On m’appelle Demon Copperhead – Barbara Kingsolver
Ce roman, sorti en 2022, est né de la volonté de l’autrice, une écrivaine bien rôdée, d’écrire une réécriture moderne mais fidèle du roman « David Copperfield » de Charles Dickens. L’autrice explique avoir rigoureusement suivi la structure du roman, l’adaptant à l’histoire d’un garçon né dans les années 90 aux EU, dans la région des Appalaches, sa région natale : « C’est le livre que j’ai attendu d’écrire toute ma vie » dit-elle encore (*).
Pour ma part, je n’ai pas lu le roman de Dickens, m’étant arrêtée à « Un chant de Noël » et « Oliver Twist », mais je vais y remédier bientôt, curieuse de pouvoir comparer ! Cela m’expliquera certainement certaines choses qui m’ont intriguée…
J’ai adoré Demon Copperhead, de la première à la dernière page ; pour l’histoire d’abord, qui expose implacablement des réalités de tout temps : la pauvreté, les mères adolescentes, les enfants orphelins, maltraités, placés, utilisés. L’exploitation des gens qui n’ont pas le luxe de choisir leur travail (charbon, tabac, industrie pharmaceutique), les addictions et la manière dont elles s’immiscent dans la vie de tous. Un roman qui met les pieds dans le plat, qui dénonce et qui « sait » : il est clair dès les premières pages que Barbara Kingsolver parle de chez elle, de sa région, de son enfance, de son vécu. J’ai aimé cet amour pour cette région et sa nature sauvage, ce coin de l’Amérique qui ne serait habité que par des « ploucs », des incapables, méprisés, juste bons à être exploités…
Étonnement, vu les thèmes, je n’ai pas trouvé ce roman déprimant, mais au contraire plein de vie et d’espoir. Certainement grâce à la beauté et l’humanité des personnages qui, pour beaucoup, sont plein de courage, de résilience et de chaleur humaine. Certains sont horribles, certes, mais l’ambiance n’est pas plombée par leur existence. La personnalité du jeune héros, Demon, un garçon hors du commun écrasé par un destin qui semble d’acharner sur lui, est faite de lumière. De colère et d’orgueil blessé aussi, mais surtout de courage, de loyauté, de force, de créativité. Le genre de personnage qui vous redonne foi en la nature humaine, alors que tout dans l’histoire nous pointe du doigts les injustices de notre monde !
Attention quand même, ce n’est pas un roman feel good, beaucoup de triggers (éléments susceptibles de déclencher chez certaines lectrices ou lecteurs des réactions négatives fortes) : grossesses non désirées ou non programmées, maternité adolescente, maltraitance, enfants placés, abus, parents irresponsables, enfants comportements violents, drogue et addiction, incarcérations, exploitation des plus faibles… la liste est longue. Mais, et c’est fondamental à mes yeux, l’autrice ne s’attarde jamais sur les moments les plus durs, comme le font certains auteurs, de manière parfois très malsaine. Le roman échappe, par le talent de l’autrice, au misérabilisme. Pour mettre en scène son témoignage d’une époque pas si lointaine, d’une réalité qui perdure (car là est l’objectif de ce livre, prouver que rien n’a changé pour certains humains) elle nous propose une galerie de personnages plein de vie, des personnalités incroyables. Des gens bons, dévoués, au sens de la famille sans limite (un point qui fait beaucoup souffrir Demon, lui qui perd si vite la sienne), des enseignants passionnés, des amis fidèles. Des gens égoïstes aussi, pas fondamentalement mauvais peut-être, mais dépassés par la vie. Quelques monstres aussi…
Le plus exceptionel à mes yeux est la qualité de la narration. Je ne suis pas fan des écritures trop ornées, que je perçois souvent comme indigestes (la « purple prose » comme disent les anglo-saxons) ou encore celles trop musicales, qui m’arrachent sans cesse à ma lecture. J’aime un style élégant, qui colle à l’histoire et la sert, plutôt que de l’utiliser pour se faire valoir !
L’écriture de Barbara Kingsolver est incroyable. Un tour de phrase, de pensée (la narration est à la première personne, c’est Demon qui raconte) qui m’a souvent arraché un sourire à chaque coin de page. Un style précis, enlevé, riche d’images et de réparties, un ton d’une justesse incroyable. D’ailleurs, après que j’ai été attirée par la belle couverture (en ne se refait pas ^-^) c’est l’extrait du livre numérique qui m’a convaincue d’acheter et de lire le livre. Dès les premières phrases, j’ai été happée !
Notez que je l’ai lu en VO, et que je ne le conseillerais pas à un lecteur débutant ou même moyen. Le phrasé est souvent complexe, les références locales et les dialogues argotiques abondent. J’ai beaucoup googlelisé pendant ma lecture ! J’ai pu feuilleter la VF, l’ayant achetée pour mon mari en lecture de vacances, et la traduction me semble (je ne suis pas experte, bien sûr) superbe !
Pour conclure un roman au puissant souffle romanesque, engagé et authentique, porté par une écriture superbe et d’une authenticité remarquable. A lire et à offrir !
Demon Copperhead de Barbara Kingsolver, paru chez Albin Michel le 31/01/2024 – Livre broché de 624 pages
Traduit de l’américain par Martine Aubert
(*) voir l’excellent article sur le site du journal En Attendant Nadeau, ici