néant ?
RIEN justement, il n’y a rien à faire contre RIEN.
Mais si on ne peut rien faire contre, on peut au moins essayer de faire quelque chose POUR, non ?
Son
apparence de mutante post-nucléaire nous entraîne en effet à un peu de
compassion, même à Vancouver, ville réputée pour son ouverture d’esprit,
je ne suis pas sûr que son intégration dans la société multi-ethnique
de Colombie Britannique soit gagnée d’avance.
La laideur physique
est rarement la conséquence de données génétiques. La laideur, la
vraie, c’est justement l’apparition au grand jour de tout ce qui a été
détruit, ou vicié, à l’intérieur. Et tout portrait
de Lise Marie Jaillant confine à la perfection en ce sens : la
destruction a été si parfaitement accomplie que c’est à se demander si
nous avons encore affaire à une personne, ou à une simple pièce de mobilier douée de « parole ».
Une
des choses les plus urgentes à faire est de l’encourager vivement à
poursuivre ses activités de blogopathe. Tout d’abord, cela procure
quelques cargaisons régulières d’humour involontaire et de connerie
crasse, et cette détente des zygomatiques est à porter à son crédit.
Évidemment, il faut varier les plaisirs et quelques attaques judiciaires
en règle devraient nous permettre d’élargir le spectre de cette
drolatique expérience.
Ensuite, on peut espérer qu’un jour une
des personnes que la Mégère Psychowrathe aura diffamée ne passera pas
par les voies traditionnelles pour lui rendre hommage, une telle
compression de crétinisme, de perversité pour classe Maternelle, de
jalousie, de haine de soi transférée sur l’autre, de puérilité
paradoxalement gérontocratique, de puanteur existentielle, dans un seul
cerveau hydrocéphale, il convient de dire que cela confine au miracle,
et qu’un tel miracle se doit d’être honoré comme il se doit.
On n’a rien fait contre les idées tant qu’on n’a pas attaqué les personnes,
disait fort justement Joseph de Maistre. Il faut dire que dans le cas
qui nous occupe (à peine), l’aphorisme du Comte Savoyard nous serait de
peu d’utilité, dans le sens où, précisément, moins encore que le fait
patent qu’on ne peut trouver la moindre idée, même gestatoire, derrière
ce front sur-dimensionné, le doute subsiste quant à savoir si
Lise-Marie Jaillant est une personne.
En parcourant sa prose
d’androïde matriculé, je me suis demandé parfois s’il ne s’agissait pas
en fait d’un simple robot logiciel mis au point par un laboratoire de
Vancouver. Il faut bien saisir la différence fondamentale entre nullité
et médiocrité, même la plus abyssale. Ce qui est médiocre reste humain,
c’est même sa signature.
La nullité n’est pas vraiment de ce
monde, elle participe de l’équarrissage digital de toute singularité,
elle permet ainsi sans doute à un vulgaire composant électronique de
simuler à la perfection une mythomane patentée avec un stock de
paramètres neuro-psychiatriques affublé d’un nom de code féminin et du
portrait d’une manipulation génétique ayant mal tourné.
Je me demande vraiment ce qui m’a fait quitter la France."
Le 3 mars de l’An de Grâce deux mil dix.
:
"Depuis quelques heures, le robot logiciel de
Vancouver dénommé Wrath semble en mesure d'imiter à la perfection une crise
hallucinatoire aigüe de délire paranoïaque. Sur la plate-forme sursimiesque qui
lui sert de "show-room", il simule, avec un sens du détail proprement fascinant,
les beuglements pathétiques d'une patiente atteinte
d'une pathologie particulière qui lui fait lire des menaces de mort dans un
texte servant de mode d'emploi pour le (dé)montage, ô combien délicat, d'un
hybride de pièce de literie et de machine à café.
La simulation est à ce point réussie qu'elle
parvient à susciter nombre de questions philosophiques d'une importance
cruciale, comme :
- Comment pourrait-on menacer de mort une
"personne" qui n'a jamais vraiment existé ?
- Comment éprouver une "haine" quelconque envers un
dispositif électro-mécanique ?
Cet exploit des instituts de recherche informatique
de Colombie Britannique mérite d'être salué."
***
February 24, 2010
Interview Geek Magazine pour Métacortex
Par Rodolphe Lachat
GEEK LE MAGAZINE : Après Villa Vortex, Métacortex s'inscrit dans la trilogie Liber Mundi. Comment définiriez-vous cette entreprise ? Quels sont les liens entre les deux premiers tomes ?
February 4, 2010
Interview quotidien Brésilien

1) Vous et Michel Houellebecq ont sécoué la littéraratura française aux années 1990. Houellebecq est parti en Irlande et après en Espagne. Vous êtes parti au Canada. Vous vous considérez un écrivain "maudit" comme um Rimbaud, un...
Interview pour Noise (Métacortex)
INTERVIEW
MAURICE G. DANTEC
NOISE
MAGAZINE - NUMÉRO 15
_____ 1 _____
- L'écrivain
rock'n'roll. C'est presque un cliché. Pourtant, si on y regarde bien, peu
d'écrivains français ont su faire de la littérature avec cet héritage électrique
qu'on leur a légué. On a toujours beaucoup écris sur le rock'n'Roll,
mais peu de romanciers ont su écrire avec le rock'n'roll. Votre
littérature à vous est indissociable du rock'n'roll. De l'influence du rock
psyche et du glam...
December 3, 2009
LES DERNIERS HOMMES LIBRES
Les derniers
hommes libres
La nature
raisonnable a donc toujours le libre choix,
puisqu'elle
a toujours le pouvoir de garder
la droiture
de la volonté pour elle-même.
Saint Anselme
de Cantorbéry, De Libertate Arbitrii
(10-11)
Les États-Unis d'Europe comptent
26 Cantons
Il y a deux jours, un petit pays isolé
au centre de l'Europe occidentale, connu et moqué pour être un
vulgaire « coffre-fort », a démontré qu'il était une
forteresse du monde libre, une c...
October 11, 2009
NELLY ARCAN : L'ETINCELLE et LES EXTINCTEURS
Du suicide de Nelly Arcan, et de ses causes
probables dans le monde qui l'avait créée.
Il existe deux
manières de succomber au nihilisme. La première consiste à s'en faire l'esclave
soumis et fier de l'être, adoptant d'instinct la posture du rebelle qui va de
pair, et avalant avec délices toutes les couleuvres que la « post-modernité »
lui présentera, pourvu que cela soit confectionné avec des ingrédients « verts »
et « éthiquement présentables ».
La seconde se termine plus...
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