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l’ultracrépidarianisme
La science prend souvent l’intuition à contrepied, contredit presque toujours le bon sens et n’a que faire de la bureaucratie des apparences.
Mais avoir un avis n’équivaut nullement à connaître la justesse ou la fausseté d’un énoncé scientifique.
Nous avons la passion sélective.
Aujourd’hui, la tendance à avoir un avis non éclairé sur tout, et à le répandre largement, me semble gagner en puissance.
Sous-entendant que ceux qui réfléchissent, argumentent, hésitent, parfois se trompent – en un mot « cherchent » –, ne font qu’emprunter des détours aussi inutiles que chronophages. Le
L’effet « Dunning-Kruger » s’articule en un double paradoxe : d’une part, pour mesurer son incompétence, il faut être… compétent ! ; d’autre part, l’ignorance rend plus sûr de soi que la connaissance.
Il suffit pour s’en persuader de compter les occurrences : le mot « progrès » a quasiment disparu des discours publics, remplacé par « innovation ». Deux synonymes, pourrait-on objecter. Erreur. À y regarder de plus près, on constate en effet que les discours sur l’innovation se détournent radicalement de la rhétorique du progrès. Il faut innover à tout prix, nous serine-t-on. Mais non pour inventer un autre monde, objectif exaltant ; pour empêcher le délitement de l’actuel, ce qui est nettement moins grisant.
Mais comme toutes les vérités importantes de la science ne peuvent que devenir peu à peu banales et communes, même ce peu de satisfaction disparaît : c’est ainsi que nous avons depuis longtemps cessé de trouver le moindre plaisir à apprendre la table de multiplication, pourtant si admirable. Si donc la science donne de moins en moins de plaisir par elle-même et en ôte toujours davantage en jetant la suspicion sur la métaphysique, la religion et l’art qui consolent, voilà appauvrie cette source de plaisir, de toute la plus grande, à laquelle les hommes doivent à peu près toute leur humanité.
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Tous les dictateurs jusqu’à ce jour ont travaillé à supprimer la vérité.
Comment élargir la rationalité pour qu’elle devienne généreuse, poétique, excitante, contagieuse ? Comment excéder l’application du seul critère d’exactitude ? Ces défis sont précisément ceux que nous, scientifiques, n’avons pas su relever : la science désormais semble triste, lointaine, complexe, étrangère. Un tel éloignement ouvre des boulevards au populisme scientifique, qui lui-même nous détourne de la science. Ainsi se forment les cercles vicieux.
« La sauvegarde de la vérité dépend moins de son affirmation réitérée que de la reconnaissance de ses limites. »
Aucune pensée n’est immunisée contre les risques de la communication », disait Theodor Adorno).
Ainsi la science se trouve-t-elle tiraillée entre excès de modestie et excès d’enthousiasme.
j’eus l’innocence de citer pour exemple de vérité scientifique avérée la rotondité de la Terre. Une philosophe professeure des Universités à qui on ne la fait pas m’a rétorqué le plus naturellement du monde : « Oui, mais on n’est pas à l’abri d’un nouvel Einstein qui nous démontrera qu’elle est plate… » J’avais beau savoir que les vérités scientifiques sont changeantes, que certaines peuvent même être définitivement abandonnées, le choc auditif fut violent. Ce que glissait au détour d’une phrase, dans un des lieux hautement symboliques de la transmission du savoir, cette enseignante adoubée de
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Je dois l’avouer : l’ultra-relativisme, lorsqu’il se hisse à de telles altitudes, me laisse pantois. D’ailleurs, sur le moment, je n’ai guère su quoi dire… D’autant que la référence faite à un « nouvel Einstein » m’avait elle aussi estomaqué. Car que fallait-il entendre ? Que si la Terre est aujourd’hui considérée comme ronde par nous autres humains, c’est seulement parce que nous ne disposons pas encore de la théorie géniale qui révélera qu’elle ne l’est point ?

