Intolérance
Hier en classe avec mes élèves j'ai fait étudier un texte très très dangereux.
Non, ça ne parlait pas de la théorie du genre.
C'était l'article "Philosophe" de L'Encyclopédie (1754-1775). On y lit entre autres la phrase suivante :
"Les ennemis de la raison sont le fanatisme et la superstition."
Les mômes ont compulsé les dictionnaires (oui nous utilisons des dictionnaires, en papier, même) pour définir précisément les mots fanatisme et superstition, et ont découvert que le point commun est la croyance excessive en une doctrine (religieuse ou politique) qui mène à l'intolérance.
On a parlé football, massacre de la Saint-Barthelemy, fatwa, guerres saintes en tous genres, Terreur révolutionnaire, décapitation de Louis XVI et nazisme. Sans amalgame, avec pour unique but de réfléchir collectivement aux conséquences de l'intolérance.
Plus grave : dans des centaines de collèges français, des centaines de collègues font la même chose que moi.
Valeurs républicaines, valorisation de la raison sur la superstition, partage du savoir, ouverture aux autres : tel est notre credo. Qu'on nous traite de Jacobins, de "Hussards noirs de la République", tant qu'on voudra : nous avons la prétention de défendre des valeurs humanistes.
Le soir même, j'apprenais dans les médias que des parents d'élèves avaient refusé que leurs enfants aillent à l'école lundi, car on leur avait fait croire qu'à partir de maintenant serait enseigné à l'école une "théorie du genre" qui enseignerait que l'on ne naît pas femme ou homme, mais qu'on le devient, par l'éducation reçue de la famille et de la société.
Cette "théorie", présentée comme très dangeureuse, se borne à faire la distinction entre le sexe et le genre, le sexe étant une donnée biologique incontestable, et le genre, un ensemble de rôles sociétaux assumés ou non. Cette "théorie" nous viendrait des Anglo-Saxons, (chez qui gender theory veut dire "philosophie du genre" et non théorie) où elle est même l'objet d'études à la fac, et dans certains lycées, comme option, me dit un ami vivant en Angleterre
.
Rappelons que sans attendre l'importation de ce concept, Simone de Beauvoir ne disait pas autre chose, et qu'il est encore toléré de lire Simone de Beauvoir en France (mais plus pour très longtemps, car il est à craindre qu'elle ne soit la prochaine cible des "veilleurs").
Naturellement il s'agissait d'un canular, aucune approche de cette "théorie" (qui n'en est pas une, encore une fois) n'étant préconnisée dans les programmes officiels. En revanche, nous appliquons depuis la rentrée la Charte de la laïcité affichée dans toutes les classes, qui nous enjoint de lutter contre toutes formes de discriminations, et en Ecole primaire, on pratique "l'ABCD pour l'égalité" où on éduque à respecter "l'égalité des genres" (un autre nom pour l'égalité des sexes, le mot sexe étant pénible à employer à l'école - au collège aussi, du reste)
Vous apprendrez plus de choses encore sur le site du Monde en cliquant ici
Bref, je croyais que cela n'était qu'un feu de paille un peu réchauffé par les médias. Mais le lendemain, j'apprenais par un ami qu'un de mes livres était incriminé dans cette polémique.
Ignorant totalement de quoi il s'agissait, j'ai pensé que peut-être, un de ces "polémistes" emprunt de "fanatisme & superstition"était tombé sur un de mes livres tels que
L'Age d'ange
(où le/la narrateur/trice est grammaticalement asexué(e) et tombe amoureux/se d'un garçon victime de l'homophobie – scandale !). Ou bien, sur
Point de Côté
, roman où un jeune homme anorexique et suicidaire est sauvé par l'amour... d'un autre homme (scandale !). Et si c'était la trilogie des
Comment bien rater ses vacances
, où le héros "normal" a une amie bi, un tonton gay et un copain travesti ?
(scandale !)
Mais je me trompais...
C'est un petit livre, écrit à quatre mains avec mon ami Thomas Gornet, qui se trouvait visé.
Il s'appelle Le Jour du Slip/Je porte la culotte . Dans ce roman, une petite fille se réveille un matin en garçon, et vice-versa. le livre raconte leur journées respectives dans la peau, non pas "d'un(e) autre", car ils sont eux-mêmes, mais dans le rôle de l'autre...
Ce roman s'est retrouvé au coeur de la polémique après qu'un Tweeter ait signalé qu'il était "mis au programme" dans une école primaire...
Cette information (dont j'entends prouver plus loin qu'elle est fausse) a été aussitot relayée par des blogs et sites qui sont également orientés religieusement et politiquement, aux noms évocateurs (manifpourtous, veillelaïque, françaisdesouche, etc.) Sur Tweeter, un appel au boycott de ce livre a été lancé, ainsi qu'un appel à nous "spamer" , Thomas et moi :
Aussitôt dit, aussitôt fait. Internet est l'outil magique des nouveaux fanatiques. Ils sont allés déterrer une vieille critique sur ce livre datant d'il y a 8 mois, sur le blog de La Soupe de l'Espace, une librairie indépendant. Dans les commentaires haineux et menaçants qui ont été inscrits hier soir, on peut lire ceci :
"
Si vouloir protéger les enfants est être fasciste, alors je veux bien me laisser pousser la moustache et lever le bras sans honte. Vous (= auteurs de ce livre) n’êtes que des pervers à vouloir transformer les petites filles en petit garçon, et vive versa. DES PERVERS, DES DÉTRAQUÉS SEXUELS…
Vous nous parlez de faire accepter les différences, tout en cherchant à effacer la première des différences qu’il y a entre l’homme et la femme."
ou encore :
"
et si un enfant veut être un chien, ou soyons fou, un étron, que conseillez vous ?????
Il y aune chose que vous ne changerez pas, l’enfer restera toujours l’enfer, et accueillera toujours les inhumains comme vous ! (…) j’aurais aimé que vos mères se prennent pour des hommes, ça leur aurait évité de mettre au monde des pervers, car désolé de vous l’apprendre, mais un enfant, c’est un peu plus qu’un futur baizeur, ou baizé…."
Il ne me paraît pas nécessaire de répondre à de tels propos qui frisent le délire psychotique.
En revanche, comme j'ai la passion de comprendre, j'ai cherché à savoir d'où venait la rumeur. On en trouve la source sur un blog nommé "français de souche" (tout un programme) où on reproduit les documents scolaires incriminés, qui soi-disant ont été proposés à des enfants dans le département de Seine-St-Denis.
Or, ces documents portent le copyright de Loescher qui (comme son nom ne l'indique pas), est un éditeur parascolaire italien pour étudiants apprenant le français.
Les questions portent sur deux extraits de notre livre, celui sur la découverte du "zizi" et de la "zézette", et les questions de compréhension visent à prouver que l'apprenant (italien) a compris le sens de ces mots, et le sens global de ces textes.
Encore une fois, il ne s'agit en aucun cas d'un document scolaire public français.
Le prétendre est un pur mensonge.
J'ai donc cherché à savoir si, oui ou non, une école de Seine-St-Denis avait fait étudier ce livre en classe. En attendant d'avoir une réponse directe de l'Education Nationale, j'ai posé la question sur des forums (on devrait dire des fora*, soit dit en passant) d'enseignants. Personne ne confirme !
Les blogs et comptes Twitter de ceux qui ont lancé la rumeur, parlent d'une école "privée". (Drôle de choix pour une école privée, mais passons...) Dans ce cas, pourquoi prétendre que ce choix d'étude est soutenu par l'école publique et Vincent Peillon? ce n'est pas logique. Rappelons qu'une école privée n'est pas publique (et vice versa).
Là encore, le mensonge est assez grossier... Mais alors, à qui profite le crime ?
Il est manifeste que cette rumeur et cette polémique sont l'oeuvre de personnes fanatiques (voir définition dans le dictionnaire) qui prennent prétexte de "protéger les enfants" (de quoi ?) pour répandre des idées anti-républicaines. Tout est savamment orchestré, et cette fausse polémique n'abuse que des personnes qui n'ont pas appris à réfléchir par elles-mêmes (elle auraient dû mieux écouter en classe).
Ce post n'est pas ouvert aux commentaires, le spam étant le mode d'action privilégié de ces groupuscules, je ne vois pas pourquoi je leur ouvrirais une tribune. S'ils veulent memenacer, qu'ils le fassent par lettre, cela me permettra de tester l'efficacité de la police républicaine. Quant aux autres qui souhaitent nous soutenir (Thomas, moi, notre éditeur…), c'est gentil mais... n'étant pas inquiète, je n'ai pas besoin d'être rassurée. Comme dirait Zola : "J'ATTENDS…"
Edit de 16h30 :
le libraire indépendant sur lequel se sont déchainés les "trolls" hier et aujourd'hui a été menacé à son domicile.
* merci à RR-latiniste qui a corrigé "forii" en fora" :-)
Non, ça ne parlait pas de la théorie du genre.
C'était l'article "Philosophe" de L'Encyclopédie (1754-1775). On y lit entre autres la phrase suivante :
"Les ennemis de la raison sont le fanatisme et la superstition."
Les mômes ont compulsé les dictionnaires (oui nous utilisons des dictionnaires, en papier, même) pour définir précisément les mots fanatisme et superstition, et ont découvert que le point commun est la croyance excessive en une doctrine (religieuse ou politique) qui mène à l'intolérance.
On a parlé football, massacre de la Saint-Barthelemy, fatwa, guerres saintes en tous genres, Terreur révolutionnaire, décapitation de Louis XVI et nazisme. Sans amalgame, avec pour unique but de réfléchir collectivement aux conséquences de l'intolérance.
Plus grave : dans des centaines de collèges français, des centaines de collègues font la même chose que moi.
Valeurs républicaines, valorisation de la raison sur la superstition, partage du savoir, ouverture aux autres : tel est notre credo. Qu'on nous traite de Jacobins, de "Hussards noirs de la République", tant qu'on voudra : nous avons la prétention de défendre des valeurs humanistes.
Le soir même, j'apprenais dans les médias que des parents d'élèves avaient refusé que leurs enfants aillent à l'école lundi, car on leur avait fait croire qu'à partir de maintenant serait enseigné à l'école une "théorie du genre" qui enseignerait que l'on ne naît pas femme ou homme, mais qu'on le devient, par l'éducation reçue de la famille et de la société.
Cette "théorie", présentée comme très dangeureuse, se borne à faire la distinction entre le sexe et le genre, le sexe étant une donnée biologique incontestable, et le genre, un ensemble de rôles sociétaux assumés ou non. Cette "théorie" nous viendrait des Anglo-Saxons, (chez qui gender theory veut dire "philosophie du genre" et non théorie) où elle est même l'objet d'études à la fac, et dans certains lycées, comme option, me dit un ami vivant en Angleterre
.
Rappelons que sans attendre l'importation de ce concept, Simone de Beauvoir ne disait pas autre chose, et qu'il est encore toléré de lire Simone de Beauvoir en France (mais plus pour très longtemps, car il est à craindre qu'elle ne soit la prochaine cible des "veilleurs").

Naturellement il s'agissait d'un canular, aucune approche de cette "théorie" (qui n'en est pas une, encore une fois) n'étant préconnisée dans les programmes officiels. En revanche, nous appliquons depuis la rentrée la Charte de la laïcité affichée dans toutes les classes, qui nous enjoint de lutter contre toutes formes de discriminations, et en Ecole primaire, on pratique "l'ABCD pour l'égalité" où on éduque à respecter "l'égalité des genres" (un autre nom pour l'égalité des sexes, le mot sexe étant pénible à employer à l'école - au collège aussi, du reste)
Vous apprendrez plus de choses encore sur le site du Monde en cliquant ici
Bref, je croyais que cela n'était qu'un feu de paille un peu réchauffé par les médias. Mais le lendemain, j'apprenais par un ami qu'un de mes livres était incriminé dans cette polémique.

(scandale !)

C'est un petit livre, écrit à quatre mains avec mon ami Thomas Gornet, qui se trouvait visé.
Il s'appelle Le Jour du Slip/Je porte la culotte . Dans ce roman, une petite fille se réveille un matin en garçon, et vice-versa. le livre raconte leur journées respectives dans la peau, non pas "d'un(e) autre", car ils sont eux-mêmes, mais dans le rôle de l'autre...
Ce roman s'est retrouvé au coeur de la polémique après qu'un Tweeter ait signalé qu'il était "mis au programme" dans une école primaire...
Cette information (dont j'entends prouver plus loin qu'elle est fausse) a été aussitot relayée par des blogs et sites qui sont également orientés religieusement et politiquement, aux noms évocateurs (manifpourtous, veillelaïque, françaisdesouche, etc.) Sur Tweeter, un appel au boycott de ce livre a été lancé, ainsi qu'un appel à nous "spamer" , Thomas et moi :

Aussitôt dit, aussitôt fait. Internet est l'outil magique des nouveaux fanatiques. Ils sont allés déterrer une vieille critique sur ce livre datant d'il y a 8 mois, sur le blog de La Soupe de l'Espace, une librairie indépendant. Dans les commentaires haineux et menaçants qui ont été inscrits hier soir, on peut lire ceci :
"
Si vouloir protéger les enfants est être fasciste, alors je veux bien me laisser pousser la moustache et lever le bras sans honte. Vous (= auteurs de ce livre) n’êtes que des pervers à vouloir transformer les petites filles en petit garçon, et vive versa. DES PERVERS, DES DÉTRAQUÉS SEXUELS…
Vous nous parlez de faire accepter les différences, tout en cherchant à effacer la première des différences qu’il y a entre l’homme et la femme."
ou encore :
"
et si un enfant veut être un chien, ou soyons fou, un étron, que conseillez vous ?????
Il y aune chose que vous ne changerez pas, l’enfer restera toujours l’enfer, et accueillera toujours les inhumains comme vous ! (…) j’aurais aimé que vos mères se prennent pour des hommes, ça leur aurait évité de mettre au monde des pervers, car désolé de vous l’apprendre, mais un enfant, c’est un peu plus qu’un futur baizeur, ou baizé…."
Il ne me paraît pas nécessaire de répondre à de tels propos qui frisent le délire psychotique.
En revanche, comme j'ai la passion de comprendre, j'ai cherché à savoir d'où venait la rumeur. On en trouve la source sur un blog nommé "français de souche" (tout un programme) où on reproduit les documents scolaires incriminés, qui soi-disant ont été proposés à des enfants dans le département de Seine-St-Denis.
Or, ces documents portent le copyright de Loescher qui (comme son nom ne l'indique pas), est un éditeur parascolaire italien pour étudiants apprenant le français.
Les questions portent sur deux extraits de notre livre, celui sur la découverte du "zizi" et de la "zézette", et les questions de compréhension visent à prouver que l'apprenant (italien) a compris le sens de ces mots, et le sens global de ces textes.
Encore une fois, il ne s'agit en aucun cas d'un document scolaire public français.
Le prétendre est un pur mensonge.
J'ai donc cherché à savoir si, oui ou non, une école de Seine-St-Denis avait fait étudier ce livre en classe. En attendant d'avoir une réponse directe de l'Education Nationale, j'ai posé la question sur des forums (on devrait dire des fora*, soit dit en passant) d'enseignants. Personne ne confirme !
Les blogs et comptes Twitter de ceux qui ont lancé la rumeur, parlent d'une école "privée". (Drôle de choix pour une école privée, mais passons...) Dans ce cas, pourquoi prétendre que ce choix d'étude est soutenu par l'école publique et Vincent Peillon? ce n'est pas logique. Rappelons qu'une école privée n'est pas publique (et vice versa).
Là encore, le mensonge est assez grossier... Mais alors, à qui profite le crime ?
Il est manifeste que cette rumeur et cette polémique sont l'oeuvre de personnes fanatiques (voir définition dans le dictionnaire) qui prennent prétexte de "protéger les enfants" (de quoi ?) pour répandre des idées anti-républicaines. Tout est savamment orchestré, et cette fausse polémique n'abuse que des personnes qui n'ont pas appris à réfléchir par elles-mêmes (elle auraient dû mieux écouter en classe).
Ce post n'est pas ouvert aux commentaires, le spam étant le mode d'action privilégié de ces groupuscules, je ne vois pas pourquoi je leur ouvrirais une tribune. S'ils veulent memenacer, qu'ils le fassent par lettre, cela me permettra de tester l'efficacité de la police républicaine. Quant aux autres qui souhaitent nous soutenir (Thomas, moi, notre éditeur…), c'est gentil mais... n'étant pas inquiète, je n'ai pas besoin d'être rassurée. Comme dirait Zola : "J'ATTENDS…"
Edit de 16h30 :
le libraire indépendant sur lequel se sont déchainés les "trolls" hier et aujourd'hui a été menacé à son domicile.
* merci à RR-latiniste qui a corrigé "forii" en fora" :-)
Published on January 30, 2014 02:05
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