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Nous le comprendrons mieux quand nous réfléchirons à la dynamique d’existence ; il nous suffit pour le moment de comprendre que c’est depuis l’à-venir que Dieu vient à nous, en tant qu’il est Parole qui appelle et qui promet, que nous sommes tirés hors de nous, entraînés par l’espérance de vivre enfin. Le christianisme est ce message : pour toi s’ouvre un futur qui diffère de ton passé ; ton futur, c’est ton existence à venir. Le futur n’est pas l’à-venir mais le futur du passé : il ne fait que reproduire, dans des circonstances qui peuvent changer, les mêmes données du monde.
Evdokimov, toujours, ajoutait : « La bourgeoisie chrétienne a fait de l’Évangile le prolongement des meilleures aspirations de l’humanité vers le meilleur des mondes possibles, le Royaume de Dieu. » Un tel diagnostic est embarrassant à plus d’un titre : déjà, il souligne que le dévoiement du christianisme est l’affaire des chrétiens eux-mêmes et non de leurs adversaires, supposés ou déclarés ; mais il ajoute que ce dévoiement n’est pas à mettre au compte de comportements contraires à l’Évangile mais de l’embourgeoisement du christianisme au nom de valeurs tenues pour excellentes.
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En vérité, le christianisme ne connaît qu’une valeur : le Royaume de Dieu (ou d’autres métaphores comme la Vie dans l’évangile de Jean ; la grâce chez Paul, etc.). C’est le Royaume qui est la valeur suprême, et il l’est en tant qu’il ne connaît comme valeur que celle de la grâce, la valeur qui relativise toutes les autres valeurs, c’est-à-dire qui ne les accueille que dans la mesure où ces valeurs sont relatives à ce que la grâce signifie.
À la limite, l’Évangile n’est pas fait pour donner du « sens » mais de l’« insensé » qui déroute et oblige à écouter d’une autre oreille (ce qui est le sens même du langage parabolique).
La verbosité de la bondieuserie est la tentation permanente du christianisme, c’est pourquoi on ne saurait donc lui assigner d’autre commencement que l’apparition de la parole chrétienne elle-même.
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En réalité, le langage des croyances et des valeurs ne peut se revendiquer du christianisme, mais de ce que des sociologues américains ont appelé le « déisme éthico-thérapeutique », une version molle et édulcorée du christianisme qui en gros affirme qu’il faut être gentil et que le salut consiste essentiellement à trouver harmonie et bien-être au quotidien.
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Le christianisme n’est pas une doctrine, pas plus qu’il n’est une morale, mais une communication d’existence, rappelle Kierkegaard.
Cet Autre hors de l’homme mais qui est aussi en lui, autrement Autre au point qu’il fait figure d’appel inconditionnel à la liberté, on peut l’appeler Dieu (mais on pourrait tout aussi bien le nommer autrement, la Bible ne s’en prive pas).
En réalité, l’idée de bonheur est un anesthésiant ; en langage biblique, il faut dire qu’elle est une idole.
Le témoignage le plus précieux du chrétien : vivre de la grâce du temps.
Non seulement le quotidien est le temps dont chacun dispose (alors qu’il n’est pas toujours possible, ni même souhaitable de s’engager – l’engagement peut être une fuite ou une compensation narcissique), il est encore le temps qui compte.
Cela signifie encore que la parole chrétienne n’est pas orientée vers ce qui est définitif (comme ce qu’on appelle le « Jugement dernier » ou même le terme pour chacun que constitue la mort) mais ce qui est ultime, à savoir l’accueil de l’Évangile comme nouveau barème des valeurs qui juge, à chaque moment de l’histoire, du présent afin de le rendre à lui-même : une présence à un présent.
Mais le coût d’un tel prix à payer pour « profiter » de la vie est de plus en plus chèrement ressenti. L’espérance défait le nihilisme, qui est fondamentalement un futur sans à-venir.
En somme, l’être humain est invité à vivre en croyant, en espérant et en aimant jusqu’à ce que son soi advienne.
La métaphore du Royaume ne désigne rien d’autre que la perspective du pardon qui ouvre à l’homme un à-venir et transforme dès à présent sa vie en existence, dans tous les aspects de sa vie. Et ce par-don n’est autre que l’amour-don, l’agapè du Nouveau Testament, qui, parce qu’il vient à nous depuis l’à-venir, nous paraît impossible et inespéré.
Or l’éternité n’est pas un « avenir lointain » mais le don d’une plus grande présence à soi et au prochain. Alors, l’éternité n’est plus à penser comme l’étalement du temps mais comme une ponctualité, autrement dit comme un instant de grâce offrant la grâce d’exister.
La tâche du christianisme : partager la foi qui est intransmissible.
Le chrétien qui se met au service du Royaume fait un métier impossible mais il y trouve sa liberté et sa joie.
Sans l’intervention subjective de quelqu’un qui prend le risque de donner et de pardonner, c’est-à-dire qui ose inscrire sa manière de vivre dans une gratuité inconditionnée pour la détacher de la logique du dû, le christianisme n’existerait pas comme relève de l’événement-Christ.
Bien au contraire, le christianisme est politique quand il est sourd à la voix du temps, ce qui veut dire quand il est toutes oreilles ouvertes à l’inédit de l’Évangile.
En définitive, le christianisme – ou mieux, la christianité – est le style de vie qui, dans le monde, introduit des relations qui ne sont pas du monde.
faut donc rappeler que l’Évangile ne se soutient que d’être dit avec parrêsia, qui n’est pas une « technologie » mais la tonalité de parole qui est la seule adaptée à la manière dont parle l’Évangile.
tient le langage de la bondieuserie. Certains chrétiens veulent bien du dimanche de Pâques sans le Vendredi saint, d’autres préfèrent la croix au tombeau vide mais l’Évangile dit sur la croix le pardon offert à l’impardonnable et c’est cela que signifie actuellement la Résurrection.
Les apôtres voient Jésus comme celui qui possède toutes les informations souhaitées, mais ils ne comprennent pas qu’il leur parle la parole qui transforme.
L’Évangile, dont le langage est éminemment parabolique, est lié à une certaine opacité.
Le message chrétien n’est pas un texte scolaire qu’il faudrait décoder mais un événement de parole qu’il faut dire avec parrêsia.
Une croyance est donc une représentation mentale (qui peut être figurée par l’art), qui peut être décrite ou expliquée, traduite en concept ou mise en catéchisme. Mais la foi ? Nous avons vu que la foi doit être registrée à l’impensé et que cet impensé nous apparaît à la fois invraisemblable et impossible.
La foi est vérifiée (rendue vraie en paroles et en actes) quand le croyant passe de la connaissance (la croyance registrée au savoir) à la reconnaissance qui, dans son sens le plus fort, est gratitude.
Alors, notre vie ne saurait être une faute, et notre destinée une « marche forcée » vers le néant, car une parole de la plus radicale bienveillance est à la source de notre destinée.
Dieu est un « nom d’opération », disait déjà saint Grégoire de Nazianze. Il est l’opération qui rend possible d’exister par la foi, l’amour et l’espérance. En dehors de cette relation qui répond à l’appel à exister, à proprement parler, alors Dieu n’est rien pour nous.
Pour poser la question de Dieu à nouveaux frais, il nous faudrait nous interroger moins sur l’existence de Dieu que sur « qui » est Dieu et, plus encore, sur « qui » nous sommes devant lui.
Si Dieu n’est Dieu qu’en tant qu’il est pour l’homme (ce que ne cesse dire le texte biblique), alors il n’est de Dieu qu’à la manière de son Christ qui est l’à-venir de l’homme. Confesser le Christ, c’est proclamer que Dieu est Dieu-pour-l’homme et c’est reconnaître en lui la figure de celui que je deviens quand j’existe enfin.
Dire que Dieu est parlant signifie que nous reconnaissons dans sa Parole un appel à exister et que nous lui répondons en existant. Et dire qu’un certain discours a voulu nous faire croire que Dieu a parlé (il y a longtemps…) uniquement pour nous révéler des mystères insondables auxquels nous ne comprenons pas grand-chose, mais auxquels il nous faudrait croire aveuglément si nous voulons être sauvés !
Le christianisme, qui n’existe pas encore bien que nous l’anticipions déjà en croyant, en aimant et en espérant, sera cette langue de feu déposée sur nous si nous voulons bien nous mettre à l’écoute de l’Évangile comme Évangile.
En l’accueillant comme une promesse, le christianisme devient ce qu’il est appelé à être : une action de grâces.

