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j’allai droit à Françoise ; comme j’avais ri de ses larmes à un départ qui m’avait laissé indifférent, elle se montra glaciale à l’égard de ma tristesse, parce qu’elle la partageait. Avec la « sensibilité » prétendue des nerveux grandit leur égoïsme ; ils ne peuvent supporter de la part des autres l’exhibition des malaises auxquels ils prêtent chez eux-mêmes de plus en plus d’attention. Françoise, qui ne laissait pas passer le plus léger de ceux qu’elle éprouvait, si je souffrais détournait la tête pour que je n’eusse pas le plaisir de voir ma souffrance plainte, même remarquée.
À l’âge où les Noms, nous offrant l’image de l’inconnaissable que nous avons versé en eux, dans le même moment où ils désignent aussi pour nous un lieu réel, nous forcent par là à identifier l’un à l’autre au point que nous partons chercher dans une cité une âme qu’elle ne peut contenir mais que nous n’avons plus le pouvoir d’expulser de son nom, ce n’est pas seulement aux villes et aux fleuves qu’ils donnent une individualité, comme le font les peintures allégoriques, ce n’est pas seulement l’univers physique qu’ils diaprent de différences, qu’ils peuplent de merveilleux, c’est aussi
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Un donjon sans épaisseur qui n’était qu’une bande de lumière orangée et du haut duquel le seigneur et sa dame décidaient de la vie et de la mort de leurs vassaux avait fait place – tout au bout de ce « côté de Guermantes » où, par tant de beaux après-midi, je suivais avec mes parents le cours de la Vivonne – à cette terre torrentueuse où la duchesse m’apprenait à pêcher la truite et à connaître le nom des fleurs aux grappes violettes et rougeâtres qui décoraient les murs bas des enclos environnants ; puis ç’avait été la terre héréditaire, le poétique domaine où cette race altière de
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il me semblait qu’aussi bien que par un voyage je pénétrerais dans leurs secrets, rien qu’en approchant un instant à Paris Mme de Guermantes, suzeraine du lieu et dame du lac, comme si son visage et ses paroles eussent dû posséder le charme local des futaies et des rives et les mêmes particularités séculaires que le vieux coutumier de ses archives. Mais alors j’avais connu Saint-Loup ; il m’avait appris que le château ne s’appelait Guermantes que depuis le XVIIe siècle où sa famille l’avait acquis. Elle avait résidé jusque-là dans le voisinage, et son titre ne venait pas de cette région. Le
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C’était une de ces vieilles demeures comme il en existe peut-être encore et dans lesquelles la cour d’honneur – soit alluvions apportées par le flot montant de la démocratie, soit legs de temps plus anciens où les divers métiers étaient groupés autour du seigneur – avait souvent sur ses côtés des arrière-boutiques, des ateliers, voire quelque échoppe de cordonnier ou de tailleur, comme celles qu’on voit accotées aux flancs des cathédrales que l’esthétique des ingénieurs n’a pas dégagées,
il semble qu’il n’y ait pas de province qui n’ait son « midi »
Ah ! Combray, quand est-ce que je te reverrai, pauvre terre ! Quand est-ce que je pourrai passer toute la sainte journée sous tes aubépines et nos pauvres lilas en écoutant les pinsons et la Vivonne qui fait comme le murmure de quelqu’un qui chuchoterait,
Françoise, avec la fatigue de ses yeux de femme déjà âgée et qui d’ailleurs voyaient tout de Combray, dans un vague lointain, distingua non la plaisanterie qui était dans ces mots, mais qu’il devait y en avoir une, car ils n’étaient pas en rapport avec la suite du propos, et avaient été lancés avec force par quelqu’un qu’elle savait farceur.
Son langage, comme la langue française elle-même, et surtout la toponymie, était parsemé d’erreurs.)
Ah ! si j’avais seulement du pain sec à manger et du bois pour me chauffer l’hiver, il y a beau temps que je serais chez moi dans la pauvre maison de mon frère à Combray. Là-bas on se sent vivre au moins, on n’a pas toutes ces maisons devant soi, il y a si peu de bruit que la nuit on entend les grenouilles chanter à plus de deux lieues.
— Au moins on sait ce qu’on fait et dans quelle saison qu’on vit. Ce n’est pas comme ici qu’il n’y aura pas plus un méchant bouton d’or à la sainte Pâques qu’à la Noël, et que je ne distingue pas seulement un petit angélus quand je lève ma vieille carcasse. Là-bas on entend chaque heure, ce n’est qu’une pauvre cloche, mais tu te dis : « Voilà mon frère qui rentre des champs », tu vois le jour qui baisse, on sonne pour les biens de la terre, tu as le temps de te retourner avant d’allumer ta lampe. Ici il fait jour, il fait nuit, on va se coucher qu’on ne pourrait seulement pas plus dire que les
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Même pour les réunions familières, ce n’était que parmi eux que Mme de Guermantes pouvait choisir ses convives, et dans les dîners de douze personnes, assemblés autour de la nappe servie, ils étaient comme les statues d’or des apôtres de la Sainte-Chapelle, piliers symboliques et consécrateurs, devant la Sainte Table.
Il n’y a que l’imagination et la croyance qui peuvent différencier des autres certains objets, certains êtres, et créer une atmosphère.
Saturé par ces rêveries sur la perfection dans l’art dramatique desquelles on eût pu extraire alors une dose importante, si l’on avait dans ces temps-là analysé mon esprit à quelque minute du jour et peut-être de la nuit que ce fût, j’étais comme une pile qui développe son électricité.
Et même dans mes désirs les plus charnels toujours orientés d’un certain côté, concentrés autour d’un même rêve, j’aurais pu reconnaître comme premier moteur une idée, une idée à laquelle j’aurais sacrifié ma vie, et au point le plus central de laquelle, comme dans mes rêveries pendant les après-midi de lecture au jardin à Combray, était l’idée de perfection.
De même le geste de ces artistes disait à leurs bras, à leur péplum : « Soyez majestueux. » Mais les membres insoumis laissaient se pavaner entre l’épaule et le coude un biceps qui ne savait rien du rôle ; ils continuaient à exprimer l’insignifiance de la vie de tous les jours et à mettre en lumière, au lieu des nuances raciniennes, des connexités musculaires ; et la draperie qu’ils soulevaient retombait selon une verticale où ne le disputait aux lois de la chute des corps qu’une souplesse insipide et textile.
Et alors, ô miracle, comme ces leçons que nous nous sommes vainement épuisés à apprendre le soir et que nous retrouvons en nous, sues par cœur, après que nous avons dormi, comme aussi ces visages des morts que les efforts passionnés de notre mémoire poursuivent sans les retrouver, et qui, quand nous ne pensons plus à eux, sont là devant nos yeux, avec la ressemblance de la vie, le talent de la Berma qui m’avait fui quand je cherchais si avidement à en saisir l’essence, maintenant, après ces années d’oubli, dans cette heure d’indifférence, s’imposait avec la force de l’évidence à mon
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Autrefois, pour tâcher d’isoler ce talent, je défalquais en quelque sorte de ce que j’entendais le rôle lui-même, le rôle, partie commune à toutes les actrices qui jouaient Phèdre et que j’avais étudié d’avance pour que je fusse capable de le soustraire, de ne recueillir comme résidu que le talent de Mme Berma. Mais ce talent que je cherchais à apercevoir en dehors du rôle, il ne faisait qu’un avec lui. Tel pour un grand musicien (il paraît que c’était le cas pour Vinteuil quand il jouait du piano), son jeu est d’un si grand pianiste qu’on ne sait même plus si cet artiste est pianiste du tout,
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Mon impression, à vrai dire, plus agréable que celle d’autrefois, n’était pas différente. Seulement je ne la confrontais plus à une idée préalable, abstraite et fausse, du génie dramatique, et je comprenais que le génie dramatique, c’était justement cela. Je pensais tout à l’heure que, si je n’avais pas eu de plaisir la première fois que j’avais entendu la Berma, c’est que, comme jadis quand je retrouvais Gilberte aux Champs-Élysées, je venais à elle avec un trop grand désir.
» Et ce qui lui répond de nouveau, c’est une voix aiguë, c’est un ton curieusement questionneur, c’est l’impression despotique causée par un être qu’on ne connaît pas, toute matérielle, et dans laquelle aucun espace vide n’est laissé pour la « largeur de l’interprétation ». Et à cause de cela ce sont les œuvres vraiment belles, si elles sont sincèrement écoutées, qui doivent le plus nous décevoir, parce que, dans la collection de nos idées, il n’y en a aucune qui réponde à une impression individuelle.
C’était précisément ce que me montrait le jeu de la Berma. C’était bien cela, la noblesse, l’intelligence de la diction. Maintenant je me rendais compte des mérites d’une interprétation large, poétique, puissante ; ou plutôt, c’était cela à quoi on a convenu de décerner ces titres, mais comme on donne le nom de Mars, de Vénus, de Saturne à des étoiles qui n’ont rien de mythologique. Nous sentons dans un monde, nous pensons, nous nommons dans un autre, nous pouvons entre les deux établir une concordance mais non combler l’intervalle.
Mais je n’avais pas comme pour une pièce classique cette déception de voir l’éternité d’un chef-d’œuvre ne tenir que la longueur de la rampe et la durée d’une représentation qui l’accomplissait aussi bien qu’une pièce de circonstance. Puis à chaque tirade que je sentais que le public aimait et qui serait un jour fameuse, à défaut de la célébrité qu’elle n’avait pu avoir dans le passé, j’ajoutais celle qu’elle aurait dans l’avenir, par un effort d’esprit inverse de celui qui consiste à se représenter des chefs-d’œuvre au temps de leur grêle apparition, quand leur titre qu’on n’avait encore
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Sans chercher à approfondir la joie que je venais d’éprouver et dont j’aurais peut-être pu faire un plus fécond usage, je me disais comme autrefois certain de mes camarades de collège : « C’est vraiment la Berma que je mets en premier », tout en sentant confusément que le génie de la Berma n’était peut-être pas traduit très exactement par cette affirmation de ma préférence et par cette place de « première » décernée, quelque calme d’ailleurs qu’elles m’apportassent.
les exagérations (nom que de son point de vue spirituellement français et tout modéré prenaient vite la poésie et l’enthousiasme germaniques)
Pour moi qui faisais dériver du nom de Guermantes, du nom de Bavière et du nom de Condé la vie, la pensée des deux cousines (je ne le pouvais plus pour leurs visages puisque je les avais vus), j’aurais mieux aimé connaître leur jugement sur Phèdre que celui du plus grand critique du monde. Car dans le sien je n’aurais trouvé que de l’intelligence, de l’intelligence supérieure à la mienne, mais de même nature. Mais ce que pensaient la duchesse et la princesse de Guermantes, et qui m’eût fourni sur la nature de ces deux poétiques créatures un document inestimable, je l’imaginais à l’aide de
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je compris que ce n’est pas le monde physique seul qui diffère de l’aspect sous lequel nous le voyons ; que toute réalité est peut-être aussi dissemblable de celle que nous croyons percevoir directement, que les arbres, le soleil et le ciel ne seraient pas tels que nous les voyons, s’ils étaient connus par des êtres ayant des yeux autrement constitués que les nôtres, ou bien possédant pour cette besogne des organes autres que des yeux et qui donneraient des arbres, du ciel et du soleil des équivalents mais non visuels.
Et ainsi ce fut elle qui la première me donna l’idée qu’une personne n’est pas, comme j’avais cru, claire et immobile devant nous avec ses qualités, ses défauts, ses projets, ses intentions à notre égard (comme un jardin qu’on regarde, avec toutes ses plates-bandes, à travers une grille) mais est une ombre où nous ne pouvons jamais pénétrer, pour laquelle il n’existe pas de connaissance directe, au sujet de quoi nous nous faisons des croyances nombreuses à l’aide de paroles et même d’actions, lesquelles les unes et les autres ne nous donnent que des renseignements insuffisants et d’ailleurs
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Car dès qu’on est amoureux, tous les petits privilèges inconnus qu’on possède, on voudrait pouvoir les divulguer à la femme qu’on aime, comme font dans la vie les déshérités et les fâcheux. On souffre qu’elle les ignore, on cherche à se consoler en se disant que justement parce qu’ils ne sont jamais visibles, peut-être ajoute-t-elle à l’idée qu’elle a de vous cette possibilité d’avantages qu’on ne sait pas.
Et le travail, vous y êtes-vous mis ? Non ? que vous êtes drôle ! Si j’avais vos dispositions, je crois que j’écrirais du matin au soir. Cela vous amuse davantage de ne rien faire. Quel malheur que ce soient les médiocres comme moi qui soient toujours prêts à travailler et que ceux qui pourraient ne veuillent pas !
Et pour ce sourd total, comme la perte d’un sens ajoute autant de beauté au monde que ne fait son acquisition, c’est avec délices qu’il se promène maintenant sur une Terre presque édénique où le son n’a pas encore été créé. Les plus hautes cascades déroulent pour ses yeux seuls leur nappe de cristal, plus calmes que la mer immobile, comme des cataractes du Paradis. Comme le bruit était pour lui, avant sa surdité, la forme perceptible que revêtait la cause d’un mouvement, les objets remués sans bruit semblent l’être sans cause ; dépouillés de toute qualité sonore, ils montrent une activité
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Imbibant la forme de la colline, associé au goût du chocolat et à toute la trame de mes pensées d’alors, ce brouillard, sans que je pensasse le moins du monde à lui, vint mouiller toutes mes pensées de ce temps-là, comme tel or inaltérable et massif était resté allié à mes impressions de Balbec, ou comme la présence voisine des escaliers extérieurs de grès noirâtre donnait quelque grisaille à mes impressions de Combray.
Arrivé au bout, son mur plein où ne s’ouvrait aucune porte me dit naïvement : « Maintenant il faut revenir, mais tu vois, tu es chez toi », tandis que le tapis moelleux ajoutait pour ne pas demeurer en reste que, si je ne dormais pas cette nuit, je pourrais très bien venir nu-pieds, et que les fenêtres sans volets qui regardaient la campagne m’assuraient qu’elles passeraient une nuit blanche et qu’en venant à l’heure que je voudrais je n’avais à craindre de réveiller personne.
Malgré tout, le monde dans lequel on vit pendant le sommeil est tellement différent, que ceux qui ont de la peine à s’endormir cherchent avant tout à sortir du nôtre.
Sans doute la chambre, ne l’eussions-nous vue qu’une fois, éveille-t-elle des souvenirs auxquels de plus anciens sont suspendus. Ou quelques-uns dormaient-ils en nous-mêmes, dont nous prenons conscience ? La résurrection au réveil – après ce bienfaisant accès d’aliénation mentale qu’est le sommeil – doit ressembler au fond à ce qui se passe quand on retrouve un nom, un vers, un refrain oubliés. Et peut-être la résurrection de l’âme après la mort est-elle concevable comme un phénomène de mémoire.
Parfois je levais les yeux jusqu’à quelque vaste appartement ancien dont les volets n’étaient pas fermés et où des hommes et des femmes amphibies, se réadaptant chaque soir à vivre dans un autre élément que le jour, nageaient lentement dans la grasse liqueur qui, à la tombée de la nuit, sourd incessamment du réservoir des lampes pour remplir les chambres jusqu’au bord de leurs parois de pierre et de verre, et au sein de laquelle ils propageaient, en déplaçant leurs corps, des remous onctueux et dorés.
On est l’homme de son idée ; il y a beaucoup moins d’idées que d’hommes, ainsi tous les hommes d’une même idée sont pareils. Comme une idée n’a rien de matériel, les hommes qui ne sont que matériellement autour de l’homme d’une idée ne la modifient en rien.
Avec les terribles progrès de l’artillerie, les guerres futures, s’il y a encore des guerres, seront si courtes qu’avant qu’on ait pu songer à tirer parti de l’enseignement, la paix sera faite.
la saveur des plats raffinés qu’on nous servait. Ils donnaient autant de plaisir à mon imagination qu’à ma gourmandise ; parfois le petit morceau de nature d’où ils avaient été extraits, bénitier rugueux de l’huître dans lequel restent quelques gouttes d’eau salée, ou sarment noueux, pampres jaunis d’une grappe de raisin, les entourait encore, incomestible, poétique et lointain comme un paysage, et faisant se succéder au cours du dîner les évocations d’une sieste sous une vigne et d’une promenade en mer ;
On a dit que le silence était une force ; dans un tout autre sens, il en est une terrible à la disposition de ceux qui sont aimés. Elle accroît l’anxiété de qui attend. Rien n’invite tant à s’approcher d’un être que ce qui en sépare, et quelle plus infranchissable barrière que le silence ? On a dit aussi que le silence était un supplice, et capable de rendre fou celui qui y était astreint dans les prisons. Mais quel supplice – plus grand que de garder le silence – de l’endurer de ce qu’on aime !
Et comme l’habitude est, de toutes les plantes humaines, celle qui a le moins besoin de sol nourricier pour vivre et qui apparaît la première sur le roc en apparence le plus désolé, peut-être en pratiquant d’abord la rupture par feinte, aurait-il fini par s’y accoutumer sincèrement.
Mon père avait le téléphone depuis peu, mais je ne sais si cela eût beaucoup servi à Saint-Loup. D’ailleurs il ne me semblait pas très convenable de donner à mes parents, même seulement à un appareil posé chez eux, ce rôle d’intermédiaire entre Saint-Loup et sa maîtresse, si distinguée et noble de sentiments que pût être celle-ci.
Un matin, Saint-Loup m’avoua, qu’il avait écrit à ma grand’mère pour lui donner de mes nouvelles et lui suggérer l’idée, puisque un service téléphonique fonctionnait entre Doncières et Paris, de causer avec moi. Bref, le même jour, elle devait me faire appeler à l’appareil et il me conseilla d’être vers quatre heures moins un quart à la poste. Le téléphone n’était pas encore à cette époque d’un usage aussi courant qu’aujourd’hui. Et pourtant l’habitude met si peu de temps à dépouiller de leur mystère les forces sacrées avec lesquelles nous sommes en contact que, n’ayant pas eu ma communication
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Je finis, en désespoir de cause, en raccrochant définitivement le récepteur, par étouffer les convulsions de ce tronçon sonore qui jacassa jusqu’à la dernière seconde et j’allai chercher l’employé qui me dit d’attendre un instant ; puis je parlai, et après quelques instants de silence, tout d’un coup j’entendis cette voix que je croyais à tort connaître si bien, car jusque-là, chaque fois que ma grand’mère avait causé avec moi, ce qu’elle me disait, je l’avais toujours suivi sur la partition ouverte de son visage où les yeux tenaient beaucoup de place ; mais sa voix elle-même, je l’écoutais
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Je criais : « Grand’mère, grand’mère », et j’aurais voulu l’embrasser ; mais je n’avais près de moi que cette voix, fantôme aussi impalpable que celui qui reviendrait peut-être me visiter quand ma grand’mère serait morte. « Parle-moi » ; mais alors il arriva que, me laissant plus seul encore, je cessai tout d’un coup de percevoir cette voix. Ma grand’mère ne m’entendait plus, elle n’était plus en communication avec moi, nous avions cessé d’être en face l’un de l’autre, d’être l’un pour l’autre audibles, je continuais à l’interpeller en tâtonnant dans la nuit, sentant que des appels d’elle
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Nous ne voyons jamais les êtres chéris que dans le système animé, le mouvement perpétuel de notre incessante tendresse, laquelle, avant de laisser les images que nous présente leur visage arriver jusqu’à nous, les prend dans son tourbillon, les rejette sur l’idée que nous nous faisons d’eux depuis toujours, les fait adhérer à elle, coïncider avec elle.
déjà je voyais briller le soleil du matin sur la colline de Fiesole, je me chauffais à ses rayons ; leur force m’obligeait à ouvrir et à fermer à demi les paupières, en souriant, et, comme des veilleuses d’albâtre, elles se remplissaient d’une lueur rose. Ce n’était pas seulement les cloches qui revenaient d’Italie, l’Italie était venue avec elles.
Je n’étais que l’instrument d’habitudes de ne pas travailler, de ne pas me coucher, de ne pas dormir, qui devaient se réaliser coûte que coûte ; si je ne leur résistais pas, si je me contentais du prétexte qu’elles tiraient de la première circonstance venue que leur offrait ce jour-là pour les laisser agir à leur guise, je m’en tirais sans trop de dommage, je reposais quelques heures tout de même, à la fin de la nuit, je lisais un peu, je ne faisais pas trop d’excès ; mais si je voulais les contrarier, si je prétendais entrer tôt dans mon lit, ne boire que de l’eau, travailler, elles
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Je me rendais compte de tout ce qu’une imagination humaine peut mettre derrière un petit morceau de visage comme était celui de cette femme, si c’est l’imagination qui l’a connue d’abord ; et, inversement, en quels misérables éléments matériels et dénués de toute valeur pouvait se décomposer ce qui était le but de tant de rêveries, si, au contraire, cela avait été, connue d’une manière opposée, par la connaissance la plus triviale. Je comprenais que ce qui m’avait paru ne pas valoir vingt francs quand cela m’avait été offert pour vingt francs dans la maison de passe, où c’était seulement pour
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car cela est au-dessus des forces de l’homme et ne peut arriver que malgré lui par l’action de quelque grande loi naturelle
Gardiens des souvenirs de l’âge d’or, garants de la promesse que la réalité n’est pas ce qu’on croit, que la splendeur de la poésie, que l’éclat merveilleux de l’innocence peuvent y resplendir et pourront être la récompense que nous nous efforcerons de mériter, les grandes créatures blanches merveilleusement penchées au-dessus de l’ombre propice à la sieste, à la pêche, à la lecture, n’était-ce pas plutôt des anges ?