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L'homme est né libre, et partout il est dans les fers.
Le raisonnement de ce Caligula revient à celui de Hobbes et de Grotius. Aristote, avant eux tous, avait dit aussi[609] que les hommes ne sont point naturellement égaux mais que les uns naissent pour l'esclavage et les autres pour la domination. Aristote avait raison mais il prenait l'effet pour la cause. Tout homme né dans l'esclavage naît pour l'esclavage, rien n'est plus certain. Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir ils aiment leur servitude comme les compagnons d'Ulysse aimaient leurs abrutissements[610]. S'il y a donc des esclaves par nature, c'est parce
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Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?
Ainsi, de quelque sens qu'on envisage les choses, le droit d'esclavage est nul, non seulement parce qu'il est illégitime, mais parce qu'il est absurde et ne signifie rien. Ces mots, esclavage et droit, sont contradictoires ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, soit d'un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé : « Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j'observerai tant qu'il me plaira, et que tu observeras tant qu'il me plaira. »
Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature l'emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister et le genre humain périrait s'il ne changeait de manière d'être.
« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant. » Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.
À l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif, composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie, et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité[613], et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres état quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des
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Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l'impulsion physique, et le droit à l'appétit, l'homme, qui jusque-là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses
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En général, pour autoriser sur un terrain quelconque le droit de premier occupant, il faut les conditions suivantes : premièrement, que ce terrain ne soit encore habité par personne secondement, qu'on n'en occupe que la quantité dont on a besoin pour subsister en troisième lieu, qu'on en prenne possession, non par une vaine cérémonie, mais par le travail et la culture, seul signe de propriété qui, au défaut de titres juridiques, doive être respecté d'autrui. En effet, accorder au besoin et au travail le droit de premier occupant, n'est-ce pas l'étendre aussi loin qu'il peut aller ?
De quelque manière que se fasse cette acquisition, le droit que chaque particulier a sur son propre fonds est toujours subordonné au droit que la communauté a sur tous sans quoi il n'y aurait ni solidité dans le lien social, ni force réelle dans l'exercice de la souveraineté.
Je terminerai ce chapitre et ce livre par une remarque qui doit servir de base à tout le système social c'est qu'au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d'inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit[615].
Dans tous les raffinements de leur haine, mes persécuteurs en ont omis un que leur animosité leur a fait oublier c’était d’en graduer si bien les effets, qu’ils pussent entretenir et renouveler mes douleurs sans cesse, en me portant toujours quelque nouvelle atteinte. S’ils avaient eu l’adresse de me laisser quelque lueur d’espérance, ils me tiendraient encore par-là.
Les maux réels ont sur moi peu de prise je prends aisément mon parti sur ceux que j’éprouve, mais non pas sur ceux que je crains. Mon imagination effarouchée les combine, les retourne, les étend et les augmente. Leur attente me tourmente cent fais plus que leur présence, et la menace m’est plus terrible que le coup. Sitôt qu’ils arrivent, l’événement leur ôtant tout ce qu’ils avaient d’imaginaire, les réduit à leur juste valeur.
Je me contenterai de tenir le registre des opérations sans chercher à les réduire en système. Je fais la même entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il n'écrivait ses Essais que pour les autres, et je n'écris mes rêveries que pour moi. Si dans mes plus vieux jours aux approches du départ, je reste, comme je l'espère, dans la même disposition où je suis, leur lecture me rappellera la douceur que je goûte à les écrire, et faisant renaître ainsi pour moi le temps passé, doublera pour ainsi dire mon existence.
J’ai bientôt senti que j’avais trop tardé d’exécuter ce projet. Mon imagination déjà moins vive, ne s’enflamme plus comme autrefois à la contemplation de l’objet qui l’anime, je m’enivre moins du délire de la rêverie il y a plus de réminiscence que de création dans ce qu’elle produit désormais, un tiède alanguissement énerve toutes mes facultés, l’esprit de vie s’éteint en moi par degrés mon âme ne s’élance plus qu’avec peine hors de sa caduque enveloppe, et sans l’espérance de l’état auquel j’aspire parce que je m’y sens avoir droit, je n’existerais plus que par des souvenirs.
La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse la vieillesse est le temps de la pratiquer. L'expérience instruit toujours, je l'avoue mais elle ne profite que pour l'espace qu'on a devant soi. Est-il temps au moment qu'il faut mourir d'apprendre comment on aurait dû vivre ?
mon cœur jouissait de l'amitié qu'ils m'avaient inspirée en leur en attribuant autant pour moi.
Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j'appris de bonne heure par l'expérience que je n'étais pas fait pour y vivre, et que je n'y parviendrais jamais à l'état dont mon cœur sentait le besoin. Cessant donc de chercher parmi les hommes le bonheur que je sentais n'y pouvoir trouver, mon ardente imagination sautait déjà par-dessus l'espace de ma vie à peine commencée, comme sur un terrain qui m'était étranger, pour se reposer sur une assiette tranquille où je pusse me fixer.
Mais la patience, la douceur, la résignation, l'intégrité, la justice impartiale sont un bien qu'on emporte avec soi, et dont on peut s'enrichir sans cesse, sans craindre que la mort même nous en fasse perdre le prix. C'est à cette unique et utile étude que je consacre le reste de ma vieillesse.
Rien ne peut être dû de ce qui n'est bon à rien pour qu'une chose soit due, il faut qu'elle soit ou puisse être utile. Ainsi, la vérité due est celle qui intéresse la justice et c'est profaner ce nom sacré de vérité que de l'appliquer aux choses vaines dont l'existence est indifférente à tous, et dont la connaissance est inutile à tout. La vérité dépouillée de toute espèce d'utilité même possible, ne peut donc pas être une chose due, et par conséquent celui qui la tait ou la déguise ne ment point.
Les fictions qui ont un objet moral s'appellent apologues ou fables, et comme leur objet n'est ou ne doit être que d'envelopper des vérités utiles sous des formes sensibles et agréables, en pareil cas on ne s'attache guère à cacher le mensonge de fait qui n'est que l'habit de la vérité, et celui qui ne débite une fable que pour une fable ne ment en aucune façon.
mais dans l'invention de ces fables j'ai soin, tant que je puis, qu'elles ne soient pas des mensonges, c'est-à-dire qu'elles ne blessent ni la justice ni la vérité due, et qu'elles ne soient que des fictions indifférentes à tout le monde et à moi.
Oui je le dis et le sens avec une fière élévation d'âme, j'ai porté dans cet écrit la bonne foi, la véracité, la franchise, aussi loin, plus loin même, au moins je le crois, que ne fit jamais aucun autre homme sentant que le bien surpassait le mal j'avais mon intérêt à tout dire, et j'ai tout dit.
Je n'ai jamais cru que la liberté de l'homme consistât à faire ce qu'il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu'il ne veut pas,