More on this book
Community
Kindle Notes & Highlights
Non, le mieux, c’est de choisir un entre-deux, comme l’abricot. Voilà, c’est ça. Le jus d’abricot, c’est parfait. Si elle choisit ça, je l’épouse, pensa François. À cet instant précis, Nathalie releva la tête de la carte, comme si elle revenait d’une longue réflexion. La même réflexion que venait de mener l’inconnu face à elle. « Je vais prendre un jus… — …? — Un jus d’abricot, je crois. » Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité.
Il était le genre d’homme à aborder une seule fois une femme dans la rue, et tomber sur la bonne. Tout semblait lui réussir.
C’était trop absurde. Comment tant de bonheur pouvait-il se fracasser ainsi ?
Au moment de partir, il était sûrement déjà un fantôme. Une forme humaine certes, mais qui ne produit que du silence, car la mort s’est déjà installée.
Elle prit conscience que ce serait terrible. En sept ans de vie commune, il avait eu le temps de s’éparpiller partout, de laisser une trace sur toutes les respirations. Elle comprit qu’elle ne pourrait rien vivre qui puisse lui faire oublier sa mort.
Le livre était ainsi coupé en deux ; la première partie avait été lue du vivant de François. Et à la page 321, il était mort. Que fallait-il faire ? Peut-on poursuivre la lecture d’un livre interrompu par la mort de son mari ?
Et puis, non, il y a des phrases qu’on ne peut pas dire avec « vous ». Des phrases de réconfort. Il faut gommer la distance pour pouvoir les prononcer, il faut être dans l’intime.
Un psychologue tenta de la faire parler, de faire en sorte qu’elle évacue au plus vite le choc, que le traumatisme ne gangrène pas l’inconscient.
Il devait se rendre à l’évidence : il ne lui plaisait pas, et ne lui plairait jamais. Il n’éprouvait aucune colère. C’était comme la fin subite de quelque chose qui l’avait animé depuis des années. La fin d’une possibilité.
Il ouvrit enfin la porte de son appartement, et trouva son salon bien trop petit par rapport à son envie de vivre.
Cafés noirs et nuit blanche, ce n’était jamais un bon mélange.
Il sentait une injustice terrible dans cette possibilité : comment l’acte du baiser pouvait-il être gratuit pour elle alors qu’il avait une valeur inestimable pour lui ?
Pensée d’un philosophe polonais Il y a des gens formidables qu’on rencontre au mauvais moment. Et il y a des gens qui sont formidables parce qu’on les rencontre au bon moment.
C’était comme si les États-Unis invitaient le Liechtenstein à déjeuner.
Dans son lit, il sut qu’il ne serait pas capable de s’endormir : comment aller vers le rêve quand on vient de le quitter ?
Shakespeare n’évoque que les moments forts de ses personnages. Mais Roméo et Juliette dans un couloir, au lendemain matin d’une belle soirée, c’est certain qu’ils n’ont rien à se dire.
La beauté était là, devant lui, le regardant droit dans les yeux, comme un avant-goût du tragique.
Alors, pourquoi éprouvait-il un si fort besoin de faire marche arrière ? Il fallait sûrement y voir quelque chose de simple, et que l’on peut définir ainsi : la peur du bonheur.
On dit que l’on voit les plus beaux moments de sa vie défiler avant de mourir. Il paraît ainsi plausible que l’on puisse voir les ravages et ratages du passé défiler au moment où le bonheur est là, devant nous, avec un sourire presque inquiétant.
Il continuait de penser que tout cela pouvait le mener vers la souffrance, la déception, l’impasse affective la plus terrifiante qui soit. Pourtant, il avait envie d’y aller. Il avait envie de partir pour une destination inconnue. Rien n’était tragique. Il savait qu’il existait des navettes entre l’île de la souffrance, celle de l’oubli, et celle, plus lointaine encore, de l’espoir.
Pour elle, tout était là : ce moment était la justification pure de ce qu’elle aimait vivre avec Markus. Un homme assis dans un café, qui vous fait un grand sourire quand vous arrivez, et qui vous annonce avec sérieux qu’il lit un article sur un trafic de mozzarella.
Je peux vous embrasser ? » Nathalie avait tellement aimé qu’il lui pose la question. C’était une forme de délicatesse. Chaque moment avec lui sortait de l’ordinaire.
Voilà à peu près ce qu’il aurait aimé dire. Mais c’est ainsi : on a toujours cinq minutes de retard sur nos conversations amoureuses.
Il espérait être avec Nathalie mais, dans le cas contraire, il ne s’effondrerait pas. Fébrile, fragile par moments, Markus avait une certaine force. Une sorte de stabilité, du calme.
C’était la première fois qu’il frappait quelqu’un. Et il regretta de ne pas l’avoir fait plus tôt. D’avoir trop souvent cherché des mots pour régler des situations.
À quelques mètres du passé qui n’en finit pas de ne pas finir.