Échappée
2020…
Quelle étrange année.
La menace invisible latente, tous ces temps suspendus, ce printemps qui a fleuri sans nous, ce monde qui semble foutre le camp, toutes ces étrangetés nouvelles avec lesquelles il faudra apprendre à vivre (ou qu’on oubliera aussitôt, parce que l’humain et sa putain de résilience amnésique…)
Déjà, quand elle a commencé cette année, je râlais. Je râlais parce que j’ai mauvais caractère je trouvais ça laid, « 2020 ». Laid à écrire, avec cette espèce de symétrie en miroir, ces deux vingt collés l’un à l’autre qui ne ressemblent pas à une date mais plutôt à une coquille.
Pourtant, depuis huit mois, je vis une profonde mutation.
2020 agit étrangement sur moi, elle devient le lieu d’une étonnante métamorphose.
Cette métamorphose passe par un ralentissement considérable (moins de sollicitations, de vie citadine, d’écrans), du temps consacré entièrement à la création, et une hygiène de vie nouvelle. Je questionne sans arrêt mes choix, notamment celui de vivre en ville. Le package inclut évidemment beaucoup d’angoisses, écologiques, humaines, politiques. Y’a comme un goût amer en nous, comme disait l’autre.
Alors… il a fallu que je disparaisse.
Des réseaux, j’entends.
Moi qui étais si présente sur Instagram, à grand renfort de posts dessinés, littéraires, féministes, félins ou ukulélesques, je suis aujourd’hui muette, ou presque (j’ai continué de poster quelques dessins et infos sur ma page, mais plus rien en story ni en DM), et ce depuis février. Il est fort probable d’ailleurs qu’à l’heure où j’écris ces lignes, l’algorithme d’instagram m’a déjà enterrée vivante, et que la plupart d’entre vous n’accèdent jamais à ce billet
Qu’importe.
Pourquoi donc avoir disparu?
Au départ, il s’agissait simplement d’une “pause”. D’un break. En février dernier, pour mes trente deux ans, je me suis offert une retraite dans une abbaye bretonne, seule. Loin de la foule, du bruit, du monde, perchée sur ma falaise de Saint Gildas de Rhuys face à la mer, j’ai appris à vivre… autrement?
En tout cas, à vivre au ralenti (ce qui m’a été bien utile lors du confinement).
À l’époque, j’étais guidée par un vague souhait de bobo à la mode: je voulais “expérimenter le silence”, “le vide”. Me « reconnecter à moi-même ». (je m’étais même mise à la méditation comme toute bonne trentenaire privilégiée 2.0)
Mais je ne pensais pas que quelque chose de définitif allait bouger, en moi.
Entre les murs de ce couvent, j’ai fait peau neuve, et j’ai vécu l’une des semaines introspectives les plus émancipatrices et salvatrices de ma vie.
Je suis revenue… changée.
Déployée.
Et Instagram, depuis, me fait horreur.
Le concept, l’urgence à poster, la dictature des likes, mais surtout, SURTOUT: …..
le temps volé.
Je passais en moyenne 3h40, rien que sur intagram, par JOUR.
Soit 28 heures, ou plus d’une journée par semaine,
Soit un peu plus de 4 jours entiers par mois.
Soit presque 50 jours par an, quasiment DEUX mois pleins, entièrement dédiés à Instagram chaque année.
Un temps précieux pendant lequel… je ne créais pas.
Tout ce temps passé à créer du contenu virtuel, des stories, des live, des chroniques de livres, à répondre aux messages reçus chaque jour par centaines, aux commentaires, à gérer des éventuels débordements (+ les heures à scroller à l’infini dans mon lit au lieu de faire quelque chose de productif…) … je ne l’ai pas passé à faire ce que j’aime: dessiner et écrire.
Aujourd’hui en plus, avec une telle actualité, un monde si abîmé et si menaçant, tout cela me paraît vain.
Ça me coûte, ça me suffoque.
Il me semble que la vraie vie est ailleurs.
Attention je suis heureuse que certain.e.s parviennent à tenir le cap, hein. Mais moi, pour l’instant, je n’y crois plus.
Bien sûr ça n’a pas été simple.
Tout est fait pour qu’instagram soit agréable, facile, et surtout paraisse vital: le fait est qu’il m’apportait du travail, des rencontres, que grâce à ce support j’ai pu faire d’immenses découvertes humaines comme professionnelles… j’étais persuadée que ces heures passées sur l’appli étaient nécessaires, prolifiques.
Je suivais des comptes artistiques qui, je le croyais, m’inspiraient, des comptes engagés qui participaient à ma déconstruction féministe, et surtout, je me sentais le devoir d’aider moi aussi, de relayer, de transmettre, d’informer.
Mais bon sang personne n’a besoin d’autant de stimulations!!
Personne n’a besoin d’autant d’informations vomies par heure, par minute, c’est trop, bien trop pour rester sain d’esprit.
Ce que j’ai fait pendant des années sur mon blog, à savoir créer du contenu gratuit et divertissant, militant ou culturel, je l’ai fait ensuite sur Instagram.
Or, le piège c’est qu’Instagram n’est pas un blog.
Ce n’est pas un endroit qui m’appartient, que je paie et que je maîtrise: Instagram appartient à Facebook. Et Facebook est une entreprise privée. Ce n’est pas un endroit neutre, comme un blog, une page blanche sur laquelle tout est possible. C’est un lieu régi par des règles.
Ce qui est normal, comme tout lieu privé d’ailleurs, sauf qu’en l’occurence, Instagram est gouverné par une censure de plus en plus puritaine, qui m’a déjà invisibilisée plusieurs fois, supprimant mes parutions et empêchant l’accès à mon travail.
Le plus souvent pour une ridicule histoire de tétons.
(Ce qui est assez ironique sachant qu’une image pornographique dont les parties intimes sont masquées reste, mais une illustration non sexualisée dont les seins ne sont pas floutés, elle, disparaît.)
On peut trouver ça injuste, cruel, stupide, mais on est peu légitimes d’exiger quoique ce soit de toute façon: car sur Instagram, nous ne sommes pas chez nous.
Et ça me fatigue, de tenter d’entrer dans un cadre qui ne me ressemble pas et qui prône des valeurs qui ne sont pas les miennes.
J’ai besoin d’art, j’ai besoin d’écrire, j’ai besoin de dessiner.
Mais avant tout, j’ai besoin de ma liberté.
Pendant cette retraite, j’ai constaté que j’étais, comme beaucoup de gens, tout simplement droguée à Instagram. Pas métaphoriquement: littéralement droguée.
Droguée à l’écran, à la sollicitation constante, à la création de contenu.
Il m’a fallu une désintoxication sévère! J’ai ressenti physiquement le manque, l’angoisse, la privation, l’anxiété liée à l’arrêt du réseau pendant environ une semaine.
Et, exactement comme une alcoolique qui s’interdit de reprendre ne serait ce qu’un tout petit verre, je me suis interdit d’y passer plus de 15 min par jour, en attendant de voir comment je me sentais au terme de cette privation.
Six mois plus tard, je suis toujours aussi écoeurée par l’application.
Qu’ai-je gagné de cette abstinence forcée?
Eh bien… je me suis transformée.
Après ma retraite, j’ai retrouvé un cycle de sommeil stable et réparateur, j’ai calmé certaines angoisses (y’avait du boulot, entre cette pandémie mondiale, les feux partout, les présidents tarés…), et j’ai ré-appris à m’ennuyer, à ne rien prévoir, à vivre lentement et à passer du temps simple avec ceux que j’aime.
(J’ai même acheté mes premières chaussures de randonnée, c’est vous dire le virage drastique qu’a pris ma vie)
Et tout ce temps que je n’ai pas passé à errer sur les stories instagram, eh bien, je l’ai passé entre autres à…
écrire un livre.
À mon retour de retraite, mi février, j’étais profondément bouleversée.
J’ai jeté sur papier tout ce que j’avais expérimenté là-bas, et tout ce que je vivais à ce moment là dans ma vie qui m’avait conduite vers ce choix si drastique de solitude.
C’est un texte très intime qui compte énormément pour moi, une ode à l’errance, à la nature, à la contemplation et aux souvenirs.
Pendant le confinement je l’ai peaufiné, retravaillé, puis progressivement je l’ai fait lire. J’ai trouvé l’aide précieuse d’une agente littéraire, qui l’a envoyé à plusieurs maisons d’éditions. J’ai reçu quelques refus bien sûr, dont certains encourageants, mais aussi, miracle, des réponses favorables.
À la rentrée, je devrais (si le virus le permet…) aller rencontrer les éditrices qui ont apprécié mon texte, pour discuter avec elles de sa forme un peu atypique, hybride comme d’habitude, car je ne fais jamais rien qui entre tout à fait dans les cases. (#verseau)
Rien n’est encore fait bien sûr, mais j’ai amorcé quelque chose de nouveau, j’ai fait un pas vers ce que j’aime plus que tout: l’écriture.
Un pas vers vous aussi, qui me suivez depuis si longtemps. Un pas plus intime, plus vrai, sans la mascarade insta/influenceuse. À l’ancienne, une confession brute, sans masques, que j’espère pouvoir partager bientôt.
Du temps, du vide, de l’espace mental, voilà ce dont j’avais besoin pour accoucher de ce projet.
Peut être que ce texte ne verra jamais le jour, peut être qu’il n’aura été qu’une amorce, un départ vers autre chose. Je n’en sais rien!
Mais ça m’a fait un bien fou d’écrire, de terminer quelque chose de si personnel.
Pour le moment je refuse toujours de me plier à l’injonction du bon gros roi Instagram, par choix militant mais aussi tout simplement parce que ça me BOUSILLE.
Je ne suis qu’une pauvre junkie en désintox’, mais par chance, internet m’offre d’autres voies d’expression, m’évitant d’avoir à disparaître pour de bon.
Peut être que je réussirai à y revenir plus apaisée dans quelques mois (au moins pour un petite reprise au ukulele et quelques actus, comme notre prochain livre avec Ovidie prévu à la rentrée!), ou peut être que je viendrai écrire ici un peu plus souvent.
Ou les deux.
WHO KNOWS?
L’idée c’est de réussir à me sauvegarder du temps.
En tout cas d’ici là, ne vous en faites pas… je vous tiendrai au courant sur Insta!
Des bisous
Diglee


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