C.C. Mahon's Blog

March 29, 2025

Le Codex de Paris – chapitre 1

Paris, rue de la Petite Truanderie la bien nommée.  Roulé en boule sur le trottoir, le gosse couinait comme un porcelet. Il puait le sang et la pisse, et je commençais à en avoir marre.  Il faisait nuit depuis des heures et le quartier des Halles courbait le dos sous la pluie. Les rues étaient […]
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Published on March 29, 2025 07:41

November 5, 2023

Votez pour vos cartes-postales

(Les images sont en plus grand plus bas sur cette page)

Si la campagne atteint les 200%, j’offre 3 cartes avec chaque exemplaire papier de Bayou. Mais lesquelles?

Votez!

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Published on November 05, 2023 05:05

October 22, 2023

Votez pour votre marque-page préféré!

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Published on October 22, 2023 16:02

April 24, 2023

Génèse d’une histoire

Toute histoire a son origine. Cet article raconte l’origine d’une histoire d’origine. C’est moins complexe qu’il n’y paraît. Ou peut-être plus.
À vous de juger.

Le 3 juillet 2019, je suis tombée par hasard sur une couverture de livre « prête à publier » (comme du prêt-à-porter, mais pour les livres). J’étais sur le point de commencer le premier roman d’une nouvelle série, roman pour lequel j’avais déjà une couverture. Mais le design que j’avais sous les yeux était énergique, unique, et m’a immédiatement conquise. Seul problème: le personnage représenté était un homme. Jusque là je n’avais écrit que des personnages féminins, et je ne me sentais pas prête à me glisser dans la peau d’un mec. Sauf que je suis faible face aux belles couvertures (mes complices des Plumes de l’Imaginaire et notamment Charlotte Munich peuvent le confirmer). J’ai acheté la couverture, et j’ai commencé à créer le personnage qui allait avec. C’est ainsi qu’est né Germain Dupré, premier personnage de ma nouvelle série, Paris des Limbes.

Couverture du Codex de Paris

Six mois plus tard, je publiais le Codex de Paris, non sans sueurs froides: mon personnage masculin serait-il crédible? Et mes lectrices me suivraient-elles dans cette nouvelle série?

3 ans et une adaptation audio plus tard, je crois que la réponse est « oui ». Mais je n’en avais pas pour autant terminé avec ce roman. Un personnage secondaire réclamait qu’on raconte son histoire et ses origines. Je m’étais promis de le faire « un jour ». Quand les projets plus urgents m’en laisseraient le temps. Mais les projets n’en finissaient pas de s’enchaîner, et je ne prenais pas le temps. Jusqu’à ce que mon esprit se range du côté de ce personnage secondaire et refuse d’écrire quoi que ce soit d’autre.

J’ai essayé de forcer, décidée à écrire la suite d’Un Casse en Enfer comme promis aux lectrices. En vain, je n’arrivais à rien. J’ai dû céder. 

3 mois pour écrire ce petit roman « vite-fait », histoire de me le sortir de l’esprit, et je me remettrais sur des projets plus importants.

Le « petit » roman s’est doté d’intrigues et de points de vue supplémentaires pour devenir mon texte le plus long à ce jour.

J’ai décidé qu’en plus de l’aspect fantastique et de l’enquête policière, j’allais intégrer une romance — ma première.

Non seulement l’histoire allait se dérouler en 1900, mais les deux protagonistes viendraient de cultures différentes (rrom pour elle, japonaise pour lui). Tout cela allait demander un peu de recherche.

Quelques milliers de pages de documentation plus tard, les 3 mois se sont changés en 6, en 9, puis en 11.

Et je ne peux pas dire que j’ai procrastiné, ou que je me suis montrée fainéante. Pendant ces 11 mois, j’ai travaillé à temps plein sur ce roman. Je n’ai pas fait plus de recherches que nécessaire. J’ai même pu gagner du temps sur le volet japonais de l’affaire, puisque la langue et le folklore japonais sont le sujet d’une grande partie de mes études supérieures. 

Mais je me suis posé tellement de questions…

J’ai vécu assez longtemps dans Paris, mais la ville a changé depuis l’année 1900. J’ai consulté des plans anciens. Et comment rendre compte de la folie de l’Exposition universelle? Toute une série de romans ne suffirait pas. Pourtant, j’ai amassé assez de vieux guides et d’articles de magazines d’époque pour l’écrire, cette série.

Mais les plus beaux souvenirs de recherches, ce sont les romans de Matéo Maximoff. Cet auteur Rrom n’est malheureusement plus publié, et j’ai dû écumer les sites d’occasion pour me procurer quelques-uns de ses titres. Quelle belle rencontre! Il m’a fait découvrir une culture et un univers merveilleux, et je ne saurai trop recommander ses textes.

Une fois renseignée, il a fallu écrire.

Pour être exacte, ces deux processus (la recherche et l’écriture), je les ai menés en parallèle. L’intrigue dicte ce que je dois trouver comme information, mais ce que je découvre au fil de mes lectures ouvre de nouvelles perspectives dans lesquelles emmener mon histoire. J’ai planifié un roman. J’ai lu. J’ai amendé mon plan. J’ai encore lu. Ajouté une intrigue secondaire. Lu encore. Créé des listes d’événements, des tableaux chronologiques, et collé plus de fiches sur les fenêtres que je n’ose l’avouer. Ajouté un troisième arc narratif. Un nouveau point de vue. Fait de nouvelles recherches… pendant presque un an. 

Je me suis lancé des défis. Pour la romance, bien sûr. Mais aussi pour le personnage masculin et le — les — méchants de l’histoire. J’ai tenté quelques techniques d’écriture dans lesquelles il est facile de se prendre les pieds. 

Au 10e mois, mon texte « pesait » presque 100 000 mots.

Alors j’ai commencé à le retravailler. Trouver les incohérences et y remédier, développer les points que j’avais à peine esquissés, couper les passages inutiles ou redondants…

Le roman s’est un peu allégé. Je l’ai encore une fois corrigé. Relu une dernière fois. Et je me suis mise à la recherche de mes premières lectrices.

Depuis que j’ai commencé à publier, j’ai la chance d’avoir d’extraordinaires bêta-lectrices à mes côtés. Et cette fois comme les autres, elles ont répondu à mon appel. En 15 jours elles ont lu le mastodonte et fait remonter des commentaires de fond comme de forme.

Pendant qu’elles effectuaient ce travail de fourmi, je préparais une parution hors-norme. En plus des défis liés à l’écriture, j’avais décidé de proposer une édition grand format avec une couverture cartonnée, un verni sélectif, des illustrations pour les têtes de chapitre et au fil du texte. Bref, le grand jeu.

Dans une de mes précédentes carrières, je suis tombée amoureuse de beau travail d’imprimerie. En tant qu’autrice indépendante tributaire de l’impression à la demande, je suis toujours un peu frustrée. (Entendons-nous bien. L’impression à la demande représente une révolution, et sans elle je n’en serais pas là où je suis aujourd’hui. Mais parfois c’est bien de pouvoir fignoler une édition.)

Avec Le Palais des Illusions, j’ai voulu me — et vous — faire plaisir.

Mais bien sûr, cette version ne peut pas être proposée sur Amazon (encore une fois, pour la vente en ligne je reste tributaire de l’impression à la demande). J’ai donc organisé une campagne de précommande sur Ulule, tout en prévenant les lectrices et lecteurs: l’édition collector paraîtrait en avant-première, et une édition « normale » (au format poche de tous mes autres romans sur Amazon) suivrait deux mois plus tard.

« Deux mois plus tard », c’est le 15 mai.

Voilà, nous y sommes presque. Après plus d’un an de travail, de découvertes et de questionnement.

Dans Le Palais des Illusions, j’ai pris des risques. Celui d’écrire du point de vue d’une culture stigmatisée et marginalisée, une culture qui n’est pas la mienne. Ai-je rendu justice à Cali la jeune Rrom? Ai-je su rendre compte du choc inévitable quand les mondes nomades et sédentaires se rencontrent? Ai-je su éviter la généralisation abusive ou suis-je tombée tête la première dans les clichés? 

L’avenir me le dira. 

L’ebook du Palais des Illusions est en précommande. Il rejoindra les liseuses le 15 mai. D’ici là, je vais continuer à me poser ces questions. 

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Published on April 24, 2023 08:15

February 21, 2022

Un Casse en Enfer: chapitre 1

Le Midas du lait en poudre

Minuit.

Le Monoprix était le seul îlot de vie dans ce quartier parisien endormi.

Au-dessus du supermarché s’empilaient sept étages d’un immeuble de béton, laid et aussi avenant qu’un mur de prison. Une lumière jaune pisse filtrait entre les volets rouillés du premier étage.

Devant la porte en verre de l’immeuble, un adolescent boutonneux fumait une cigarette, l’air blasé dans son survêtement de marque. Zagan plissa le nez en traversant le nuage de fumée. Le gosse toisa Zagan, détaillant son costume de luxe et son écharpe en cachemire avant de tendre la main pour lui barrer le passage.

— T’es qui, et qu’est-ce que tu viens foutre ici ?

Visiblement, la haute couture italienne n’impressionnait plus.

— Zagan, président des Enfers. C’est pour un casse.

Le gosse fronça ses sourcils broussailleux et son menton fit un bond en avant.

— Kesstud… ?

Il jeta sa cigarette au sol et porta la main à sa poche.

Zagan l’attrapa à la gorge et le claqua contre le mur. Bruit clair d’une caboche vide contre un parement de pierre, et la sentinelle s’effondra comme un paquet de linge sale. Zagan rajusta le col de son manteau de laine vierge, enjamba l’obstacle, et pénétra dans l’immeuble.

L’ascenseur puait la clope, et Zagan regretta d’avoir eu la flemme de monter un étage à pied.

Dans le couloir, la moquette marron foncé était si élimée qu’elle n’étouffait plus grand-chose. Les richelieus de Zagan éveillèrent un écho mat, et une silhouette se redressa à l’extrémité du couloir.

Le type était à peine plus vieux que son collègue. De l’adolescence, il avait conservé une silhouette dégingandée et un visage marqué par l’acné. Il montait visiblement la garde, debout à côté d’une porte semblable à toutes celles de l’étage — métallique, bordeaux et percée d’un judas.

Comment ce gosse poussé en graine espérait-il empêcher quiconque d’entrer ? Zagan ne prit pas le temps de lui poser la question. Il claqua des doigts, et l’ado s’effondra à son tour.

Une pichenette ouvrit le vantail à la volée. Une exclamation sourde fusa, suivie d’un bruit de chute. Le guignol qui se tenait derrière la porte se l’était prise en plein nez.

Zagan enjamba le corps inerte et pénétra dans l’antre des trafiquants de drogue.

L’antre en question était un appartement vieillot et mal entretenu. L’air empestait le tabac froid et le fond de poubelle. Au sol, le Lino semblait jaune, à moins qu’il ne soit simplement sale. Plusieurs couches de crasse ornaient les murs. Sur la gauche, Zagan aperçut la salle de bain, qu’un malade avait un jour décidé de couvrir de moquette lie-de-vin du sol au plafond. Zagan pouvait comprendre qu’un tel décor pousse son occupant à la drogue. Même en enfer on n’aurait pas osé tant de laideur.

Un claquement retentit au fond de l’appartement : quelqu’un venait de renverser une chaise. Une fenêtre crissa. En trois enjambées Zagan rejoignit sa proie.

— Kevin Bernard ?

L’interpellé se figea, à cheval sur l’appui de fenêtre, et tourna un visage de fouine vers Zagan. Derrière sa frange blonde, ses yeux papillonnèrent un instant.

— Oui ? couina-t-il.

Il portait une tenue de sport, mais sa poitrine creuse et ses cannes maigres n’avaient probablement jamais pratiqué d’activité physique.

Zagan l’attrapa par le col et le ramena à l’intérieur. L’odeur de la peur vint se mêler aux parfums fétides de l’appartement.

— Il ne faut pas jouer au-dessus du vide, tu risquerais de te faire très mal.

Il reposa Kevin au milieu de l’appartement, entre le canapé défoncé et la table de cuisine sur laquelle s’empilaient des douzaines de briques de poudre pâle et mortelle.

— Alors comme ça c’est toi, le nouveau Cador de Paname ? fit Zagan.

— Le… quoi ?

— Le minable qui a décidé de se passer de ma protection, a rallié une bande de dealers à la petite semaine, a incendié mon night-club, et estropié mes hommes.

Un éclair de compréhension passa dans le regard de Kevin.

— Ah. Ça. Vous êtes monsieur Mathieu ?

— Il paraît, marmonna Zagan.

À dire vrai, Mathieu avait vidé les prémisses un an plus tôt, et Zagan se servait de son corps et de son identité.

— Ça fait un an, protesta le dealer. Vous n’êtes pas passé à autre chose ?

— Dix mois, corrigea Zagan. La vengeance est un plat qui n’a pas de date de péremption, comme vous aimez à le rappeler.

— Moi ? J’ai jamais…

— Les humains. C’est bien ce que vous dites, non ? « La vengeance est un plat qui…

— « Qui se mange froid, » compléta Kévin.

— Vraiment ? J’étais persuadé… Bref. Évidemment que je suis passé à autre chose. À vrai dire tu es le dernier de la liste. Maintenant je préfère tenir les gens responsables de leurs actions. C’est très satisfaisant, et bien plus rémunérateur. Et puis la drogue, c’est pas vraiment en accord avec le libre arbitre. Et je suis très « libre-arbitre ».

Le dealer lui renvoya un regard vide.

Comment ce type avait-il pu se hisser au sommet du trafic de drogue de l’Ouest parisien ?

J’ai éliminé tous les trafiquants compétents, et la lie est remontée à la surface. À propos de lie… Je m’ouvrirais bien une bonne bouteille en rentrant. Un rouge bien charpenté pour aller avec mon chocolat au piment.

— Euh… Monsieur Mathieu ? appela l’humain d’une voix tremblante.

À la mention de son identité officielle, Zagan sortit de sa rêverie.

— Oui ? Où en étions-nous ?

— Vous… alliez partir ?

— C’est ça !

Le soulagement déferla sur le visage pointu du dealer.

— Donc… Sans rancune ? fit-il. Puisque vous avez arrêté le trafic de drogue de toute façon…

Zagan soupira. Dans la poitrine de Kevin il pouvait sentir le cœur battre à toute vitesse, les artères déformées par la pression du sang.

Ces humains sont si fragiles. Une simple panne dans la pompe centrale, et tout est fini.

Il désigna la table de cuisine et les paquets de poudre entassés dessus.

— Tu sais ce que c’est ?

— Mon stock d’héroïne ?

— Plus maintenant.

— Vous… Bien sûr. Allez-y, prenez ce que vous voulez !

Zagan fit remonter son sourcil gauche vers la naissance de ses cheveux bruns.

— Moi ? Que veux-tu que je fasse avec trente kilos de lait pour bébé prématuré ?

Le dealer écarquilla les yeux, puis secoua la tête.

— J’vous jure, c’est de la première qualité !

— Plus maintenant. À partir de cet instant toute la drogue qui te passera entre les mains se transformera immédiatement en lait pour prématuré. C’est valable pour tes subordonnés, associés, et toute personne qui pourrait manipuler de la drogue pour toi. Tu connais Midas ?

— Les pots d’échappement ?

Zagan se massa les paupières. Ces humains l’épuisaient.

Il se tourna vers la table de cuisine et repéra la boîte à chaussures coincée entre deux tas de lait en poudre. Un signe de l’index, et les liasses de billets qu’elle contenait traversèrent la pièce jusque dans sa main.

— Merci pour ce don. J’ai aussi siphonné tes comptes à la Banque Postale. J’en ferai bon usage.

Kevin poussa un hurlement de bête blessée.

— Mon fric !

Mais déjà Zagan se dématérialisait.

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Published on February 21, 2022 03:10

January 17, 2022

Paris des Limbes 2 – Un Casse en Enfer

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Published on January 17, 2022 00:23

August 9, 2021

Silence Originel – Alexander Grall

Alexander Grall parlait au nom d’un clan adepte du silence. Ce clan c’était Grall, un empire du luxe de dimension internationale. C’était aussi sa famille. À vingt-cinq ans, il était devenu pourvoyeur de belles histoires à destination de la presse et du public, gardien de secrets dont lui-même ignorait tout. Comme la raison pour laquelle sa grand-mère était entrée dans une colère noire la veille.

« Vous arrivez à destination », annonça la voix métallique du GPS.

Alexander freina, et sa décapotable s’immobilisa. C’était un petit bolide fabriqué dans les années cinquante, restauré avec amour et acheté à prix d’or. Penché sur le volant en cuir, Alexander examina la rue étroite.

Où est ce fichu musée ?

Sous le soleil d’août, le Nord était loin de l’image qu’Alexander s’en était faite. À sa gauche, le ciel d’un bleu parfait contrastait avec la brique des modestes maisons ouvrières. À droite, un panneau indiquant « Musée des Beaux-Arts » pointait vers un portail moderne ouvrant sur un grand parc. Mais il s’agissait d’une allée piétonne, à l’accès barré par des poteaux en acier. Des touristes matinaux se dirigeaient vers le musée. Alexander repéra aussi des photographes de presse, dont la présence lui rappela la raison de sa venue à Lens, et la colère subie la veille. 

Quelle mouche avait donc piqué Colette ?

Colette Grall dirigeait Grall International d’une main de fer depuis bien avant la naissance d’Alexander. Celui-ci avait toujours connu sa grand-mère aux manettes de l’entreprise et de la famille. Même quand son mari Denis était encore en vie, Colette seule prenait toutes les décisions. Peut-être était-ce pour ça qu’elle était si fâchée la veille. Parce que, pour une fois, Denis avait décidé sans elle.

Derrière la décapotable, un car de tourisme klaxonna. Quelques mètres plus loin dans la rue, un panneau routier indiquait le dépose-minute du musée. Alexander embraya et prit cette direction en grommelant. 

Où est donc l’entrée de ce satané musée, et pourquoi grand-père n’a-t-il pas fait ce legs à Orsay ?

Denis Simon-Grall avait été un grand-père distant et intimidant. Il sortait rarement de son bureau et s’intéressait peu au plus jeune de ses petits-enfants. Alexander ne l’en avait que plus aimé. Quand Denis était mort, Colette s’était retirée dans son deuil, laissant ses enfants et petits-enfants se charger des questions d’héritage. Le testament n’avait surpris personne : il léguait toutes ses possessions à son épouse Colette, à l’exception de quelques objets personnels répartis entre ses trois enfants, et d’un ensemble hétéroclite d’œuvres d’art, qu’il voulait offrir au nouveau musée de Lens. 

Parce qu’il était chargé des opérations de relation presse et de mécénat, Alexander avait tout naturellement endossé la responsabilité d’organiser ce don. Il y avait travaillé pendant les mois suivants, dans l’indifférence générale. Jusqu’à la veille, quand il avait évoqué son départ vers Lens.

Ce soir-là, Alexander et Colette dînaient seuls à la longue table du manoir, au milieu de la forêt de Fontainebleau. à la longue table, dans la salle à manger. L’endroit était si calme qu’on entendait le tic, tac de l’horloge depuis le grand couloir. Au milieu de la nappe blanche, les flammes des chandelles jouaient sur les verres en cristal. Les murs de lambris ivoire aux moulures dorées se drapaient des ombres du soir, et les tapisseries médiévales tendues aux murs semblaient s’animer dans la lumière dansante. Colette présidait depuis la place d’honneur, le port altier, ses cheveux formant une couronne de neige autour de son visage fin. Assis à la droite de sa grand-mère, Alexander mangeait en silence. Colette parlait peu, et n’appréciait guère le bavardage.

Un concert de klaxons arracha Alexander à ses réflexions. Quelque chose bloquait l’accès au dépose-minute du musée, où Alexander avait prévu de se garer. Son Aston Martin prise en sandwich entre deux énormes cars de tourisme, il jeta un coup d’œil à sa montre – une Piaget aux lignes épurées – et lâcha un juron. Il lui restait moins d’une heure avant l’inauguration. Avec quelques centimètres de marge à peine, il manœuvra l’Aston pour s’extraire de la file de cars et accéléra dans un rugissement de moteur, à la recherche d’un autre accès au musée. La rue était étroite et bordée d’arbres, les trottoirs larges mais protégés par des barrières en bois. Pas une place de parking en vue.

Il savait que ce déplacement serait frustrant. Au cours du dîner de la veille, déjà, il avait ronchonné à propos de son départ pour le Nord, où il avait prévu de passer la nuit dans le seul hôtel quatre étoiles proche de Lens.

À l’extrémité de la table, Colette avait froncé les sourcils. 

—  Que vas-tu faire dans les corons ? 

—  Le musée organise un vernissage pour l’exposition dédiée à grand-père. 

Colette avait reposé son couteau à poisson, lentement, et dévisagé Alexander.

Il avait ressenti le besoin de s’expliquer.

 — Ils ont installé le legs dans une salle particulière, qui portera le nom de grand-père. L’exposition permanente sera inaugurée demain. Nous avons convié la presse et la télévision. Isobel a mis le dossier de presse en page, regardez… 

Il avait affiché le document sur l’écran de son smartphone. Colette aimait suivre les réalisations d’Isobel, la première de ses arrière-petits-enfants à intégrer l’entreprise familiale… 

Devant la décapotable, une touriste en robe fleurie traversa la chaussée, et Alexander pila. Alors qu’il suivait l’imprudente du regard, marmonnant des injures, il repéra une place libre dans une petite rue adjacente. Il y gara l’Aston Martin avec toute la délicatesse d’un Parisien frustré par la province. 

Pourquoi ai-je accepté de venir me perdre ici ? Plus jamais je ne remettrai les pieds aussi loin du Périph.

Il s’extirpa de sa voiture et ouvrit le coffre pour en sortir une pile de dossiers de presse. Son regard s’arrêta sur le modeste dessin reproduit au dos de la plaquette : l’esquisse d’une ballerine attribuée à Degas. Quand Colette avait découvert ce dessin, sur le smartphone d’Alexander, le sang s’était retiré de son visage. Un instant, Alexander avait craint qu’elle ne fasse un malaise. Sa grand-mère avait une santé de fer, mais elle n’avait plus vingt ans… Pourtant, ce n’était pas une crise cardiaque qui l’avait saisie à la vue du dessin, mais une colère comme elle en démontrait rarement.

—  Qu’est-ce que ça fait là ? avait-elle soufflé en désignant la ballerine.

—  C’est… Ça fait partie du legs. Le Degas était avec quelques autres, dans le bureau de grand-père. 

—  Non. 

—  Il n’était pas dans un cadre, c’est vrai, mais dans un carton à dessins. Apparemment son père avait acheté un lot d’esquisses dans les années vingt, et… 

Mais Colette n’écoutait plus. Elle s’était levée de toute sa (petite) hauteur.

 —  Personne ne doit voir cette ballerine. Jamais. 

Sa main aux doigts déformés par l’âge s’était refermée sur sa serviette comme la serre d’un rapace.

Alexander avait protesté, balbutiant.

—  Le Degas est au musée depuis des mois. Vous avez approuvé la liste des œuvres. Ce n’est qu’une fois entre les mains des experts que l’esquisse a été authentifiée, et il était trop tard pour… 

Sur la serviette, les articulations de Colette étaient blanches. 

—  Personne ne doit savoir. Fais ce qu’il faudra. 

Et, sur cette étrange injonction, Colette s’était retirée, abandonnant Alexander, choqué et dérouté, au milieu des dorures. Il avait quitté le manoir sans la revoir, et pris la direction du Nord, une boule au ventre. Il avait visiblement commis un terrible impair, et il ignorait comment il pouvait se rattraper. « Fais ce qu’il faudra, » avait ordonné Colette. Mais quoi ?

Alexander referma le coffre de l’Aston Martin avec un soupir. Une chose était certaine : il ne pouvait plus reprendre le Degas. Dans moins d’une heure il inaugurerait l’exposition Grall, et le public y découvrirait la petite ballerine que Colette aurait tant voulu cacher. 

À cette idée, Alexander sentit l’angoisse remonter depuis ses tripes vers son estomac, et jusqu’à sa gorge, menaçant de l’étouffer. À tâtons, sa main droite trouva l’élastique qu’il conservait autour du poignet gauche, et le fit claquer. La douleur le ramena à la réalité, et il souffla. Ce n’était pas le moment d’avoir une crise de panique. Ce matin-là, l’image de la famille Grall dépendait de lui.

Alexander leva les yeux. Devant lui, le Musée des Beaux-Arts de Lens dressait sa silhouette massive au milieu des arbres, immense pavé de verre et d’acier. Un musée tourné vers l’avenir, un centre d’académisme en pays minier, une contradiction enveloppée dans un paradoxe. Un concept douloureusement familier.

Dans le hall du musée l’air était filtré, climatisé. Espace moderne au sol de pierre et aux parois de verre, le musée possédait les dimensions et l’élégance d’un hangar géant. Loin au-dessus des visiteurs, à huit ou neuf mètres du sol, les volets blancs du plafond tamisaient la lumière naturelle. Le moindre pas éveillait des échos caverneux.

Un troupeau de gosses en chasubles orange fluorescent traversa le hall, leurs piaillements résonnant dans le vaste espace. Alexander commença à se frayer un chemin entre les œuvres exposées – des pièces monumentales pillées aux quatre coins du monde antique – et les touristes matinaux. Au détour d’une fresque iranienne, un grand type vint à sa rencontre, main tendue. Il portait un costume bleu ardoise bien coupé – probablement du prêt-à-porter retouché – de grosses lunettes à monture épaisse et des tresses qui lui tombaient jusqu’aux épaules. Le bleu de sa chemise soulignait le noir de sa peau. 

—  Monsieur Grall ? Je suis Eddy Moreux. Nous nous sommes parlé au téléphone. 

Alexander serra la main tendue. Moreux était l’attaché de presse du musée, et ils avaient organisé l’événement du jour ensemble.

—  Tout est prêt ? demanda Alexander.

— Les œuvres sont installées, et la presse est déjà là. Vous voulez qu’on repasse le programme en revue ? 

Alexander suivit l’attaché de presse dans le labyrinthe du musée. Ils laissèrent derrière eux les antiquités orientales, traversèrent une exposition de photographies monumentales consacrées aux bouddhas d’Afghanistan, contournèrent un assortiment de meubles médiévaux, et parvinrent devant une corde dorée qui interdisait l’accès d’une salle, aussi blanche et démesurée que les autres. Deux gardiens en costumes noirs barraient le passage. Alexander les salua d’un signe de tête. 

Un panneau sur pied annonçait l’inauguration de la salle Denis Simon-Grall pour le jour même. Une flèche pointait vers la droite. 

— Nous avons installé des micros et des chaises à côté pour la conférence de presse. Vous pourrez poser avec monsieur Buson pour quelques clichés… 

Alexander fit la moue. Il avait rencontré le jeune conservateur une fois. C’était un grand type blond et trop maigre, collection de tics nerveux à lui seul. Probablement pas un pro des séances photo. 

L’attaché de presse dut lire l’expression d’Alexander, car il argumenta. 

— Un représentant de la famille du donateur remettant symboliquement un tableau au conservateur du musée, c’est une image plus parlante qu’une série d’œuvres accrochées sur un mur blanc. Si nous voulons une couverture maximale de l’événement… 

Alexander acquiesça. Son grand-père avait légué ces œuvres de manière personnelle, mais leur remise au musée était l’occasion de faire mousser la marque Grall en rappelant les liens entre l’empire du luxe et le monde de l’art. Et si Alexander était venu se perdre si loin de Paris, ce n’était pas pour faire les choses à moitié. 

—  Quel tableau dois-je remettre à monsieur Buson ? 

Moreux l’entraîna au-delà de la corde dorée, au travers d’une forêt de chaises pliantes jusqu’à un groupe de micros sur pieds et un chevalet couvert d’un drap blanc. La hauteur sous plafond semblait écraser le dispositif, rendant cet ensemble de chaises aussi insignifiant qu’une dînette au milieu d’une cathédrale. Moreux replia le drap, révélant un dessin de taille modeste encadré d’une simple baguette métallique. 

— Je pensais à cette ballerine de Degas. 

Alexander étouffa un grognement. Évidemment, Moreux avait choisi la seule œuvre qu’il ne fallait pas mettre en avant. Si Colette voyait Alexander et la ballerine en première page des journaux, elle allait… 

Il préférait ne pas y penser. 

— Trop petit, dit-il. Prenons l’un des Corot, celui avec le plus gros cadre. Ça rendra mieux. 

Il consulta sa montre. 

— Il nous reste vingt minutes. Vous voulez un coup de main ? 

Trente secondes après avoir soulevé son coin du Corot, Alexander commença à regretter son choix. Dans son énorme cadre sculpté et doré, le tableau pesait une tonne. À l’autre extrémité du fardeau, Buson offrait un rictus crispé au crépitement des flashes. La sueur perlait sur le front du conservateur, causée par le stress, le poids du tableau, ou les deux. Malgré la brûlure de ses bras et les protestations de son dos, Alexander sourit de toutes ses dents, qu’il savait blanches et sans reproche. Il prit une grande inspiration et déclama son texte. 

— C’est un grand honneur pour moi de remettre ces œuvres au musée, au nom de mon grand-père Denis Grall, de son épouse Colette et de toute la famille Grall… 

Les flashes crépitèrent. Buson lâcha un petit gémissement et Moreux se précipita pour les soulager du poids du Corot. Avec l’aide de l’attaché de presse, Alexander et le conservateur replacèrent le tableau sur son chevalet, où les photographes l’immortalisèrent à nouveau. Buson prit la parole d’une voix chevrotante, et les journalistes posèrent quelques questions convenues.

Une vingtaine de minutes plus tard, ils étaient tous passés dans la seconde salle. Alors que les photographes tournaient leur attention vers l’exposition tout juste dévoilée, Alexander sentait encore ses reins protester. Il s’étira le plus discrètement qu’il le put.

—  Vous auriez dû vous contenter du Degas, fit une voix revêche derrière lui.

Il se retourna et reconnut la vieille dame. Josette Gentille la mal-nommée avait expertisé les œuvres offertes au musée. C’était une petite femme voûtée, les cheveux teints au henné hérissés sur un crâne asséché par l’âge. Son odeur de cendrier et ses doigts jaunis trahissaient une dépendance au tabac, et son attitude générale une misanthropie caractérisée. Elle se planta trop près d’Alexander et pointa un doigt crochu sur sa cravate. 

—  C’est le Degas, l’œuvre maîtresse de ce fond. Mais il n’était pas assez imposant pour vous, hein ? Toujours à vouloir mettre de la poudre aux yeux, avec vos costars de luxe et vos chaussures italiennes. 

Elle se tourna vers les photographes de presse, agglutinés devant les paysages de Corot. 

—  Et regardez cette bande d’imbéciles ! On accrocherait des posters aux murs qu’ils ne verraient pas la différence. 

—  Madame Gentille, que nous vaut le plaisir de votre présence ? 

—  Mademoiselle ! C’est moi qui ai authentifié tout le lot. Si quelqu’un a le droit de s’empiffrer de petits fours, c’est bien moi. C’est pas avec ce qu’on me paie ici que je peux m’offrir du caviar ! 

—  Alors laissez-moi vous proposer une flûte de Champagne… 

Il la prit par le bras pour l’éloigner de la presse, et elle se dégagea d’un geste brusque.

—  Quoi, vous avez quelque chose à me demander ? Je suis assez grande pour me servir toute seule. 

Elle partit vers le buffet en marmonnant dans son dentier.

Alexander se désintéressa de la vieille fille et pivota vers le centre de la salle. Buson discutait avec animation au milieu d’un groupe de journalistes. Pris par son sujet, le conservateur oubliait de cligner des yeux ou de se tordre les mains comme il le faisait d’habitude. Quelques pas plus loin, Moreux faisait de grands gestes devant la ballerine de Degas, comme un enseignant devant sa classe. Chaque fois qu’il bougeait, les perles d’argent qui décoraient ses tresses accrochaient la lumière des spots. Une poignée de reporters écoutaient ses explications, carnets de notes et enregistreurs en main. Une équipe de TV filmait des images d’illustration. Alexander laissa échapper un petit soupir de soulagement. C’était une belle inauguration, qui allait entretenir l’image de Grall International, et c’était tout ce qui comptait.

Sous les flashes de la presse, la petite ballerine de Degas rattachait son chausson. La voix de Colette résonna aux oreilles d’Alexander. 

« Personne ne doit voir cette ballerine, jamais. » 

Pourquoi Colette voulait-elle cacher ce modeste croquis ? Alexander n’en avait pas la moindre idée.

Il espérait simplement que ce dessin ne reviendrait pas le hanter.

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Published on August 09, 2021 00:42

July 23, 2021

Silence Originel – Lorelei Petit

La cave était fraîche, silencieuse et parfaitement ordonnée. Tenir le chaos à distance faisait partie du métier de Lorelei Petit, et la jeune femme tirait fierté de l’ordre qui régnait dans « ses »  archives. Entre quatre murs de briques blanchies à la chaux, des milliers de boîtes en carton s’alignaient sagement sur les rangées d’étagères métalliques, dans la lumière blafarde des néons. 

Alors qu’elle rangeait le dernier registre, Lorelei pensait déjà à son week-end. La préparation de la prochaine exposition municipale lui avait donné plus de travail que d’habitude, et la jeune archiviste avait passé son été enfermée au sous-sol. Les beaux jours étaient précieux dans le Nord. Bientôt septembre arriverait – trop tôt, il y avait tant à préparer avant le vernissage…

Lorelei Petit rangea le registre dans sa boîte, et replaça le tout en haut d’une étagère. Après un ultime regard aux rayonnages métalliques, elle éteignit la lumière et se glissa hors de la salle. Elle repoussa la porte en bois d’un coup d’épaule et enfonça l’ancien verrou dans le mur de briques. 

Le couloir était désert et son néon grésillait. Lorelei consulta son téléphone : il était plus de dix-huit heures. Elle devait être la dernière employée municipale dans les locaux. Plusieurs mètres sous la ville, elle n’entendait que le crissement de ses escarpins sur le sol de béton. Son esprit flottait, tourné vers les deux jours à venir, qu’elle comptait passer au calme et au soleil. La fête foraine allait envahir Cambrai, et l’appartement de Lorelei ne possédait qu’une minuscule terrasse. Mais sa mère vivait à la campagne, loin du flonflon de la foire…

Une odeur d’après-rasage chatouilla les narines de Lorelei et ramena la jeune femme à l’instant présent, dans le couloir du sous-sol de la mairie. Elle connaissait ce parfum…

Il surgit d’un coin d’ombre et plaqua Lorelei contre le mur opposé.

— Je savais bien que tu te cachais dans le coin ! Je t’ai manqué ?  

Julien du Breuil était bel homme. La trentaine, le poil et les crocs blancs, il avait conscience de son charme et en jouait sans retenue. Il avait tombé la veste, retroussé les manches de sa chemise pour révéler ses avant-bras bronzés, et desserré sa cravate de soie.

Avec un sourire de play-boy il glissa la main sous le chemisier de Lorelei, qui serra les dents. 

Non, Julien du Breuil ne lui avait pas manqué.

Elle chassa la paluche baladeuse et se dégagea.

— On s’est vus ce matin au premier étage,  rappela-t-elle.

— En public, fit-il. Je ne pouvais pas faire ça…  

Il l’attira à lui et lui embrassa le cou. Elle se laissa faire pour ne pas le vexer. Son haleine sentait la menthe et les oignons verts.

 Lorelei lui avait cédé un jour, comme on s’achète une barre de mauvais chocolat au distributeur : elle savait que le plaisir serait médiocre et qu’elle viendrait à regretter sa faiblesse. Restait à annoncer la chose à Julien. Elle ne craignait pas de lui briser le cœur, mais se froisser son ego. Il était adjoint au maire et pouvait, si l’envie lui en prenait, faire virer Lorelei.

— Julien, écoute…  

— Hum hum,  grogna-t-il.

Il approcha son visage de celui de Lorelei, et son haleine frappa la jeune femme de plein fouet. Lorelei n’avait rien contre les oignons dans l’absolu, mais pas d’aussi près. Elle se détourna.

— Ça te tente une soirée romantique ?  fit Julien, comme s’il n’avait rien remarqué.

— Tu devrais rentrer voir ta femme.  

Il cessa ses baisers et poussa un soupir bref. 

— Pourquoi ? Tu fais la tête ?  

— J’ai prévu d’aller voir ma grand-mère.  

— Encore ? Tu es fourrée là-bas trois fois par semaine !  

— Ma famille n’a peut-être pas de particule, mais j’y attaque une grande importance.  

Moi.

Quand Lorelei émergea des archives municipales, le soleil déclinait sur Cambrai. L’air était saturé de sucre et de graisse. Les premiers forains étaient arrivés pendant la journée, et leurs énormes remorques occupaient déjà le parking derrière la mairie, et une partie des rues adjacentes. Sans perdre de temps et sans attendre l’ouverture officielle de la fête foraine, certains avaient mis les friteuses à chauffer et le faisaient savoir à grands cris : Churros ! Churros !  

Lorelei avait toujours aimé ces pâtisseries qui lui rappelaient son enfance. Ce soir-là quelque chose devait clocher avec l’huile de friture, car l’odeur lui mit l’estomac au bord des lèvres. Elle pressa le pas pour s’éloigner au plus vite des stands. Mais après une chaude journée d’août, le centre-ville de Cambrai puait : les coins de rue empestaient l’urine, les caniveaux la crotte de chien. Des relents de cambouis émanaient des manèges en attente d’être déployés. Plus loin, les voies encore ouvertes à la circulation sentaient les gaz d’échappement, et des émanations de cuisine sortaient des fenêtres. Les passants transpiraient depuis des heures et cela se remarquait. C’était comme si la chaleur de l’été décuplait les moindres odeurs, et que toutes se précipitaient sur Lorelei pour lui gâcher la vie.

Vivement cet hiver que je m’enrhume ! se surprit-elle à penser.

Lorelei sonna à la porte de la maison de retraite et attendit qu’on lui ouvre. Elle franchit le seuil du bâtiment de briques rouges et une bouffée d’air frais l’accueillit aussitôt. Ici les senteurs de désinfectant résistaient aux effluves du dîner – purée de carottes et bœuf haché, si le nez de Lorelei disait vrai.

Le hall d’entrée faisait de son mieux pour être accueillant, avec son sol de linoléum bleu azur et ses plantes en pot surdimensionnées. Sur les murs blanc cassé, une série de photographies représentaient des paysages bucoliques. Personne n’assurait l’accueil du public mais des employées en uniformes rose pâle allaient et venaient, leurs sabots de plastique claquant à un rythme rapide.

L’horloge affichait presque dix-neuf heures, et Lorelei se dirigea vers le réfectoire. En chemin, Josiane, les bras chargés d’un bac de linge sale, l’interpella. 

— Votre grand-mère a terminé de dîner. Je viens de l’installer devant la télé !  

Lorelei remercia l’aide-soignante d’un signe de tête et bifurqua vers la salle commune.

C’était une pièce claire dont les larges baies vitrées donnaient sur le parc de la maison de retraite. Le soleil y pénétrait à flots. Plusieurs résidents somnolaient dans les chaises de repos, visiblement pas dérangés par le son de la télévision.

Lorelei trouva sa grand-mère dans un fauteuil roulant, absorbée par le petit écran. Elle se pencha pour l’embrasser, et la vieille dame lui offrit son merveilleux sourire.

Sarah Petit était aussi épaisse qu’un moineau, et sous sa masse de cheveux blanc neige ses yeux bleus étaient limpides comme un torrent de montagne.

— Ma louloute, comment vas-tu ?  demanda la vieille dame.

— Mamie, c’est toi qui as demandé le fauteuil ? Tu sais que le docteur veut que tu marches le plus souvent possible.  

Sarah baissa le regard et sembla découvrir le fauteuil dans lequel elle était assise. 

— La chaise…? Oh, non. C’est Jeannine qui a voulu. C’est plus pratique pour trimbaler les vieilles choses comme moi.  

Lorelei réprima un soupir de frustration. Elle attrapa un siège et s’installa auprès de Sarah.

— Comment était ta journée ?  

Sarah haussa ses frêles épaules et sourit d’un air désolé. 

— Oh, tu sais…  

Elle agita une main ridée. 

Oui, Lorelei savait. Entre l’exaspérante monotonie des lieux et la mémoire défaillante de Sarah, il était rare que la vieille dame ait quelque chose à dire. 

Les doigts parcheminés de Sarah saisirent la main de Lorelei.

— Et toi ma tchiott’ chérie, dis-moi donc comment vont les archives en ce moment ? Du nouveau dans les vieux papiers ?  

Au fond de la salle, la télé était passée aux publicités, et Lorelei commença à raconter sa journée.

— … et j’ai dû réorganiser le fond 39-45, qui était dans un bazar…  

Lorelei s’interrompit. 

Dans son fauteuil, Sarah n’écoutait plus. Elle s’était redressée, ses yeux bleu pâle braqués sur la télévision. Sa main droite se referma sur celle de Lorelei avec une force insoupçonnée, alors que la vieille femme pointait l’index gauche vers l’écran. 

— Élise ! C’est Élise !  

Au journal télévisé, un jeune homme très chic parlait – pas le genre à s’appeler Élise. Pourtant Sarah ne quittait pas l’écran des yeux. 

— Là ! là ! Je l’ai vue… Ah, mais qu’il se taise ce babache… Là ! C’est elle, c’est Élise !  

D’un index tremblant, Sarah désignait la télévision où défilaient désormais une série d’œuvres d’art. Sarah aperçut un bronze de cheval, trois peintures à l’huile – des paysages de Corot, d’après la voix off – et une esquisse de ballerine par Degas.

— C’est la danseuse que tu appelles Élise ?  

Sarah se leva, agrippée au bras de Lorelei avec la force d’un rapace, et acquiesça en silence. Quand le reportage prit fin, elle tourna vers Lorelei des yeux écarquillés et luisants de larmes. Puis, d’une voix de petite fille, elle demanda : « Il est où, Gabriel ? »  

Lorelei soupira et se força à sourire. 

— Mamie, c’est moi, Lorelei. Tu sais qui je suis?  

Sarah fronça les sourcils un bref instant, puis secoua la tête comme pour chasser une question sans importance. 

— Où est Gabriel ? Il faut lui dire : quelqu’un a volé Élise ! Il faut lui dire…  

— D’accord, on va lui dire,  assura Sarah.

— Tu sais où il est? Où est Gabriel ?  

— Mais ti va cesser d’braire !  lança un résident. Laisse-nous donc écouter les infos !  

— Je veux Gabriel !  rétorqua Sarah. Où est Gabriel ?  

— Je ne sais pas où il est, répondit Lorelei de sa voix la plus douce. Viens, Mamie, on va le chercher. Tiens, prends ta canne…  

Lorelei plaça la canne dans la main libre de Sarah, mais celle-ci s’accrochait si fort au bras de la jeune fille que l’accessoire semblait inutile. Plusieurs autres résidents ronchonnaient désormais, et le premier des protestataires commençait à s’agiter. Une aide-soignante passa la tête dans la pièce et fronça les sourcils. Elle rejoignit Lorelei et Sarah et attrapa le fauteuil roulant. 

— Tenez, madame Petit, installez-vous là et je vous ramène dans votre chambre.  

— Elle peut marcher,  rétorqua Lorelei d’une voix sèche. Puis, d’un ton plus doux : N’est-ce pas que tu peux marcher ?  

— Mais bien sûr que je peux marcher ! Où est Gabriel ?  

Lorelei consulta l’aide-soignante du regard, et celle-ci secoua la tête. Pas de Gabriel à la maison de retraite. Donc il venait des tréfonds de la mémoire de Sarah, et Lorelei n’avait aucune chance de le dénicher au détour d’un couloir. Dans ces cas-là, le mieux était toujours d’orienter la conversation vers un autre sujet. 

— Et si nous allions faire un tour dans le jardin ?  proposa Lorelei.

L’aide-soignante opina en silence et prit Sarah par le coude.

— Est-ce que Gabriel est dans le jardin ?  fit la vieille dame.

Lorelei sentit sa gorge se serrer. 

— Allons voir,  murmura-t-elle. 

L’aide-soignante leur ouvrit la porte, et Lorelei guida Sarah dans le jardin de la maison de retraite. Peu à peu les senteurs de cuisine laissèrent place au parfum des fleurs et à la résine des pins.

Le soleil embrasait les trois clochers et les ombres s’allongeaient sur Cambrai. Les Klaxons des voitures leur parvenaient à peine, étouffés par les arbres du parc, alors que les oiseaux piaillaient avec dévotion. Elles étaient les seules à parcourir les allées pavées du jardin à cette heure où le personnel préparait les résidents pour la nuit. Quelque part dans les bâtiments, un vieux monsieur poussait des cris de colère, comme un enfant refusant de se coucher.

Lorelei avisa un massif parsemé de pompons rose pâle. 

— Je me demande comment on appelle ces fleurs. Est-ce que tu sais ?  

Sarah accorda à peine un coup d’œil au buisson, fronça les sourcils et secoua la tête, sèchement. 

— Je m’en fiche des fleurs. Je veux Gabriel. Pourquoi il n’est pas là ? Est-ce qu’il est parti pendant la nuit ? Gabriel ! Gabriel !  

Sarah appela à plusieurs reprises, de plus en plus fort. Puis elle tourna un regard plein de larmes vers Lorelei.

— Gabriel est parti sans rien dire. Qu’est-ce qu’on va faire, ‘Man ?  

Ce n’était pas la première fois que Sarah prenait Lorelei pour sa propre mère. Un air de famille, sans doute.

C’était une toute petite fille inconsolable qui pleurait désormais au bras de Lorelei, une petite fille prisonnière d’un corps trop vieux et d’une époque inconnue, une petite fille perdue dans un jardin qui n’était pas le sien et qui demandait pourquoi Gabriel l’avait abandonnée. Et Lorelei n’avait aucune idée de qui elle parlait.

Lorelei ravala ses propres larmes et sourit à la fillette. 

— Allons viens, Sarah. Allons voir si nous le trouvons dans ta chambre, tu veux ?  

Sarah hocha la tête et suivit Lorelei le long de l’allée.

Le lendemain était un samedi, et Lorelei s’accorda une grasse matinée. Un peu avant midi, elle  embarqua dans sa Mini Cooper écarlate, la gorge nouée comme avant un entretien d’embauche – ou une confrontation assurée. 

Tournant le dos aux terrils qui faisaient la fierté de la région, elle se dirigea vers le sud. Quelques minutes lui suffirent pour laisser derrière elle les maisons Art déco du centre-ville et gagner la campagne.

Le soleil luttait contre des nuages gris plomb, et le paysage se déroulait en à-plats verts ponctués de hameaux rouge brique. La radio peinait à se faire entendre par-dessus le rugissement du moteur. L’air sentait la poussière et l’essence.

Lorelei aimait rouler au milieu des champs et constater le passage des saisons dans leurs changements de couleur. Au fil des mois, la terre brune de l’hiver cédait place aux premières pousses. Puis les fleurs jaunes du colza éclataient au soleil, avant que le blé ne brunisse. 

Mais ce jour-là, Lorelei ne parvenait pas à s’intéresser paysage qu’elle traversait. Elle avait même du mal à se concentrer sur la circulation qui l’entourait – heureusement, elle connaissait la route par cœur. Elle avait l’habitude de se rendre chez sa mère le week-end. Mais pas de faire ce qu’elle avait décidé de faire ce jour-là : poser des questions et exiger des réponses. 

Qui était ce Gabriel, et pourquoi son souvenir avait-il mis Sarah dans un tel état de détresse ? 

Lorelei avait conscience que, dans la plupart des familles, ces questions n’auraient pas posé problème. Mais pas chez les Petits. Dans cette famille, on ne parlait pas du passé. Et l’idée de braver cet interdit lui nouait les entrailles. 

Cantaign, quatre-cent habitants, étirait ses petites maisons de brique rouge de part et d’autre de la départementale. C’est là que Lorelei gara sa Mini dans un nuage de poussière, entre l’asphalte de la route et une rangée de rosiers.

La maison ne possédait qu’un rez-de-chaussée et, planqué sous son toit d’ardoises, un grenier aménagé. Une porte à petits carreaux vitrés au milieu de la façade, une grande fenêtre de chaque côté de la porte, et pour toute fantaisie l’alternance de briques blanches et rouges qui décorait la façade : telle était la maison où Lorelei avait grandi. 

Lorelei coupa le contact et sauta hors de sa voiture, mais avant qu’elle n’ait le temps de frapper, la porte s’ouvrit et Jacky apparut. Le visage rond, la moustache grise fournie et le sourire facile, Jacky était le beau-père de Lorelei. Il l’accueillit avec son habituel sourire bonhomme et sa voix chaude et harmonieuse. 

— Salut ma loute, komin qu’té vas ?  

Il la prit dans ses bras et lui claqua deux bises. Sa moustache lui chatouilla les oreilles. 

— Rentre ! Fais pas gaffe au fourbi, j’viens de refaire la cuisine !

Vu l’étroitesse de la maison, on ne s’y encombrait ni d’une entrée ni d’un couloir, et la porte ouvrait directement sur la cuisine-salle à manger… et comme l’avait dit Jacky, la cuisine venait d’être refaite. Disparus, les placards de Formica ébréché et le plan de travail en faïence brune. Tout avait laissé la place à du bois blanc et des surfaces en inox. Les cadavres des vieux meubles gisaient encore sur le sol au milieu des outils. L’air sentait la colle et la sciure de bois.

— Pour du changement… murmura Lorelei.

— C’est bieau, hein ? s’exclama Jacky avec un regard aimant sur la nouvelle cuisine. Depuis le temps que ta mère réclamait cha ! 

La porte arrière claqua, et la mère de Lorelei arriva depuis la cour en s’époussetant les mains. 

— J’irai jeter tout ça à la déchèterie demain, et on reparlera plus de ces vieilleries !  lança-t-elle d’une voix satisfaite. Tiens, ma nénette, comment tu vas ? Tu prends un jus ? 

Sans attendre de réponse, la mère de Lorelei se mit en quête la cafetière, et la jeune femme s’assit à table. 

Jacky rassembla son matériel de bricolage dans un tintement métallique d’outils, se lava les mains et commença à faire l’article de la nouvelle cuisine. Lorelei l’écoutait d’une oreille distraite. Elle cherchait comment aborder le sujet qui l’amenait. Mais chaque fois qu’elle choisissait comment formuler sa question, elle imaginait la réponse de Nathalie. 

« On parle pas de la famille parce qu’ya rin à en dire. »  Le refrain avait bercé l’adolescence de Lorelei, et elle avait dû apprendre à s’en satisfaire. Mais désormais sa grand-mère souffrait, et elle voulait des réponses.

La cafetière crachota pour annoncer la fin de son travail, et Nathalie posa les tasses sur la table – des tasses neuves, elles aussi. Nathalie ne s’encombrait pas plus de souvenirs dans sa cuisine que dans sa vie.

Jacky prit une chaise et Nathalie l’imita. 

— Qu’est-ce qui nous vaut le plaisir ? demanda-t-elle en se laissant tomber face à Lorelei.

— Comme s’il fallait un’ raison pour que l’tiote vienne nous voir ! s’offusqua Jacky. 

Lorelei referma ses mains sur la tasse brûlante et son regard plongea dans le liquide brun. Toutes les phrases savamment construites soudain évanouies, elle prit une inspiration et se jeta à l’eau. 

— Je me demandais qui était Gabriel.

Nathalie cligna des yeux et se tourna vers Jacky 

— Qui ça ? 

Il haussa les épaules, et Lorelei expliqua. 

— Mamie réclamait Gabriel hier soir. 

— Bah, tu sais qu’elle n’a plus toute sa tête, fit Nathalie.

— Elle avait l’air si triste. On aurait dit une petite fille désespérée. Alors je me suis dit… est-ce que c’était le nom du grand-père?

Le visage de sa mère se ferma. 

— Qu’est-ce que j’en sais ? 

— Bah !  fit Jacky d’un ton bourru. Tu parles jamais de ton père, mais tu sais bin comment qu’il s’appelle, non ? 

Nathalie lui lança un regard capable de congeler un pingouin, et Jacky se tut.

La mère de Lorelei avait toujours affirmé ne pas savoir qui était son géniteur. Quand Lorelei était entrée aux archives de Cambrai, elle avait consulté l’État civil : sur le papier au moins, Nathalie était « née de père inconnu ». L’acte de naissance de Lorelei portait la même mention, et jamais Nathalie n’avait fourni plus de précision.

— Maman, je sais qu’on ne parle pas de ces choses-là…

— On n’en parle pas parce qu’il y’a rin à en dire. J’ai pas plus connu mon père que ta grand-mère n’a connu le sien. Y’a pas d’hommes chez les Petits. C’est comme ça et puis c’est tout.

Nathalie se leva et commença à rassembler des débris de l’ancienne cuisine, avant de sortir sur le seuil de la cour pour les balancer hors de vue.

Jacky glissa un coup d’œil désolé à Lorelei et lui tapota la main en silence. Elle le remercia d’un sourire.

Nathalie revint s’asseoir, attrapa un journal et l’étala sur la table. Lorelei souleva sa tasse pour éviter de la voir disparaître sous La Voix du Nord.

— Et sinon, ça va bien ?  demanda Nathalie d’un ton dégagé.

Comme elle conservait le regard sur La Voix du Nord, on aurait pu croire qu’elle posait la question au journal. Personne ne répondit.

Lorelei et Jacky dégustèrent leur boisson – forte et parfumée comme seul l’est le café qui vient de couler – pendant que Nathalie commentait l’actualité à petites phrases heurtées.

— Ah !  s’exclama-t-elle soudain. Un empire du luxe donne une trentaine d’œuvres d’art au Musée des Beaux-Arts de Lens.  Ils pourraient pas nous en donner un peu, à nous ?

L’article couvrait toute la page culture, avec de nombreuses photos en couleur et une série d’encadrés. L’un des clichés attira l’attention de Lorelei. 

— Fais voir un peu. 

Elle prit d’office la feuille en question. Là, en bas à gauche, la ballerine de la veille attachait son chausson. Lorelei lut à haute voix.

— Une esquisse signée Degas, estimée à cent mille euros…  

Jacky poussa un sifflement admiratif.

— C’est ce dessin qui a mis Mamie dans tous ses états, expliqua Lorelei.

Nathalie se pencha par-dessus la table pour mieux regarder la photo. 

— La ballerine ? Pourquoi ?

Lorelei haussa les épaules.

— Mamie faisait ptêtr’ de la danse lorsqu’elle était gamine, suggéra Jacky.

Nathalie sépara la page culture des autres, récupéra le reste du journal et reprit sa lecture. 

— Elle ne m’en a jamais parlé, remarqua-t-elle d’une voix distraite.

Lorelei se pencha sur l’article. On y voyait le même homme qu’aux informations, remettant une toile richement encadrée à un grand blond au sourire crispé. « Le représentant de Grall Int. remet symboliquement une toile de Corot au conservateur du Musée des Beaux-Arts de Lens. »  Voilà qui ne lui était d’aucune utilité. Pourtant, quand elle repensait aux larmes de Sarah, Lorelei sentait sa gorge se serrer. Jacky avait peut-être raison. Peut-être la grand-mère avait-elle pratiqué la danse classique durant son enfance. Peut-être le fameux Gabriel était une Gabrielle, une camarade de ballet ? Si seulement Lorelei pouvait trouver des photos de l’époque… Elle imaginait Sarah toute petite fille, posant en tutu avec d’autres gamines du même âge et, derrière le groupe, une vieille professeure maigre au visage sévère…

— Je crois que Mamie déprime, annonça Lorelei au bout de quelques minutes de silence. Je pensais lui apporter des souvenirs de sa jeunesse pour lui remonter le moral. Il te reste des vieux albums ou des lettres ?

Nathalie leva les yeux au ciel et touilla son café d’un air dégoûté. 

— On a dû jeter toutes ces vieilleries quand on a aménagé le grenier. S’il reste quelque chose, c’est dans l’pouli. Dis-moi plutôt si tu as enfin rencontré quelqu’un.

— Plein, tous les jours. C’est pas parce que je bosse aux archives que je suis enfermée dans la cave.

— C’est pas parmi ta paperasse que tu rencontreras un homme riche. Y’a pas un conseiller municipal célibataire ? Un homme élégant, avec une maison à lui et de l’argent de côté, qui t’emmènerait en vacances au soleil…

Lorelei éclata de rire. 

— Tu crois qu’on a des milliardaires à la mairie de Cambrai ?

— Écoute ta mère et fais pas les mêmes bêtises que moi, ou tu finiras vieille et seule, à te casser le dos avec des colis dans un entrepôt toute la journée.

— Merci pour moi ! s’exclama Jacky.

Nathalie lui claqua un baiser sous la moustache. 

— Mais j’cause pas de chti, babache !

Jacky rit et se tourna vers Lorelei. 

— Viens donc, qu’on regarde si y’a quelque chose pour ti dans l’pouli.

Elle le suivit dans la cour. Le poulailler était une cabane de briques à peine plus grande qu’une cabine téléphonique dont le toit avait perdu quelques tuiles au cours des ans. Il n’avait pas vu de volaille depuis des lustres, et servait désormais à entreposer tout ce dont Nathalie ne voulait plus dans la maison.

Jacky écarta un sommier rouillé appuyé contre la porte et pesa sur la poignée rudimentaire. Le battant céda d’un centimètre ou deux avant de se coincer.

Jacky secoua la poignée.

— T’as l’air bin inquiète pour la grand-mère, fit-il entre deux coups d’épaule au vantail. 

— Si tu l’avais entendue… Elle semblait aller très bien, et puis elle a vu les infos et plus rien n’a pu la calmer… Elle pleurait si fort qu’on lui a donné des calmants.

— Tu crois que ça lui fera du bin, des vieux trucs ? 

Il envoya un dernier coup d’épaule contre la porte, sans plus de résulat. Avec un grognement, il se retourna vers Lorelei, l’air désolé.

— Ah, ma louloute, ça veut pas s’ouvrir ! Faudrait que je démonte la porte… T’as plus vite fait de remettre de l’ordre dans la mémoire de ta grand-mère que de trouver quelque chose dans l’pouli de ta mère !

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Published on July 23, 2021 03:06

August 30, 2020

Soupçons Magiques – chapitre 1

Soupçons Magiques, le 5e roman de la série Vegas Paranormal/Club 66, parait le 15 septembre 2020. En voici le 1er chapitre, histoire de vous mettre l’eau à la bouche.

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Published on August 30, 2020 06:41

August 24, 2020

Premiers visuels pour le lancement de Soupçons Magiques

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Vous préférez lequel? La tour, Hugs ou les néons de Vegas by night?

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Published on August 24, 2020 06:14