From the Bookshelf of Shiny Spring Challenge…

Parfois j’ai l’impression que les fous ne sont pas de vraies gens. Ils seraient comme les incarnations de la folie de la ville, des soupapes de sécurité. S’ils n’étaient pas là, on s’entretuerait ou on mourrait de stress, ou de je ne sais quoi, on assassinerait ces enfoirés de flics qui ne nous laissent plus nous asseoir sur les escaliers du Musée, sur la plaza dels Àngels… tu as remarqué ? Ils font des razzias, ces connards, ici le fait de s’asseoir sur le trottoir pour boire une bière, c’est c

Parfois j’ai l’impression que les fous ne sont pas de vraies gens. Ils seraient comme les incarnations de la folie de la ville, des soupapes de sécurité. S’ils n’étaient pas là, on s’entretuerait ou on mourrait de stress, ou de je ne sais quoi, on assassinerait ces enfoirés de flics qui ne nous laissent plus nous asseoir sur les escaliers du Musée, sur la plaza dels Àngels… tu as remarqué ? Ils font des razzias, ces connards, ici le fait de s’asseoir sur le trottoir pour boire une bière, c’est considéré comme une “incivilité”.
— Extrait de Rambla Triste

Bien que j’ai une préférence pour son recueil plus récent, Ce que nous avons perdu dans le feu (publié plus tôt en France) dont on sent un travail plus abouti dans l’écriture des nouvelles, Les dangers de fumer au lit reste néanmoins rempli de récits horrifiques toujours aussi envoûtants à lire.

Mariana Enríquez se distingue dans sa manière d’effacer subtilement la frontière entre le réel et l’imaginaire. Elle utilise habilement la fiction à travers des antihéroïnes hantées ou mal à l’aise pour décrire toute l’horreur de la réalité quotidienne des Argentin.e.s, profondément marqué.e.s par les périodes de crises et de dictatures, que ce soit l’extrême pauvreté, le nombre élevé de disparitions d’enfants, de meurtres, les addictions, obsessions, maladies ou encore les mélanges de croyances occultes et religieuses.

Elle nous a fait peur. C’était qui, du coup ? Elle ne le savait pas, une idole brésilienne. Elle nous a dit qu’elle lui avait demandé quelque chose. Le rouge était très bien peint, et brillait comme de l’acrylique. Elle avait de très beaux cheveux, noirs et longs, plus sombres et plus soyeux que ceux de Silvia. Et quand elle s’était approchée, la fausse cape blanche virginale était tombée toute seule, sans qu’elle la touche, comme si elle voulait que Natalia la voie. Alors elle lui avait demandé quelque chose.
On n’a rien dit. Elle faisait parfois des trucs comme ça, Natalia, des trucs bizarres, comme le sang menstruel dans le café. Puis ça lui passait.
— Extrait de La Vierge des Tufières