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Il faut convenir qu'il est impossible de vivre dans le monde, sans jouer de temps en temps la comédie. Ce qui distingue l'honnête homme du fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés, et pour échapper au péril ; au lieu que l'autre va au-devant des occasions.
Ne tenir dans la main de personne, être l' homme de son coeur , de ses principes, de ses sentiments : c'est ce que j'ai vu de plus rare.
Il y a peu d'hommes qui se permettent un usage vigoureux et intrépide de leur raison, et osent l'appliquer à tous les objets dans toute sa force.
Les fléaux physiques et les calamités de la nature humaine ont rendu la société nécessaire. La société a ajouté aux malheurs de la nature. Les inconvénients de la société ont amené la nécessité du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la société. Voilà l'histoire de la nature humaine.
Il y a des siècles où l'opinion publique est la plus mauvaise des opinions.
Telle est la misérable condition des hommes, qu'il leur faut chercher, dans la société, des consolations aux maux de la nature ; et, dans la nature, des consolations aux maux de la société.
L'amour de la gloire, une vertu ! étrange vertu que celle qui se fait aider par l'action de tous les vices ; qui reçoit pour stimulants l'orgueil, l'ambition, l'envie, la vanité, quelquefois l'avarice même ! Titus serait-il Titus, s'il avait eu pour ministres Séjan, Narcisse et Tigellin ?
Quand on veut éviter d'être charlatan, il faut fuir les tréteaux ; car, si l'on y monte, on est bien forcé d'être charlatan, sans quoi l'assemblée vous jette des pierres.
Il y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver la vie insupportable : ce sont les injures du temps et les injustices des hommes.
Le grand malheur des passions n'est pas dans les tourments qu'elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu'elles font commettre, et qui dégradent l'homme. Sans ces inconvénients, elles auraient trop d'avantages sur la froide raison, qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l'homme ; la sagesse le fait seulement durer
L'estime vaut mieux que la célébrité ; la considération vaut mieux que la renommée, et l'honneur vaut mieux que la gloire.
Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le bonheur repose sur la vérité. Il n'y a qu'elle qui puisse nous donner celui dont la nature humaine est susceptible.
Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe indien : « il vaut mieux être assis que debout, être couché qu'assis ; mais il vaut mieux être mort que tout cela. » l'habileté est à la ruse ce que la dextérité est à la filouterie.
Un homme sage en même temps qu'honnête se doit à lui-même de joindre à la pureté, qui satisfait sa conscience, la prudence, qui devine et prévient la calomnie.
Le rôle de l'homme prévoyant est assez triste : il afflige ses amis, en leur annonçant les malheurs auxquels les expose leur imprudence. On ne le croit pas ; et, quand ces malheurs sont arrivés, ces mêmes amis lui savent mauvais gré du mal qu'il a prédit, et leur amour-propre baisse les yeux devant l'ami qui devait être leur consolateur, et qu'ils auraient choisi s'ils n'étaient pas humiliés en sa présence.
Le temps diminue chez nous l'intensité des plaisirs absolus , comme parlent les métaphysiciens ; mais il paraît qu'il accroît les plaisirs relatifs : et je soupçonne que c'est l'artifice par lequel la nature a su lier les hommes à la vie, après la perte des objets ou des plaisirs qui la rendaient le plus agréable.
La fausse modestie est le plus décent de tous les mensonges.
La vertu, comme la santé, n'est pas le souverain bien. Elle est la place du bien plutôt que le bien même. Il est plus sûr que le vice rend malheureux, qu'il ne l'est que la vertu donne le bonheur. La raison pour laquelle la vertu est le plus désirable, c'est parce qu'elle est ce qu'il y a de plus opposé au vice.
Tout homme qui vit beaucoup dans le monde me persuade qu'il est peu sensible ; car je ne vois presque rien qui puisse y intéresser le coeur, ou plutôt rien qui ne l'endurcisse : ne fût-ce que le spectacle de l'insensibilité, de la frivolité et de la vanité qui y règnent.
Que trouve un jeune homme, en entrant dans le monde ? Des gens qui veulent le protéger, prétendent l' honorer , le gouverner, le conseiller. Je ne parle point de ceux qui veulent l'écarter, lui nuire, le perdre ou le tromper. S'il est d'un caractère assez élevé pour vouloir n'être protégé que par ses moeurs, ne s'honorer de rien ni de personne, se gouverner par ses principes, se conseiller par ses lumières, par son caractère et d'après sa position, qu'il connaît mieux que personne, on ne manque pas de dire qu'il est original, singulier, indomptable.
Il me semble qu'à égalité d'esprit et de lumière, l'homme né riche ne doit jamais connaître, aussi bien que le pauvre, la nature, le coeur humain et la société. C'est que dans le moment où l'autre plaçait une jouissance, le second se consolait par une réflexion.
N'est-ce pas une merveille que la société subsiste avec la convention tacite d'exclure du partage de ses droits les dix-neuf vingtièmes de la société ?
L'expérience, qui éclaire les particuliers, corrompt les princes et les gens en place.
Les magistrats chargés de veiller sur l'ordre public tels que le lieutenant criminel, le lieutenant civil, le lieutenant de police, et tant d'autres, finissent presque toujours par avoir une opinion horrible de la société. Ils croient connaître les hommes et n'en connaissent que le rebut. On ne juge pas d'une ville par ses égouts et d'une maison par ses latrines. La plupart de ces magistrats me rappellent toujours le collège où les correcteurs ont une cabane auprès des commodités, et n'en sortent que pour donner le fouet.
C'est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la société ; c'est par elle qu'on évite de se compromettre ; c'est par elle qu'on met tout en place sans sortir de la sienne ; c'est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et sur les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s'en offenser, à moins qu'elles ne manquent de gaieté ou de moeurs.
Tout homme qui a peu de besoins semble menacer les riches d'être toujours prêt à leur échapper. Les tyrans voient par là qu'ils perdent un esclave. On peut appliquer cette réflexion à toutes les passions en général. L'homme qui a vaincu le penchant à l'amour montre une indifférence toujours odieuse aux femmes ; elles cessent aussitôt de s'intéresser à lui. C'est peut-être pour cela que personne ne s'intéresse à la fortune d'un philosophe : il n'a pas les passions qui émeuvent la société. On voit qu'on ne peut presque rien faire pour son bonheur, et on le laisse là.
Un homme qui s'obstine à ne laisser ployer ni sa raison, ni sa probité, ou du moins sa délicatesse, sous le poids d'aucune des conventions absurdes ou malhonnêtes de la société ; qui ne fléchit jamais dans les occasions où il a intérêt de fléchir, finit infailliblement par rester sans appui, n'ayant d'autre ami qu'un être abstrait qu'on appelle la vertu, qui vous laisse mourir de faim.
La calomnie est comme la guêpe qui vous importune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu'on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient à la charge plus furieuse que jamais.
Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne : voilà je crois toute la morale.
l'éducation doit porter sur deux bases, la morale et la prudence : la morale, pour appuyer la vertu ; la prudence, pour vous défendre contre les vices d'autrui. En faisant pencher la balance du côté de la morale, vous ne faites que des dupes ou des martyrs ; en la faisant pencher de l'autre côté, vous faites des calculateurs égoïstes.
J'ai détruit mes passions, à peu près comme un homme violent tue son cheval, ne pouvant le gouverner.
J'ai à me plaindre des choses très certainement, et peut-être des hommes, mais je me tais sur ceux-ci ; je ne me plains que des choses ; et, si j'évite les hommes, c'est pour ne pas vivre avec ceux qui me font porter le poids des choses.
On serait trop malheureux si, auprès des femmes, on se souvenait le moins du monde de ce qu'on sait par coeur.
C'est une remarque excellente d'Aristote, dans sa rhétorique que toute métaphore fondée sur l'analogie doit être également juste dans le sens renversé. Ainsi, l'on a dit de la vieillesse qu'elle est l'hiver de la vie ; renversez la métaphore et vous la trouverez également juste, en disant que l'hiver est la vieillesse de l'année.
Ce que j'admire dans les anciens philosophes, c'est le désir de conformer leurs moeurs à leurs écrits : c'est ce que l'on remarque dans Platon, Théophraste et plusieurs autres. La morale pratique était si bien la partie essentielle de leur philosophie, que plusieurs furent mis à la tête des écoles, sans avoir rien écrit : tels que Xénocrate, Polémon, Chrysippe, etc. Socrate, sans avoir donné un seul ouvrage et sans avoir étudié aucune autre science que la morale, n'en fut pas moins le premier philosophe de son siècle.
Spérone-Spéroni explique très bien comment un auteur qui s'énonce très clairement pour lui-même est quelquefois obscur pour son lecteur : « c'est, dit-il, que l'auteur va de la pensée à l'expression et que le lecteur va de l'expression à la pensée. » les ouvrages qu'un auteur fait avec plaisir sont souvent les meilleurs, comme les enfants de l'amour sont les plus beaux.

