Soudain Proust (12) - suite

Pourquoi se coucher de bonne heure ? (2)

Rappel de l'épisode précédent: Ainsi, on peut confondre, hésiter entre, « se coucher de bonne heure » et aller « chez des amies », comme si le fait de disparaître prématurément pouvait osciller à parts égales entre une vie d’ascète (ou de punie, de fatiguée, d’onaniste…) et une vie mondaine, sociale, débridée, etc.  Dès lors, on peut s’interroger à nouveau sur le fameux coucher de bonne heure du narrateur ? Ne dissimule-t-il pas lui aussi un autre version des faits ?


On en a l’élucidation, quasi anodine en apparence, une centaine de pages après la remarque de Norpois. On est peu de temps après que le narrateur a informé ses parents que l’écrivain Bergotte le trouvait « intelligent », information qui est aussitôt cause de commotion dans le foyer parental. Et voilà Proust  qui se lance dans une longue confession sur son désir d’écrire, jugé inébranlable, mais jamais suivi d’exécution, sans cesse repoussé, au moindre prétexte, la « paresse » n’étant pas le moindre. Or, à force de s’adonner avec ferveur à la procrastination, Proust finit par convenir qu’il perd « espoir », perd « courage ». Que fait-il alors ? Devinez. Ou plutôt non : lisons ::
« […] je recommençais à veiller, n’ayant plus pour m’obliger à me coucher de bonne heure un soir, la vision certaine de voir l’œuvre commencée le lendemain matin. »
Un volume ne suffirait pas à commenter cette dernière phrase, et c’est d’ailleurs ce que Proust a compris. Essayons donc d’y voir plus clair maintenant.  Si Proust, ou le narrateur, se couchait de bonne heure dès l’incipit, c’est qu’il s’y sentait obligé. Et il s’y sentait obligé, astreint, parce qu’il pensait qu’au réveil il se mettrait à écrire. Ou plutôt, et c’est là que ça se corse, parce qu’il espérait qu’il découvrirait alors l’œuvre déjà en marche, comme mise en branle, entamée au cours de la nuit, durant le sommeil qui serait un sommeil non pas réparateur mais créateur. Mais rappelons-nous qu’il se réveillait chaque fois au bout d’une demi-heure, secoué par « la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil ». Et qu'il entrait alors en insomnie, comme si son corps faisait la grève de l'inspiration, interdisait à son esprit de profiter d'un état inanimé pour accéder à des plans supérieurs.

Proust joue le jeu de la folie: je rêve que je dois m'endormir, donc je m'éveille. Je crois que je ne suis pas fou, donc je délire. A moins qu’il nous fasse tout simplement tourner en bourrique. Résumons. Il se couche. Soit. Tôt. D'accord. Parce qu’il escompte, en rêve, trouver le déclic de l’œuvre. Pourquoi pas. Mais il n’a pas conscience de l’endormissement. On connaît ça. Pourtant s’il s’endort. Bien. Mais sa conscience, qui a tout intérêt à ne pas la ramener, étant donné l’enjeu – l’œuvre à écrire – reste pourtant sur le qui-vive, se retourne comme un poisson jeté sur le quasi, au point de réveiller le corps. Une histoire de fou, on vous le dit, un fou qui rêve qu’il dort et rêve qu’il écrit une œuvre qui le réveille et l’empêche d’écrire. Il faudrait néanmoins parvenir à briser le cercle non de ces heures mais de ces folies raisonnantes dont même Descartes aurait eu peine à percer les arcanes. Ça ne va pas tarder… (à suivre demain)
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Published on November 24, 2015 21:30
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Christophe Claro
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