Lavis sans cesse recommenc�� : �� propos d'un recueil d'Yves di Manno

Transigent (2022), �� G. Campbell Lyman
Bien s��r, le mot "Lavis" ��� qui donne son titre au dernier recueil d'Yves di Manno ��� entra��ne le lecteur dans un monde pictural, en sugg��rant l'id��e d'une couleur unique qu'en diluant on aide �� nuancer ��� ainsi des mots auxquels il convient d'offrir des ombres et d��grad��s, ce qui somme toute est figur�� dans le titre de ce livre, qui aussit��t s'entend: "la vie".

Bien s��r, les textes ici assembl��s ��� on pr��f��rera dire "r��unis", comme s'ils ��taient vou��s �� un conciliabule secret ��� s'��tendent sur une p��riode allant peu ou prou de 1997 �� 2014, mais leur mise en r��sonance est, �� sa fa��on, une autre forme d'��criture. Ensemble, ils gravitent, orbitent, se croisent, se fr��lent ��� et s'il faut parler d'un fil rouge, disons que plus que le th��me de la couleur ou du cadre, ce qui les lient, leur affinit�� premi��re, est d'ordre "sympathique" (comme on le dit d'une encre).


En effet, ces textes ont tous ou presque, inscrits en eux, l'��cho d'un travail autre: celui d'un po��te (Jack Spicer, Nicolas Pesqu��s), d'un artiste (Jacques Scanreigh, Philippe H��l��non), d'un romancier (Russel Greenan), d'une photographe (Anne Calas) ��� �� chaque fois ��tait/est en jeu un rapport �� l'image, et aux incisions qu'elle s��cr��te. Or ce qui int��resse et convoque di Manno, c'est ce qu'il appelle le "ciel d'��tabli", un ciel pos�� sur un chevalet, en opposition au "ciel abstrait" qu'on devine derri��re les hublots du monde ("les lucanes ovales du r��el"). Qu'est-ce qu'un ��tabli, sinon la table po��tique, dont il serait na��f de nier la fragilit�� ��� travailler �� l'��tabli, c'est se confronter au bancal, c'est accepter de briser des chevalets ou de lac��rer des toiles, comme celles r��duites en lambeau par le cutter du p��re dans le texte "Variations sur un th��me de Russell Greenan" (rappelons que Greenan fut antiquaire, ce dont se souviennent sans doute, dans le texte "L'��tabli", ces vers:

"un tel par contagion, Y. par omission / (ou p��chant �� la ligne) et r��vassant / �� ces lueurs maudites (rayon / des antiquaires, magasins sans chalands / ces phrases interdites ou mal pos��es / (de biais) le chapeau de traviole"

). Le magasin d'antiquit��s, c'est aussi (je m'avance peut-��tre���) le corpus de ces ��uvres que traverse le po��te, par la lecture ou la traduction ��� des antiquit��s qui n'ont ��videmment rien d'antiques d��s lors qu'on les r��active par un dialogue. En outre, ic, lettre "Y", en plus de renvoyer au pr��nom de l'auteur, est �� la fois chevalet susceptible de verser, ligne jet��e dans l'eau de la m��moire et mise en faisceau de rayons.

La technique du lavis, di Manno l'applique scrupuleusement, passant du mot "lueur" au mot "leurre", du mot "suie" au mot "soie", mais aussi "plaie/plan/plainte", "liane/diane", ou encore l'adjectif possessif "sienne" devenant la couleur "sienne". (On l'a dit: lavis: la vie.) Il suffit de changer l��g��rement de perspective (auditive, visuelle) pour glisser d'un tableau �� l'autre, d'un table-��tabli �� l'autre. D'une sensation �� l'autre.

Bien s��r, ce travail qu'on pourrait dire de dilution s'accompagne d'un sentiment de perte (proximit�� de la strophe avec la catastrophe), et le dernier texte du recueil ��� "qu'avons-nous fait���" ��� semble renvoyer tous les "traits jet��s" pr��c��dents, ces r��ves d'estampes, �� leur origine, au n��ant qui pr��c��de (et peut-��tre succ��de au) geste cr��ateur. A la question pos��e ��� qu'avons-nous fait? ��� le po��te semble accepter l'��chec de l'indicible : on ne ferait qu'��ter "du silence au silence", de "la nuit �� la nuit" ��� et encore: "pas m��me", car "l'ombre en nous demeurait" ��� on ne ferait que diluer le geste m��me de cr��er dans un "rien", une b��ance faite d'"inhumain" et d'"inutile". D��j��, premier texte du recueil rappelait:

"longtemps j'ai cherch�� dans / le po��me l'ombre / d'une m��moire plus vaste / que la mienne"

Mais sans cette ombre qu'aucune eau ne saurait diluer assez, le po��me ��� les po��mes de di Manno ��� n'auraient pas cet air �� la fois trembl�� et pr��cis, comme si les nuances, parce que vivantes, se devaient d'��tre appr��hend��es dans leur illusoire p��rennit��. Et l'on aimerait d��poser au pied de ce "Lavis" ��� comme un baume? un signe? ��� ces vers de Paul Val��ry, extrait du Cimeti��re marin:

"Je m'abandonne �� ce brillant espace / Sur les maisons des morts mon ombre passe / Qui m'apprivoise �� son fr��le mouvoir"

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Yves di Manno, Lavis, ��d. Flammarion, coll. Po��sie (17���)

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Published on March 12, 2023 23:00
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