C'est ici que l'on se quitte

by Jonathan Tropper

Il arrive un moment où on perd de vue ses parents en tant que personnes : on n’a plus en tête qu’un chapelet d’anecdotes et de problèmes non résolus.

Quand il n’est pas soumis à la culpabilité ou à la honte, l’esprit humain est égoïste, méchant, et la majeure partie de nos pensées, à tout instant, n’est pas destinée au public – soit parce qu’elles seraient blessantes, ou qu’elles nous feraient passer pour les monstres nombrilistes que nous sommes. En vérité, nous ne livrons pas nos pensées telles quelles, mais des versions aseptisées, édulcorées, adaptations hollywoodiennes d’idées apprivoisées pour être présentables à toute la famille.

Vous ne savez jamais quand vient la dernière fois où vous voyez votre père, où vous embrassez votre femme, où vous jouez avec votre petit frère, mais il y a toujours une dernière fois. Si on pouvait se souvenir de toutes les dernières fois, on passerait son temps à pleurer.

Parfois, être satisfait est une question de volonté. Il faut considérer ce qu’on a sous la main, évaluer ce que ça pourrait devenir, et arrêter de rêver au passé. Je sais que c’est la voie même de la sagesse, mais je sais également que peu de gens sont capables de la suivre.

Un problème est une situation qu’on peut résoudre. S’il n’y a pas de solution, il n’y a pas de problème, alors cesse de considérer les choses ainsi.

Noyer l’émotion sous la logistique. Voilà ce que nous faisons.

Parfois, c’est déprimant de voir ce que sont devenus vos proches. Peut-être est-ce pour ça que nous restons éloignés les uns des autres.

Le problème, c’est que je t’en ai voulu pendant des années, et ça n’a été bénéfique ni pour moi ni pour toi. J’ai perdu beaucoup de temps à me ronger les sangs, et ce temps-là, je ne pourrai jamais le rattraper. Maintenant, je te vois, furieux que ton couple soit brisé, et je veux juste te dire une chose : il arrive un stade où le fait d’avoir tort ou raison n’a plus d’importance. À un moment, la rancune et la colère deviennent de mauvaises habitudes, comme fumer, et tu t’empoisonnes la vie avec sans t’en rendre compte.

Nous savons tous conduire des voitures avec boîte de vitesses. Nous savons tous changer une roue. Nous savons tous réprimer nos sentiments jusqu’à ce qu’ils nous empoisonnent. C’est un héritage complexe.

Le passé est un prélude, l’avenir un trou noir, mais en cet instant, foncer vers le nord sans raison et franchir les frontières des États me fait du bien, je dois le reconnaître.