Apprendre à vivre
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Dans les mois qui ont suivi la publication de mon livre Qu’est-ce qu’une vie réussie ?, plusieurs personnes m’ont abordé spontanément dans la rue pour me dire à peu près ceci :
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Quand une théorie scientifique se révèle être fausse, quand elle est réfutée par une autre manifestement plus vraie, elle tombe en désuétude et n’intéresse plus personne – hors quelques érudits. Les grandes réponses philosophiques apportées depuis la nuit des temps à la question de savoir comment vivre demeurent au contraire présentes.
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de même que les œuvres de Braque ou de Kandinsky ne sont pas « plus belles » que celles de Vermeer ou de Manet, les réflexions de Kant ou de Nietzsche sur le sens ou le non-sens de la vie ne sont pas supérieures – ni d’ailleurs inférieures – à celles d’Epictète, d’Epicure ou de Bouddha.
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Alors que les théories scientifiques de Ptolémée ou de Descartes sont radicalement « dépassées » et n’ont plus d’intérêt autre qu’historique, on peut encore puiser dans les sagesses anciennes comme on peut aimer un temple grec ou une calligraphie chinoise tout en vivant de plain-pied dans le XXIe siècle.
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A l’instar du premier manuel de philosophie qui fut jamais écrit dans l’histoire, celui d’Epictète, ce petit livre tutoie son lecteur. Parce qu’il s’adresse d’abord à un élève, à la fois idéal et réel, qui est au seuil de l’âge adulte mais appartient encore par bien des liens au monde de l’enfance. Qu’on n’y voie aucune familiarité de mauvais aloi, mais seulement une forme d’amitié ou de complicité auxquelles seul le tutoiement convient.
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si tu prends la peine de me suivre, tu sauras vraiment ce que c’est que la philosophie.
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Tu en auras même une idée assez précise pour décider si tu souhaites ou non y aller voir de plus près – par exemple en lisant plus à fond un des grands penseurs dont je vais te parler.
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Mais à la différence des animaux, il est le seul être qui ait conscience de ses limites. Il sait qu’il va mourir et que ses proches, ceux qu’il aime, aussi.
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Et bien sûr, pour cela, il se tourne d’abord vers les religions qui lui promettent le « salut ».
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Je voudrais que tu comprennes bien ce mot – « salut » – et que tu perçoives aussi comment les religions tentent de prendre en charge les questions qu’il soulève.
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c’est de la mort, bien sûr, qu’il s’agit.
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Mais, à la différence de nous autres, simples mortels, il est en son pouvoir de ressusciter son ami.
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la mort, pour ceux qui aiment, pour ceux qui ont confiance dans la parole du Christ, n’est qu’une apparence, un passage.
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Par l’amour et par la foi, nous pouvons gagner l’immortalité.
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Ce qui tombe bien, il fau...
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C’est donc dans la confiance en un Dieu que certains cherchent le salut et les religions nous assurent qu’ils y parviendront.
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Pourquoi pas, si l’on y croit et que l’on a la foi ?
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Pour se rassurer, certains sages de l’Antiquité disaient qu’il ne faut pas y penser puisque, de deux choses l’une :
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ou bien je suis en vie, et la mort, par définition, n’est pas présente, ou bien elle est présente et, par définition aussi, je ne suis plus là pour m’inquiéter !
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même s’il ne s’agit pas toujours de la disparition d’un être cher, tout ce qui est de l’ordre du « plus jamais » appartient au registre de la mort.
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Pour bien vivre, pour vivre libre, capable de joie, de générosité et d’amour, il nous faut d’abord et avant tout vaincre la peur – ou, pour mieux dire, « les » peurs, tant les manifestations de l’Irréversible sont diverses.
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: si tu as foi en Lui, Dieu te sauvera, disent-elles, en quoi elles requièrent avant toute autre vertu l’humilité qui s’oppose à leurs yeux – c’est ce que ne cessent de répéter les plus grands penseurs chrétiens, de saint Augustin à Pascal – à l’arrogance et à la vanité de la philosophie.
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Comme je te l’ai dit, les « philosophes du soupçon », Marx, Nietzsche et Freud, ont eu de nombreux disciples. Les noms d’Althusser, Lacan, Foucault, Deleuze, Derrida, et quelques autres que tu ne connais sans doute pas encore, appartiennent, quoique sur des modes divers, à cette configuration.
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Non pas, tu t’en doutes, celle d’un retour en arrière aux Lumières, à la raison, à la république et à l’humanisme, ce qui n’aurait, je t’ai dit pourquoi, aucun sens, mais une tentative de les penser à nouveaux frais, non pas « comme avant », mais au contraire après et à la lumière de la déconstruction qui a eu lieu.
Iuri Colares
Após a desconstrução dos ídolos Luzes, razão, república e humanismo.
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Pour m’en rendre pleinement compte, il m’a fallu découvrir la pensée de celui qui reste à mes yeux le principal philosophe contemporain, Heidegger.
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Beaucoup le disent aujourd’hui, parmi les écologistes, chez ceux, aussi, qui se disent « altermondialistes ». Mais l’originalité de Heidegger et de sa critique du monde de la technique, c’est qu’elle n’en reste pas aux critiques rituelles du capitalisme et du libéralisme. D’ordinaire, en effet, on leur reproche, pêle-mêle, d’accroître les inégalités, de dévaster les cultures et les identités régionales, de réduire de manière irréversible la diversité biologique, celle des espèces, d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres…
Iuri Colares
Heidegger não se limita às críticas ao capitalismo e ao liberalismo.
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Mais ce qui est certain, en revanche, et que Heidegger permet de comprendre, c’est que la mondialisation libérale est en train de trahir une des promesses les plus fondamentales de la démocratie celle selon laquelle nous allions pouvoir, collectivement, faire notre histoire, du moins y participer, avoir notre mot à dire sur notre destin, pour tenter de l’infléchir vers le mieux.
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Dépossession et non-sens sont les deux termes qui le caractérisent au mieux – et c’est en quoi d’ailleurs, il incarne à merveille, aux yeux de Heidegger, la philosophie de Nietzsche, c’est-à-dire une pensée qui assuma comme nulle autre le programme d’une éradication complète de tous les idéaux en même temps que de la logique du sens.
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C’est tout à fait possible si l’on fait abstraction du jargon aussi inutile qu’impénétrable dont les traducteurs français ont cru bon d’entourer la pensée de Heidegger. L’avènement du « monde de la technique » selon Heidegger : le retrait de la question du sens
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J’aimerais t’en exposer ici, dans un langage simple, destiné à qui n’a encore jamais lu Heidegger, les principaux moments. Je te préviens quand même : ce que je vais te dire là, tu ne le trouveras pas sous cette forme chez Heidegger.
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Quelle leçon tirer d’une telle analyse ? D’abord que l’attitude généalogique et la technique ne sont bel et bien, comme le pense Heidegger, que les deux faces d’une même médaille : la première est le double idéel, philosophique, de la seconde, qui n’en est que l’équivalent social, économique et politique.
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De ce point de vue, Heidegger a raison, Nietzsche est bien, par excellence, le « penseur de la technique », celui qui, comme nul autre, accompagne le désenchantement du monde, l’éclipse du sens, la disparition des idéaux supérieurs au profit de la seule et unique logique de la volonté de puissance.
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Heidegger lui-même n’y croyait guère ou plus exactement, il doutait que la démocratie fût à la hauteur d’un tel défi – et c’est une des raisons, sans aucun doute, qui l’ont jeté dans les bras du pire régime autoritaire que l’humanité ait connu.
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Heidegger s’est donc, et c’est bien sûr consternant, engagé dans le nazisme, convaincu sans aucun doute que seul un régime autoritaire pouvait se montrer au niveau des défis lancés à l’humanité par le monde de la technique.
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Dans l’espace de la philosophie contemporaine, c’est sans doute André Comte-Sponville qui a poussé le plus loin, avec le plus de talent et de rigueur intellectuelle, la tentative de fonder une nouvelle morale et une nouvelle doctrine du salut sur la base d’une déconstruction radicale des prétentions de l’humanisme à la transcendance des idéaux.
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Voilà ce qu’André Comte-Sponville a résumé d’une formule aussi synthétique que parlante : « Espérer, dit-il, c’est désirer sans jouir, sans savoir et sans pouvoir. »
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Comme le dit d’ailleurs Nietzsche, la doctrine de l’amor fati est la source d’un réconfort à nul autre pareil, le motif d’une infinie sérénité.
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Contrairement au matérialisme, auquel il s’oppose diamétralement, l’humanisme post-nietzschéen auquel je songe ici – dont la longue tradition plonge ses racines dans la pensée de Kant et s’épanouit avec l’un de ses plus grands disciples, Husserl, qui écrivit l’essentiel de son œuvre au début du siècle dernier – réhabilite la notion de transcendance.
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Voici comment, à ce qu’on raconte, Husserl lui-même se plaisait à la faire comprendre à ses élèves – car, comme beaucoup de grands philosophes, Kant, Hegel, Heidegger, qui fut son élève, et tant d’autres encore, il était d’abord un grand professeur.