Kindle Notes & Highlights
Ce fut seulement sur le trajet du retour que je compris de quelle façon j’avais été acheté par l’acier. Toute envie de rébellion m’avait quitté au moment où la lame avait changé de main.
Je songe encore avec nostalgie à cette époque, où, à seulement huit ans, nos tentatives balbutiantes pour nous comprendre et nous ménager valaient déjà bien mieux que celles de nombre d’adultes.
J’avais l’impression que Hesse voyait Corne-Brune comme une sorte de mécanisme un peu complexe, au sein duquel il faisait à la fois office de rouage et de graisse. Son métier consistait à s’assurer du bon fonctionnement de la mécanique et à cliqueter dans le sens que ses serments lui dictaient. Il avait parfois le tempérament mélancolique et je ne crois pas qu’il ait souvent été heureux, mais d’une manière un peu doloriste il me semble que c’est ainsi que les choses lui convenaient.
Peut-être qu’en dépit de la pauvreté parfois abjecte dans laquelle j’avais grandi, il y avait eu aussi un contrepoids, une liberté un peu rude qui nous avait soustraits jusque-là aux rouages implacables du monde.
Il n’y a pas de mais. La bêche n’a pas besoin de comprendre pourquoi elle creuse. Le couteau n’a pas besoin de savoir pourquoi il coupe. Nous sommes tous l’outil de quelqu’un, et tu peux être sûr d’une chose : c’est souvent pire de savoir sans comprendre que de ne pas savoir du tout.
Je consacrais des heures et des heures à la lecture, que ce soit dans ma chambre ou au coin de la cheminée de la tour. Lire devenait pour moi si naturel, que c’était à peine si je me souvenais d’un temps où il n’y avait pas eu la texture du vélin sous mes doigts, l’odeur alcaline de l’encre et cette farandole de miracles calligraphiés à parcourir.
Après l’avoir égaré durant plus de cinq lunes, je retrouvai enfin mon sourire.
Nageur, tu es venu en un pays libre, où aucun homme ne clamera qu’il est ton maître, mais où tous clameront que tu es ton propre esclave. Tu ne trouveras ici nul seigneur pour entraver ton corps, et nul prêtre pour entraver ton esprit. Tes chaînes t’appartiennent désormais, toi qui es le moins à même de les briser.
C’est une chose que de chercher le savoir, Sleitling, c’en est une autre que de croire qu’on l’a trouvé, et que tout ce que l’on ne comprend pas au-delà de ces connaissances relève du domaine des dieux. Ce n’est pas de cette manière-là que progresse le savoir. »
Quand on fait du savoir une tour, cela ne reste qu’une chose morte et inachevée. La vraie sagesse est un arbre qui n’a cesse de croître, Sleitling. Les branches vivantes tombent et renaissent. Elles n’ont aucune limite, hormis celles que l’on veut bien leur donner.
Au-delà du feu, Sleitling, tu dois chercher la glace.
Je remercie encore Uldrick de m’avoir montré à quoi ressemble un tueur ordinaire, soldat ou coupe-jarret, ou égorgeur d’enfants. Cela m’a permis de saisir que, derrière les massacres et les rapines et les viols, derrière les pires horreurs que le monde peut contenir, il n’y a ni mal, ni démons, ni mauvais sorts, mais seulement la folie d’hommes désespérés, dont la peur a fait des monstres.
Pour être courageux, il faut être libre.
J’ai appris à ne plus avoir peur.
J’étais devenu un homme de la manière dont l’entend le peuple var : par l’émancipation. Uldrick m’avait assuré, hématome après hématome, que jamais plus je ne serais l’esclave de moi-même. Que je m’appartiendrais tout entier, même dans la peur, même dans la rage, même dans la souffrance et le désespoir le plus abyssal.
De manière plus importante, nous n’étions plus seuls, ni lui ni moi. Nous étions devenus une meute,
C’était la première fois que je tuais un homme, je n’avais pas encore douze ans, et ce fut plus terrible que tout ce que j’avais pu imaginer.
Tu tueras mieux la prochaine fois »,
Un peuple libre n’a pas à acheter son confort par le sang versé, que ce soit le sien ou celui d’étrangers.
Une chaîne est une chaîne, qu’elle ait le poids du métal froid, ou la douceur filante de la soie.
La guerre, je le savais, ce n’était pas que des histoires de soldats. C’était aussi les vies qu’ils brisaient sur leur route.
Nous ne rentrons jamais vraiment chez nous. Nous nous battons pour une idée changeante, qui fluctue pendant que nous sommes loin. Puis nous mourons, à l’écart, respectés mais incompris. Étrangers à tous ces gens pour lesquels on a donné sa vie. Certains même ne nous approuvent pas et je crois que je les comprends, de plus en plus.
Les dieux sont morts ou impuissants. Les Vars libres me l’ont appris.